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— Et maintenant que pouvons-nous faire ? demanda Méta, exprimant les pensées de tous les Pyrrusiens, aussi bien de ceux qui se trouvaient dans la pièce que de ceux qui regardaient leurs écrans.

Pour le moment, toutes les divergences étaient oubliées. Tournés vers Jason, ils attendaient que l’étranger qui avait changé les données de leur problème leur fournît une réponse.

— Attendez, je ne suis pas docteur en sociologie. Je ne peux pas guérir une planète remplie de tireurs émérites.

— Mais vous êtes la seule personne qui puisse nous aider, dit Méta. À quoi ressemblera notre avenir ?

Jason regarda les gens qui l’entouraient. Ils semblaient sincères. Pour le moment du moins la guerre était oubliée et personne n’avait remarqué que sa main avait quitté le levier des pompes.

— Je vais vous donner mes conclusions. J’ai beaucoup réfléchi pendant ces deux derniers jours, et je crains que la solution idéale du lion se couchant à côté de l’agneau ne se révèle mauvaise. Elle n’a pour effet que de procurer un bon repas au lion. Le mieux, maintenant que vous connaissez tous les raisons de vos problèmes, serait de détruire le périmètre afin que les citadins et les gens de la forêt vivent en bonne intelligence. Mais ce ne sera guère mieux que dans la fable. Non, la solution n’est pas aussi simple ;

En l’écoutant, les Pyrrusiens se rendirent compte de l’endroit où ils se trouvaient et regardèrent autour d’eux de façon gênée. Les archers relevèrent leurs arbalètes et les prisonniers reculèrent de nouveau jusqu’au mur.

— Vous voyez ? Il n’a pas fallu longtemps.

Ils eurent tous l’air embarrassés de leurs réactions.

— Nous devons tenir compte de l’inertie dans nos plans d’avenir. De l’inertie mentale, naturellement. Les « sauvages » savent que leurs croyances sont vraies parce qu’ils ont foi en elles. C’est un cercle vicieux de fausse logique qui ne peut être brisé. Une façon de penser que « ce qui a toujours été » est aussi « ce qui existera toujours ». En fait ce n’est que de l’inertie mentale. On cherche à ne pas détruire d’un seul coup les vieux principes et les modes de pensée ancestraux. Certains d’entre vous ici croient ce que j’ai dit et aimeraient accomplir des changements. Mais tout le peuple changera-t-il ? Les gens qui ne réfléchissent pas, qui vivent par habitude et par réflexes, agiront comme un frein à l’encontre de tous les plans que vous pourrez dresser, quels que soient les essais de progrès que vous pourrez tenter.

— Alors c’est inutile, il n’y a aucun espoir pour notre planète ? demanda Rhes.

— Je n’ai pas dit cela, répondit Jason. En fait, je vois trois solutions différentes pour l’avenir.

« La première – et la meilleure – serait que les humains reforment le groupe commun dont ils sont originaires. Les deux tribus actuelles peuvent se rejoindre et bénéficier des avantages l’une de l’autre. Mais il vous faudra vous débarrasser de la haine superstitieuse que vous éprouvez les uns pour les autres. Cela ne peut se faire qu’en dehors de la ville, loin de la guerre. Ceux qui s’en sentent capables doivent aller de leur plein gré dans la forêt, y porter une partie de leurs connaissances. Si vous êtes de bonne foi, il ne vous arrivera rien. Et vous apprendrez à vivre avec votre planète au lieu de vous battre contre elle. Et un jour, vous obtiendrez des communautés mélangées qui ne seront plus faites de grubbers et de citadins.

— Et notre ville ? demanda Kerk.

— Elle continuera à exister et ne changera probablement même pas. Il restera toujours ici un certain nombre de gens qui ne seront pas convaincus. Ils continueront à se battre et finiront par mourir. Vous aurez peut-être de meilleurs résultats en éduquant leurs enfants. Mais je n’ai aucune idée de ce qu’il adviendra finalement de la cité.

Ils cherchèrent silencieusement à imaginer l’avenir.

— Cela fait deux solutions, dit Méta. Quelle est la troisième ?

— Ah ! dit Jason, c’est un projet qui m’est personnel. J’espère trouver suffisamment de gens pour me suivre. Je vais me servir de l’argent que je possède pour acheter et équiper un vaisseau spatial moderne, équipé de toutes les armes et tous les appareils scientifiques que je pourrai trouver. Et je demanderai à des volontaires de m’accompagner.

— Mais dans quelle intention ? demanda Méta.

— Nullement philanthropique. J’espère en tirer quelques bénéfices. Mais vous comprendrez que, après ces mois passés sur Pyrrus, je ne puisse pas reprendre mes anciennes occupations. Je m’ennuierais trop. Aussi vais-je me lancer dans la découverte des mondes nouveaux. Il existe des milliers de planètes que l’homme voudrait bien habiter, mais qu’il est trop pénible et dangereux pour des colons d’explorer. Mais pouvez-vous imaginer une planète que les Pyrrusiens n’arriveraient pas à conquérir après l’entraînement qu’ils ont suivi ici ? Et cela ne leur plairait-il pas ? Ils en tireraient plus que du plaisir. Cela leur permettrait d’accomplir quelque chose de constructif tout en trouvant l’occupation pour laquelle ils sont le plus qualifiés.

« Voilà les trois solutions. Chacun doit prendre une décision qui lui sera personnelle.

Avant que quiconque ait pu répondre, une douleur terrible saisit Jason à la gorge. Skop avait repris conscience et avait bondi. Les archers voulurent tirer, mais Jason les gênait.

— Kerk, Méta ! Hurla Skop. Les pistolets. Ouvrez les portes – nos gens vont venir, ils tueront ces sales grubbers et leurs mensonges.

Méta se jeta en avant comme un ressort et les arbalètes vibrèrent. Une flèche s’enfonça dans sa jambe et une autre lui transperça un bras. Mais elle avait été touchée après avoir pris son élan et elle parvint à atteindre son compagnon.

Elle leva son bras valide et assena un coup violent du tranchant de la main.

Skop le reçut sur le biceps et son bras trembla spasmodiquement. Sa main lâcha la gorge de Jason.

— Qu’est-ce qui te prend ? Cria-t-il d’une voix étonnée à la jeune fille qui était retombée à côté de lui.

Il la repoussa. Sans un mot, elle frappa de nouveau, juste et fort, le tranchant de sa main atteignant la trachée de Skop et l’écrasant. Il lâcha Jason et s’écroula ; sa gorge émit un bruit rauque.

Jason assista à la suite à travers un brouillard de sang, ayant perdu presque connaissance.

Skop se releva péniblement, tournant vers ses amis des yeux remplis d’incompréhension.

— Tu as tort, dit Kerk. Arrête.

Skop émit un son plus bestial qu’humain et plongea vers les pistolets de l’autre côté de la pièce. Les arbalètes vibrèrent encore comme des harpes de mort et il ne vivait plus lorsque sa main toucha les armes.

Lorsque Brucco se pencha sur Méta, personne ne s’interposa. Jason reprenait vie. L’œil de la caméra avait transmis la scène à tous les écrans de la ville.

— Merci, Méta… pour avoir compris… autant que pour m’avoir aidé. (Jason avait du mal à articuler.)

— Skop avait tort, Jason, dit-elle. (Elle se tut pendant que Brucco brisait le bout emplumé de la flèche avant de l’arracher.) Je ne peux pas rester en ville ; seuls les gens comme Skop pourront le faire. Mais je crains de ne pouvoir aller dans la forêt non plus – vous avez vu ce qui s’est passé avec l’oiseau-poison. Si cela vous convient, j’aimerais vous accompagner. J’aimerais beaucoup, même.

Jason ne put lui répondre que par un sourire, mais elle sut ce que cela signifiait.

Kerk regarda tristement le cadavre.

— Il avait tort, mais je sais ce qu’il ressentait. Je ne peux pas encore quitter la cité. Quelqu’un doit continuer à s’occuper de tous les détails pendant que les changements se produiront. Votre vaisseau est une bonne idée, Jason, vous ne manquerez pas de volontaires. Mais je doute que Brucco vous suive.

— Ah ! Non, dit celui-ci sans lever les yeux, continuant de soigner Méta. Il y a suffisamment de travail ici. Une belle étude de la vie animale en perspective. Tous les écologistes de la galaxie viendront certainement avant longtemps. Mais je serai le premier.

Kerk se dirigea lentement vers l’écran et contempla la cité, ses bâtiments, la fumée s’élevant du périmètre et l’étendue de la jungle qui l’entourait.

— Vous avez changé tout cela, Jason, dit-il. Pyrrus ne sera plus jamais ce qu’elle était avant votre arrivée. Pour le meilleur et pour le pire.

— Pour le meilleur, bon Dieu, pour le meilleur, coassa Jason en se frottant la gorge. Et maintenant faites un geste tous les deux, afin que les gens y croient vraiment.

Rhes se tourna vers Kerk et, après un moment d’hésitation, lui tendit la main. Le Pyrrusien aux cheveux gris surmonta difficilement sa répugnance à toucher un grubber, symbole de cette vie odieuse qu’il avait menée jusqu’ici.

Mais ils se serrèrent la main, car c’étaient des hommes de caractère.

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