Chapitre 1
Angélique regardait, à travers le carreau, le visage du moine Bêcher. Insensible à la neige fondue qui dégouttait du toit sur ses épaules, elle restait là dans la nuit, tout contre la taverne du Treillis-Vert.
Le moine était attablé devant un pichet d'étain et buvait, le regard fixe. Angélique le voyait très distinctement, malgré le verre épais de la fenêtre. L'intérieur du cabaret était un peu enfumé. Les moines et les ecclésiastiques, qui composaient la principale clientèle du Treillis-Vert, n'avaient pas le goût de la pipe. Ils venaient là pour boire et surtout pour retrouver le damier et le cornet à dés. La jeune femme qui, malgré le froid, demeurait immobile, dans son guet obstiné, était vêtue pauvrement. Ses vêtements étaient de futaine grossière ; un bonnet de lin couvrait ses cheveux.
Pourtant lorsque la porte de la taverne, en s'ouvrant, projetait un pan de clarté sur le seuil, on pouvait distinguer un fin visage, très beau, trop pâle, mais dont la distinction prouvait l'origine patricienne.
Il y avait peu de temps encore, cette femme avait été l'un des plus beaux ornements de la luxueuse cour du jeune roi Louis XIV. Elle y avait dansé en robe de drap d'or, entourée du feu admirateur des regards qu'attirait sa beauté.
Elle s'appelait Angélique de Sancé de Monteloup. À dix-sept ans, ses parents l'avaient mariée à un grand seigneur toulousain, le comte Joffrey de Peyrac. Par quels chemins terribles et imprévus sa destinée lavait-elle conduite là, ce soir misérable où, penchée aux carreaux d'une taverne, elle surveillait l'objet de sa haine ? En contemplant la sinistre physionomie du moine Bêcher, Angélique revivait le calvaire de ses derniers mois, l'affreux cauchemar dans lequel elle s'était débattue. Elle revoyait le comte de Peyrac, son mari, cet homme étrange et séduisant, malgré la disgrâce d'une jambe infirme qui l'avait fait surnommer le Grand Boiteux du Languedoc. Grand savant aussi, grand artiste, grand esprit, grand en tout, il attirait la sympathie et l'amour, et sa petite épousée, d'abord farouche, était devenue une femme passionnément éprise.
Mais la fabuleuse richesse du comte de Peyrac éveillait aussi les jalousies. Il avait été l'objet d'un complot auquel le roi, craignant ce puissant vassal, avait prêté mainforte. Accusé de sorcellerie, enfermé à la Bastille, le comte avait été livré à un tribunal inique et condamné au bûcher.
Elle avait vu ce moine faire brûler en place de Grève celui qu'elle aimait !
Elle avait vu la flamme du bûcher se mêler à l'or du soleil, dans l'air cristallin d'un matin d'hiver – proche encore.
Et elle s'était retrouvée seule, reniée par tous, condamnée à disparaître, elle et ses deux petits garçons.
Les frimousses de Florimond et de Cantor passèrent devant ses yeux. Ses paupières battirent. Un instant elle cessa de guetter à travers le carreau et sa tête s'inclina avec lassitude.
Est-ce que Florimond pleurait en ce moment ? Est-ce qu'il l'appelait ? Pauvre angelot ! Il n'avait plus de père, plus de mère...
Elle les avait laissés chez sa sœur Hortense, malgré les cris de celle-ci. Mme Fallot, femme de procureur, tremblait d'abriter la progéniture d'un sorcier. Elle avait chassé Angélique avec horreur. Heureusement il y avait Barbe, la servante au grand cœur. Elle prendrait en pitié les pauvres orphelins...
Angélique, elle, avait erré longtemps, sans but, à travers un Paris nocturne et enneigé qui s'ouvrait à la nuit, repaire de bandits et théâtre d'embuscades et de crimes. Le hasard l'avait amenée devant cette taverne du Treillis-Vert où le moine Bécher venait de se glisser, l'air hagard, pour essayer d'oublier, en buvant, les flammes d'un bûcher qu'il avait suscitées.
Alors Angélique s'était ranimée subitement. Non, elle n'était pas encore tout à fait vaincue. Car il lui restait une chose à accomplir. Le moine Bêcher devait mourir !
Angélique ne frémit pas. Elle seule savait pourquoi le moine Bêcher devait mourir. Elle voyait en lui le symbole de tout ce que Joffrey de Peyrac avait honni au cours de sa vie : la bêtise humaine, l'intolérance et cette survivance de la sophistique moyenâgeuse contre laquelle il avait cherché en vain à défendre les sciences nouvelles. Et c'était cet esprit borné, égaré dans une ténébreuse et ancienne dialectique, qui avait triomphé. Jeffrey de Peyrac était mort.
Mais avant de mourir, il avait crié à Conan Bécher sur le parvis de Notre-Dame :
– Je te donne rendez-vous dans un mois au tribunal de Dieu !
Le mois s'achevait...
– T'as tort, la fille, de faire le pied de grue cette nuit. N'as-tu pas une thune pour aller cracher au bassinet ?
Angélique se retourna, cherchant qui lui adressait ces paroles et elle ne vit personne. Cependant, tout à coup, la lune, passant entre deux nuages, lui révéla à ses pieds la forme trapue d'un nain. Celui-ci levait deux doigts entrecroisés d'une étrange façon. La jeune femme se souvint du geste que le Maure Kouassi-ba lui avait montré certain jour en lui disant :
– Tu croises les doigts comme ça, et mes amis disent : C'est bon, tu es des nôtres !
Machinalement, elle ébaucha le signe de Kouassi-ba. Un large sourire fendit le visage du nabot.
– Tu en es, je m'en doutais ! Mais je ne te remets pas. Appartiens-tu à Rodogone-l'Égyptien, au drille Jean-sans-Dents, à Mathurin-Bleu ou au Corbeau ?
Sans répondre, Angélique recommença à examiner le moine Bêcher, à travers la vitre. D'un bond, le nain sauta sur le rebord de la fenêtre. La lueur qui venait du cabaret éclaira sa grosse face coiffée d'un feutre crasseux. Il avait des mains rondes et potelées, et de tout petits pieds chaussés de souliers de toile tels qu'en portaient les enfants.
– Où est-il donc ce client que tu ne quittes pas des yeux ?
– Là, celui qui est assis dans le coin.
– Crois-tu que ce vieux sac d'os, dont un œil dit m... à l'autre, te paiera cher pour ta peine ?
Angélique respira profondément.
– Cet homme-là est celui que je dois tuer, dit-elle.
Prestement, le nain lui passa une main agile autour de la taille.
– Tu n'as même pas ton couteau. Comment ferais-tu ?
Pour la première fois, la jeune femme regarda attentivement cette étrange connaissance qui venait de surgir des pavés comme un rat, comme l'un des ignobles animaux de la nuit dont Paris était envahi à mesure que l'ombre se faisait plus profonde.
– Viens avec moi, marquise, dit brusquement le nain en sautant à terre. Allons jusqu'aux Saints-Innocents. Là, tu t'entendras avec les copains pour faire buter ton ratichon.
Elle le suivit sans la moindre hésitation. Le nain la précédait en se dandinant.
– Je m'appelle Barcarole, reprit-il au bout d'un instant. N'est-ce pas un nom gracieux, aussi gracieux que moi ? Mou ! Hou !
Il poussa une sorte d'ululement joyeux, fit une cabriole, puis pétrissant une boule de neige et de boue, l'envoya dans la fenêtre d'une maison.
– Caltons, ma chère, continua-t-il en s'empressant, sinon nous allons recevoir sur la tête le pot de chambre de ces bons bourgeois que nous empêchons de roupiller.
À peine avait-il achevé qu'un vantail claqua et qu'Angélique dut faire un bond de côté pour éviter la douche annoncée.
Le nain avait disparu. Angélique continua de marcher. Ses pieds enfonçaient dans la boue et ses vêtements étaient humides. Mais elle ne sentait pas le froid. Un sifflement léger attira son attention vers l'embouchure d'un égout. Surgissant de l'orifice, le nain Barcarole reparut.
– Pardonnez-moi de vous avoir faussé compagnie, marquise, j'étais allé quérir mon ami Janin-Cul-de-Bois.
Derrière lui, une seconde silhouette courtaude s'extrayait de l'égout. Ce n'était pas un nain, mais un cul-de-jatte, un homme-tronc posé sur un énorme bol de bois. Dans ses mains noueuses, il tenait des poignées de bois sur lesquelles il prenait appui pour se propulser de pavé en pavé.
Le monstre leva vers Angélique un regard scrutateur. Il avait une figure bestiale, bourgeonnante de pustules. Ses cheveux rares étaient ramenés avec soin sur son crâne luisant. Son unique vêtement était composé d'une sorte de casaque de drap bleu, aux boutonnières et aux revers galonnés d'or, qui avait dû appartenir à un officier. Pourvu d'un jabot impeccable, il composait un personnage extraordinaire. Après avoir examiné longuement la jeune femme, il se racla la gorge et cracha sur elle. Angélique le regarda avec étonnement, puis s'essuya avec une poignée de neige.
– C'est bon, fit le cul-de-jatte satisfait. Elle se rend compte à qui elle parle.
– Parler ? Hum ! C'est plutôt une façon de parler ! s'exclama Barcarole. Il éclata de son rire ululant :
– Hou ! Hou ! que j'ai de l'esprit !
– Donne-moi mon chapeau, dit Cul-de-Bois.
Il se coiffa d'un feutre garni d'un beau tour de plume. Puis, saisissant ses poignées, il se mit en route.
– Qu'est-ce qu'elle veut ? reprit-il au bout d'un instant.
– Qu'on l'aide à tuer un ratichon.
– C'est pas impossible. À qui appartient-elle ?
– Peux pas savoir...
*****
À mesure qu'ils avançaient à travers les rues, d'autres silhouettes se joignaient à eux. On entendait tout d'abord des sifflements qui sortaient des angles sombres, des berges ou du fond des cours. Puis on voyait surgir des gueux avec leurs longues barbes, leurs pieds nus et leurs amples capes loqueteuses, des vieilles qui n'étaient que paquets de chiffons noués de ficelles et de gros chapelets ; des aveugles et des boiteux qui mettaient leurs béquilles sur l'épaule pour marcher plus vite ; des bossus qui n'avaient pas eu le temps d'enlever leurs bosses. Quelques vrais miséreux et de vrais infirmes se mêlaient aux faux mendiants.
Angélique avait de la difficulté à comprendre leur langage, truffé de mots bizarres. À un carrefour, un groupe de spadassins aux moustaches conquérantes les aborda. Elle crut que c'étaient des militaires, ou peut-être même des gens du guet, mais se rendit vite compte qu'il s'agissait de bandits déguisés.
Ce fut à cet instant, devant les yeux de loup des nouveaux venus, qu'elle eut un mouvement de recul. Elle jeta un regard en arrière, se vit cernée de ces formes hideuses.
– Tu as peur, la belle ? demanda l'un des bandits en lui passant un bras autour de la taille.
Elle rabattit le bras indiscret en disant :
– Non !
Et, comme l'homme insistait, elle le gifla.
Il y eut un remous pendant lequel Angélique se demanda ce qui allait lui arriver. Mais elle n'avait pas peur. La haine et la révolte, qui couvaient en son âme depuis trop longtemps, se concentraient en une terrible envie de mordre, de griffer, de crever des yeux. Précipitée au fond du gouffre, voici qu'elle se trouvait sans peine au diapason des fauves qui l'entouraient.
Ce fut le curieux Cul-de-Bois qui ramena l'ordre par son autorité et ses beuglements forcenés. L'homme-tronc possédait une voix caverneuse qui, lorsqu'il en usait, faisait frémir son entourage et finissait par tout dominer.
Ses paroles véhémentes apaisèrent la querelle. En regardant le spadassin qui l'avait provoquée, Angélique vit que son visage était sillonné de rigoles de sang et qu'il tenait une main sur ses yeux. Mais les autres riaient.
– Ho, la, la ! Elle t'a bien arrangé, la garce !
Angélique s'entendit rire aussi, d'un rire provocant, qui la surprit elle-même. Ce n'était donc pas plus difficile que cela de marcher au fond des enfers ? Quant à la peur... Après tout, qu'est-ce que la peur ? C'est un sentiment qui n'existe pas. Tout juste bon pour ces braves gens de Paris qui tremblaient en écoutant passer sous leurs fenêtres les gueux de la « matterie » se rendant au cimetière des Saints-Innocents pour voir leur prince, le Grand Coësre.
– À qui est-elle ? demanda encore quelqu'un.
– À nous ! rugit Cul-de-Bois. Et qu'on se le dise.
*****
On le laissait aller devant. Aucun des gueux, fût-il nanti d'une paire de jambes agiles, n'essayait de dépasser l'homme-tronc. Dans une ruelle montante, deux des faux soldats, qu'on appelait des « drilles », se précipitèrent pour soulever le baquet du cul-de-jatte et le porter plus loin.
L'odeur du quartier devenait pénétrante, affreuse : viande et fromages, légumes pourrissant dans les ruisseaux et sur le tout, un relent de putréfaction. C'était le quartier des Halles, scellé par l'horrible mange-chair : le cimetière des Saints-Innocents. Angélique n'était jamais allée aux Innocents, bien que ce lieu macabre fût l'un des rendez-vous les plus populaires de Paris. Et l'on y rencontrait même des grandes dames venues faire choix de « librairies » ou de lingeries dans les boutiques installées sous les charniers. C'était un spectacle familier, dans la journée, de voir des seigneurs élégants et leurs maîtresses aller d'arcade en arcade, en repoussant négligemment du bout de leurs cannes des têtes de morts ou des ossements épars, tandis que des enterrements les croisaient en psalmodiant.
La nuit, ce lieu privilégié où l'on ne pouvait, par tradition, arrêter personne, servait de refuge aux filous et aux malandrins, et les libertins venaient y choisir parmi les ribaudes leurs compagnes de débauche.
Comme on arrivait devant l'enclos dont la muraille écroulée en maint endroit permettait de pénétrer à l'intérieur, un clocheteur des trépassés sortit par la grille principale, vêtu de sa lévite noire brodée de têtes de morts, de tibias entrecroisés et de larmes d'argent. Apercevant le groupe, il dit sans s'émouvoir :
– Je vous avertis qu'il y a un mort rue de la Ferronnerie, et qu'on demande des pauvres demain pour le cortège. Il sera donné à chacun dix sols et une cotte ou un manteau noir.
– On ira, on ira ! s'écrièrent plusieurs vieilles édentées. Pour un peu, elles seraient allées s'installer tout de suite devant la maison de la Ferronnerie, mais les autres les houspillèrent et Cul-de-Bois rugit une fois de plus, les injuriant copieusement :
– M... alors ! Si nous nous occupions de notre boulot et de nos petites affaires, alors que le Grand Coësre nous attend ! Qu'est-ce qui m'a f... des mêmes pareilles ! Les usages se perdent, ma parole !...
Les mêmes confuses baissèrent la tête et tremblotèrent du menton. Puis chacun, qui par un trou, qui par l'autre, se glissa dans le cimetière.
Le crieur des morts s'éloigna en secouant sa clochette. Au carrefour, il s'arrêtait, levant son visage vers la lune, et psalmodiait lugubrement :
Réveillez-vous, gens qui donnez
Priez Dieu pour les trépassés...
Angélique, les yeux agrandis, s'avançait à travers le vaste espace gorgé de cadavres. Çà et là il y avait des fosses communes grandes ouvertes, déjà à moitié pleines de corps cousus dans leurs linceuls, et qui attendaient un nouveau contingent de morts pour être refermées. Quelques stèles, quelques dalles, posées à même le sol, marquaient les tombes de familles plus fortunées. Mais c'était ici depuis des siècles le cimetière des pauvres gens. Les riches se faisaient enterrer à Saint-Paul.
La lune, qui avait choisi enfin de régner dans un ciel sans nuages, éclairait maintenant la mince pellicule de neige recouvrant le toit de l'église et des bâtiments alentour. La croix des Buteaux, qui était un haut crucifix de métal, dressé près du prêchoir, au centre du terrain, luisait doucement.
Le froid atténuait l'odeur nauséabonde. Personne d'ailleurs n'y attachait d'importance et Angélique elle-même respirait avec indifférence cet air saturé de miasmes. Ce qui attirait son regard et la sidérait au point qu'elle avait l'impression d'être la proie d'un cauchemar, c'étaient les quatre galeries qui, partant de l'église, formaient l'enclos du cimetière.
Ces bâtiments datant du Moyen Age étaient composés, dans leurs soubassements, d'un cloître aux arcades en ogive où, le jour venu, les marchands établissaient leurs éventaires. Mais, au-dessus du cloître, se trouvaient des galetas couverts de toits de tuiles, et qui reposaient du côté du cimetière sur des piliers de bois, laissant ainsi des intervalles à clairevoie entre les toitures et les voûtes. Tout cet espace était comblé d'ossements. Des milliers et des milliers de têtes de morts et de débris de squelettes s'entassaient là. Les greniers de la mort, gorgés de leur sinistre récolte, exposaient aux regards et à la méditation des vivants des amoncellements inouïs de crânes que les courants d'air séchaient et que le temps réduisait en cendres. Mais, sans cesse, de nouvelles provendes, extraites de la terre du cimetière, les remplaçaient.
En effet, un peu partout, près des tombes, on voyait des tas de squelettes assemblés en fagots ou les sinistres boules blanches des têtes de morts soigneusement empilées par le fossoyeur et qui, demain, seraient rangées dans les greniers, au-dessus du cloître.
– Qu'est-ce que... qu'est-ce que c'est ? balbutia Angélique, pour qui une telle vision ne pouvait appartenir à la réalité et qui craignait d'être devenue folle. Perché sur une tombe, le nain Barcarole la regardait avec curiosité.
– Les charniers ! répondit-il. Les charniers des Innocents ! Les plus beaux charniers de Paris !
Il ajouta après un instant de silence :
– D'où sors-tu ? T'as donc jamais rien vu ?
Elle vint s'asseoir près de lui.
Depuis qu'elle avait presque inconsciemment labouré de ses ongles le visage du drille, on la laissait tranquille et on ne lui parlait plus.
Si des regards curieux ou paillards se tournaient vers elle, il y avait tout de suite une voix pour renseigner :
– Cul-de-Bois a dit : elle est à nous. Méfiance, les gars !
Angélique ne s'apercevait pas qu'autour d'elle l'espace du cimetière, encore à demi désert un moment avant, se remplissait peu à peu d'une foule haillonneuse et redoutable.
*****
La vue des charniers la retenait. Elle ne savait pas que ce goût macabre d'entasser des squelettes était particulier à Paris. Toutes les grandes églises de la capitale cherchaient à faire concurrence aux Innocents. Angélique trouvait cela horrible. Le nain Barcarole, lui, trouvait cela magnifique. Il murmura :
...La mort enfin les brava.
Que de mal pour mourir au monde
Et ne savoir pas où l'on va !
Angélique se tourna lentement vers lui.
– Tu es poète ?
– Ce n'est pas moi qui parle ainsi, mais le Poète-Crotté.
– Tu le connais ?
– Si je le connais ! C'est le poète du Pont-Neuf.
– Celui-là aussi, je veux le tuer.
Le nain sursauta comme un crapaud.
– Quoi ? Pas de blagues. C'est mon copain.
Il regardait autour de lui et prenait les autres à témoin, en posant un doigt sur sa tempe.
– Elle est folle, la frangine ! Elle veut buter tout le monde.
*****
Il y eut tout à coup des clameurs, et la foule s'écarta devant un étrange cortège. En tête marchait un très long et maigre individu dont les pieds nus trottinaient dans la neige boueuse. Une chevelure blanche abondante pendait sur ses épaules, mais son visage était glabre. On aurait dit une vieille femme, et peut-être, après tout, n'était-ce pas un homme, en dépit de ses chausses et de sa casaque en loques. Avec ses pommettes saillantes, ses yeux mornes et glauques au fond d'orbites creuses, il était aussi dépourvu de sexe qu'un squelette et très à sa place dans ce décor lugubre. Il portait une longue pique au bout de laquelle pendait, empalé, le corps d'un chien crevé. Près de lui, un petit homme rondouillard et imberbe brandissait un balai. Après ces deux bizarres porte-drapeau venait un vielleur qui tournait la manivelle de son instrument. L'originalité du musicien consistait en sa coiffure, un énorme chapeau de paille qui l'engloutissait presque jusqu'aux épaules. Mais il avait percé un trou dans le rabat de devant et l'on voyait briller ses yeux moqueurs. Il était suivi d'un enfant qui frappait à coups redoublés sur le fond d'une bassiné de cuivre.
– Veux-tu que je te nomme ces trois célèbres gentilshommes ? demanda le nain à Angélique.
Il ajouta en clignant de l'œil :
– Tu connais le signe, mais je vois bien que tu n'es pas de chez nous. Ceux que tu vois en premier ce sont le Grand Eunuque et le Petit Eunuque. Depuis des années, le Grand Eunuque est sur le point de mourir, mais il ne meurt jamais. Le Petit Eunuque est le gardien des femmes du Grand Coësre. Il porte l'insigne du roi de Thunes.
– Un balai ?
– Chut ! Ne te gausse pas. Ce balai s'y entend à faire le ménage. Derrière eux, il y a Thibault-le-Vielleur et son page Linot. Et puis voici les « gonzesses » du roi de Thunes.
Sous leurs bonnets sales, les femmes qu'il désignait montraient leurs faces gonflées, aux yeux battus de prostituées. Certaines étaient encore belles et toutes regardaient autour d'elles avec insolence. Mais la première seule, une adolescente, presque une enfant, avait quelque fraîcheur. Malgré le froid, elle avait le buste nu et exhibait avec fierté ses jeunes seins épanouis.
Venaient ensuite des porteurs de torches, des mousquetaires porteurs d'épées, des mendiants et des faux pèlerins de Saint-Jacques. Puis, dans un grincement d'essieux, apparut une lourde brouette que poussait un géant au regard vague et à la lèvre proéminente.
– C'est Bavottant, l'idiot du Grand Coësre, annonça le nain.
Derrière l'idiot, un personnage à barbe blanche fermait la marche, couvert d'une lévite noire dont les poches étaient bourrées de rouleaux de parchemin. À sa ceinture pendaient trois verges, une corne à encre et des plumes d'oie.
– C'est Rôt-le-Barbon, l'archi-suppôt du Grand Coësre, celui qui fait les lois du royaume de Thunes.
– Et ce Grand Coësre, où est-il ?
– Dans la brouette.
– Dans la brouette ? répéta Angélique stupéfaite.
Elle se hissa un peu afin de mieux voir.
La brouette avait fait halte devant le prêchoir. On appelait ainsi, au milieu du cimetière, une chaire exhaussée de quelques marches et abritée par un toit pyramidal. L'idiot Bavottant se pencha et prit un objet dans la brouette, puis s'assit au sommet du perron et posa l'objet sur ses genoux.
– Mon Dieu ! soupira Angélique.
Elle voyait le Grand Coësre. C'était un être au buste monstrueux terminé par des jambes fluettes et blanches d'enfant de deux ans. La tête puissante était garnie d'une chevelure hirsute et noire entortillée d'un linge sale qui en cachait la purulence. Les yeux profondément enfoncés sous des sourcils broussailleux brillaient durement. Il portait une grosse moustache noire aux pointes relevées en crocs.
– Hé ! Hé ! ricana Barcarole qui jouissait de la surprise d'Angélique. Tu apprendras, ma gosse, que chez nous les petits dominent les grands. Sais-tu qui sera peut-être Grand Coësre quand Rolin-le-Trapu clamsera ?
Il lui chuchota à l'oreille :
– Cul-de-Bois.
Puis hochant sa grosse tête :
– C'est une loi de la nature. Il faut de la cervelle pour régner sur la « matterie ». Et c'est ce qui manque quand on a trop de jambes. Qu'en penses-tu, Pied-Léger ?
Le nommé Pied-Léger sourit. Il venait de s'asseoir au bord de la tombe et posait une main sur sa poitrine comme s'il souffrait. C'était un très jeune homme qui avait l'air doux et simple. Il dit d'une voix qui s'essoufflait :
– Tu as raison, Barcarole. Il vaut mieux avoir une tête que des jambes, car, quand les jambes vous quittent, il ne vous reste plus rien.
Angélique regarda avec étonnement les jambes du jeune homme, qui étaient longues et bien musclées.
Il sourit avec mélancolie.
– Oh ! elles sont toujours là. Mais c'est à peine si je peux les mouvoir. J'étais coureur chez M. de La Sablière ; et puis un jour où j'avais couvert près de vingt lieues, mon cœur a lâché. Et depuis je ne peux plus marcher.
– Tu ne peux plus marcher parce que tu as trop couru, s'écria le nain avec une cabriole. Hou ! Hou ! Hou ! Que c'est drôle !
– Ta gueule, Barco ! gronda une voix. Tu nous em...
Une poigne solide saisit le nain par sa casaque et l'envoya rouler dans un tas d'ossements.
– Cet avorton nous casse les pieds, n'est-ce pas, la belle ?
L'homme qui venait d'intervenir se penchait vers Angélique. Lassée de tant de difformités et d'horreurs, la jeune femme trouva dans la beauté du nouveau venu une sorte de soulagement. Elle distinguait mal son visage, caché par l'ombre d'un grand feutre planté d'une plume maigre. Cependant, on devinait des traits réguliers, de larges yeux, une bouche harmonieuse. Il était jeune, en pleine force. Sa main très brune était posée sur la garde d'un long poignard accroché à son ceinturon.
– À qui es-tu, la belle ? demanda-t-il d'une voix câline où roulait un subtil accent étranger.
Elle ne répondit pas et regarda dédaigneusement au loin. Là-bas, sur les marches du prêchoir, devant le Grand Coësre et son idiot géant, on venait de déposer le bassinet de cuivre qui tout à l'heure servait de tambour à l'enfant. Et les gens de la gueuserie s'avançaient les uns après les autres pour jeter dans ce bassinet l'impôt exigé par le prince.
Chacun était taxé selon sa spécialité. Le nain, qui s'était rapproché d'Angélique, la renseignait à mi-voix sur les titres de tout ce peuple de mendiants qui, depuis que Paris existait, avait codifié l'exploitation de la charité publique. Il lui désignait les « rifodés » qui, décemment vêtus et affectant une mine honteuse, tendaient la main et racontaient aux passants qu'ils étaient jadis des gens honorables dont les maisons avaient été brûlées et les biens pillés par la guerre. Les « mercandiers », eux, se faisaient passer pour d'anciens marchands dévalisés par les bandits des grands chemins, et les « convertis » confessaient qu'ils avaient été frappés par la grâce et allaient se faire catholiques. Ayant touché la prime, ils repartaient se convertir sur le territoire d'une autre paroisse.
Les « drilles » et les « narquois », anciens soldats, demandaient l'aumône à la pointe de l'épée, menaçaient et effrayaient les bons bourgeois, tandis que les « orphelins », petits enfants qui se donnaient la main et pleuraient de faim, cherchaient à les attendrir. Toute cette gueusaille respectait le Grand Coësre parce qu'il maintenait l'ordre entre des bandes rivales.
Sols, écus, et même les pièces d'or tombaient dans le bassinet. L'homme au teint de pain brûlé ne quittait pas des yeux Angélique. Il se rapprocha d'elle, lui frôla l'épaule de la main. Comme elle ébauchait un geste de recul, il dit précipitamment :
– Je suis Rodogone-l'Égyptien. J'ai quatre mille gens à moi dans Paris. Tous les tziganes qui passent me paient l'impôt et aussi les femmes brunes qui lisent l'avenir dans la main. Veux-tu être une de mes gonzesses ?
Elle ne répondit pas. La lune voyageait au-dessus du clocher de l'église et des charniers. Devant le prêchoir, c'était maintenant le défilé des infirmes faux ou vrais, de ceux qui se mutilent volontairement pour attirer la compassion et de ceux qui peuvent, le soir venu, envoyer promener béquilles et charpie. C'était pourquoi on avait donné à leur tanière le nom de « cour des Miracles ».
Venus de la rue de la Truanderie, des faubourgs Saint-Denis, Saint-Martin, Saint-Marcel, de la rue de la Jussienne et de Sainte-Marie-l'Égyptienne, les teigneux, les malingreux, les piètres, les abouleux, les cajons, les francs-mitous enfin qui, vingt fois par jour, tombaient moribonds au coin d'une borne après s'être lié une ficelle au bras afin d'arrêter les battements de leur pouls jetaient l'un après l'autre leur obole devant l'affreuse petite idole dont ils acceptaient l'autorité.
*****
Rodogone-l'Égyptien posa encore sa main sur l'épaule d'Angélique. Cette fois, elle ne se dégagea pas. La main était chaude et vivante, et la jeune femme avait si froid ! L'homme était fort et elle était faible. Elle tourna les yeux vers lui et chercha dans l'ombre du feutre les traits de ce visage qui ne lui inspirait point d'horreur. Elle voyait luire l'émail blanc des longs yeux de Bohémien. Il poussa un juron entre ses dents et s'appuya lourdement sur elle.
– Veux-tu être « marquise » ? Oui, je crois que j'irais jusque-là.
– M'aiderais-tu à tuer quelqu'un ? demanda-t-elle.
Le bandit renversa la tête en arrière dans un rire atroce et silencieux.
– Dix, vingt personnes si tu veux ! T'as qu'à me le montrer, le gars, et je te jure que d'ici l'aube il aura lâché ses tripes sur le pavé.
Il cracha dans sa main et la lui tendit.
– Tope là, on est d'accord.
Mais elle mit ses propres mains dans son dos en secouant la tête.
– Pas encore.
L'autre jura derechef, puis s'écarta, mais sans quitter Angélique du regard.
– Tu es têtue, dit-il. Mais je te veux. Je t'aurai.
Angélique passa la main sur son front. Qui donc lui avait déjà dit cette même parole, méchante et avide ?... Elle ne se souvenait plus.
Une querelle éclatait entre deux soldats. Le défilé des gueux terminé, le défilé des truands mettait maintenant en scène les pires bandits de la capitale, non seulement les coupe-bourses et les tire-laine qui sont des voleurs de manteaux, mais les assassins à solde, les voleurs et les crocheteurs de serrures, auxquels se mêlaient des étudiants débauchés, des valets, d'anciens galériens et tout un peuple d'étrangers jetés là par le hasard des guerres : Espagnols et Irlandais, Allemands et Suisses, des tziganes aussi. On voyait, en cette réunion plénière de la gueuserie, beaucoup plus d'hommes que de femmes, et d'ailleurs tout le monde n'était pas venu. Si vaste qu'il fût, le cimetière des Saints-Innocents n'eût pu contenir tous les déshérités et les parias de la ville.
*****
Tout à coup, les archi-suppôts du Grand Coësre écartèrent la foule à coups de verges et se frayèrent un passage vers la tombe contre laquelle s'appuyait Angélique. Celle-ci en voyant dressés devant elle ces hommes mal rasés, comprit que c'était elle qu'on cherchait. Le vieillard appelé Rôt-le-Barbon marchait en tête.
– Le roi de Thunes demande qui est cette jeune femme, fit-il en montrant Angélique.
Rodogone passa un bras autour de la taille de sa compagne.
– Bouge pas, souffla-t-il. On va arranger ça.
Il l'entraîna vers le prêchoir en la pressant toujours contre lui. Il jetait des regards à la fois arrogants et soupçonneux sur la foule, comme s'il eût craint qu'un ennemi n'en surgît pour lui arracher sa proie.
Ses bottes étaient de beau cuir et sa casaque d'un drap sans reprises. L'esprit d'Angélique enregistrait ces détails, sans qu'elle en eût conscience. L'homme ne lui faisait pas peur. Il était habitué à la puissance et au combat. Angélique subissait son empire en femme vaincue qui ne peut se passer d'un maître.
Arrivé devant le Grand Coësre, l'Égyptien tendit le cou en avant, cracha et dit :
– Moi, duc d'Égypte, je prends celle-là pour marquise.
Et d'un geste large, il jeta une bourse dans le bassinet.
– Non ! dit une voix calme et brutale.
Rodogone se retourna d'un bond.
– Calembredaine !
À quelques pas, dans le clair de lune, se tenait l'homme à la loupe violette qui, par deux fois déjà, s'était dressé en ricanant sur la route d'Angélique. Il était aussi grand que Rodogone et plus large. Ses vêtements en loques laissaient voir des bras musclés, un torse velu. Bien planté sur ses jambes écartées, les pouces passés à son ceinturon de cuir, il dévisageait le Bohémien avec insolence. Son corps d'athlète était plus jeune que sa face abjecte, envahie par la broussaille d'une tignasse grise. À travers des mèches sales, son œil unique luisait. L'autre était caché par un tampon noir. La lune l'éclairait pleinement et derrière lui on voyait briller la neige sur les toit des charniers.
« Oh ! l'horreur de ce lieu ! pensa Angélique. L'horreur de ce lieu ! »
Elle se rejeta vers Rodogone. Le duc d'Égypte était occupé à débiter un copieux chapelet d'injures à l'adresse de son adversaire impassible.
– Chien ! Fils de chienne ! Polisson du diable ! Charogne ! Ça finira mal... Un de nous est de trop...
– Ta g..., répondit Calembredaine.
Puis il cracha dans la direction du Grand Coësre, ce qui semblait être l'hommage traditionnel, et lança une bourse plus lourde que celle de Rodogone dans le bassin de cuivre.
Un rire soudain secoua le misérable nabot assis sur les genoux de l'idiot.
– J'ai diablement envie de mettre cette belle aux enchères ! s'écria-t-il d'une voix éraillée et grinçante. Qu'on la déshabille afin que les gars puissent juger de la marchandise. Pour l'instant, c'est Calembredaine qui l'emporte. À toi, Rodogone.
Les gueux hurlèrent de joie. Des mains hideuses se tendaient vers Angélique. L'Égyptien la rejeta derrière lui et tira son poignard. À ce moment, Calembredaine se baissa et lança un projectile rond et blanc qui atteignit son adversaire au poignet. Le projectile roula. Angélique vit avec horreur que c'était une tête de mort. L'Égyptien avait laissé tomber son poignard. Déjà, Calembredaine le ceinturait. Les deux bandits s'étreignirent à se faire craquer les os, puis roulèrent dans la boue.
Ce fut le signal d'une bataille atroce. Les représentants des cinq ou six bandes rivales de Paris se ruèrent les uns sur les autres. Ceux qui avaient des épées ou des poignards frappaient au hasard, et le sang giclait. Les autres, imitant Calembredaine, ramassaient les têtes de morts et les lançaient comme des boulets.
Angélique, d'un saut, s'était jetée dans la mêlée, cherchant à fuir. Mais des poignes solides l'avaient saisie et ramenée devant le prêchoir où la maintenaient les archi-suppôts du Grand Coësre. Celui-ci, impassible, entouré de sa garde spéciale, surveillait le combat, en tordant ses moustaches.
Rôt-le-Barbon avait saisi le bassinet et le serrait contre lui. L'idiot Bavottant et le Grand Eunuque riaient sinistrement. Thibault-le-Vielleur tournait sa manivelle en chantant à tue-tête.
Les vieilles mendiantes bousculées, piétinées, poussaient des cris de harpies. Angélique aperçut un vieil éclopé, nanti d'une seule jambe, et qui frappait à coups redoublés avec sa béquille sur la tête de Cul-de-Bois comme s'il avait voulu y planter des clous. Une rapière lui passa à travers le ventre, et il s'écroula sur le cul-de-jatte. Barcarole et les femmes du Grand Coësre s'étaient réfugiés sur le toit d'un charnier, et puisaient à même dans l'ample réserve de têtes de morts pour bombarder le champ de bataille.
À tous ces cris stridents, à ces hurlements, à ces gémissements, se mêlaient maintenant les appels des habitants de la rue aux Fers et de la rue de la Lingerie qui, penchés à leurs fenêtres, au-dessus de ce chaudron de sorcière, invoquaient la Vierge Marie et réclamaient le guet.
La lune descendait doucement à l'horizon.
Rodogone et Calembredaine poursuivaient leur combat de dogues enragés. Les coups succédaient aux coups. Les deux hommes étaient de force égale. Tout à coup, il y eut un cri général de stupeur.
Rodogone avait disparu comme par enchantement. La panique et la peur d'un miracle envahirent l'assistance, uniquement composée d'impies. Mais on entendit Rodogone lancer des appels. Un coup de poing de Calembredaine l'avait expédié au fond d'une des grandes fosses communes du cimetière. Reprenant ses sens parmi les morts, il suppliait qu'on le tirât de là.
Un rire homérique secoua les spectateurs les plus proches et gagna les autres. Les artisans et les ouvriers des rues voisines écoutaient, la sueur au front, ce rire énorme succéder aux cris de meurtre. Aux fenêtres, les femmes se signaient. Soudain une cloche argentine tinta, annonçant l'angélus. Une bordée de blasphèmes et d'obscénités monta du cimetière dans la nuit grise, tandis que toutes les églises commençaient à se répondre.
Il fallait fuir. Ainsi que des hiboux ou des démons craignant la lumière, les gens de la « matterie » quittèrent l'enceinte du cimetière des Saints-Innocents. Dans cette aube sale et puante, à peine teintée de rose comme d'un sang pâle, Calembredaine se tenait devant Angélique et la regardait en riant.
– Elle est à toi, dit le Grand Coësre.
Bondissant derechef, Angélique courut vers les grilles. Mais les mêmes mains violentes la rattrapèrent et la paralysèrent. Un bâillon de loques la suffoqua. Elle se débattit encore, puis sombra dans l'inconscience.