Jonathan,


T’appelles-tu toujours ainsi ? Je réalise aujourd’hui qu’il y a tellement de choses que je ne savais pas et je repousse sans cesse les mesures de ce vide qui m’entoure depuis que tu es parti. Souvent lorsque la solitude obscurcissait mes journées je regardais le ciel, puis la terre, avec cette farouche impression que tu étais là quelque part. Et il en fut ainsi au cours de toutes ces années, seulement nous ne pouvions plus nous voir, ni nous entendre.

Il paraît que nous pourrions passer l’un à côté de l’autre sans même nous reconnaître.

Je n’ai cessé de lire depuis le jour de ton départ, visité tant de lieux à ta recherche, à celle d’un moyen de comprendre, d’un quelconque savoir. Et plus les pages de la vie se tournaient, plus je réalisais que la connaissance s’éloignait de moi, comme dans ces cauchemars où chaque pas en avant vous fait reculer d’autant.

J’ai arpenté les galeries sans fin des grandes bibliothèques, les rues de cette ville qui fut la nôtre, celle où nous partagions presque tous nos souvenirs depuis l’enfance. Hier, j’ai marché le long des quais, sur les pavés du marché à ciel ouvert que tu aimais tant. Je me suis arrêté par-ci par-là, il me semblait que tu m’accompagnais, et puis je suis revenu dans ce petit bar près du port, comme chaque vendredi. Te souviendras-tu ? Nous nous y retrouvions si souvent à la tombée du jour. Nous jouions à entraîner l’autre dans des dérives de mots qui jaillissaient de nos bouches comme autant de passions que nous vivions ensemble. Et nous parlions sans compter les heures de ces tableaux qui animaient nos vies et nous transportaient vers d’autres temps.

Dieu, que nous avons aimé la peinture toi et moi ! Je parcours souvent les livres que tu écrivais, j’y retrouve ta plume, tes goûts.

Jonathan, je ne sais pas où tu es. Je ne sais si tout ce que nous avons vécu avait un sens, si la vérité existe, mais si tu trouves ce petit mot un jour, alors tu sauras que j’ai tenu ma promesse, celle que je t’ai faite.

Je sais que lorsque tu seras devant la toile, tu mettras tes mains dans ton dos, tu plisseras les yeux comme à chaque fois que tu es surpris et puis tu souriras. Si, comme je le souhaite, elle est à tes côtés, tu la prendras sous ton bras, vous regarderez à deux cette merveille que nous avons eu le privilège de partager, et peut-être, peut-être te souviendras-tu. Alors, si tel est le cas, à mon tour de te demander quelque chose, tu me le dois bien. Oublie ce que je viens d’écrire, en amitié on ne doit rien. Mais voici néanmoins ma requête :

Dis-lui, dis-lui que quelque part sur cette terre, loin de vous, de votre temps, j’ai arpenté les mêmes rues, ri avec toi autour des mêmes tables, et puisque les pierres demeurent, dis-lui que chacune de celles où nous avons posé nos mains et nos regards contient à jamais une part de notre histoire. Dis-lui, Jonathan, que j’étais ton ami, que tu étais mon frère, peut-être mieux encore puisque nous nous étions choisis, dis-lui que rien n’a jamais pu nous séparer, même votre départ si soudain.

Il ne s’est écoulé aucun jour depuis lors sans que je pense à vous deux, avec l’espoir de votre bonheur à vivre.

Je suis un vieil homme désormais, Jonathan, et l’heure de mon propre départ approche, mais grâce à vous deux, je suis un vieillard au cœur rempli d’une étincelle de lumière qui le rend si léger. J’ai aimé ! Est-ce que tous les hommes peuvent partir riches d’une condition aussi inestimable ?

Quelques lignes encore et tu replieras cette lettre, tu la rangeras silencieusement dans la poche de ta veste, tu croiseras ensuite tes mains dans ton dos et tu souriras, comme moi en t’écrivant ces derniers mots. Moi aussi, je souris, Jonathan, je n’ai jamais cessé de sourire.


Bonne vie, à vous deux.

Ton ami, Peter

Загрузка...