23

Les branches des arbres avaient ralenti la chute de l’engin, les fusées de secours s’étaient déclenchées au dernier moment et le marais avait légèrement amorti la prise de contact. Le cylindre commença à s’enfoncer lentement dans l’eau stagnante et la boue légère du marais. La proue avait déjà disparu lorsque Jason libéra enfin l’ouverture de secours.

Sanglant et moulu, il lui resta suffisamment de volonté pour se hisser hors de la capsule. Trébuchant, il atteignit la terre ferme et s’y laissa tomber, épuisé.

Derrière lui, des bulles s’échappaient de l’engin qui sombra brusquement. La surface de l’eau redevint limpide et à part les arbres et les branches cassées, il ne restait plus trace de l’engin.

Jason rassembla ses esprits et s’aperçut qu’il avait besoin du médikit ; il avait l’impression que son corps était passé dans un attendrisseur et un brouillard enveloppait son esprit.

Au bout d’un moment, la raison lui revint et avec elle un sentiment de solitude. Il se retrouvait sans nourriture, sans amis, entouré par les forces hostiles d’une planète étrangère. La panique commença à monter des profondeurs de son être.

« Réfléchis, Jason, ce n’est pas le moment de perdre l’esprit. »

Il s’aperçut que le soleil était chaud, qu’il était agréable d’être assis là et lorsqu’il s’allongea, il en oublia presque la pression épouvantable de la pesanteur double. Le repos effaça une partie de la fatigue.

Il compta ses atouts. Il était brisé, mais vivant.

Aucune des contusions ne semblait importante et aucun os n’était brisé. Le pistolet fonctionnait toujours, il l’avait essayé. Le médikit aussi. S’il arrivait à marcher en ligne droite et à se nourrir des produits de la terre, il avait une bonne chance de retrouver la ville. Ce devait être son but principal, la nature de la réception qui l’y attendrait étant un tout autre sujet.

Jason se remit sur ses pieds et chercha à s’orienter avant que la pluie qui tombait maintenant ne réduisît totalement la visibilité. Une chaîne de montagnes se découpait à l’horizon. Il se souvint l’avoir survolée lors de ses recherches. Ce serait son premier but. Il s’inquiéterait de la seconde partie du voyage lorsqu’il l’aurait atteinte. Il se mit en marche sous la pluie.

Il pleuvait toujours lorsque la nuit tomba. Incapable de conserver sa direction, il n’avait aucune raison de continuer et il était épuisé. Les endroits abrités qu’il examina étaient aussi humides que le reste de la forêt ; il se recroquevilla finalement derrière un gros tronc et s’endormit, tremblant et trempé par la pluie qui continuait à tomber.

La neige fit son apparition vers minuit, la température ayant faut une chute brutale, et elle recouvrait déjà le sol lorsqu’il se réveilla. Le froid le mordit et, lorsqu’il éternua, il ressentit une douleur aux poumons. Son corps endolori n’aspirait qu’au repos, mais le peu de raison qui restait dans son esprit le força à se mettre debout. Il mourrait s’il restait allongé. Se retenant d’une main au tronc d’arbre, il commença à tourner tout autour. Pas à pas, tour après tour, jusqu’à ce que le froid terrible se dissipât un peu. La fatigue l’enveloppa comme une couverture lourde et grise. Il continua de marcher, n’ouvrant les yeux que lorsqu’il tombait, afin de pouvoir se remettre péniblement debout.

Lorsqu’il se leva, le soleil dissipa les nuages de neige. Tout autour de Jason, le sol était blanc sauf l’endroit où il avait fait le tour de l’arbre. Il se laissa glisser doucement sur le sol, laissant le soleil le pénétrer. La soif gerçait ses lèvres et une toux presque continuelle déchirait ses poumons.

Ça n’allait pas. Il chercha longtemps dans le brouillard de son esprit avant de découvrir ce qu’il y avait de changé : ce qu’il ressentait dans son corps.

Une pneumonie. Il en avait tous les symptômes.

Heureusement, il possédait un remède. Relevant sa manche, il pressa le médikit sur son bras nu. Une lumière rouge clignota. Il sut que cela signifiait quelque chose, mais fut incapable de se souvenir de ce que c’était. En l’examinant de plus près, il vit qu’une aiguille hypodermique sortait à moitié de son logement. Bien sûr, il lui manquait l’antibiotique que l’analyseur réclamait. Il eût fallu le recharger.

Jason jeta l’appareil au loin. Plus de médikit, plus de médicaments, plus de Jason dinAlt. Il ne lui avait fallu qu’un jour pour signer son arrêt de mort.

Un grondement affreux se fit entendre derrière lui. Il se retourna, mit un genou en terre et tira en un seul mouvement. Ce fut terminé avant que son esprit en eût pris conscience et il comprit en regardant la tête du monstre repoussant qui mourait à moins d’un mètre de lui que l’entraînement pyrrusien avait ses bons côtés.

Cela ressemblait à un chien de grubber, mais un certain nombre de détails montraient que ce n’en était qu’un parent éloigné. Il y avait la même différence qu’entre un chien et un loup. Il se demanda s’il existait d’autres points, de ressemblance entre les loups et cette bête morte. Chassaient-ils en bande, eux aussi ?

Lorsqu’il examina les buissons, il était juste temps. De grandes formes se glissaient entre les arbres et s’approchaient de lui. Il en tua deux ; les autres grognèrent de rage et firent demi-tour. Mais ils ne partirent pas.

Jason s’adossa à l’arbre et attendit qu’ils s’approchent suffisamment avant de tirer. Plus il tirait, plus les cadavres s’amoncelaient, et plus les hurlements augmentaient.

Il fut heureux de se sentir fiévreux. Il savait qu’il ne vivrait que jusqu’au crépuscule, ou qu’il mourrait lorsque son pistolet serait vide. Mais cela ne le tracassa pas trop. Plus rien n’avait d’importance. Il se détendit complètement et ne leva plus le bras que pour tirer, le laissant ensuite retomber. Il se déplaçait de temps en temps pour regarder derrière l’arbre et tuer ceux qui avançaient vers lui. Il pensa chercher un arbre plus petit, mais estima l’effort trop important.

Il tira sa dernière balle dans l’après-midi. Elle tua un animal qu’il avait laissé s’approcher, car il avait remarqué qu’il ratait les tirs trop éloignés.

Ainsi, c’était la fin. Maintenant qu’il n’avait plus à rester en alerte ou à tenir le pistolet, la fièvre monta d’un coup. Il voulait dormir et il savait que ce serait un long sommeil. Ses yeux étaient presque fermés alors qu’il surveillait les carnivores affamés qui se glissaient vers lui, toujours plus près. L’un d’entre eux s’approcha suffisamment pour sauter ; il put voir les muscles se tendre.

L’animal sauta, puis tournoya en l’air et retomba avant d’avoir atteint Jason. Du sang coulait de sa gueule ouverte et une courte flèche de métal était plantée dans sa tête.

Deux hommes sortirent des fourrés et regardèrent Jason. Leur simple présence avait fait détaler tous les animaux.

Des grubbers. Il s’était tant hâté d’atteindre la cité qu’il les avait entièrement oubliés. Il fut heureux de les voir. Il ne pouvait parler facilement et il sourit pour les remercier. Mais cela lui fit mal aux lèvres et il s’endormit.

Загрузка...