12.

Saint-Pétersbourg, bien des années plus tard…

La journée s’achevait, dans quelques minutes le musée de l’Ermitage fermerait ses portes. Les visiteurs qui se trouvaient dans la salle « Vladimir Radskin » se dirigeaient vers la sortie. Un gardien fit un signe discret à son collègue. Les deux hommes en uniforme se rapprochèrent discrètement d’un jeune couple qui quittait la pièce. Quand ils jugèrent que la situation le leur permettait, ils encadrèrent l’homme et la femme et les prièrent de les accompagner sans faire d’histoires. Devant l’insistance courtoise des agents de sécurité, les deux touristes, qui ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait, acceptèrent de les suivre. Sous bonne escorte, ils traversèrent un long couloir et empruntèrent une porte dérobée. Après avoir gravi un escalier de service, non sans ressentir une certaine inquiétude au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs du bâtiment, on les fit pénétrer dans un grand bureau. Ils furent invités à prendre place autour de la table de réunion. Quelqu’un allait bientôt venir les voir. Un homme d’une cinquantaine d’années, portant un costume strict, entra et s’assit en face deux. Il posa un dossier devant lui qu’il consulta plusieurs fois tout en regardant le jeune couple.

– Je dois dire que c’est stupéfiant, dit-il dans un anglais légèrement teinté d’accent.

– Je peux savoir ce que vous nous voulez ? demanda le jeune homme.

– C’est la troisième fois cette semaine que vous venez admirer les tableaux de Vladimir Radskin, n’est-ce pas ?

– Nous aimons ce peintre, répondit la femme.

Youri Egorov se présenta. Il était conservateur en chef de l’Ermitage et se félicitait de les accueillir tous les deux dans son musée.

– La toile que vous contempliez longuement cet après-midi se nomme La Jeune Femme à la robe rouge. Elle a été rendue à son état original grâce au travail de restauration acharné entrepris par un commissaire-priseur américain. C’est lui qui a fait don à ce musée des cinq tableaux de Radskin qui sont exposés ici. Cette collection est d’une valeur inestimable et nous n’aurions probablement jamais pu l’acquérir dans sa totalité. Mais c’est grâce à ce généreux donateur que ce grand peintre russe est revenu après bien des années dans son pays natal. En contrepartie de ce cadeau fait à notre nation, le musée de l’Ermitage s’était engagé auprès de son donateur à tenir une promesse un peu particulière. Mon prédécesseur ayant pris sa retraite voilà quelques années, c’est à moi qu’incombe désormais d’assumer cette mission.

– Quelle mission ? demanda le couple en chœur.

Le conservateur toussota dans le creux de main avant de reprendre.

– M. Peter Gwel nous avait fait promettre que si un jour une femme dont le visage ressemblait de façon troublante à celui de La Jeune Femme à la robe rouge se présentait devant la toile, nous aurions le devoir de remettre à l’homme qui l’accompagnerait une lettre écrite de sa main. Nous vous avons longuement observée, madame, et je crois que le temps est venu d’exécuter notre promesse.

Le conservateur ouvrit le dossier et tendit le pli au couple. Le jeune homme décacheta l’enveloppe. En lisant la lettre qu’elle contenait, il se leva et arpenta la pièce.

Quand il en eut terminé la lecture, il replia la feuille et la rangea silencieusement dans la poche de sa veste.


Il croisa ensuite ses mains dans son dos, plissa les yeux et sourit… et depuis ce jour-là, il ne cessa jamais de sourire…

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