XIII

Tibère monta l’escalier plus rapidement que d’habitude. Claude et Néron l’attendaient. Il était tard, ils n’avaient pas mangé, et ils avaient l’air assez ivres. Tibère claqua la porte, attrapa les deux bouteilles et les cassa contre l’appui de la fenêtre ouverte.

— Ce n’est pas le moment, imbéciles, dit-il.

— Tu aurais pu casser ça proprement, dit Néron. Tant pis. Est-ce qu’il y a du neuf ?

Tibère s’accroupit près de Claude et posa la main sur son épaule.

— Et lui ? dit-il. Comment va-t-il ?

— Il est saoul, dit Néron.

— Montre voir ta tête, dit Tibère.

Claude se tourna. Tibère l’examina et fit la moue.

— Il a pleuré toute la journée, c’est ça ?

— Il a réclamé son papa, dit Néron d’une voix molle.

— Et toi, cria Tibère, tu n’as rien imaginé de mieux que de le faire boire comme un trou pour le rendre encore plus triste ? C’est tout ce que tu as trouvé ?

Néron écarta les mains avec impuissance.

— Il a fait ça tout seul, tu sais.

— Tu as fait quelque chose d’utile aujourd’hui, au moins ? Tu as fait comme on a dit ?

— Parfaitement, Tibère. J’ai revêtu l’habit dégradant du légionnaire en maraude de taverne en taverne. J’ai pisté mes victimes de rue en rue. Et, quoique gros, je ne me suis pas fait repérer.

— Et alors ?

— Alors Ruggieri a envoyé deux hommes du côté du Vatican, et il ne s’est rien passé d’autre. Toi, tu as suivi l’envoyé spécial ?

— Oui. Pas trop de raisons de s’alarmer pour l’instant. Mais attention, le type a l’air intelligent. Très.

— Très ? dit Claude.

— Très.

— À quoi est-ce qu’il ressemble ?

Tibère haussa les épaules.

— Une espèce d’inflexible, dit-il, je ne sais pas… Je ne suis pas très calé en inflexibles. Entre quarante-cinq et cinquante ans. Sûrement dangereux. Je ne sais pas si on pourra tenir longtemps contre lui. Mais en théorie, ce type-là est venu pour empêcher les vagues, pas pour en faire. Claude, tu sais ce qu’on va faire de toi ?

— Je ne sais pas, murmura Claude. Dès que je parle, j’ai des larmes qui sortent. Qu’est-ce qu’on va faire de moi ?

— On va te faire grossir, suggéra Néron.

Tibère écarta du doigt les mèches mouillées qui collaient sur le front de Claude.

— On va te mettre debout, on va te faire magnifique et on va aller chercher Laura.

— Laura… c’est vrai. Elle arrive…

— Lève-toi, empereur. Arrange ta veste. Elle sera là dans une heure, elle aura sûrement besoin de toi.

— C’est certain, dit Néron.

Claude se regarda dans une glace, essuya son visage, serra sa cravate.

— Tibère, est-ce que je peux y aller seul, je veux dire, est-ce que je peux y aller sans toi ?

— Il n’est pas empereur pour rien, dit Néron avec un sourire en regardant Tibère. Il connaît les coups bas pour évincer les rivaux et les conspirateurs.

— La vie des conspirateurs connaît parfois des revers, répondit Tibère en s’allongeant sur le lit. File, Claude. Vas-y tout seul. Tu es très beau. Tes yeux brillent, tu es très beau.

Dès que la porte claqua derrière Claude, Tibère se releva sur un coude.

— Dis-moi, Néron, il a beaucoup pleuré ?

— Comme un veau.

— Qu’est-ce que tu penses de tout ça ?

— J’en pense du bien.

— Comment ça, du bien ?

— Tu devrais t’en douter, Tibère. Ça me plaît, toute cette turbulence pathétique, je n’y peux rien. Ça me fait plaisir, tu ne peux pas te figurer à quel point.

— Ça ne m’étonne pas de toi.

— Je ne le fais pas exprès. Je suis comme ça. Tiens, en ce moment, j’ai envie de battre des mains.

— Tâche de te contrôler.

— Trop tard, murmura Néron. La grande ciguë, sa tige fibreuse, tachée de rouge. C’est remarquable, tout de même.

Загрузка...