ARYA

Le feu du phare brûlait dans le lointain, presque au ras de l’horizon, faiblard mais bien distinct au travers des brumes marines.

« On dirait une étoile, fit-elle.

— L’étoile de la maison », répliqua Denyo.

Son père mugissait des ordres. Des marins escaladaient et dévalaient les trois grands mâts, se déplaçaient dans le gréement pour arriser les pesantes voiles violettes. En bas, sur deux immenses bancs de nage, des rameurs s’échinaient à tirer. Les ponts prirent de la gîte en craquant lorsque la galéasse Fille du Titan talonna sur la droite et entreprit de virer de bord.

L’étoile de la maison. Arya se tenait à la proue, une main posée sur la figure dorée qui l’ornementait – une donzelle présentant une jatte de fruits. Le temps d’un demi-battement de cœur, elle se fit accroire que « la maison », là-bas devant, c’était sa maison, sa maison à elle.

Un enfantillage stupide, voilà tout ! Sa maison n’existait plus, ses parents étaient morts, et tous ses frères avaient été assassinés, tous sauf Jon, qui se trouvait au Mur. C’était là qu’elle aurait voulu aller. Elle l’avait dit et redit, et plutôt cent fois qu’une, au capitaine, mais même la piécette en fer s’était révélée impuissante à le faire changer de cap. A croire, tiens, que les endroits qu’elle se proposait d’atteindre, jamais elle ne les trouvait. Yoren avait juré de la conduire à Winterfell ? il s’était fait tuer en route, et c’est à Harrenhal qu’elle avait fini par échouer. Elle s’était enfuie d’Harrenhal pour Vivesaigues ? A la place, Lim et Anguy et Tom des Sept l’avaient capturée puis emmenée à la colline creuse. Et puis le Limier la leur avait piquée pour l’entraîner de force aux Jumeaux. Et puis elle l’avait abandonné moribond près de la rivière, et elle avait poursuivi jusqu’à Salins dans l’espoir de réussir à s’y embarquer pour Fort-Levant, sauf que là…

Braavos pourrait n’être au fond pas si mal que ça. Syrio était originaire de Braavos, et qui sait si Jaqen aussi ne s’y trouve pas ? C’était Jaqen qui lui avait donné la piécette en fer. Il n’avait pas été véritablement son ami, enfin pas comme Syrio l’avait été, mais à quoi lui avaient-ils jamais été bons, les amis ? Je n’ai que faire d’amis, du moment que je possède Aiguille. Du gras de son pouce, elle caressa le pommeau lisse de l’épée, souhaitant de tout son cœur, souhaitant…

A la vérité, elle ne savait quoi souhaiter, pas plus qu’elle ne savait ce qui l’attendait sous cette loupiote lointaine. Le capitaine lui avait offert le passage, mais il n’avait pas de temps pour causer avec elle. Il y avait des membres de l’équipage qui la fuyaient, mais d’autres lui faisaient des cadeaux – qui une fourchette d’argent, qui des mitaines, qui un chapeau mou de feutre à ruban de cuir. L’un des hommes lui apprenait l’art des nœuds de marine. Un second lui servait des dés à coudre de vin-de-feu. Les amicaux se frappaient la poitrine en répétant leur nom sans relâche jusqu’à ce qu’elle le leur renvoie, mais pas un seul ne songeait à lui demander le sien. Ils l’appelaient Saline, étant donné qu’elle avait embarqué à Salins, sur l’embouchure du Trident. Cette dénomination-là valait bien n’importe quelle autre, présumait-elle.

Les dernières étoiles de la nuit s’étaient toutes éclipsées…, toutes sauf une paire, droit devant eux. « Mais il y a deux étoiles, maintenant !

— Deux yeux, corrigea Denyo. Le Titan nous voit. »

Le Titan de Braavos. A Winterfell, Vieille Nan leur avait raconté des tas d’histoires sur le Titan. C’était un géant, haut comme une montagne, et, quand d’aventure un danger menaçait Braavos, il se réveillait, les orbites en flammes, ses membres de pierre grinçant et grondant tandis qu’il avançait dans la mer pour y écraser l’ennemi. « Les gens de Braavos le repaissent avec la chair rose et juteuse de petites filles de haute naissance », concluait Nan, immuablement, et, non moins immuablement, Sansa poussait un couinement stupide. Mais mestre Luwin affirmait, lui, que le Titan n’était rien de plus qu’une statue et les histoires de Vieille Nan rien de plus que des histoires.

Winterfell n’est plus que cendres et que ruines, se rappela-t-elle. Vieille Nan et mestre Luwin étaient morts tous les deux, selon toute vraisemblance, et Sansa aussi. Ça te fait une belle jambe, de penser à eux. Tous les hommes doivent mourir. C’était ça que les mots voulaient dire, les mots que Jaqen H’ghar lui avait enseignés en lui donnant la pièce de fer tout usée. Depuis l’appareillage de Salins, elle avait appris de nouveaux termes braaviens, tels ceux signifiant s’il vous plaît, merci, mer, étoile et vin-de-feu, mais elle s’était employée à le faire alors qu’elle savait déjà son Tous les hommes doivent mourir. Presque tout l’équipage de La Fille du Titan possédait de vagues rudiments de Langue Commune acquis lors des nuits passées à terre à Villevieille, à Port-Réal ou à Viergétang, mais le capitaine et ses fils étaient les seuls à la posséder suffisamment bien pour s’entretenir avec elle. Denyo, le plus jeune de ces derniers, était un garçon de douze ans grassouillet et jovial ; chargé de faire le ménage de la cabine de son père, il aidait aussi l’aîné de ses frères à tenir sa comptabilité.

« J’espère que votre Titan n’est pas affamé, lui dit Arya.

— Affamé ? répéta Denyo d’un air ahuri.

— Aucune importance. » Même si le Titan se repaissait vraiment de chair rose et juteuse de petite fille, en avoir peur, elle ? tu plaisantes ! Elle était beaucoup trop maigrichonne, d’abord, pour risquer de servir au repas d’un géant, et puis ses presque onze ans faisaient quasiment d’elle une femme adulte. Et en plus, pour la haute naissance, Saline peut repasser. « C’est le Titan qui est le dieu de Braavos ? interrogea-t-elle. Ou bien vous avez les Sept ?

— Braavos honore tous les dieux. » Le fils du capitaine adorait presque autant parler de sa ville que du bateau de son papa. « Vos Sept ont un septuaire ici, le Septuaire d’Outremer, mais il n’y a que les marins de Westeros qui vont y faire leurs dévotions. »

Ils ne sont pas mes Sept. Ils étaient les dieux de ma mère, et ses dieux l’ont laissé assassiner aux Jumeaux par les Frey. Elle se demanda si elle trouverait à Braavos un bois sacré recelant en son cœur un barral. Denyo connaissait peut-être la réponse, mais elle ne pouvait pas se permettre de lui poser la question. Saline étant de Salins, quelle connaissance une fille de Salins aurait-elle bien pu avoir des vieux dieux du Nord ? Les vieux dieux sont morts, se dit-elle, en même temps que Mère et que Père et que Robb et que Bran et que Rickon, tous morts. Elle se ressouvint de son père l’avisant – mais cela remontait à des lustres ! – que, lorsque soufflent les bises glacées, le loup solitaire périt, tandis que la meute survit. Les faits ne lui en ont pas mâché le démenti. Elle était toujours en vie, elle, loup solitaire, alors que les membres de la meute s’étaient tous fait tour à tour capturer, tuer, dépecer.

« C’est sous la conduite des Chantelunes que nous sommes venus nous réfugier dans ces lieux où les dragons de Valyria ne risquaient pas de nous retrouver, poursuivit Denyo. Leur temple est le plus important de tous. Nous apprécions aussi le Père des Eaux, mais sa demeure est entièrement reconstruite à chacune de ses épousailles. Les dieux restants séjournent tous regroupés dans une île, au centre de la cité. C’est là que tu trouveras le… le dieu Multiface. »

Les yeux du Titan semblaient à la fois plus brillants, maintenant, et plus écartés. Arya ne connaissait pas de dieu Multiface, mais si ce dieu-là exauçait les prières, alors peut-être était-il celui qu’elle recherchait. Ser Gregor, songea-t-elle, Dunsen, Raff Tout-miel, ser Ilyn, ser Meryn, la reine Cersei. Plus que six, à présent. Joffrey était mort, le Limier avait liquidé Polliver, et c’était elle qui, de sa propre main, avait poignardé Titilleur, en plus de ce boutonneux d’écuyer stupide. Lui, je ne l’aurais pas tué, s’il n’avait pas porté la main sur moi. Quant au Limier, il était en train de crever lorsqu’elle l’avait planté là, sur les bords du Trident, consumé par la fièvre de sa blessure. J’aurais quand même dû lui accorder le coup de grâce en lui plantant un couteau dans le cœur.

« Regarde, Saline ! » Denyo lui saisit le bras et la fit pivoter. « Tu arrives à voir ? Là-bas. » Il pointa l’index.

Les brumes s’ouvraient devant eux, tels des rideaux gris déchirés par la proue. La Fille du Titan fusait sur ses ailes violettes ondoyantes au travers des flots vert-de-gris. Des cris d’oiseaux de mer vous perçaient les tympans. A l’endroit que désignait Denyo surgit tout à coup des vagues une ligne continue de crêtes rocheuses dont les pentes abruptes étaient toutes hérissées d’épicéas noirs et de pins plantons. Droit devant, toutefois, béait une brèche ouverte par la mer, et là, surplombant le large, se dressait le Titan, les yeux flamboyants, et sa longue chevelure verte flottant dans le vent.

Campé comme à califourchon par-dessus le goulet, un pied planté dans chacune des falaises qui se faisaient face, il avait une carrure impressionnante et dominait de haut les pitons de la côte déchiquetée. Ses jambes, taillées en pierre massive, étaient du même granit noir que les monts marins qui lui servaient de socle, mais une gonnelle de bronze verdâtre ceignait ses hanches. En bronze était aussi son corselet de plates, ainsi que sa tête coiffée d’un demi-heaume à cimier. Sa chevelure flottante était faite de cordes de chanvre teintes en vert, et un feu colossal flambait dans les cavernes lui tenant lieu d’yeux. L’une de ses mains reposait sur la crête, à sa gauche, ses doigts de bronze enserrant un boulet de pierre ; l’autre, brandie en l’air, étreignait la poignée d’une épée brisée.

Il est tout juste un peu plus grand que la statue du roi Baelor à Port-Réal, se dit-elle alors qu’on se trouvait encore pas mal au large. Après toutefois que la galéasse se fut rapprochée des parages où la houle venait se briser contre les écueils, le Titan se révéla d’une taille nettement supérieure. Le père de Denyo vous cassait désormais les oreilles avec ses beuglements de basse profonde, et, là-haut, dans la membrure, des hommes étaient en train d’amener les voiles. Nous allons passer à la rame entre les jambes du Titan. Arya discernait à présent les meurtrières percées dans le gigantesque corselet de bronze, et, sur les épaules et les bras colossaux, les taches et les dégoulinades qui trahissaient l’emplacement de nids d’oiseaux de mer. Elle se démancha le cou pour mieux regarder. Baelor le Bienheureux ne lui arriverait pas au genou. C’est qu’il te franchirait d’une enjambée les murailles de Winterfell… !

Et le Titan de pousser juste alors un formidable rugissement.

Le boucan qu’il faisait là était à la hauteur de ses dimensions ; c’était un mélange de grondements, de grincements terribles, et tellement tonitruant qu’il couvrait même les ordres du capitaine et le fracas des lames contre les parois rocheuses tapissées de pins. Des centaines et des centaines d’oiseaux de mer prirent l’air instantanément, et Arya ne recouvra un semblant d’assurance elle-même qu’en s’apercevant que Denyo riait. « Il prévient l’Arsenal de notre arrivée, c’est tout ! hurla-t-il. T’as pas besoin de t’affoler !

— Affolée, moi ? Jamais de la vie ! riposta-t-elle au même diapason. Assourdie, pas plus ! »

La houle et le vent s’étaient à présent rudement emparés de La Fille du Titan et la poussaient à vive allure vers le chenal. Son double banc de rames nageait en douceur et, sous leur caresse, l’écume blanchissait la mer tandis que l’ombre du colosse menaçait de tout engloutir. Au moment où la proue menaçait de s’engager sous l’arceau des jambes, Arya eut fugacement l’impression que l’on finirait forcément par aller se fracasser contre les rochers. Pelotonnée près de Denyo, le goût du sel aux lèvres et la figure fouettée d’embruns, il lui fallut renverser carrément la tête pour fixer le visage de l’effigie. « Les Braavi le repaissent avec la chair rose et juteuse de petites filles de haute naissance », entendit-elle ressasser la voix de Vieille Nan, mais elle n’était pas une petite fille, d’abord, et puis, non mais, ce n’était certainement pas une stupide statue qui risquerait jamais de l’effrayer !

Malgré quoi l’une de ses mains demeura fermement plaquée sur Aiguille pendant que le bateau se faufilait entre les pattes de l’ogre.

Des tas d’autres meurtrières se discernaient à l’intérieur des monstrueuses cuisses de pierre et, lorsqu’elle se retourna, le col à nouveau démanché, pour regarder le nid-de-pie du grand-mât traverser l’obstacle avec facilement trente pieds de marge, elle aperçut des assommoirs dissimulés sous la gonnelle et la tache pâle que faisaient, derrière les barreaux de fer, les faces de guetteurs inclinées vers eux.

Et puis on fut par-delà.

L’ombre se dilua, les crêtes revêtues de pins s’abaissèrent progressivement, le vent perdit peu à peu toute sa virulence, et l’on se retrouva voguant au sein d’une immense lagune. Devant s’élevait un nouveau massif rocheux qui, jaillissant des flots comme un poing hérissé de pointes, portait des remparts truffés de scorpions, de crache-la-flamme et de trébuchets. « L’Arsenal de Braavos, présenta Denyo, d’un ton tout aussi faraud que s’il l’avait édifié lui-même. On peut y construire une galère de guerre en un jour. » Des galères, Arya constata de ses propres yeux qu’il y en avait des dizaines amarrées aux quais et perchées sur des cales de lancement. Semblables aux limiers d’un chenil qui n’attendent pour s’élancer, maigres, féroces et affamés, prêts à la curée, que les sonneries de cor d’un veneur, d’autres pointaient leur proue peinte à la porte d’innombrables hangars de bois, tout au long des grèves de galets. Elle essaya de les compter, mais il y en avait décidément trop, et ce d’autant plus que se découvraient des quantités d’autres quais, de bassins, de hangars, au fur et à mesure que s’incurvait la ligne de la côte.

Deux galères étaient sorties pour se porter au-devant d’eux. Elles semblaient voler au-dessus de l’eau comme des libellules, environnées par le clair chatoiement de leurs rames. Le capitaine de La Fille du Titan leur cria quelque chose, ses homologues lui répondirent en criant de même, mais sans qu’Arya comprenne un traître mot de l’échange. Sur ces entrefaites retentit un mugissement de cor démentiel, les deux galères les croisèrent, l’une à bâbord, l’autre à tribord, mais en passant si près de la galéasse que se percevait distinctement, dans les flancs de leurs coques pourpres, le battement feutré de tambours, boum boum boum boum boum boum boum boum, analogue aux pulsations cardiaques régulières d’un être vivant.

Déjà, elles étaient loin derrière, ainsi que l’Arsenal. Devant s’étalait une magnifique nappe d’eau vert pois, dont les risées rappelaient l’aspect dépoli d’un panneau de vitrail. De son sein liquide surgit la cité proprement dite, un conglomérat prodigieux, gris, rouge et or, de dômes, de tours et de ponts. Les cent îles de Braavos-en-mer.

Quoiqu’elles eussent maintes fois porté sur Braavos, jadis, à Winterfell, les leçons de mestre Luwin n’avaient pas laissé de traces bien précises ni bien nombreuses dans l’esprit d’Arya. Toujours est-il que l’évidence qui s’imposait, même d’aussi loin, c’était que la ville était plate, contrairement à Port-Réal agrippé aux pentes abruptes de ses trois collines. Il n’y avait pour collines ici que celles élevées de main d’homme en briques et en granit, en marbre et en bronze. Quelque chose d’autre manquait aussi, mais elle eut besoin d’un certain temps pour arriver à saisir quoi. La ville n’a pas de remparts. Mais lorsqu’elle en marqua sa surprise à Denyo, il lui rit au nez : « Nos remparts à nous sont en bois badigeonné de pourpre, dit-il. Nos remparts à nous, ce sont nos galères. Elles suffisent à nous dispenser de tout autre mur. »

Le plancher du pont craqua dans leur dos. Derrière eux était venu se camper le père de Denyo, vit-elle d’un coup d’œil par-dessus l’épaule, drapé dans son long manteau de commandant de bord en lainage violet. Soigneusement rasé, le capitaine-marchand Ternesio Terys avait des cheveux gris qui, coupés court, encadraient avec netteté la carrure de son visage tanné par le vent. Elle l’avait souvent surpris en train de plaisanter avec ses hommes d’équipage, au cours de la traversée, mais il leur suffisait de le voir froncer les sourcils pour le fuir comme la peste et filer doux. Or, il avait justement les sourcils froncés. « Notre voyage touche à sa fin, la prévint-il. Nous allons à présent gagner le port de contrôle, où les agents douaniers du Seigneur de la Mer monteront à bord inspecter nos soutes. Ils y consacreront une demi-journée, comme ils le font toujours, mais toi, rien ne t’oblige à attendre leur bon plaisir. Va donc rassembler tes affaires. Moi, pendant ce temps, je ferai mettre une chaloupe à la mer, et c’est Yorko qui t’emmènera à terre. »

A terre. Arya se mordit la lèvre. C’était bel et bien pour venir ici qu’elle avait traversé le détroit, mais le capitaine lui aurait-il demandé ce qu’elle souhaitait, pas de doute, elle aurait répondu : « Rester à bord de La Fille du Titan ». Saline était trop menue pour s’atteler aux rames, elle n’ignorait plus cela, mais elle pouvait tout de même apprendre à épisser des cordages, à prendre des ris dans les voiles, à gouverner dans les immensités salées des océans. Denyo l’avait une fois fait grimper jusqu’au nid-de-pie sans qu’elle y éprouve la moindre frayeur, tout minuscule que semblât alors le pont en contrebas. Puis moi aussi je suis capable de tenir le ménage d’une cabine et de faire des additions.

Mais la galéasse n’avait pas besoin d’un second moussaillon. Sans compter qu’il suffisait de regarder la physionomie du capitaine une seule seconde pour y lire que rien ne lui tardait plus que d’être débarrassé de sa passagère. Aussi la petite se contenta-t-elle d’acquiescer d’abord d’un hochement de tête. « A terre », dit-elle, en dépit de ce que signifiait l’expression pour elle : uniquement des étrangers… « Valar dohaerys. »

Il se toucha le front à deux doigts. « Je te prie de te rappeler Ternesio Terys et le service qu’il t’a rendu.

— Promis », répondit-elle d’une petite voix. Tenace comme un fantôme, le vent la tiraillait par son manteau. Il était temps qu’elle s’en aille.

Va rassembler tes affaires, avait dit le capitaine, comme s’il y en avait tant que ça. Elle ne possédait, en plus des vêtements qu’elle portait sur elle, rien de plus que sa maigre bourse de picaillons, les présents reçus des marins, sa dague sur la hanche gauche et, sur la hanche droite, Aiguille.

La chaloupe se trouva néanmoins prête avant elle, et Yorko y était déjà, les avirons en main. Il était lui aussi un fils du capitaine, mais plus âgé que Denyo, et moins amical. Je n’ai pas seulement dit un mot d’adieux à Denyo, songea-t-elle en dévalant l’échelle pour rejoindre l’autre. Le reverrait-elle jamais ? s’interrogea-t-elle. J’aurais vraiment dû lui dire adieu…

Tandis que La Fille du Titan s’amenuisait à chaque coup de rame dans leur sillage, devant s’agrandissait de plus en plus la ville. Au loin, sur la droite d’Arya, se distinguaient des installations portuaires, un fouillis de jetées, de quais bourrés de baleiniers pansus provenant d’Ibben, de fines frégates des îles d’Eté, de plus de galères qu’une petite fille toute seule n’en pouvait dénombrer. Elle discerna un port similaire, encore plus distant, sur sa gauche, au-delà d’un promontoire dont le naufrage ne se repérait que grâce à des bâtiments à demi noyés dont le faîte émergeait encore au-dessus des flots. Jamais aucun lieu ne lui avait permis de contempler semblable foisonnement d’édifices monumentaux. Port-Réal possédait bien le Donjon Rouge et le Grand Septuaire de Baelor et Fossedragon, mais Braavos semblait pouvoir se vanter de rassembler une vingtaine de temples, de palais, de tours tout aussi spectaculaires, voire davantage encore. Je vais de nouveau être une souris, songea-t-elle sombrement comme ce fut le cas à Harrenhal jusqu’à ce que je m’en enfuie.

Vue de l’endroit où se dressait le Titan, la ville avait eu l’air de ne former qu’une seule et unique grande île, mais plus Yorko faisait force de rames pour s’en rapprocher, plus Arya voyait qu’elle se composait en fait de quantités de petites îles presque contiguës reliées par des ponts dont les arches de pierre enjambaient des myriades de canaux. Au-delà du port, elle entrevit des rues bordées de maisons de pierre grise bâties si dru qu’elles s’appuyaient les unes sur les autres. Elle leur trouva un aspect pour le moins bizarre, avec leurs trois et quatre étages on ne pouvait plus étroits coiffés de toits de tuiles aussi aigus que des chapeaux pointus. Elle ne vit point de chaume, et une poignée seulement de maisons de bois analogues à celles, si familières, de Westeros. Ils n’ont pas d’arbres, au fait, saisit-elle subitement. Braavos est tout en pierre, une grise cité posée sur une mer verte.

Au nord des docks, Yorko vira dans l’embouchure d’un grand canal vert qui, telle une large avenue liquide, plongeait droit au cœur de la cité. Ils passèrent sous les arceaux d’un pont de pierre dont les sculptures représentaient des dizaines de variétés de poissons, de crabes et d’encornets. Un deuxième pont se présenta, décoré, lui, de rinceaux de pampres entrelacés, puis un troisième, dont les mille yeux peints vous dévisageaient fixement. Des canaux de moindre importance ouvraient leurs gueules des deux côtés, et d’autres, bien plus exigus, débouchaient eux-mêmes dans les précédents. Il y avait, remarqua-t-elle, des maisons qui, construites au-dessus des voies d’eau, avalaient celles-ci comme des tunnels. En tous sens glissaient dans ce labyrinthe des embarcations fines et délicatement chantournées en forme de serpents d’eau multicolores, tête et queue dressées. Elles étaient manœuvrées, observa-t-elle, non pas à la rame mais à la perche, par des hommes plantés à leur poupe et revêtus de manteaux gris, bruns et vert mousse sombre. Elle admira également d’énormes barges à fond plat, croulant sous des montagnes de caisses et de barriques, dont la progression nécessitait la poussée d’une vingtaine de perches de chaque côté ; des maisons d’agrément flottantes équipées de lanternes en verre de couleur, de rideaux de velours et de figures de proue en airain. Loin, très loin, surplombant les habitations comme les canaux, circulait une espèce de viaduc massif en pierre grise et qui, supporté par trois étages d’arches monumentales, finissait par se perdre au sud dans les nébulosités. « Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-elle à Yorko, le doigt tendu.

— La rivière d’eau douce, répondit-il. Elle apporte l’eau fraîche de l’intérieur du continent, à travers les étangs saumâtres et les laisses. De la bonne eau douce pour les fontaines. »

Lorsque Arya regarda derrière elle, le port et la lagune étaient devenus invisibles. Devant s’alignaient désormais à la queue-leu-leu, de part et d’autre du canal, des statues monumentales d’hommes de pierre à mines solennelles et longues robes de bronze tout éclaboussées par les déjections des oiseaux de mer. Certains tenaient des livres, d’autres des poignards, d’autres des marteaux. Il y en avait un qui brandissait vers le ciel une étoile d’or. Un autre inclinait une jarre de pierre qui déversait à jet continu de l’eau dans le canal. « Ce sont des dieux ? questionna-t-elle.

— Des Seigneurs de la Mer, expliqua Yorko. L’île des Dieux se trouve bien au-delà. Tu vois ? Six ponts plus loin, sur la rive droite. Ça, c’est le temple des Chantelunes. »

Elle reconnut l’un des monuments qui l’avaient frappée dès leur entrée dans la lagune. Une prodigieuse masse de marbre d’un blanc de neige, surmontée d’un gigantesque dôme argenté dont les baies à vitraux laiteux représentaient toutes les phases de l’astre des nuits. Deux vierges de marbre, aussi colossales que les Seigneurs de la Mer, en flanquaient les portes, dont elles soutenaient le linteau taillé en forme de croissant.

Par-delà s’apercevait un autre temple, en grès rouge, lui, et d’une austérité à faire pâlir n’importe quelle forteresse. Au sommet de sa haute tour carrée flambait un grand feu, dans un brasero de fer de vingt pieds de large, et des feux de moindres dimensions encadraient ses portes d’airain. « Les prêtres rouges idolâtrent leurs feux, crut devoir spécifier Yorko. Ils ont pour dieu le Maître de la Lumière, le rouge R’hllor. »

Je sais. Elle n’était pas près d’oublier Thoros de Myr revêtu de ses débris d’armure vétusté enfilés par-dessus des robes si délavées qu’elles l’auraient plutôt fait taxer de prêtre rose que de prêtre rouge. Ce qui n’avait nullement empêché son baiser de vie de rappeler lord Béric de la mort… Tout en regardant dériver sur le passage de la chaloupe la demeure du fameux dieu rouge, elle se demanda si son clergé de Braavos était lui aussi capable d’accomplir un pareil exploit.

Ensuite s’offrit à ses yeux un immense bâtiment de brique festonné de lichens. Elle l’aurait sans doute pris tout bonnement pour un entrepôt quelconque si Yorko n’avait déclaré : « Ça, c’est le Saint-Refuge où nous honorons tous les petits dieux oubliés du monde. Tu l’entendras appeler aussi la Garenne. » A ces mots, il tourna dans un minuscule canal qui courait dans l’ombre des hauts murs de cette Garenne rouillée de lichens, et il l’enfila tout droit. Après s’être engouffrés dans les ténèbres d’un tunnel, ils se retrouvèrent en pleine lumière. Des deux côtés les dominaient un nombre incroyable de nouveaux sanctuaires.

« Je ne m’étais jamais doutée qu’il y avait tant de dieux », dit Arya.

Yorko émit un grognement pour tout commentaire. Au terme d’une courbe, ils venaient encore de passer sous un nouveau pont quand, sur leur gauche, apparut un îlot rocheux surmonté d’un temple entièrement aveugle de pierre gris sombre. Une volée de marches en pierre dégringolait droit de ses portes à un appontement couvert.

Yorko renversa la nage, et la chaloupe s’en vint heurter tout doucement les pilotis de pierre. Y était scellé un anneau de fer qu’il attrapa pour la réduire à l’immobilité, momentanément. « C’est ici que je te laisse. »

L’appontement était plongé dans l’ombre, l’escalier comme à pic. Le temple avait un toit de tuiles noires aussi pointu que ceux des maisons qui bordaient les canaux. Arya se mâchouilla la lèvre. Syrio venait de Braavos. Il se peut qu’il ait fréquenté ce temple. Il se peut qu’il ait gravi ces degrés. A son tour, elle saisit un anneau et se hissa sur le débarcadère.

« Tu connais mon nom, dit Yorko du fond de la chaloupe.

— Yorko Terys.

— Valar dohaerys. » Il se servit d’un aviron pour repousser le bord du quai et regagner le profond des eaux. Arya le regarda rebrousser chemin jusqu’à ce qu’il ait disparu dans l’ombre du pont. Tandis que s’estompait le bruissement des rames, elle se sentit presque à même d’entendre le battement de son propre cœur. Brusquement, elle se retrouva quelque part ailleurs. De retour à Harrenhal, avec Gendry, peut-être, ou derechef avec le Limier dans les bois, le long du Trident… Saline est une enfant stupide, se dit-elle. Moi, je suis un loup, et je ne veux pas avoir peur. Elle tapota la poignée d’Aiguille afin de se porter bonheur puis se jeta dans le noir et grimpa l’escalier quatre à quatre pour empêcher quiconque de jamais prétendre qu’elle avait eu peur.

Au sommet se trouvait une double porte de bois sculptée, haute de douze pieds. Le battant de gauche était taillé dans du bois de barral d’une blancheur d’os, celui de droite dans du bois d’ébène miroitant. Au centre de chacun des deux panneaux figurait un visage lunaire, d’ébène sur celui de barral, de barral sur celui d’ébène. La vue de cette effigie lui remémora dans un certain sens l’arbre-cœur du bois sacré de Winterfell. Les vantaux sont en train de me regarder, pensa-t-elle. Elle plaqua ses mains gantées sur chacun d’eux et poussa dessus simultanément, mais ils ne bougèrent ni l’un ni l’autre. Fermés à double tour. « Laissez-moi entrer, stupides que vous êtes ! ordonna-t-elle. J’ai fait la traversée du détroit. » Elle serra les poings et se mit à marteler le bois. « Jaqen m’a dit de venir. J’ai la pièce de fer. » Elle tira celle-ci de sa bourse et la brandit. « Vu, oui ? Valar morghulis ! »

Les portes ne lui condescendirent aucune réponse, sauf en s’ouvrant.

En s’ouvrant toutes grandes vers l’intérieur, sans aucun bruit, sans aucun secours d’aucune main d’homme. Arya risqua un pas en avant, en risqua un second. Les portes se refermèrent sur ses talons, et elle fut frappée de cécité pendant un moment. Elle avait Aiguille à la main mais ne se souvenait pas de l’avoir tirée du fourreau.

Quelques cierges étaient bien allumés, de-ci de-là, sur le pourtour, mais ils donnaient si peu de jour qu’Arya ne pouvait pas même deviner le bout de ses bottes. Quelqu’un était en train de chuchoter des choses, mais beaucoup trop bas pour qu’elle discerne les mots. Quelqu’un d’autre était en train de sangloter. Elle entendit de vagues bruits de pas, limités au léger glissement du cuir sur la pierre, le son d’une porte qui s’ouvrait et se refermait. De l’eau, j’entends aussi de l’eau.

Ses yeux accommodèrent petit à petit. A l’intérieur, le temple se révélait infiniment plus vaste qu’il ne le paraissait de l’extérieur. A Westeros, les septuaires, heptagonaux, présentaient sept autels, chacun dédié à l’un des sept dieux, mais les dieux étaient bien plus de sept, ici. Les murs étaient bordés de statues à leur effigie, massives et menaçantes, les chevilles cernées de cierges rouges à la flamme précaire. La plus proche était celle d’une femme, en marbre et haute de douze pieds. De véritables larmes ruisselaient de ses prunelles et dégouttaient dans la vasque qu’elle berçait entre ses bras. Son plus proche voisin était un homme à tête de lion qui occupait un trône d’ébène. De l’autre côté des portes se cabrait sur des jambes démesurées un immense cheval de bronze et de fer. Plus loin se discernaient un gigantesque visage en pierre, un bambin blême armé d’une épée, la toison broussailleuse d’une chèvre noire grosse comme un aurochs, un bonhomme encapuchonné qui s’appuyait sur un grand bâton. Les autres se réduisaient pour elle à des silhouettes colossales à peine distinctes dans la noirceur ambiante. Entre ces divers dieux s’ouvraient des espèces d’alcôves aussi mystérieuses que ténébreuses et où vacillait, çà et là, la flamme d’un cierge.

Aussi silencieuse elle-même qu’une ombre, Arya se mit en mouvement, l’épée au poing, parmi des rangées de longs bancs de pierre. Le sol était également dallé de pierre, ses pieds le lui attestaient ; non pas de marbre poli, comme au Grand Septuaire de Baelor, mais d’un matériau plus grossier, raboteux. Elle dépassa des femmes en train de murmurer les unes avec les autres. L’atmosphère était chaude et pesante, si pesante qu’elle la fit bâiller, et le parfum des cierges s’y percevait. Un parfum qu’elle ne connaissait pas et qu’elle attribua d’abord à quelque variété bizarre d’encens. Mais, au fur et à mesure qu’elle progressait plus avant dans le temple, elle eut l’impression que s’y confondaient des senteurs d’aiguilles de pin, de neige et de ragoût bouillant. De bonnes odeurs, se dit-elle, et elle eut aussi l’impression d’y puiser un peu plus de bravoure. Assez de bravoure en tout cas pour rengainer Aiguille en catimini.

Au centre du temple se trouvait l’eau qu’elle avait entendue bruire ; un bassin de dix pieds de large, d’un noir d’encre, assez lugubrement éclairé par des cierges rouges. Près de son bord était assis un jeune homme en manteau argenté qui sanglotait tout bas. Elle le regarda tremper l’une de ses mains et faire courir sur toute la surface de l’eau des rides écarlates. Lorsqu’il en retira ses doigts, il les suça, l’un après l’autre. Il doit avoir soif. Des coupes de pierre étaient éparpillées sur la margelle du bassin. Arya en emplit une et la lui apporta pour lui permettre de se désaltérer. L’inconnu la dévisagea pendant un long moment quand elle la lui offrit. « Valar morghulis, fit-il.

— Valar dohaerys »,répondit-elle.

Après avoir bu goulûment, il laissa la coupe tomber avec un plouf soyeux dans le bassin. Puis il se mit debout, chancelant, en se tenant le ventre. Un instant, Arya crut qu’il allait tomber. C’est seulement alors qu’elle vit la tache sombre qui allait s’élargissant en dessous de sa ceinture. « Vous avez reçu un coup de poignard », lâcha-t-elle étourdiment, mais sans qu’il lui prête la moindre attention. Il se dirigea d’un pas mal assuré vers le bas-côté puis, se glissant dans l’une des alcôves, s’étendit sur une couchette de pierre nue. Un regard alentour permit à Arya d’en discerner d’autres, certaines occupées par des gens d’âge avancé en train de dormir.

Non, pas de dormir, chuchota dans sa tête une voix qui lui rappelait quelque chose. Ils sont morts, ou mourants. Regarde avec tes yeux.

Une main lui toucha le bras.

Arya pivota vivement pour se dégager, mais ce qu’elle avait sous les yeux n’était qu’une fillette : une fillette pâle que sa robe à coule semblait engloutir, noire du côté droit, blanche du côté gauche. La coule laissait deviner un visage osseux, décharné, des joues creuses, et des yeux noirs qui semblaient aussi larges que des soucoupes. « Garde-toi d’essayer de m’empoigner, l’avertit Arya. J’ai tué le garçon qui s’y est risqué, la dernière fois. »

La fillette prononça quelques mots incompréhensibles.

Arya secoua la tête. « Tu ne connais pas la Langue Commune ? »

Une voix derrière elle articula : « Moi si. »

Elle n’apprécia pas du tout la façon dont tous ces gens-là s’obstinaient à la surprendre. Sous son capuchon, l’homme était de grande taille, et il portait une réplique encore plus vaste de la robe mi-partie noire et blanche de la gamine. La coule ne laissait strictement rien voir de ses traits, mis à part le vague reflet rougeoyant des cierges dans ses prunelles. « Qu’est-ce que c’est que ce lieu-ci ? lui demanda-t-elle.

— Un lieu de paix. » Il avait une voix pleine de gentillesse. « Tu t’y trouves en sécurité. C’est la Demeure du Noir et du Blanc, mon enfant. Mais tu es bien jeune pour chercher la faveur du dieu Multiface.

— Il est comme le dieu des Sudiens, celui qui a sept visages ?

— Sept ? Non. Il en possède d’innombrables, petiote, autant que d’étoiles dans le firmament. A Braavos, les gens sont libres d’adorer qui leur sied. Mais c’est Lui, le Multiface, qui attend de pied ferme au terme de chaque route. Il t’attendra de pied ferme au terme de la tienne un jour, n’aie pas peur. Tu n’as pas besoin de courir te précipiter dans ses bras.

— Je suis uniquement venue retrouver Jaqen H’ghar.

— Ce nom n’est pas connu de moi. »

Elle sentit son cœur sombrer. « Il était originaire de Lorath. Il avait les cheveux blancs d’un côté et rouges de l’autre. En me promettant qu’il m’enseignerait des choses secrètes, il m’a donné ceci. » Elle avait le poing si violemment crispé sur la piécette en fer que, lorsqu’elle desserra les doigts, celle-ci demeura collée au creux de sa paume moite.

Le prêtre examina la pièce, mais sans avoir esquissé l’ombre d’un geste pour la toucher. Les yeux immenses de l’autre mouflette la regardaient tout aussi fixement. L’homme au visage invisible finit par demander : « Dis-moi ton nom, petite.

— Saline. Je viens de Salins, à l’embouchure du Trident. »

Bien qu’il lui fut impossible de discerner ses traits, elle eut la singulière perception qu’il venait de sourire. « Non, fit-il. Dis-moi ton nom.

— Pigeonneau, répondit-elle cette fois.

— Ton nom véritable, petite.

— Ma mère m’appelait Nan, mais les gens m’appellent Belette…

— Ton nom. »

Elle avala sa salive. « Arry. C’est Arry que je suis.

— Tu brûles. Et, maintenant, la vérité ? »

La peur est plus tranchante qu’aucune épée, songea-t-elle. « Arya. » Elle ne fit d’abord que lui souffler le mot. Puis elle se reprit pour le lui jeter carrément à la tête : « Je suis Arya, de la maison Stark.

— Tu l’es, en effet, concéda-t-il, mais la Demeure du Noir et du Blanc n’est nullement un lieu convenable pour Arya, de la maison Stark.

— S’il vous plaît…, pria-t-elle. Je n’ai nulle part où aller.

— As-tu peur de la mort ?

— Non. » Elle se mordit la lèvre.

« Voyons voir. » Le prêtre releva sa coule. Il n’avait pas de visage dessous ; rien d’autre qu’un crâne jauni aux pommettes duquel demeuraient vaille que vaille accrochées quelques lambeaux de peau ; dans l’une des orbites vides se tortillait en outre un gros ver blanc. « Donne-moi un baiser, petite », croassa-t-il d’une voix aussi sèche et rauque qu’un râle d’agonie.

Est-ce qu’il compte m’effrayer ?Arya déposa un baiser sur l’emplacement que le nez aurait dû occuper puis, prête à le croquer, cueillit l’asticot macabre qui tenait lieu d’œil, mais le seul contact de ses doigts fit se dissiper celui-ci comme une ombre.

Le crâne jaune était lui aussi en train de se dissiper, et le sourire du vieillard le plus cordial qu’elle eût jamais vu s’inclinait vers elle. « Jamais personne n’avait essayé jusqu’ici de manger mon ver, déclara-t-il. Tu dois être affamée, petite. »

Oui, songea-t-elle, mais pas de nourriture.

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