Epilogue

65. Parade

16 h 23, Aizier, route des Chaumières


Maline était allongée dans l’herbe fraîchement coupée de la jolie chaumière normande de Christian Decultot, entre les communes d’Aizier et de Vieux-Port, sur la route des chaumières normandes.

De son pied nu, elle essayait d’attraper une pâquerette.

La pelouse descendait en pente douce jusqu’à la Seine, comme un petit amphithéâtre de verdure sur le spectacle des voiliers en Seine.

— Arrête de bouger, fit Olivier Levasseur. Repose-toi un peu !

Olivier Levasseur lui faisait office d’oreiller. Maline appréciait toujours autant son odeur, son calme, sa force raisonnable.

Dans le méandre de la Seine, l’immense Dar Mlodziezy surgit toutes voiles déployées. Blanc de la coque aux voiles en passant par l’uniforme des cadets, le trois-mâts polonais souleva un tonnerre d’applaudissements. Les cadets polonais, dont certains avaient à peine seize ans, gonflaient leur poitrine d’être ainsi acclamés par une foule continue sur plusieurs dizaines de kilomètres.

Juste devant Maline, des enfants agitaient avec énergie une banderole sur laquelle était écrit « merci - au revoir » en polonais. Ils avaient visiblement préparé la formule dans plus d’une vingtaine de langues !

Ces enfants rappelèrent à Maline Léa et Hugo, les deux enfants du commissaire Gustave Paturel. Elle ne les avait jamais vus, mais elle savait qu’en ce moment, ils étaient quelque part sur le bord de la Seine en compagnie de leur père enfin disponible, applaudissant eux aussi chaque voilier !

Promesse tenue !

Elle devait une fière chandelle au commissaire. Il n’avait obtenu les aveux de la fille de Voranger, Marine Barbey, qu’à la toute dernière minute. Le commissaire avait garé en catastrophe sa Subaru sous le pont Flaubert et tenté un coup de poker…

Il était seul.

Aucun tireur d’élite n’était en place sur les silos.

Si le profileur Joe Roblin, malgré toutes ses brillantes déductions, s’était fait manipuler par Serge Voranger du début à la fin, le commissaire Paturel pouvait se vanter, à l’inverse, d’avoir pris le tueur en série à son propre piège !

Le Dar Mlodziezy s’approchait. Maline avait fini par abandonner la pâquerette, mais avait jeté son dévolu sur une tige d’herbe bien longue avec laquelle elle taquinait l’oreille d’Olivier Levasseur. Le bel Olivier semblait faire une overdose de voiliers et n’avoir qu’une envie : faire la sieste dans l’herbe fraîche.

Un peu déçue du manque de réaction d’Olivier, l’esprit de Maline vagabonda. Elle avait appris tout à l’heure par le général Sudoku que l’association de l’Armada avait porté plainte contre Nicolas Neufville pour prise illégale d’intérêt.

Une bonne chose de faite !

Mais le message qui avait le plus surpris Maline était celui d’Oreste Armano-Baudry. Aussitôt que le jeune journaliste du Monde avait appris l’heureux épilogue des crimes de l’Armada, il avait téléphoné à Maline pour la féliciter :

— Sans rancune Maline. Je suis vraiment content que tu t’en sois sortie vivante ! J’ai beaucoup repensé à notre aventure et j’ai eu une idée géniale : il faut à tout prix qu’on en fasse un bouquin. J’ai déjà l’éditeur, un ami de mon père, il est prêt à le sortir avant la fin de l’année. Je peux le rédiger tout seul, bien entendu, mais j’ai pensé que toi aussi…

Maline avait éclaté de rire et lui avait raccroché au nez ! Elle savait qu’Oreste ne lui en voudrait pas et lui enverrait un exemplaire dédicacé de son best-seller…

Maline abandonna l’oreille d’Olivier et fit pénétrer la tige d’herbe dans sa narine gauche. Le chargé de relations presse grogna :

— Je dors…

— Tu y crois, toi, au butin de la Seine ? Au trésor ?

— Non, grogna Olivier. Seulement à celui de La Buse, mon ancêtre…

La tige s’enfonça dans l’autre narine, plus profondément.

— Réponds-moi ! Sérieusement !

— Aïe… Je ne sais pas moi. Peut-être… Je dors !

— Eh bien moi figure-toi, j’y crois… Tu veux que je te le décrive ?

— Vas-y, fit Olivier Levasseur en se retournant sur le ventre pour protéger ses narines… Et dormir en paix.

— Alors je commence. Ecoute bien ! Il se trouve dans une chaumière, un peu comme celle derrière nous, une belle chaumière sur la Seine. Le trésor se trouve à l’intérieur, tu montes l’escalier de chêne, tu entres dans la chambre mansardée, celle qui a vu sur l’eau. Le trésor se trouve dans le vieux lit paysan, sous les draps épais. C’est moi ! Qu’en penses-tu ? Au butin, je peux aussi ajouter un homme, si tu insistes, genre beau gosse métisse, tout nu, lui aussi caché sous les draps épais. Si ça ne te suffit pas, je peux encore ajouter une armoire normande dans la chambre, deux bols sur la table du petit-déjeuner, un chien qui ronfle près de la cheminée, des pommiers en fleurs dans le jardin, un petit escalier de pierre qui descend directement dans la Seine, une barque et deux rames, un barbecue, une balançoire sur la pelouse, des amis, une bouteille de calva à moitié vide, un gâteau d’anniversaire et des bougies… Des gosses… Un ou deux, pas plus. Alors ? Tu en penses quoi de mon trésor ? Tu y crois ?

Olivier Levasseur ne répondit pas.

Son beau corps se soulevait doucement, comme s’il dormait. Maline passa doucement le brin d’herbe sur sa nuque.

Tu as raison… Je te laisse réfléchir… On en reparlera dans cinq ans, quand les voiles reviendront…

Maline se leva et marcha un peu.

Après tout, pourquoi partager un tel trésor avec un homme ? Avec un seul homme ? A son grand étonnement, c’est à Fatou, pas à Olivier, qu’elle avait pensé au moment de mourir… Si au lieu de ronfler comme un loir, Olivier Levasseur lui avait répondu qu’il y croyait, « oh ouiiiii », à son trésor, c’est elle qui se serait enfuie, en éclatant de rire.

Elle se fichait des hommes, elle se fichait de l’amour, dans l’instant présent.

Elle était une célibataire vivante !

Elle continua de marcher sur la berge. Elle adorait cette herbe verte qui lui chatouillait ses pieds nus.

Elle se tourna vers un vieil homme endormi sur une chaise pliante en toile, protégé du soleil par un vaste chapeau de paille.

— Ça va papa ?

Elle obtint pour seule réponse un ronflement paisible.

C’était bien la peine que je me donne tant de mal pour tenir ma promesse, pensa Maline amusée.

Elle admira de longs instants le visage reposé de son père.

Heureux.

Elle n’était pas une fille indigne ! Elle avait même imposé la présence de son père à son amant… Pas étonnant que le bel Olivier fasse le sourd à sa pitoyable demande en mariage !

Maline continua sa promenade.

Elle avait une autre promesse à tenir. Un article à écrire pour le SeinoMarin, commandé par le général Sudoku en personne !

Un peu plus loin, un jeune garçon de dix ans s’était un peu isolé.

Il regardait, sans un mot, s’éloigner le Dar Mlodziezy.

Le jeune garçon n’était plus sur les berges de la Seine, il était déjà quelque part sur ce bateau, hissant la grand-voile arrière sur le mât d’artimon, uni dans le même effort à une dizaine d’autres cadets de son âge, voguant vers une terre inconnue.

Maline repensa à cette phrase de Sudoku, « Penser toute cette organisation de dingues simplement pour voir s’allumer l’œil d’un gamin qui voit passer un voilier du bout du monde sur le morceau de Seine où il est né ».

Загрузка...