Chapitre XVI

Erain décrocha immédiatement et referma la porte de la cabine sur elle. Il était déjà huit heures et demie et elle commençait à neuf heures.

Rapidement, elle résuma les derniers développements de l’affaire Gene Shirak, soulignant que la solution était en vue. Le producteur avait repris un Navajo et mit au point un procédé pour sortir des USA le samedi suivant. Il fallait encore tenir quelques jours.

Ce ne fut pas l’avis de son correspondant à l’autre bout du pays. Gene Shirak était « brûlant », il fallait le liquider et le plus tôt serait le mieux. Erain avait sur place deux hommes qui l’aideraient.

La jeune Hongroise sortit de la cabine sans émotion. Cela faisait partie de son métier. De son vrai métier qu’elle aimait. Il ne lui appartenait pas de discuter les ordres. Tant pis si elle perdait le bénéfice de semaines d’efforts et d’un meurtre. La sécurité primait tout.

En mettant sa nouvelle Falcon en route, elle pensa que c’était quand même dommage, maintenant qu’elle avait tout mis au point. Mais les autres devaient avoir raison. Ils avaient toujours raison. C’est pour cela qu’elle était encore vivante et en liberté. Gene Shirak n’était plus sûr.

Le peu qu’il savait était suffisant pour causer de graves dommages.

Elle descendit Wilshire Boulevard, absorbée dans ses pensées. Il faudrait qu’elle se rachète un chemisier pour remplacer celui qu’elle avait été obligée de brûler après le meurtre de Jill.


* * *

— Gene Shirak est un iceberg, dit Albert Mann. C’est la petite partie visible d’un ensemble qui nous échappe complètement. Nous ne savons même pas ce qui le lie à cet ensemble. Le meurtre de Jill Rickbell est un accident de parcours, à mon avis, et n’a rien à faire avec la véritable affaire.

La conférence se tenait dans les bureaux du FBI. Une fois de plus l’affaire était au point mort, deux jours après la mort de Jill Rickbell. Le point de mire de l’affaire, Gene Shirak, étroitement surveillé par le FBI ne levait pas le petit doigt de travers.

Enfoncé dans un fauteuil trop confortable, Malko broyait du noir derrière ses lunettes. Il n’avait pu sauver ni Daphné ni « Darling » Jill. Pour la seconde, il était certain que Gene Shirak ne l’avait pas tuée. Le producteur, au moment où on égorgeait la jeune femme, avait un alibi inattaquable. Trop inattaquable, même.

— Aucun indice, demanda-t-il, pas d’empreintes ? Albert Mann secoua la tête.

— Rien. Le meurtre a été commis avec une absence complète de sensibilité. Il faut avoir les nerfs solides pour découper les carotides d’une fille avec des ciseaux et la laisser saigner à mort. C’est un crime de professionnel.

— Alors que faisons-nous ?

— Attendre. Nous ne pouvons pas arrêter Gene Shirak, nous ne possédons rien de solide contre lui.

Quelque chose échappait à Malko.

— Mais enfin, demanda-t-il, pourquoi Gene Shirak travaillerait-il contre ce pays ?

Albert Mann avoua.

— Nous n’en avons pas la moindre idée. De plus, tous les agents de l’Est que nous avons identifiés étaient des gens modestes avec de petits moyens.

— Gene Shirak est millionnaire. Je vois mal les serviteurs de l’Est s’accommodant d’un agent roulant en Rolls.

— Après tout, il est Américain. Bien sûr, il est arrivé de Hongrie, il y a vingt-sept ans. Mais nous ne pouvons pas soupçonner tous les émigrés. Ce pays en est plein. Il y a des quartiers entiers à New York où l’anglais n’est que la seconde langue…

Albert Mann conclut :

— J’ai peur que nos efforts ne soient inutiles, dit-il. Ces gens ne sont pas fous. Il y a eu trop de bavures. Ils vont tout stopper et recommencer ailleurs.

C’était la logique même.

La conférence était terminée. Un épais smog cachait le soleil au-dessus de Los Angeles et il faisait presque frais. Malko partit le premier, décidé à continuer quand même. Il fallait affoler Gene Shirak, s’attaquer à ses nerfs. Jusqu’à ce qu’il fasse une nouvelle erreur. Il avait déjà vu des durs céder à la pression nerveuse.


* * *

— M. Shirak n’est pas là. Il vient juste de partir. Je ne pense pas qu’il revienne aujourd’hui.

La secrétaire disait la vérité : la porte du grand bureau était ouverte et il était vide. Malko hésita. La fille le regardait avec un intérêt non dissimulé. Sa robe était relevée bien au-delà de ce qu’il est courant de trouver dans un bureau honnête… Et le sourire qui se mirait dans ses yeux dorés était un rien plus que commercial. Il décida d’en profiter.

— Toutes les secrétaires de Gene Shirak sont aussi jolies ? demanda-t-il.

— Je m’appelle Carrol et je suis la seule secrétaire de Gene Shirak, précisa la fille.

Malko se demanda comment elle tapait à la machine avec des ongles de trois centimètres, au vernis impeccable. Un petit transistor était posé près d’elle, branché sur KRLA. Elle s’étira, faisant saillir une poitrine pointue, sans soutien-gorge. Les instructions du patron, probablement. Malko se pencha sur le bureau et elle ne recula pas, offrant une bouche rouge et large.

Un journal jaune était étalé devant sa machine : Free Press. Le quotidien des Hippies, bourré de petites annonces offrant partenaires d’orgies, pédérastes, voyeurs, etc., et d’articles anticonformistes. Assez inattendu dans ce luxueux bureau.

— C’est vous qui lisez cela ?

Carrol eut une moue de ses ravissantes lèvres.

— M. Shirak l’a acheté. Je le regarde.

Elle était vraiment trop près. Leurs lèvres se touchèrent et elle noua ses bras autour du cou de Malko. Carrol embrassait comme dans les films avec une science un peu trop contrôlée.

Le buste écrasé par la machine, Malko se dégagea le premier et ses yeux retombèrent sur le journal. Quelque chose le faisait tiquer. La jupe de Carrol avait encore remonté, découvrant un slip noir. Gene Shirak devait avoir du mal à se concentrer avec une secrétaire pareille.

Soudain, il réalisa : le journal avait encore toutes ses pliures…

Carrol s’était levée et le regardait.

— Je suis ravi de ce que j’ai trouvé ici, dit-il. À bientôt.

— Bientôt, c’est quand ? dit Carrol. Vous pouvez me prendre à quatre heures.

Au propre et au figuré.

— J’essaierai, promit Malko, avant de disparaître.

En bas de l’immeuble, Malko trouva un jeune homme chevelu vendant le Free Press à l’arrêt de l’autobus. Cela lui coûta une dîme[18]. Il s’assit sur un banc et se plongea dans la page des petites annonces. Après avoir tout épluché, il n’en restait qu’une pouvant étayer l’hypothèse qu’il avait eue soudainement dans le bureau de Gene Shirak : dans la colonne « lost » réservée d’habitude aux parents cherchant à récupérer des « hippies ».

« Please contact your Dad, corner of Wilshire and Canon Phone booth 3-4 PM. »

Il bénit le tempérament brûlant de Carrol. Il y avait une cabine téléphonique un peu plus bas, au coin de Larrabee, Malko s’y précipita et appela Albert Mann.


* * *

Une camionnette des Pacific Téléphones était arrêtée sur Wilshire Boulevard, cent mètres avant l’intersection de Canon Drive. L’intérieur était un véritable laboratoire ambulant du FBI. Dans une des antennes sortant du toit, était dissimulé un micro directionnel pouvant saisir la voix d’un homme à cent mètres.

Un autre micro était placé dans la cabine téléphonique. Dans le parking du « Food Giant » qui faisait le coin, deux voitures radio du FBI étaient prêtes à intervenir. Trois autres véhicules dont deux conduits par des femmes croisaient dans les alentours, afin de parer à toute éventualité.

Deux pièces de l’immeuble faisant face à la cabine avaient été réquisitionnées en une heure. Derrière une des fenêtres, il y avait une caméra couleur, une noir et blanc, un Hasselblad avec un téléobjectif de 1 000.

La police de Beverly Hills avait l’ordre de n’intervenir sous aucun prétexte. Vingt-cinq agents du FBI avaient été mobilisés pour l’opération, dont six femmes. Un hélicoptère était prévu également pour le cas où les voitures perdraient la trace de Gene Shirak.

Malko se trouvait dans une Ford crème, dans le parking. Il espérait de tout son cœur que le gigantesque dispositif n’allait pas uniquement servir à capturer un hippie barbu.

Il était trois heures dix. L’important dispositif mis en place avait beau être invisible, on risquait toujours l’imprévisible pépin.

— Le voilà, annonça soudain la radio de bord. Il arrive par l’est sur Wilshire. Roule lentement.

Presque aussitôt, la Lincoln Mark III apparut au coin de Canon. Elle stoppa à quelques mètres de la cabine, devant la camionnette des « Pacific Téléphones ». Gene Shirak ne sortit pas. Mais, la glace électrique s’abaissa.

Malko retenait son souffle. Il avait eu raison !

Soudain, Gene Shirak sortit de la voiture et entra dans la cabine téléphonique. Le téléphone sonnait. La communication dura moins d’une minute. Sans se presser, Gene Shirak remonta et démarra. Aussitôt, une Oldsmobile sortit du parking, conduite par une femme en bigoudis : une agente du FBI.

Gene Shirak descendait Wilshire Boulevard sans se presser. Tout autour de lui, l’air grouillait de messages radio. L’ensemble du dispositif se déplaçait vers le sud avec lui.

— Il finira bien par rencontrer quelqu’un, dit Albert Mann qui conduisait la voiture de Malko. Son correspondant avait repéré la cabine à l’avance et pris le numéro. Classique. Il lui a donné un second rendez-vous. Il est quelque part, essayant de vérifier s’il n’est pas suivi.

La radio grésilla :

— …descend sur le Santa Monica Freeway. Passons voiture 7, je répète, voiture 7. Santa Monica Freeway, west. Vitesse cinquante-cinq miles. Over.

Le chauffeur accéléra.

— Nous allons rattraper le Freeway plus bas, avertit Albert Mann. C’est beaucoup plus facile de ne pas s’y faire remarquer.

Pendant dix minutes, la radio se tut. Dans la voiture les deux hommes étaient silencieux. La radio annonça de nouveau :

— Il a tourné à droite, dans la 3e Rue, très lentement. Semble chercher quelque chose.

Eux dévalaient le Freeway à quatre-vingt-dix miles à l’heure.

— Il s’arrête. Allume une cigarette, regarde sa montre, annonça la radio.

Malko respira. Avec un peu de chance, ils arriveraient à temps. Albert Mann sourit :

— L’endroit est relativement facile à surveiller puisque, à l’ouest, il y a la mer. Tout est bloqué dans un rayon d’un mille.

— Shirak est arrêté à dix mètres d’une cabine téléphonique, grésilla la radio.

La Ford crème jaillit de la courbe de Freeway et s’engagea dans la 3e Rue à son tour. C’était un quartier pauvre, presque entièrement habité par les Noirs, avec de vieilles maisons de bois, style « Californie 1930 ». Beaucoup d’entre elles étaient fermées, abandonnées, avec sur les minuscules pelouses, un écriteau : « À vendre. »

La 3e Rue courait parallèlement à la côte. La Lincoln de Gene Shirak était arrêtée près de l’embranchement menant au Pacific Océan Park, sorte de Luna-Park bâti sur pilotis, surplombant l’eau.

— Impossible de s’approcher plus près, avertit Albert Mann. Il pourrait nous apercevoir dans le rétroviseur. Et je crois que la chasse ne fait que commencer…

Ils se garèrent sur le trottoir opposé à celui de Shirak et attendirent.

Malko ne tenait pas en place. Sûr que Shirak avait rendez-vous avec l’assassin de Jill, il essayait de se persuader que rien ne pouvait arriver avec le dispositif mis en place par le FBI.


* * *

À cinq cents mètres de là, Erain attendait en buvant un Seven-up. Il n’y avait que quatre ou cinq clients dans la minable cafétéria.

Jusque-là, tout avait marché comme prévu. Gene Shirak ne se doutait de rien. C’était mieux ainsi. Erain Bulgra n’était pas cruelle. Elle avait souffert moralement de tuer Jill aussi sauvagement. Mais, prise par le temps, elle n’avait pas trouvé dans la maison d’autre instrument susceptible de lui servir.

Elle regarda sa montre. Gene Shirak avait largement eu le temps d’arriver. Mais elle se força à attendre encore cinq minutes. Excellent exercice pour les nerfs.


* * *

Gene Shirak fumait nerveusement. Le meurtre de Jill Rickbell était de trop. Il l’avait accepté parce qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Il avait peur. Que voulait encore lui demander Erain ? Elle avait convenu de ne plus le contacter que par l’intermédiaire du Free Press. Plus sûr que le téléphone.

À chaque minute, il s’attendait à voir débarquer le FBI ou la police. Il passait son temps à lire les journaux, cherchant à deviner entre les lignes ce que la police ne voulait pas dire. Les journaux concluaient à un crime de maniaque sexuel ou de rôdeur. Le malheureux Seymour avait passé les heures les plus désagréables de sa vie à expliquer pourquoi il avait loué une maison sous un faux nom.

Le Pacifique ondulait un peu plus loin. Il y avait déjà des gens sur la plage de Santa Monica. Brusquement, Gene Shirak eut envie d’aller gambader dans les vagues grises, au lieu d’attendre un peu plus d’angoisse.

Encore cinq minutes. Si seulement ce fichu téléphone pouvait sonner ! Il ne quittait pas la cabine des yeux comme si ses ondes avaient pu déclencher la sonnerie à distance. Pour tromper son attente, il mit sa radio en marche sur ondes courtes…

— …Il fume une cigarette, semble nerveux, ici voiture 3. Suis au coin 3e Rue et Ozone Avenue.

Gene Shirak resta paralysé de terreur. Il mit bien une demi-minute à réaliser qu’il s’agissait de lui. Souvent, il s’amusait à capter les messages de bateaux ou des voitures de police. Il crut avoir mal entendu, regarda dans son rétroviseur. Derrière lui, à cent mètres, une Plymouth grise était arrêtée contre le trottoir.

La voiture 3.

Le producteur eut un mal fou à ne pas ouvrir la portière et se sauver en courant. Il mit ses mains sur le volant, jetant sa cigarette, pour les empêcher de trembler.

Les pensées se catapultaient dans sa tête. Ainsi « elle » l’avait vendu. Ils l’attendaient pour l’arrêter. C’était fini. Les yeux fous, il regarda autour de lui. Il n’y avait que quelques vieux promeneurs.

Tout à coup, il entendit la sonnerie de la cabine. Il la regarda comme saint Antoine dut affronter la tentation dans le désert. On lui aurait présenté une pieuvre vivante à embrasser, il aurait été plus joyeux.

Lentement, comme s’il craignait de se faire remarquer, il poussa son levier de vitesse sur Drive et démarra, le front couvert d’une sueur glaciale.

Une vieille dame à chapeau à fleurs arrivait devant la cabine. Le téléphone sonnait toujours. Comme c’était une personne curieuse, elle entra dans la cabine et décrocha.


* * *

— Nom de Dieu, qu’est-ce qui se passe ? rugit Mann dans le micro.

Devant eux, la Mark III venait de démarrer et filait vers le nord.

La voix neutre de la voiture 3 répliqua aussitôt :

— Nous ignorons pour quelle raison il est parti. Nous ne pensons pas qu’il ait pu nous repérer.

Le téléphone sonne dans la cabine.

— Répondez, nom de Dieu, peut-être qu’ils ne connaissent pas sa voix.

Déjà Albert Mann appelait le dispatching.

— Attention, la Mark III vient de partir vers le nord. Qu’est-ce qui avait fait peur à Gene Shirak ?

Il n’était pas venu jusque-là pour démarrer comme un fou et ne pas répondre au téléphone qui sonnait. L’homme de la voiture 3 courait vers la cabine.


* * *

Le cœur d’Erain battait régulièrement. Le délai qu’elle s’était fixé expirait. Elle posa un dollar sur le comptoir et poussa la porte de la cafétéria. En face il y avait une cabine. Tranquillement, elle glissa une dîme dans la fente, attendit la tonalité et composa le numéro.

Dès que la sonnerie s’enclencha, elle mit la main dans son sac et sortit un objet métallique de la taille d’un paquet de cigarettes. Cela ressemblait au remote-control d’une télévision.

La sonnerie sonnait toujours. Erain fronça les sourcils, contrariée. Il aurait dû être là depuis au moins dix minutes. Elle se mit à compter les sonneries : quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze…

On décrocha.

Fermement, Erain appuya sur le bouton du couvercle de la petite boîte. Puis elle raccrocha, traversa la rue sans se presser et se glissa dans sa voiture.

Une minute plus tard, elle roulait sur Pico Boulevard, vers le nord, l’âme en paix.


* * *

La dame au chapeau à fleurs arriva la première à la cabine. Sans même voir l’homme du FBI qui courait, elle décrocha l’appareil. Le reste se passa si vite que personne ne sut vraiment ce qui arrivait.

Les parois vitrées volèrent en éclats. Plusieurs explosions rapprochées retentirent en chapelet. La vieille dame tituba comme sous l’empire de la boisson et s’effondra en petit tas au fond de la cabine, laissant une large tramée de sang sur la seule vitre encore intacte. Le récepteur pendait au bout de son cordon. L’agent du FBI plongea à plat ventre, tira son colt et désigna la façade d’une vieille maison de bois à la peinture blanche écaillée et aux stores fermés.

— Ça vient de là ! hurla-t-il.

La vieille dame ne bougeait plus. Les coups de feu avaient cessé. La 3e Rue s’était vidée, comme par miracle. Les Mexicains et les Noirs qui la peuplaient n’aimaient pas la police.

Dans la voiture, Malko jurait. Albert Mann était au bord de l’hystérie.

Les deux hommes jaillirent de la voiture et coururent vers la cabine téléphonique. En face, une des Ford du FBI stoppa en travers de la chaussée et dégorgea quatre hommes. Mais plus rien ne bougeait dans la petite maison d’où étaient partis les coups de feu.

Malko, dissimulé derrière une voiture en stationnement, scrutait les fenêtres de la villa. C’est une arme automatique de grande précision qui avait tiré, car toutes les balles avaient frappé la cabine.

— Attendez les autres, souffla Albert Mann, il est coincé.

En un temps qui ne parut pas à Malko supérieur à quelques secondes, deux motards surgirent de nulle part. Plusieurs sirènes se répondaient comme les voitures du FBI gagnaient le lieu de la fusillade : Deux minutes plus tard, plusieurs voitures bloquaient tous les carrefours autour du bloc, les feux rouges de leur toit tournant inlassablement et le son de leur sirène mourant lentement comme les policiers jaillissaient, certains armés de fusils.

Quelques curieux qui s’étaient rassemblés au coin d’Ozone Avenue furent hâtivement dispersés. Les policiers en civil et en uniforme couraient dans tous les sens.

L’agent du FBI qui se trouvait près de la cabine, rampa jusqu’à la porte et sortit le corps de la femme qu’il étendit sur le trottoir. Elle était morte, frappée de plusieurs balles dont l’une lui avait fait sauter la moitié de la tête.

Un des policiers, à l’aide d’un mégaphone, somma le tueur de se rendre. Aucune réponse. Protégés par des boucliers, trois policiers s’avancèrent sur la petite pelouse, parvinrent jusqu’à la porte, sans essuyer le moindre coup de feu. Malko suivit. Il ne comprenait pas comment le tueur s’était laissé coincer si facilement : il ne pouvait pas échapper, le bloc avant été cerné immédiatement.

Cela ne ressemblait pas à la prudence dont ses adversaires avaient fait preuve depuis le début de l’affaire.

En tout cas, Gene Shirak l’avait échappé belle. Sans le mystérieux avertissement qui l’avait fait fuir, il serait en ce moment étendu sur le trottoir à la place de la vieille dame. Malko traversa la 3e Rue en courant et s’accroupit près du mur de la villa. Une bonne vingtaine d’armes étaient braquées sur la façade.

Mais tout cela s’avéra inutile. Un grand sergent armé d’une mitraillette, faisant partie de la première vague à avoir pénétré dans la maison, ressortit et cria :

— Il s’est tiré !

Malko et son compagnon se précipitèrent, enfilèrent un escalier sentant le renfermé et surgirent dans une petite chambre. L’odeur âcre de la cordite flottait encore dans la pièce. Un groupe de policiers entouraient une étrange machine infernale.

Un fusil automatique M. 16 fixé sur un pied tripode de caméra. Les trois plaques avaient été vissées dans le plancher de bois, donnant une grande rigidité à l’ensemble. De l’extérieur, l’arme était dissimulée par les rideaux. Le canon n’avait pratiquement pas dévié le temps que le chargeur se vide.

Mais la partie la plus ingénieuse était le dispositif de mise à feu. Un système semblable à celui des détentes électriques de mitrailleuses de char ou d’avion était fixé le long du pontet du fusil automatique.

Il était déclenché par un émetteur de radio gros comme un paquet de cigarettes. Le tueur avait pu commander le tir, préréglé sur la cabine, en se trouvant à deux ou trois cents mètres. Très beau travail de professionnel.

Malko et Albert Mann se regardèrent, ils pensaient la même chose. Les agents du FBI commençaient à tout mesurer et à répandre partout de la poudre à empreintes.

— Je vais au bureau de Gene Shirak, dit Malko. Avant qu’ils ne le tuent pour de bon. Restez là au cas où on trouverait quelque chose d’intéressant. Vous savez où je suis.

Il ressortit. Une ambulance chargeait le corps de la vieille dame trop curieuse. Soudain, Malko apprécia le poids du 38 glissé dans sa ceinture. Les ennemis anonymes qu’il traquait ne faisaient pas de cadeaux. Dans une ville immense et complexe comme Los Angeles, c’était chercher une aiguille dans une botte de foin…

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