XXI

Richard Valence qui était sorti de sa chambre quelques heures plus tôt en pleine maîtrise de ses moyens s’exaspérait d’avoir perdu cette cohésion en si peu de temps. Il marchait vite. Cette crevure d’évêque raffiné et sa garce de protégée l’avaient mis en porte à faux, il le sentait. Il n’arrivait pas à retrouver exactement son aplomb. Comme lorsqu’on déplace un meuble très lourd et qu’on n’arrive plus ensuite à faire coïncider sa base avec ses marques laissées au sol. Ou comme lorsqu’on n’arrive plus à replier une chemise comme l’avait fait la vendeuse. Les plis du tissu sont là, bien marqués, on les suit, mais le résultat n’est plus parfait, il est personnel.

Si Tibère était passé par là maintenant, il n’aurait plus eu avec lui cette indulgence gratuite. Depuis le début de la soirée, il avait dû non seulement essuyer la gifle de ce jeune détraqué, mais ensuite affronter le mépris de cette fille et les discours hautains de son souteneur en soutane. Il était capable d’encaisser beaucoup avant de commencer à frémir, mais ce soir, il sentait qu’il n’en fallait pas plus. Il fallait qu’il mange, au fait, et qu’il dorme. Cela suffirait à rétablir le calme. Passer demain voir Ruggieri, déposer le rapport et attraper le premier train pour Milan. Attendre ensuite la réaction du ministre et aviser. Trouver un autre travail, sûrement. Son collègue Paul, si méticuleux, allait se bouffer tous les ongles en apprenant qu’il avait jeté la vérité à tous les vents. Pas grave, les ongles. Il ne fournirait d’excuse à personne. Il sentit brusquement ses jambes fléchir, et il s’appuya à un mur. Il avait faim, c’était certain.

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