35 YÂDIGÂR

Tôt le lendemain de la fête, encore engourdi par le sommeil, Guillemot grimpa sur les épaules d’un marcheur du désert et se mit en route, escorté par quelques hommes de la tribu bleue et par Kyle, comme les autres, chaussé de raquettes de pierre.

– Beurk ! grimaça l’Apprenti qui supportait mal les balancements imposés par la démarche de son porteur.

– Tu n’aurais pas dû boire tant de cidre de pommes aigres, hier, se moqua Kyle.

– Fiche-moi la paix ! râla le garçon, le visage grimaçant.

Ils progressèrent pendant plusieurs heures. Les Hommes

des Sables étaient rapides et leurs raquettes de pierre, qui réclamaient pour s’en servir une grande habileté, faisaient merveille sur le sable mouvant. Enfin, ils rejoignirent la Route de Pierre, constituée de gigantesques pavés, et se trouvèrent du même coup en vue de Yâdigâr.

– Voilà, lui fit Kyle. Nous, nous n’irons pas plus loin. Rappelle-toi : les Hommes des Sables sont liés par un pacte avec Yâdigâr : à nous le Désert Vorace, à la cité de Feu ce qu’il y a au-delà et la Route de Pierre !

Guillemot, descendu de sa monture improvisée, s’approcha de lui.

– Kyle, merci, merci pour tout.

– Merci à toi, plutôt ! répondit le fils des chefs avec un sourire éclatant. C’est toi qui m’as délivré, tu te rappelles ?

Ils s’étreignirent.

– Tu pourras toujours compter sur moi, ajouta Kyle en devenant grave. Toujours, et pour n’importe quoi.

– Merci pour ton amitié, dit Guillemot d’une voix étranglée. Est-ce que nous nous reverrons ?

– Peut-être. Qui peut savoir ?

– Je l’espère sincèrement, Kyle.

Les deux garçons étaient aussi émus l’un que l’autre. Kyle sortit de la besace d’un de ses hommes le manteau de Virdu que Guillemot lui avait donné, sur la Bokht, pour se protéger du soleil.

– Tiens, il est à toi, reprends-le. Un manteau de Virdu, ça vaut cher !

– Garde le, Kyle. Comme ça, tu penseras à moi chaque fois que tu le porteras !

Kyle eut un sourire éblouissant. Guillemot ne pouvait se résoudre à le quitter, lui et les Hommes des Sables. Mais Yâdigâr était sa seule chance de retrouver ses amis. Il soupira et rabattit sur sa tête la capuche de son propre manteau, puis s’avança sur la voie qui semblait surgie de nulle part au milieu des sables. Il agita la main en direction des hommes bleus qui allaient regagner le désert et adressa à Kyle un dernier regard.

Guillemot n’était pas le seul à se rendre à Yâdigâr. Des bandes d’Orks et d’hommes en armes côtoyaient sur la route, de plus en plus encombrée à mesure qu’il s’approchait de la ville, des marchands aux chariots pleins. Ceux-ci repartiraient sans doute avec le produit des rapines de Thunku, qu’ils écouleraient à Ferghânâ ou ailleurs.

L’Apprenti Sorcier essayait de se faire tout petit et s’enfonçait du mieux qu’il le pouvait dans son grand manteau gris.

Au moment de franchir l’unique porte de la ville forte, surmontée de la statue de l’énorme lion entouré de flammes figurant sur le médaillon de l’Ork, il se fit apostropher par un garde en tout point semblable à celui qui l’avait presque rançonné, à l’entrée de Ferghânâ : d’apparence humaine, mais si monstrueux qu’il semblait avoir été croisé avec un Ork.

– Hé, toi ! Le Petit Homme de Virdu ! Viens avec moi !

Guillemot se pétrifia, saisi de stupeur. Finalement, il

reprit ses esprits et répondit de sa voix la plus grave :

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Ne te fous pas de moi, nabot ! Comme si tu ne savais pas que le Seigneur Thunku avait interdit l’accès de sa ville à ceux de ton peuple ! Allez, suis-moi.

– Écoutez, il doit y avoir un moyen de s’arranger, ou de…

Guillemot ne put rien dire de plus : le garde moitié homme moitié Ork avait sorti sa large épée crantée de son fourreau et l’avait mise sous sa gorge.

– Ça va, ça va, je vous suis !

Se plaçant derrière lui, l’épée toujours menaçante, le garde le guida à travers Yâdigâr en direction d’un grand bâtiment qui dominait la cité.

Yâdigâr était aussi étendue que Ferghânâ, sa sœur jumelle, mais s’en distinguait par bien des côtés. Sur les murs d’enceinte, parfaitement entretenus, des gardes armés jusqu’aux dents montaient une garde vigilante ; aucun esclave n’aurait eu la moindre chance de s’enfuir de la ville ! Une ville grouillant d’hommes de guerre, de mercenaires venus offrir leurs services ponctuels au maître de la cité. Des bagarres éclataient régulièrement entre eux, dans les rues ou dans les nombreuses tavernes où ils traînaient lorsqu’ils étaient désœuvrés. Guillemot constata cela d’un œil inquiet, et se félicita presque de bénéficier de l’escorte du monstre qui l’avait arrêté. Pas de cracheurs de feu, de faux magiciens ni de bijoutiers à Yâdigâr : la cité était dévolue à la violence et à la guerre, et le seul commerce qu’on y faisait était celui des armes et du produit des pillages !

Le bâtiment imposant où fut conduit Guillemot cumulait plusieurs fonctions. La partie visible, sur plusieurs étages, respirait le luxe poussé à son extrême, et ressemblait à une caricature de palais oriental. La partie cachée où on l’entraîna, qui s’étendait au sous-sol sur plusieurs niveaux, s’apparentait davantage à des catacombes.

On ouvrit pour lui une épaisse porte ferrée, et on lui fit prendre un couloir humide jusqu’à une cellule dotée de lourds barreaux, où il fut jeté.

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