Que dire ? Quels mots pourraient exprimer la tristesse que j'ai lue en ce soir de mai dans les yeux de Ben, mon meilleur ami ? La quête du passé nous avait infligé une cruelle leçon en nous révélant la vie comme un livre dont il était préférable de ne pas relire les pages précédentes ; un chemin où, quelle que soit la direction que nous prendrions, nous ne pourrions jamais choisir notre destination. J'ai regretté alors de ne pas avoir déjà pris ce bateau qui devait m'emmener très loin de là et qui appareillait le lendemain. Je sentais la lâcheté se mêler à la douleur que j'éprouvais pour mon ami et au goût amer de la vérité.

Nous avions tous écouté en silence le récit d'Aryami. Aucun de nous n'a osé formuler une seule question, alors même que des centaines se bousculaient dans nos esprits. Nous savions que toutes les lignes de notre destin confluaient enfin sur un lieu, un rendez-vous inéluctable qui nous attendait à la tombée de la nuit dans les ténèbres de Jheeter's Gate.

Quand nous sommes sortis à l'air libre, les dernières lueurs du jour s'éteignaient, ruban écarlate tendu sur le bleu profond des nuages du Bengale. Une fine bruine imprégnait nos visages tandis que nous empruntions cette voie ferrée abandonnée qui partait de l'arrière-cour de la maison de Lahawaj Chandra Chatterghee pour rejoindre la grande gare, sur l'autre rive du Hooghly, en traversant l'ouest de la ville noire.

Je me souviens que, peu avant de passer sur le pont métallique qui franchissait le fleuve pour mener tout droit dans la gueule de Jheeter's Gate, Ben nous a fait promettre, les larmes aux yeux, de ne jamais, en aucune circonstance, répéter ce que nous avions entendu ce soir-là. Il a juré que si l'un d'entre nous révélait à Sheere la vérité sur son père, sur ce mirage dont toute sa vie s'était nourrie depuis son enfance, il le tuerait de ses propres mains. Tous, nous sommes engagés à garder le secret.

Il ne restait plus qu'une pièce pour compléter notre histoire : la guerre...


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