XXV

Il faisait nuit et encore très chaud. Valence marchait lentement et le sol était imprécis. Néron l’avait fait beaucoup boire. Il avait rempli son verre sans relâche. C’était agréable, cette ville confuse qui tournait un peu autour de lui, pas trop, juste ce qu’il fallait. Dans les vitres sombres, Valence se voyait marcher, et il se trouvait grand, et surtout beau. Si l’évêque avait tué Laura hier soir, lui, Richard Valence, aurait dû continuer à être un type massif avec des yeux clairs. À quoi ça rime, des yeux clairs, si personne ne les regarde ?

— À rien, répondit-il à voix haute. Ça ne rime à rien.

Ensuite, il pensa qu’il devait être attentif s’il voulait trouver son chemin.

Il s’attendait à trouver Ruggieri encore au travail, bien qu’il fût presque minuit. Ruggieri était un bon travailleur. Il avait dû commencer à tout contrôler, à vérifier toutes les articulations techniques de l’affaire.

L’inspecteur était torse nu et passa une chemise pour recevoir Valence.

— J’ai commencé à tout contrôler, dit-il. Ça s’est bien passé comme on a dit. La ciguë pousse à foison dans le jardin du palais de l’évêque. Il dit qu’il a choisi cette plante pour Valhubert parce qu’il savait qu’elle donnait une mort douce. En revanche, pour Maria Verdi, c’était autre chose. Ça faisait tant d’années qu’elle l’exaspérait, alors forcément, le couteau, ça l’a soulagé.

— Qu’est-ce qu’il avait choisi pour Laura Valhubert ?

— La balle. Et puis aussi… ça.

Ruggieri fit le tour de son bureau et sortit une petite enveloppe d’un tiroir.

— Je ne devrais pas, ajouta-t-il.

Il hésita, retourna l’enveloppe entre ses doigts, et la glissa finalement dans la poche de Valence.

— De la part de Mgr Vitelli pour Laura Valhubert. Vous lui donnerez. Et pas un mot, s’il vous plaît.

— Je voudrais voir Tibère.

— Ah. C’est si urgent ?

— Ça l’est.

Ruggieri soupira et accompagna Valence jusqu’aux cellules. Tibère était assis dans le noir.

— Je t’attendais, Consul, dit-il.

— C’est terminé, Tibère. Monseigneur a tendu ses mains et on les lui a enfermées.

— Lorenzo a de belles mains, avec cette bague au doigt surtout. Il y a tant de gens qui l’ont embrassée. Tu te rends compte ? C’est beau, toute cette saleté.

— Bientôt, tu vas sortir d’ici. Laura se charge à sa façon d’arranger les choses. Dans quelques mois, tu seras dehors. Tu vas pouvoir remettre tes chaussures.

Valence se leva pour chercher la lumière.

— N’allume pas, dit Tibère. J’ai envie d’avoir les yeux dans le noir.

— Bon, dit Valence en se rasseyant.

— Est-ce que tu crois que Lorenzo m’aurait laissé pourrir en prison ?

— Oui.

— Tu as raison, soupira Tibère. Il faudra que j’aille le voir quand il y sera. On fera des traductions latines ensemble.

— Je ne sais pas si c’est une très bonne idée.

— Si. Est-ce que tu veux savoir pourquoi j’ai volé tous ces machins à la Vaticane ?

— Si tu veux.

— Parce que je voulais que Sainte-Conscience fasse quelque chose d’amusant dans sa vie. Et je te jure, Valence, je te jure qu’elle s’est bien amusée. Tu aurais dû voir son visage terrifié quand elle déposait ses petits paquets sous les tables. Elle adorait tous ces messages codés. D’accord elle est morte, mais elle s’est vraiment bien amusée. Il faut que je remette ces chaussures maintenant.

Tibère se leva, alluma, et se pencha sous son lit pour les attraper.

— Voilà, dit-il. Tu ne verras peut-être plus jamais mes pieds, Consul.

Valence sourit et lui souhaita bonne nuit.


Dehors, Laura et Néron l’attendaient. Valence traversa et s’approcha d’elle.

— J’ai oublié de l’embrasser pour toi, dit-il.

— Tu as eu raison, ça n’a pas de sens d’embrasser quelqu’un pour quelqu’un d’autre.

— Lorenzo te donne ça.

Laura déchira rapidement l’enveloppe.

— C’est sa bague, son anneau épiscopal. Il l’a fait couper.

— Il te le donne.

— Est-ce qu’il en a le droit ?

— Non.

Ils marchèrent tous les trois côte à côte un moment. Puis Néron s’arrêta brusquement au milieu de la rue.

— Dites-moi, monsieur Valence, pour combien de temps en a Tibère ?

— Six mois au pire.

Néron réfléchit un moment, immobile.

— Bien, conclut-il, en redressant la tête. Vous lui ferez dire qu’il ne doit s’inquiéter de rien.

Il tendit gravement la main à Valence, effleura les lèvres de Laura et s’éloigna d’un pas négligent.

— En son absence, dit-il sans se retourner, je saurai tenir l’Empire.

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