Chapitre 23


Je rentrai en Grèce par voie de terre. Le voyage fut long. J’avais raison de penser que ce serait sans doute ma dernière tournée officielle en Orient ; je tenais d’autant plus à tout voir par mes propres yeux. Antioche, où je m’arrêtai pendant quelques semaines, m’apparut sous un jour nouveau ; j’étais moins sensible qu’autrefois aux prestiges des théâtres, aux fêtes, aux délices des jardins de Daphné, au frôlement bariolé des foules. Je remarquai davantage l’éternelle légèreté de ce peuple médisant et moqueur, qui me rappelait celui d’Alexandrie, la sottise des prétendus exercices intellectuels, l’étalage banal du luxe des riches. Presque aucun de ces notables n’embrassait dans leur ensemble mes programmes de travaux et de réformes en Asie ; ils se contentaient d’en profiter pour leur ville, et surtout pour eux-mêmes. Je songeai un moment à accroître au détriment de l’arrogante capitale syrienne l’importance de Smyrne ou de Pergame ; mais les défauts d’Antioche sont inhérents à toute métropole : aucune de ces grandes villes n’en peut être exempte. Mon dégoût de la vie urbaine me fit m’appliquer davantage, si possible, aux réformes agraires ; je mis la dernière main à la longue et complexe réorganisation des domaines impériaux en Asie Mineure ; les paysans s’en trouvèrent mieux, et l’État aussi. En Thrace, je tins à revisiter Andrinople, où les vétérans des campagnes daces et sarmates avaient afflué, attirés par des donations de terres et des réductions d’impôts. Le même plan devait être mis en œuvre à Antinoé. J’avais de longue date accordé partout des exemptions analogues aux médecins et aux professeurs dans l’espoir de favoriser le maintien et le développement d’une classe moyenne sérieuse et savante. J’en connais les défauts, mais un État ne dure que par elle.

Athènes restait l’étape préférée ; je m’émerveillais que sa beauté dépendît si peu des souvenirs, les miens propres ou ceux de l’histoire ; cette ville semblait nouvelle chaque matin. Je m’installai cette fois chez Arrien. Initié comme moi à Éleusis, il avait de ce fait été adopté par une des grandes familles sacerdotales du territoire attique, celle des Kérykès, comme je l’avais été moi-même par celle des Eumolpides. Il s’y était marié ; il avait pour femme une jeune Athénienne fine et fière. Tous deux m’entouraient discrètement de leurs soins. Leur maison était située à quelques pas de la nouvelle bibliothèque dont je venais de doter Athènes, et où rien ne manquait de ce qui peut seconder la méditation ou le repos qui précède celle-ci, des sièges commodes, un chauffage adéquat pendant les hivers souvent aigres, des escaliers faciles pour accéder aux galeries où l’on garde les livres, l’albâtre et l’or d’un luxe amorti et calme. Une attention particulière avait été donnée au choix et à l’emplacement des lampes. Je sentais de plus en plus le besoin de rassembler et de conserver les volumes anciens, de charger des scribes consciencieux d’en tirer des copies nouvelles. Cette belle tâche ne me semblait pas moins urgente que l’aide aux vétérans ou les subsides aux familles prolifiques et pauvres ; je me disais qu’il suffirait de quelques guerres, de la misère qui suit celles-ci, d’une période de grossièreté ou de sauvagerie sous quelques mauvais princes, pour que périssent à jamais les pensées venues jusqu’à nous à l’aide de ces frêles objets de fibres et d’encre. Chaque homme assez fortuné pour bénéficier plus ou moins de ce legs de culture me paraissait chargé d’un fidéicommis à l’égard du genre humain.

Je lus beaucoup durant cette période. J’avais poussé Phlégon à composer, sous le nom d’Olympiades, une série de chroniques qui continueraient les Helléniques de Xénophon et finiraient à mon règne : plan audacieux, en ce qu’il faisait de l’immense histoire de Rome une simple suite de celle de la Grèce. Le style de Phlégon est fâcheusement sec, mais ce serait déjà quelque chose que de rassembler et d’établir les faits. Ce projet m’inspira l’envie de rouvrir les historiens d’autrefois ; leur œuvre, commentée par ma propre expérience, m’emplit d’idées sombres 3 l’énergie et la bonne volonté de chaque homme d’État semblaient peu de chose en présence de ce déroulement à la fois fortuit et fatal, de ce torrent d’occurrences trop confuses pour être prévues, dirigées, ou jugées. Les poètes aussi m’occupèrent ; j’aimais à conjurer hors d’un passé lointain ces quelques voix pleines et pures. Je me fis un ami de Théognis, l’aristocrate, l’exilé, l’observateur sans illusion et sans indulgence des affaires humaines, toujours prêt à dénoncer ces erreurs et ces fautes que nous appelons nos maux. Cet homme si lucide avait goûté aux délices poignantes de l’amour ; en dépit des soupçons, des jalousies, des griefs réciproques, sa liaison avec Cyrnus s’était prolongée jusqu’à la vieillesse de l’un et jusqu’à l’âge mûr de l’autre : l’immortalité qu’il promettait au jeune homme de Mégare était mieux qu’un vain mot, puisque ce souvenir m’atteignait à une distance de plus de six siècles. Mais, parmi les anciens poètes, Antimaque surtout m’attacha : j’appréciais ce style obscur et dense, ces phrases amples et pourtant condensées à l’extrême, grandes coupes de bronze emplies d’un vin lourd. Je préférais son récit du périple de Jason aux Argonautiques plus mouvementées d’Apollonius : Antimaque avait mieux compris le mystère des horizons et des voyages, et l’ombre jetée par l’homme éphémère sur les paysages éternels. Il avait passionnément pleuré sa femme Lydé ; il avait donné le nom de cette morte à un long poème où trouvaient place toutes les légendes de douleur et de deuil. Cette Lydé, que je n’aurais peut-être pas remarquée vivante, devenait pour moi une figure familière, plus chère que bien des personnages féminins de ma propre vie. Ces poèmes, pourtant presque oubliés, me rendaient peu à peu ma confiance en l’immortalité.

Je revisai mes propres œuvres : les vers d’amour, les pièces de circonstance, l’ode à la mémoire de Plotine. Un jour, quelqu’un aurait peut-être envie de lire tout cela. Un groupe de vers obscènes me fit hésiter ; je finis somme toute par l’inclure. Nos plus honnêtes gens en écrivent de tels. Ils s’en font un jeu ; j’eusse préféré que les miens fussent autre chose, l’image exacte d’une vérité nue. Mais là comme ailleurs les lieux communs nous encagent : je commençais à comprendre que l’audace de l’esprit ne suffit pas à elle seule pour s’en débarrasser, et que le poète ne triomphe des routines et n’impose aux mots sa pensée que grâce à des efforts aussi longs et aussi assidus que mes travaux d’empereur. Pour ma part, je ne pouvais prétendre qu’aux rares aubaines de l’amateur : ce serait déjà beaucoup, si, de tout ce fatras, deux ou trois vers subsistaient. J’ébauchai pourtant à cette époque un ouvrage assez ambitieux, mi-partie prose, mi-partie vers, où j’entendais faire entrer à la fois le sérieux et l’ironie, les faits curieux observés au cours de ma vie, des méditations, quelques songes ; le plus mince des fils eût relié tout cela ; c’eût été une sorte de Satyricon plus âpre. J’y aurais exposé une philosophie qui était devenue la mienne, l’idée héraclitienne du changement et du retour. Mais j’ai mis de côté ce projet trop vaste.

J’eus cette année-là avec la prêtresse qui jadis m’avait initié à Éleusis, et dont le nom doit rester secret, plusieurs entretiens où les modalités du culte d’Antinoüs furent fixées une à une. Les grands symboles éleusiaques continuaient à distiller pour moi une vertu calmante ; le monde n’a peut-être aucun sens, mais, s’il en a un, celui-ci s’exprime à Éleusis plus sagement et plus noblement qu’ailleurs. Ce fut sous l’influence de cette femme que j’entrepris de faire des divisions administratives d’Antinoé, de ses dèmes, de ses rues, de ses blocs urbains, un plan du monde divin en même temps qu’une image transfigurée de ma propre vie. Tout y entrait, Hestia et Bacchus, les dieux du foyer et ceux de l’orgie, les divinités célestes et celles d’outre-tombe. J’y mis mes ancêtres impériaux, Trajan, Nerva, devenus partie intégrante de ce système de symboles. Plotine s’y trouvait ; la bonne Matidie s’y voyait assimilée à Déméter ; ma femme elle-même, avec qui j’avais à cette époque des rapports assez cordiaux, figurait dans ce cortège de personnes divines. Quelques mois plus tard, je donnai à un des quartiers d’Antinoé le nom de ma sœur Pauline. J’avais fini par me brouiller avec la femme de Servianus, mais Pauline morte retrouvait dans cette ville de la mémoire sa place unique de sœur. Ce lieu triste devenait le site idéal des réunions et des souvenirs, les Champs Élysée d’une vie, l’endroit où les contradictions se résolvent, où tout, à son rang, est également sacré.

Debout à une fenêtre de la maison d’Arrien, dans la nuit semée d’astres, je songeais à cette phrase que les prêtres égyptiens avaient fait graver sur le cercueil d’Antinoüs : Il a obéi à l’ordre du ciel. Se pouvait-il que le ciel nous intimât des ordres, et que les meilleurs d’entre nous les entendissent là où le reste des hommes ne perçoit qu’un accablant silence ? La prêtresse éleusiaque et Chabrias le croyaient. J’aurais voulu leur donner raison. Je revoyais en pensée cette paume lissée par la mort, telle que je l’avais regardée pour la dernière fois le matin de l’embaumement ; les lignes qui m’avaient inquiété jadis ne s’y trouvaient plus ; il en était d’elle comme de ces tablettes de cire desquelles on efface un ordre accompli. Mais ces hautes affirmations éclairent sans réchauffer, comme la lumière des étoiles, et la nuit alentour est encore plus sombre. Si le sacrifice d’Antinoüs avait été pesé quelque part en ma faveur dans une balance divine, les résultats de cet affreux don de soi ne se manifestaient pas encore ; ces bienfaits n’étaient ni ceux de la vie, ni même ceux de l’immortalité. J’osais à peine leur chercher un nom. Parfois, à de rares intervalles, une faible lueur palpitait froidement à l’horizon de mon ciel ; elle n’embellissait ni le monde, ni moi-même ; je continuais à me sentir plus détérioré que sauvé.

Ce fut vers cette époque que Quadratus, évêque des chrétiens, m’envoya une apologie de sa foi. J’avais eu pour principe de maintenir envers cette secte la ligne de conduite strictement équitable qui avait été celle de Trajan dans ses meilleurs jours ; je venais de rappeler aux gouverneurs de provinces que la protection des lois s’étend à tous les citoyens, et que les diffamateurs des chrétiens seraient punis s’ils portaient contre eux des accusations sans preuves. Mais toute tolérance accordée aux fanatiques leur fait croire immédiatement à de la sympathie pour leur cause ; j’ai peine à m’imaginer que Quadratus espérait faire de moi un chrétien ; il tint en tout cas à me prouver l’excellence de sa doctrine et surtout son innocuité pour l’État. Je lus son œuvre ; j’eus même la curiosité de faire rassembler par Phlégon des renseignements sur la vie du jeune prophète nommé Jésus, qui fonda la secte, et mourut victime de l’intolérance juive il y a environ cent ans. Ce jeune sage semble avoir laissé des préceptes assez semblables à ceux d’Orphée, auquel ses disciples le comparent parfois. À travers la prose singulièrement plate de Quadratus, je n’étais pas sans goûter le charme attendrissant de ces vertus de gens simples, leur douceur, leur ingénuité, leur attachement les uns aux autres ; tout cela ressemblait fort aux confréries que des esclaves ou des pauvres fondent un peu partout en l’honneur de nos dieux dans les faubourgs populeux des villes ; au sein d’un monde qui malgré tous nos efforts reste dur et indifférent aux peines et aux espoirs des hommes, ces petites sociétés d’assistance mutuelle offrent à des malheureux un point d’appui et un réconfort. Mais j’étais sensible aussi à certains dangers. Cette glorification des vertus d’enfant et d’esclave se faisait aux dépens de qualités plus viriles et plus lucides ; je devinais sous cette innocence renfermée et fade la féroce intransigeance du sectaire en présence de formes de vie et de pensée qui ne sont pas les siennes, l’insolent orgueil qui le fait se préférer au reste des hommes, et sa vue volontairement encadrée d’œillères. Je me lassai assez vite des arguments captieux de Quadratus et de ces bribes de philosophie maladroitement empruntées aux écrits de nos sages. Chabrias, toujours préoccupé du juste culte à offrir aux dieux, s’inquiétait du progrès de sectes de ce genre dans la populace des grandes villes ; il s’effrayait pour nos vieilles religions qui n’imposent à l’homme le joug d’aucun dogme, se prêtent à des interprétations aussi variées que la nature elle-même, et laissent les cœurs austères s’inventer s’ils le veulent une morale plus haute, sans astreindre les masses à des préceptes trop stricts pour ne pas engendrer aussitôt la contrainte et l’hypocrisie. Arrien partageait ces vues. Je passai tout un soir à discuter avec lui l’injonction qui consiste à aimer autrui comme soi-même ; elle est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement obéie par le vulgaire, qui n’aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s’aime pas particulièrement soi-même.

Sur bien des points, d’ailleurs, la pensée de nos philosophes me semblait elle aussi bornée, confuse, ou stérile. Les trois quarts de nos exercices intellectuels ne sont plus que broderies sur le vide ; je me demandais si cette vacuité croissante était due à un abaissement de l’intelligence ou à un déclin du caractère ; quoi qu’il en fût, la médiocrité de l’esprit s’accompagnait presque partout d’une étonnante bassesse d’âme. J’avais chargé Hérode Atticus de surveiller la construction d’un réseau d’aqueducs en Troade ; il en profita pour gaspiller honteusement les deniers publics ; appelé à rendre des comptes, il fit répondre avec insolence qu’il était assez riche pour couvrir tous les déficits ; cette richesse même était un scandale. Son père, mort depuis peu, s’était arrangé pour le déshériter discrètement en multipliant les largesses aux citoyens d’Athènes ; Hérode refusa tout net d’acquitter les legs paternels ; il en résulta un procès qui dure encore. A Smyrne, Polémon, mon familier de naguère, se permit de jeter à la porte une députation de sénateurs romains qui avaient cru pouvoir tabler sur son hospitalité. Ton père Antonin, le plus doux des êtres, s’emporta ; l’homme d’État et le sophiste finirent par en venir aux mains ; ce pugilat indigne d’un futur empereur l’était plus encore d’un philosophe grec. Favorinus, ce nain avide que j’avais comblé d’argent et d’honneurs, colportait partout des mots d’esprit dont je faisais les frais. Les trente légions auxquelles je commandais étaient, à l’en croire, mes seuls arguments valables dans les joutes philosophiques où j’avais la vanité de me plaire et où il prenait soin de laisser le dernier mot à l’empereur. C’était me taxer à la fois de présomption et de sottise ; c’était surtout se targuer d’une étrange lâcheté. Mais les pédants s’irritent toujours qu’on sache aussi bien qu’eux leur étroit métier ; tout servait de prétexte à leurs remarques malignes ; j’avais fait mettre au programme des écoles les œuvres trop négligées d’Hésiode et d’Ennius ; ces esprits routiniers me prêtèrent aussitôt l’envie de détrôner Homère, et le limpide Virgile que pourtant je citais sans cesse. Il n’y avait rien à faire avec ces gens-là.

Arrien valait mieux. J’aimais à causer avec lui de toutes choses. Il avait gardé du jeune homme de Bithynie un souvenir ébloui et grave ; je lui savais gré de placer cet amour, dont il avait été témoin, au rang des grands attachements réciproques d’autrefois ; nous en parlions de temps à autre, mais bien qu’aucun mensonge ne fût proféré, j’avais parfois l’impression de sentir dans nos paroles une certaine fausseté ; la vérité disparaissait sous le sublime. J’étais presque aussi déçu par Chabrias : il avait eu pour Antinoüs le dévouement aveugle d’un vieil esclave pour un jeune maître, mais, tout occupé du culte du nouveau dieu, il semblait presque avoir perdu tout souvenir du vivant. Mon noir Euphorion au moins avait observé les choses de plus près. Arrien et Chabrias m’étaient chers, et je ne me sentais nullement supérieur à ces deux honnêtes gens, mais il me semblait par moments être le seul homme à s’efforcer de garder les yeux ouverts.

Oui, Athènes restait belle, et je ne regrettais pas d’avoir imposé à ma vie des disciplines grecques. Tout ce qui en nous est humain, ordonné, et lucide nous vient d’elles. Mais il m’arrivait de me dire que le sérieux un peu lourd de Rome, son sens de la continuité, son goût du concret, avaient été nécessaires pour transformer en réalité ce qui restait en Grèce une admirable vue de l’esprit, un bel élan de l’âme. Platon avait écrit La République et glorifié l’idée du Juste, mais c’est nous qui, instruits par nos propres erreurs, nous efforcions péniblement de faire de l’État une machine apte à servir les hommes, et risquant le moins possible de les broyer. Le mot philanthropie est grec, mais c’est le légiste Salvius Julianus et moi qui travaillons à modifier la misérable condition de l’esclave. L’assiduité, la prévoyance, l’application au détail corrigeant l’audace des vues d’ensemble avaient été pour moi des vertus apprises à Rome. Tout au fond de moi-même, il m’arrivait aussi de retrouver les grands paysages mélancoliques de Virgile, et ses crépuscules voilés de larmes ; je m’enfonçais plus loin encore ; je rencontrais la brûlante tristesse de l’Espagne et sa violence aride ; je songeais aux gouttes de sang celte, ibère, punique peut-être, qui avaient dû s’infiltrer dans les veines des colons romains du municipe d’Italica ; je me souvenais que mon père avait été surnommé l’Africain. La Grèce m’avait aidé à évaluer ces éléments, qui n’étaient pas grecs. Il en allait de même d’Antinoüs ; j’avais fait de lui l’image même de ce pays passionné de beauté ; c’en serait peut-être le dernier dieu. Et pourtant, la Perse raffinée et la Thrace sauvage s’étaient alliées en Bithynie aux bergers de l’Arcadie antique : ce profil délicatement arqué rappelait celui des pages d’Osroès ; ce large visage aux pommettes saillantes était celui des cavaliers thraces qui galopent sur les bords du Bosphore, et qui éclatent le soir en chants rauques et tristes. Aucune formule n’était assez complète pour tout contenir.

Je terminai cette année-là la révision de la constitution athénienne, commencée beaucoup plus tôt. J’y revenais dans la mesure du possible aux vieilles lois démocratiques de Clisthènes. La réduction du nombre des fonctionnaires allégeait les charges de l’État ; je mis obstacle au fermage des impôts, système désastreux, malheureusement encore employé çà et là par les administrations locales. Des fondations universitaires, établies vers la même époque, aidèrent Athènes à redevenir un centre important d’études. Les amateurs de beauté qui, avant moi, avaient afflué dans cette ville, s’étaient contentés d’admirer ses monuments sans s’inquiéter de la pénurie croissante de ses habitants. J’avais tout fait, au contraire, pour multiplier les ressources de cette terre pauvre. Un des grands projets de mon règne aboutit peu de temps avant mon départ : l’établissement d’ambassades annuelles, par l’entremise desquelles se traiteraient désormais à Athènes les affaires du monde grec, rendit à cette ville modeste et parfaite son rang de métropole. Ce plan n’avait pris corps qu’après d’épineuses négociations avec les villes jalouses de la suprématie d’Athènes ou nourrissant contre elle des rancunes séculaires et surannées ; peu à peu, toutefois, la raison et l’enthousiasme même l’emportèrent. La première de ces assemblées coïncida avec l’ouverture de l’Olympéion au culte public ; ce temple devenait plus que jamais le symbole d’une Grèce rénovée.

On donna à cette occasion au théâtre de Dionysos une série de spectacles particulièrement réussis : j’y occupai un siège à peine surélevé à côté de celui de l’Hiérophante ; le prêtre d’Antinoüs avait désormais le sien parmi les notables et le clergé. J’avais fait agrandir la scène du théâtre ; de nouveaux bas-reliefs l’ornaient ; sur l’un d’eux, mon jeune Bithynien recevait des déesses éleusiaques une espèce de droit de cité éternel. J’organisai dans le stade panathénaïque transformé pour quelques heures en forêt de la fable une chasse où figurèrent un millier de bêtes sauvages, ranimant ainsi pour le bref espace d’une fête la ville agreste et farouche d’Hippolyte serviteur de Diane et de Thésée compagnon d’Hercule. Peu de jours plus tard, je quittai Athènes. Je n’y suis pas retourné depuis.


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