CERSEI

Une pluie froide tombait, qui donnait aux murs et aux murailles du Donjon Rouge une sombre couleur de sang coagulé. Sa main fermement emprisonnée dans la sienne, la reine régente faisait traverser à son royal fils la cour boueuse où les attendaient la litière et l’escorte. « Oncle Jaime avait pourtant dit que je pourrais monter mon cheval et jeter des liards aux petites gens, objecta le garçonnet.

— Tu as envie d’attraper une bronchite ? » Elle n’allait assurément pas courir un tel risque ; Tommen n’avait jamais eu la santé robuste de Joffrey. « Ton grand-père aurait souhaité te voir l’allure d’un véritable souverain pour sa veillée funèbre. Nous ne saurions nous présenter trempés comme soupe au Grand Septuaire et dépenaillés. » Il m’est déjà bien assez désagréable d’avoir à porter de nouveau des vêtements de deuil. Le noir n’avait jamais été une couleur seyante pour elle. Avec sa carnation de blonde, il lui donnait l’air d’être elle-même un cadavre. Et comme elle avait dû se lever une heure avant le point du jour pour prendre un bain et pour se coiffer, elle n’avait certes pas l’intention de laisser la pluie gâter toutes les peines qu’elle s’était imposées pour sa toilette.

Une fois monté dans la litière, Tommen se cala douillettement contre ses coussins et se mit à considérer la pluie qui s’acharnait au-dehors. « Les dieux pleurent la perte de Grand-Père. Lady Jocelyn assure que les gouttes de pluie sont leurs larmes.

— Jocelyn Swyft est une idiote. Si les dieux étaient capables de pleurer, ils n’auraient pas manqué de pleurer ton frère. La pluie est la pluie. Ferme donc le rideau avant qu’il n’en pénètre davantage. Cette pelisse est en zibeline, ça t’amuserait tellement de la laisser gâter ? »

Il obtempéra sans broncher. Tant de docilité la mit mal à l’aise. Un roi devait avoir de la trempe. Joffrey aurait discuté. Il ne s’en laissait pas imposer si facilement… « Ne te vautre pas de la sorte, reprit-elle. Tiens-toi assis de façon royale. Redresse-moi ces épaules, et remets-moi d’aplomb cette couronne. Tu veux qu’elle te dégringole du crâne en présence de tous tes plus nobles sujets ?

— Non, Mère. » Il rectifia son assise et fit de son mieux pour arrimer la couronne. Celle qu’il tenait de Joff était trop large pour lui. Il avait toujours eu tendance à être rondouillard, mais son visage semblait amaigri, maintenant. Est-ce qu’il mange de bon appétit ? Il faudrait qu’elle pense à questionner le maître d’hôtel sur ce chapitre. Elle ne pouvait pas se permettre le luxe de le laisser tomber gravement malade, alors que Myrcella se trouvait aux mains des Dorniens. Avec le temps, il remplira la couronne de Joff. D’ici-là, il lui en faudrait peut-être une plus étroite, une qui ne menace pas de lui enfourner le museau. Cersei se promit de régler cette affaire avec les orfèvres.

La litière descendait lentement les pentes du mont Aegon. En tête chevauchaient, montés sur des chevaux blancs, deux membres de la Garde, deux blancs chevaliers dans le dos desquels les blancs manteaux détrempés pendouillaient lamentablement. Derrière marchaient en couverture cinquante gardes Lannister vêtus d’écarlate et d’or.

Tommen aventura un œil entre les courtines. Les rues étaient étonnamment désertes. « Je croyais qu’il y aurait davantage de monde. A la mort de Père, toute la ville était dehors, à nous regarder passer.

— La pluie aura fait rentrer les gens. » Port-Réal n’avait jamais aimé lord Tywin. Il n’a jamais voulu d’amour, au demeurant. « L’amour, vois-tu, ça ne te nourrit pas, ça ne te permet pas d’acquérir un cheval, ça ne chauffe pas ta demeure par les nuits froides », l’avait-elle entendu dire à Jaime un jour, alors que ce dernier n’était pas plus vieux que Tommen.

Au Grand Septuaire de Baelor, dont les somptuosités marmoréennes couronnaient la colline de Visenya, le maigre attroupement des personnes venues assister aux obsèques faisait pâle figure auprès de la quantité de manteaux d’or que ser Addam Marpheux avait amassés sur la place. Il viendra davantage de monde après, se dit la reine pendant que ser Meryn Trant l’aidait à s’extirper de la litière. Seules devaient être admises à l’office du matin la haute noblesse et sa suite ; il y en aurait un autre l’après-midi pour le vulgaire, les prières du soir étant ouvertes à tous. En vertu de quoi Cersei se verrait contrainte de revenir, afin de permettre au menu peuple de contempler son deuil. La foule doit avoir sa représentation. C’était pour elle une damnée corvée. Elle avait des postes à garnir de titulaires, une guerre à gagner, un royaume à gouverner. Cela, son père l’aurait compris.

Le Grand Septon les accueillit au sommet des marches. C’était un vieillard rabougri, à fine barbe grise, et tellement voûté par le poids de ses robes surchargées de broderies qu’il avait les yeux à la hauteur des seins de la reine. Encore que sa tiare, une pièce montée aérienne en pampilles de cristal et en résille d’or, le grandissait d’un bon pied et demi.

Cette tiare, c’était lord Tywin qui la lui avait offerte en lieu et place de celle qui s’était perdue lorsque la populace avait massacré son imbécile de prédécesseur. On avait arraché de sa litière ce gros lard, puis on l’avait mis en pièces le jour même où Myrcella s’était embarquée à destination de Dorne. Celui-là n’était qu’un glouton grandiose et maniable à souhait. Celui-ci… Elle se ressouvint brusquement que le nouveau Grand Septon sortait tout droit de la fabrique de Tyrion. Semblable constatation n’était pas spécialement de nature à la rassurer.

La main tavelée du vieil homme ressemblait à une patte de volaille lorsqu’elle émergea d’une manche enrichie de rinceaux d’or et de minuscules cristaux. Cersei s’agenouilla sur le perron de marbre humide pour en baiser les doigts, tout en enjoignant à Tommen de procéder de même. Que sait-il de moi ? Jusqu’à quel point le nain l’a-t-il mis au courant ? Le Grand Septon la régala certes d’un sourire lorsqu’il l’entraîna vers l’intérieur, mais fallait-il voir là le sourire lourd d’insinuations menaçantes de quelqu’un qui n’ignore rien, ou tout bonnement le tic insignifiant de lèvres ridées par l’âge ? Rien ne permettait à la reine de se prononcer clair et net sur cette équivoque.

La main de Tommen dans la sienne, ils traversèrent à la suite du religieux la salle aux Lampes éclairée par des globes en verres multicolores sertis de plomb. Trant et Potaunoir les flanquaient, leurs manteaux détrempés dégoulinant si fort sur le dallage qu’ils y laissaient un sillage de petites flaques. Le Grand Septon marchait lentement, appuyé sur un bâton de bois de barral surmonté d’une sphère de cristal. Sept de Leurs Saintetés l’assistaient, chatoyantes de brocart d’argent. Tommen était vêtu de brocart d’or sous sa pelisse en zibeline, elle d’une vieille robe de velours noir bordée d’hermine. Le loisir lui avait manqué de s’en faire faire une neuve, et il lui était impossible de porter la même que pour Joffrey, tout autant que celle dont elle s’était parée pour les funérailles de Robert.

Au moins n’escomptera-t-on pas me voir m’affubler de deuil pour Tyrion. Je m’habillerai de soie écarlate et de brocart d’or en cette occasion, et je parsèmerai mes cheveux de rubis.Celui qui lui apporterait la tête du nain se verrait conférer la dignité de lord, avait-elle fait publier à cor et à cri, si basse que soit sa naissance et humble son état. Des corbeaux diffusaient sa promesse aux quatre coins des Sept Couronnes, et cette annonce aurait tôt fait de traverser le détroit, d’atteindre les neuf Cités libres et de se répandre au-delà dans tous les pays. Libre au Lutin de fuir aux extrémités de la terre, il ne saurait m’échapper de toute façon.

Le cortège royal franchit les portes intérieures pour accéder au cœur caverneux du Grand Septuaire avant de remonter l’une des vastes nefs qui se rejoignaient toutes sept au-dessous de la coupole. A droite et à gauche, les hautes et puissantes seigneuries conviées à la cérémonie s’agenouillèrent sur le passage de Sa Grâce et de Sa Majesté. Nombre des bannerets de Père se trouvaient là, mêlés à des chevaliers qui avaient livré bataille à ses côtés des dizaines de fois. Leur vue lui mit du baume au cœur et la rendit plus sûre d’elle-même. Je ne suis pas dénuée d’amis.

La dépouille de lord Tywin Lannister gisait sur un catafalque de marbre à degrés sous l’altière coupole de verre, d’or et de cristal du Grand Septuaire. Debout à son chevet veillait Jaime, son unique main valide reployée sur la poignée d’une grande épée dorée dont la pointe reposait sur le sol. Le manteau à capuchon qu’il portait était d’une blancheur immaculée de neige toute fraîche, et les écailles de son long haubert en nacre niellée d’or. Notre seigneur père aurait préféré lui voir arborer l’écarlate et or Lannister, songea-t-elle. Il enrageait toujours de le voir accoutré de blanc de pied en cap. Et, pour comble, Jaime se laissait repousser la barbe. Le chaume qui lui tapissait les joues et le menton donnait à sa physionomie un air revêche et malotru. Il aurait au moins pu attendre que les os de Père aient été ensevelis dans les entrailles du Roc.

Cersei fit gravir au roi trois courtes marches pour qu’il s’agenouille auprès du cadavre. Les yeux de Tommen étaient pleins de larmes. « Pleure en silence, lui intima-t-elle en se penchant sur lui. Tu es un roi, pas un petit braillard. Tes nobles sujets te regardent. » L’enfant épongea ses larmes d’un revers de main. S’il avait ses yeux à elle, vert émeraude, il les avait aussi grands et brillants que ceux de Jaime au même âge. Jaime avait été un garçonnet tellement mignon… Mais si terrible, aussi terrible que Joffrey, un authentique lionceau. La reine enlaça Tommen d’un bras maternel et déposa un baiser sur ses boucles d’or. Il va avoir besoin de moi pour lui apprendre à gouverner tout en le préservant de ses ennemis. Certains de ces derniers se tenaient autour d’eux, même à cette heure où ils affectaient d’être des amis.

Les sœurs silencieuses avaient armé lord Tywin comme pour le préparer à livrer une ultime bataille. Il portait sa plus belle plate, en acier massif émaillé d’écarlate sombre, insondable, avec des niellures d’or sur les gantelets, les jambières et le plastron. Ses rondelles d’or figuraient des échappées de soleil ; sur chacune de ses spallières était accroupie une lionne d’or ; un lion à fière crinière surmontait le grand heaume posé à côté de sa tête. La garde d’une longue épée dans un fourreau doré clouté de rubis lui barrait la poitrine, et ses mains gantées de maille dorée en étreignaient la poignée. Jusque dans la mort, ses traits conservent leur noblesse, songea-t-elle, bien que la bouche… Les commissures des lèvres de son père étaient retroussées, fût-ce de manière presque imperceptible, ce qui lui conférait un air vaguement amusé. Cela ne devrait pas être. Elle en imputa la faute à Pycelle ; son devoir aurait été de signaler aux sœurs silencieuses que lord Tywin Lannister ne souriait jamais. Le bougre est aussi inutile que des tétons sur une cuirasse. Ce sourire à peine ébauché faisait paraître lord Tywin moins redoutable, en quelque sorte. Cela, et le fait qu’il avait les paupières closes. Les yeux de Père, d’un vert pâle, presque translucide, et pailletés d’or, avaient toujours eu le pouvoir de vous désarçonner ; ses yeux étaient capables de voir en vous, ils étaient capables de sonder tout ce qu’il y avait de faiblesse, d’inanité, de laideur au fin fond de votre être. Lorsqu’il vous regardait, vous saviez à quoi vous en tenir.

Un souvenir lui revint insidieusement, celui des fêtes que le roi Aerys avait données quand elle était venue pour la première fois à la Cour, toute jeunette et aussi novice qu’un cabri de mai. Comme le vieux Merryweather, le Grand Argentier d’alors, proposait de les financer par une hausse des droits sur le vin, lord Rykker avait déclaré : « Si nous avons besoin d’or, Sa Majesté serait bien avisée d’installer lord Tywin sur son pot de chambre. » Aerys et ses lèche-bottes s’étaient esclaffés à qui mieux mieux de la bonne blague, cependant que Père se contentait de dévisager fixement Rykker par-dessus sa coupe. Les rires s’étaient éteints depuis longtemps que ce regard-là n’avait toujours pas lâché sa proie. Après s’être détourné, Rykker avait repris sa posture initiale et puis, croisant les yeux de Père, avait fait semblant de les ignorer, vidé une chope de bière avant de quitter finalement la place, cramoisi, vaincu par une paire de prunelles qui ne cillaient pas.

Les yeux de lord Tywin sont fermés pour jamais, maintenant, songea Cersei. C’est dorénavant mon regard à moi qui va faire flancher tout ce joli monde, et c’est le froncement de mes propres sourcils qu’on va devoir craindre. Moi aussi, je suis un lion.

Il faisait sombre, à l’intérieur du septuaire, avec ce jour si gris, dehors. Si la pluie s’interrompait jamais, les rayons du soleil viendraient frapper de biais les pampilles en cristal et environner le cadavre d’arcs-en-ciel. Le sire de Castral Roc en méritait, des arcs-en-ciel. Il avait été un grand homme. Mais ma grandeur surpassera la vôtre, Père. Dans mille ans d’ici, lorsque les mestres s’attacheront à écrire sur notre époque, votre seul titre mémorable demeurera d’avoir engendré la reine Cersei.

« Mère. » Tommen lui tirailla la manche. « Qu’est-ce que c’est qui sent si mauvais ? »

Messire mon père. « La mort. » Elle aussi la sentait ; un léger souffle de putréfaction qui lui donnait envie de friper le nez. Elle n’en tint aucun compte. Les sept septons en robes argentées se tenaient derrière le catafalque, conjurant le Père d’En Haut de juger lord Tywin en toute équité. Quand ils en eurent terminé, soixante-dix-sept septas se groupèrent devant l’autel de la Mère et entonnèrent un chant pour réclamer sa miséricorde en faveur du défunt. Tommen n’arrêtait plus pour lors de se tortiller, et les genoux de la reine elle-même s’étaient mis à lui faire mal. Elle jeta un coup d’œil vers Jaime. Il se tenait aussi immobile qu’une statue de marbre, et son regard refusait manifestement de croiser celui de sa sœur jumelle.

Sur les bancs était agenouillé leur oncle Kevan, les épaules affaissées, son fils auprès de lui. Lancel a plus mauvaise mine que Père. Il avait beau n’avoir que dix-sept ans, on lui en aurait volontiers donné soixante-dix, avec sa maigreur extrême, son teint gris, ses joues creuses, ses yeux caves et ses cheveux aussi blancs et cassants que de la craie. Comment Lancel peut-il faire encore partie des vivants quand Tywin Lannister est mort ? Les dieux ont-ils totalement perdu l’esprit ?

Lord Gyles toussait plus encore qu’à l’ordinaire, et il s’était engoncé le nez dans un carré de soie rouge. Il sent cette odeur, lui aussi. Le Grand Mestre Pycelle avait les paupières closes. S’il s’est endormi, je le ferai fouetter, je le jure ! Sur la droite du catafalque étaient agenouillés les Tyrell : le sire de Hautjardin, côte à côte avec sa hideuse mère et son insipide épouse, son Garlan de fils et sa Margaery de fille. La reine Margaery, se remémora-t-elle, ès qualités de veuve de Joff et de future de Tommen ; deux fois mariée mais jamais déflorée, disait-on, ce qui n’empêchait nullement Cersei de nourrir maints doutes ; et, décidément, ressemblant on ne peut plus à son frère, le Chevalier des Fleurs. Cersei se demanda si ces deux-là n’avaient pas d’autres choses en commun. Notre petite rose est entourée d’une flopée de dames d’atour et de compagnie, la nuit comme le jour. Elles se trouvaient là, d’ailleurs, pas loin d’une douzaine, pour l’escorter. Cersei scruta leurs physionomies, dévorée de curiosité. Laquelle d’entre elles est la plus froussarde, laquelle la plus dévergondée, laquelle la plus affamée de faveurs ? Laquelle a la langue la mieux pendue ? Il lui faudrait tâcher d’éclaircir tous ces détails-là…

Enfin, les chants cessèrent, à son immense soulagement. Les remugles émanant de la dépouille de son père semblaient s’être singulièrement corsés. La plus grande partie des personnes présentes avait la décence de se comporter comme si de rien n’était, mais Cersei surprit deux des cousines de Margaery à contorsionner leur petit nez Tyrell. Tandis qu’elle et Tommen redescendaient la nef, elle eut comme l’impression d’entendre quelqu’un marmotter « chiottes » et ricaner, mais, lorsqu’elle tourna la tête afin de repérer qui avait parlé, elle ne se vit en butte qu’à une mer de faces solennelles et de mines absentes. Jamais ils n’auraient osé persifler sur son compte lorsqu’il était encore de ce monde. Il leur aurait liquéfié les tripes d’un seul regard.

Une fois de retour dans la salle aux Lampes, l’assistance se mit à leur bourdonner autour, aussi drue qu’un essaim de mouches, chacun plus empressé que l’autre à la bassiner de vaines condoléances. Les jumeaux Redwyne baisèrent tous deux sa main, leur père lui bécota les joues. Hallyne le Pyromant lui promit qu’une main de flamme brûlerait dans le ciel au-dessus de la ville le jour où les os de son père partiraient pour l’ouest. Entre deux quintes, lord Gyles lui annonça avoir engagé un maître sculpteur sur pierre pour réaliser une statue de lord Tywin destinée à monter la garde pour l’éternité près de la porte du Lion. S’exhibant affublé d’un bandeau sur l’œil droit, ser Lambert Tournebaie lui fit le serment qu’il ne l’ôterait qu’après être parvenu à lui apporter la tête de son nain de frère.

Elle ne se fut pas plus tôt dérobée aux griffes de ce crétin qu’elle se retrouva coincée par lady Falyse de Castelfoyer et par l’époux d’icelle, ser Balmain Boulleau. « Dame ma mère supplie Votre Grâce d’agréer ses regrets, lui gargouilla Falyse. Lollys étant retenue alitée par le mal d’enfant, elle s’est sentie obligée de ne pas quitter son chevet. Elle vous conjure de lui pardonner, et m’a chargée de vous demander… Elle avait pour votre défunt père plus d’admiration que pour aucun homme au monde. Aussi son vœu le plus cher serait-il, si ma sœur devait accoucher d’un garçon, qu’il nous soit permis de le prénommer Tywin, si… si cela vous agrée. »

Cersei la considéra, suffoquée. « Votre gourde de sœur se fait violer par la moitié de Port-Réal, et Tanda se figure honorer le bâtard en le baptisant d’après messire mon père ? Je ne saurais me le figurer. »

Falyse tressauta en arrière comme si on l’avait giflée, mais son mari caressa simplement du pouce sa grosse moustache blonde. « C’est bien ce que j’avais dit moi-même à lady Tanda. Nous trouverons un nom plus… heu, mieux assorti pour le bâtard de Lollys, je vous en donne ma parole.

— Veillez-y. » Cersei fit un brusque quart de tour sous leur nez et les planta là. Tommen était tombé pour sa part entre les serres de Margaery Tyrell et de sa grand-mère, vit-elle alors. La reine des Epines était si courtaude qu’elle la prit une seconde pour un autre enfant. Mais elle n’eut pas le temps de courir arracher son fils à ce roncier de roses que la cohue la projeta face à son oncle. En s’entendant rappeler qu’ils devaient se retrouver plus tard, ser Kevan acquiesça d’un hochement las puis demanda la permission de prendre congé. Mais Lancel ne le suivit pas tout de suite. Il offrait littéralement l’image de l’homme qui a un pied dans la tombe. Mais est-il en train d’en sortir ou bien d’y descendre ?

Cersei se força à sourire. « Lancel… Comme je suis heureuse de te voir dans une forme tellement meilleure ! Mestre Ballabar nous apportait des nouvelles si désespérantes, nous craignions pour tes jours. Mais je t’aurais plutôt imaginé déjà en chemin pour entrer au plus vite en possession de ta seigneurie de Darry. » En guise de lot de consolation pour Kevan, Tywin avait en effet lordifié son neveu, au lendemain de la bataille de la Néra.

« Pas de sitôt. Des hors-la-loi occupent mon château. » Il parlait d’une voix aussi ténue que les trois brins de poil duveteux qui ornaient sa lèvre supérieure. Alors que ses cheveux avaient totalement blanchi, ce simulacre de moustache, lui, demeurait roussâtre. Il avait souvent captivé l’attention de Cersei pendant que son jouvenceau de cousin s’éreintait à la besogner consciencieusement. On dirait une trace de boue. Elle s’était complu naguère à menacer de l’en décrotter avec un chouïa de salive. « Les terres du Conflans ont besoin d’une poigne solide, à ce que prétend mon père. »

Quelle gâterie que la tienne pour ces malheureuses…, fut-elle tentée de lâcher. « Et tu dois aussi te marier. »

Une ombre maussade effleura la physionomie ravagée du jeune chevalier. « Une fille Frey, et pas de mon choix. Elle n’est même pas vierge. Veuve, demi-sang Darry. Mon père prétend que les origines maternelles de la future me faciliteront les choses avec les paysans, mais tous les paysans sont morts. » Il lui prit inopinément la main. « C’est cruel, Cersei. Votre Grâce connaît mon amour pour…

— … la maison Lannister, s’empressa-t-elle d’achever à sa place. Personne n’en saurait douter, Lancel. Puisse ta femme te donner des fils bien gaillards. » Mais tant vaudrait ne pas laisser son seigneur d’aïeul héberger les noces. « Je suis persuadée que tu vas te couvrir de gloire, à Darry. »

Il opina misérablement du chef. « Quand tout semblait indiquer que j’allais mourir, le Grand Septon a consenti à prier pour moi, sur les instances de mon père. C’est un homme de bien. » Ses yeux brillaient de larmes contenues, des yeux d’enfant dans un visage de vieillard. « Il dit que la Mère m’a épargné en vue de quelque pieux dessein qui me permette d’expier mes fautes. » Cersei se demanda de quelle manière il comptait expier, en ce qui la concernait. Le faire chevalier était déjà une fameuse bourde, mais baiser avec lui une bourde encore plus colossale. Lancel était un roseau débile, et sa dévotion toute neuve n’était nullement faite pour la charmer ; elle l’avait trouvé beaucoup plus drôle quand il s’échinait à vouloir être Jaime. Quels contes a bien pu faire au Grand Septon ce benêt bêlant ? Et sur l’oreiller, dans le noir, qu’ira-t-il conter à sa petite Frey ? S’il confessait avoir couché avec elle, oh là, elle se faisait fort d’essuyer l’orage. Les hommes, ça n’arrêtait pas de mentir, dès qu’ils abordaient le chapitre des femmes ; elle aurait beau jeu d’invoquer des rodomontades de petit puceau tourneboulé par sa beauté. En revanche, s’il se met à table à propos de Robert et de son vin corsé…

« Il ne saurait y avoir d’expiation parfaite que par l’intermédiaire de la prière, l’avisa-t-elle. De la prière silencieuse. » Et là-dessus, l’abandonnant à ce sujet de réflexion, elle se cuirassa de son mieux pour affronter l’armada Tyrell.

Margaery l’étreignit en sœur, ce qu’elle considéra comme outrecuidant, mais les lieux ne se prêtaient pas à une rebuffade. Lady Alerie et les cousines se contentèrent de lui baiser les doigts. Lady Graceford, qui était grosse à pleine ceinture, lui demanda la permission de baptiser l’enfant Lanna, si c’était une fille, ou bien Tywin, si c’était un garçon. Encore un ? faillit grogner la reine. Le royaume va être inondé de Tywin. Elle accorda son consentement le plus gracieusement qu’il lui fut possible, allant jusqu’à feindre le ravissement.

La seule à lui faire un réel plaisir fut lady Merryweather. « Votre Grâce, lui susurra-t-elle, avec les inflexions voluptueuses de sa patrie, Myr, j’ai fait parvenir un mot à mes amis de l’autre côté du détroit pour les prier d’arraisonner le Lutin sur-le-champ, s’il devait jamais s’aviser de montrer son horrible mufle dans les Cités libres…

— Vous avez beaucoup d’amis, là-bas ?

— A Myr, des quantités. A Lys aussi, de même qu’à Tyrosh. Des gens puissants. »

Cersei n’avait pas de peine à le croire. La Myrienne était assez excessivement belle pour cela, avec ses jambes longues et sa généreuse poitrine, l’olivâtre satiné de son teint, ses lèvres pulpeuses, ses immenses prunelles sombres et ses opulents cheveux noirs qui vous donnaient toujours l’impression qu’elle venait à l’instant même de sortir du lit. Elle fleure même le péché, à l’instar d’un lotus exotique.

« Lord Merryweather et moi n’avons qu’un seul et unique désir, servir Votre Grâce et le petit roi », ronronna l’Orientale, avec des œillades aussi languissamment éloquentes que le ventre de lady Graceford.

L’ambition la ronge, celle-là, et son seigneur d’époux conjugue la fierté avec la pauvreté. « Il nous faudra bavarder de nouveau, madame. Taena, n’est-ce pas ? Vous êtes extrêmement aimable. Je suis certaine que nous allons être de grandes amies. »

Après quoi lui fondit dessus le sire de Hautjardin.

Mace Tyrell avait beau ne compter qu’une petite dizaine d’années de plus qu’elle, Cersei le considérait plutôt comme un contemporain de son père que comme un homme de sa propre génération. Sans pouvoir tout à fait prétendre rivaliser pour la taille avec feu lord Tywin, il le surpassait toutefois pour la grosseur, étant trapu du coffre et plus encore du bedon. Ses cheveux étaient d’un ton châtain, mais il y avait dans sa barbe des mouchetures de gris et de blanc. Son visage virait volontiers au rouge. « Lord Tywin était un grand homme, un homme extraordinaire », lui déclara-t-il pesamment après l’avoir embrassée sur les deux joues. « Nous ne reverrons jamais son équivalent, j’en ai peur. »

Tu es justement en train de le regarder, butor, son équivalent, songea-t-elle. En la personne de sa propre fille, debout devant toi.

Mais, comme elle avait absolument besoin de Tyrell et de la puissance de Hautjardin pour maintenir Tommen sur son trône, elle se borna à répondre : « Il va laisser un vide immense. »

Tyrell lui mit une main sur l’épaule. « Il n’existe aucun homme au monde qui soit de taille à endosser l’armure de lord Tywin, voilà qui est évident. Néanmoins, le royaume poursuit sa route, et il doit être gouverné. S’il est rien que je puisse faire pour me rendre utile en ces heures sombres, qu’il suffise à Sa Grâce de le demander. »

Si vous avez si grande envie d’être la Main du Roi, messire, ayez le courage de le dire sans fioritures.La reine lui adressa un sourire. Qu’il lise là ce qu’il lui plaira. « Sans doute la présence de Sa Seigneurie est-elle exigée dans le Bief ?

— Mon fils Willos a les capacités requises », répondit-il, se gardant de saisir la perche parfaitement claire qu’elle lui tendait. « Sa jambe a beau être torse, il n’est pas dépourvu d’esprit. Pour sa part, son cadet Garlan aura tôt fait de s’emparer de Rubriant. A eux deux, c’est en bonnes mains que sera le Bief, s’il advient que je me trouve requis ailleurs. La gouvernance du royaume doit être prioritaire, se plaisait à dire lord Tywin. Et, à cet égard, je suis fort aise d’être porteur de bonnes nouvelles pour Votre Grâce. Mon oncle Garth accepte d’assumer l’office de Grand Argentier, conformément au vœu de votre père. Il a déjà pris la route de Villevieille pour s’y embarquer. Ses fils l’accompagneront. Lord Tywin avait évoqué l’éventualité de trouver des postes pour tous les deux. Peut-être au sein du Guet. »

Le sourire de la reine s’était si durement figé qu’elle appréhenda de s’en casser les dents. Garth la Brute au Conseil restreint, et ses deux bâtards dans les manteaux d’or… Les Tyrell s’imaginent-ils que je vais m’estimer satisfaite de leur servir tout bonnement le royaume sur un plateau doré ? Tant d’impudence lui coupait le souffle.

« Comme mon père avant moi, je n’ai eu qu’à me louer de Garth, en tant que lord Sénéchal, poursuivait cependant Tyrell. Littlefinger avait du flair pour l’or, je vous le concède, mais Garth, lui…

— Messire, le coupa Cersei, je crains qu’il n’y ait eu quelque méprise. J’ai personnellement prié lord Gyles Rosby de devenir notre nouveau Grand Argentier, et il m’a fait l’honneur d’y consentir. »

Mace la dévisagea, bouche bée. « Rosby ? Ce… tousseur ? Mais… Mais la cause était entendue, Votre Grâce… Garth est en route pour Villevieille…

— Mieux vaut dès lors expédier tout de suite un corbeau à lord Hightower et lui demander de veiller à ce que votre oncle ne s’embarque point. Nous serions horriblement fâchés de voir Garth braver les tempêtes d’automne pour rien du tout. » Elle y alla d’un sourire charmeur.

La nuque épaisse de Tyrell se mit à rougir. « Ceci… Messire votre père m’avait assuré… » Il commença à bafouiller.

Alors survint sa mère, et elle glissa un bras sous le sien. « Il semblerait que lord Tywin n’avait pas fait part de ses plans à notre régente, je ne puis deviner pourquoi. Tel étant néanmoins le cas, rien ne sert de sermonner Sa Grâce. Elle a tout à fait raison, tu dois écrire à lord Leyton avant que Garth ne prenne le bateau. Tu sais que la mer le rendra malade et ne fera qu’empirer sa pétomanie. » Lady Olenna régala Cersei d’une bonne risette édentée. « Vos chambres du Conseil jouiront d’une atmosphère plus suave avec lord Gyles, encore que moi, sauf votre respect, cette toux sempiternelle aurait tendance à distraire mon attention. Nous adorons tous le cher vieil oncle Garth, mais il est flatulent, c’est indéniable. Pour ma part, j’abhorre les odeurs fétides. » Son faciès fripé se fripa davantage encore. « Tenez, pour parler franc, mes narines ont été offusquées tout à l’heure par des bouffées fort déplaisantes, dans le septuaire sacré. Peut-être les aurez-vous senties vous-même, d’aventure ?

— Non, affirma froidement Cersei. Un parfum, vous dites ?

— Plutôt une puanteur.

— Ne seraient-ce pas vos roses automnales qui vous manqueraient ? Nous vous avons retenue ici beaucoup trop longtemps. » Plus tôt elle débarrasserait la Cour de lady Olenna, mieux cela vaudrait. Lord Tyrell n’hésiterait sans doute pas à détacher une bonne grosse palanquée de chevaliers pour assurer le rapatriement de son inestimable mère, et moins il y aurait d’épées Tyrell à Port-Réal, d’autant plus paisiblement se promettait de dormir la reine.

« J’ai la nostalgie des fragrances de Hautjardin, je l’avoue, repartit la vieille dame, mais il m’est naturellement impossible de partir avant d’avoir vu ma délicieuse Margaery mariée à votre exquis petit Tommen.

— J’attends ce jour avec tout autant d’impatience, lâcha Tyrell d’une voix tonnante. Lord Tywin et moi étions sur le point de fixer une date, au fait. Peut-être que vous et moi nous pourrions reprendre cette discussion, Votre Grâce ?

— Bientôt.

— Bientôt sera parfait, fit lady Olenna dans un reniflement. Pour l’heure, viens çà, Mace, que Sa Grâce ait enfin tout loisir de cuver son… chagrin. »

J’aurai ta peau, la vieille,se promit Cersei tandis que la reine des Epines s’éloignait en trottinant, flanquée de ses deux gardes colossaux, sept pieds de haut chacun, que ça l’amusait d’appeler Dextre et Senestre. Nous verrons quelle appétissante charogne tu fais, toi. Qu’elle fut deux fois plus futée que son milord de fils, cela vous crevait les yeux.

Après avoir soustrait Tommen aux assauts conjugués de Margaery et de ses cousines, la reine s’empressa vers les portes. Dehors, la pluie avait finalement cessé. La fraîcheur et la douceur de l’air embaumaient l’arrière-saison. Le petit retira sa couronne. « Remets-la », lui ordonna Cersei.

« La porter me fait mal au cou, gémit-il, mais en obéissant aussitôt. Est-ce que mes noces auront lieu bientôt ? Margaery dit qu’il nous suffira d’être mariés pour pouvoir nous rendre à Hautjardin.

— Il n’est pas question que tu ailles à Hautjardin, mais je te permets de regagner le château à cheval. » Elle fit approcher d’un geste ser Meryn Trant. « Amenez donc une monture pour Sa Majesté, et puis demandez à lord Gyles s’il voudrait bien me faire l’honneur de venir partager ma litière. » Les choses bougeant infiniment plus vite qu’elle ne l’avait escompté, il n’y avait pas une seconde à gaspiller.

La perspective d’une chevauchée enchanta Tommen, et lord Gyles n’eut garde de décliner une invitation dont tout l’honneur était pour lui… Mais, lorsque la reine le pria d’être son Grand Argentier, il fut pris d’un accès de toux si violent qu’elle appréhenda de l’en voir crever là, sur-le-champ. Cependant la Mère se montra miséricordieuse et Rosby finit en l’occurrence par se remettre suffisamment pour accepter l’offre et même pour commencer à tousser les noms de gens qu’il voulait remplacer, tant agents des douanes et régisseurs des laines nommés par Littlefinger, allant jusqu’à leur adjoindre un des garde-clefs.

« Appelez la vache comme il vous plaira, du moment qu’elle donne à flots. Et puis s’il advenait que l’on soulève la question, votre entrée au Conseil date d’hier.

— D’hi… » Une quinte le plia en deux. « D’hier. Certainement. » Lord Gyles s’étouffa dans son éternel carré de soie rouge, présumé cacher qu’il crachait du sang. Cersei affecta ne s’être aperçue de rien.

A sa mort, je déterrerai quelqu’un d’autre.Il n’était pas impossible qu’elle rappelle Littlefinger. Elle n’arrivait pas à imaginer le Val tolérer beaucoup plus longtemps Petyr Baelish dans le rôle de lord Protecteur, à présent que Lysa Arryn était morte. Les seigneurs locaux s’agitaient déjà, s’il fallait en croire Pycelle. Une fois qu’ils lui auront arraché la tutelle de ce maudit mioche, c’est à quatre pattes et la queue entre les jambes que messire Petyr nous reviendra.

« Votre Grâce ? » Lord Gyles toussa, se tamponna la bouche. « Me serait-il permis… » Il toussa de nouveau. « … de demander qui… » De nouvelles quintes en série le secouèrent. « … qui va être la Main du Roi ?

— Mon oncle », répondit-elle d’un air absent.

Ce lui fut un soulagement que de voir enfin s’ouvrir largement devant elle les immenses portes du Donjon Rouge. Après s’être déchargée de son soin sur les écuyers personnels de Tommen, elle se hâta de se retirer dans ses propres appartements, trop aise de prendre un peu de repos.

Or, à peine s’était-elle débarrassée de ses chaussures que Jocelyn entra timidement annoncer que Qyburn était dans l’antichambre et sollicitait une audience. « Introduis-le », commanda-t-elle. Point de répit pour qui gouverne.

En dépit de son âge, Qyburn avait encore plus de cendre que de neige dans les cheveux, et les plis rieurs qui cernaient sa bouche lui donnaient l’air d’être le pépé gâteau de quelque fillette. Mais un grand-père plutôt débraillé. Le collet de sa robe était élimé, l’une de ses manches avait été déchirée et recousue à la diable. « Il me faut demander humblement pardon à Votre Grâce pour mon aspect, dit-il. Je suis descendu dans les cachots mener mon enquête sur l’évasion du Lutin, conformément à vos ordres.

— Et qu’avez-vous trouvé ? s’enquit-elle.

— La nuit où lord Varys et votre frère ont disparu, un troisième homme s’est également volatilisé.

— En effet, le geôlier. Qu’en est-il de lui ?

— Rugen, il s’appelait. En tant que sous-geôlier, il avait la charge des oubliettes. Le sous-geôlier chef le décrit corpulent, barbu, cordial comme un ours. Il tenait son poste du vieux roi, Aerys, et allait et venait à sa guise. Les oubliettes n’ont guère eu d’occupants, ces dernières années. Les autres gardiens avaient peur de lui, semble-t-il, mais aucun ne savait grand-chose à son sujet. Il n’avait pas d’amis, pas de parentèle. Il ne buvait pas non plus ni ne fréquentait les bordels. La cellule lui servant de chambre était humide et sinistre, et moisie la paille sur laquelle il dormait. Son pot de chambre débordait.

— Je sais tout cela. » Jaime avait procédé à un examen des lieux, et les manteaux d’or de ser Addam s’y étaient eux-mêmes livrés une seconde fois.

« Mouais, Votre Grâce, fit Qyburn, mais saviez-vous qu’il y avait, sous ce pot de chambre pestilentiel, une dalle descellée qui ouvrait sur un petit espace creux ? Le genre d’endroit où l’on pourrait dissimuler des objets de valeur si l’on désirait s’épargner le risque de leur découverte ?

— Des objets de valeur ? »" Voilà qui était nouveau. « De l’argent, vous voulez dire ? » Elle avait constamment soupçonné Tyrion d’avoir va savoir comment soudoyé son geôlier.

« Sans l’ombre d’un doute. Certes, la cache était vide quand je l’ai trouvée. En prenant la fuite, Rugen a dû emporter son magot mal acquis. Mais alors que je me tenais à croupetons, ma torche en main, au bord du trou, j’y vis luire quelque chose et, à force de gratter la terre, j’en extirpai ceci. » Il ouvrit son poing. « Une pièce d’or. »

D’or, oui, mais dès la seconde où elle la prit, Cersei eut la certitude que quelque chose clochait. Trop petite, songea-t-elle, trop mince. La pièce était vieille et usée. Sur l’une des faces figurait un chef royal, de profil, sur l’autre une empreinte de main. « Ce n’est pas un dragon, dit-elle.

— Non, convint Qyburn. Elle date d’avant la Conquête, Votre Grâce. Le roi est Garth XII, et la main l’emblème de la maison Jardinier. »

De Hautjardin. Cersei resserra sa main sur la pièce. Qu’est-ce que c’est que cette filouterie ? Mace Tyrell avait fait partie du tribunal chargé de juger Tyrion, et il s’était hautement prononcé pour la peine de mort. Etait-ce quelque stratagème ? Se pourrait-il qu’il ait sans arrêt comploté avec le Lutin, conspiré à la mort de Père ? Une fois Tywin Lannister au tombeau, lord Tyrell possédait à l’évidence tous les atouts requis pour être choisi comme Main du Roi, mais, malgré cela… « Vous ne soufflerez mot de ceci à qui que ce soit, intima-t-elle au mestre déchu.

— Votre Grâce peut se fier à ma discrétion. Quiconque chevauche en compagnie de mercenaires apprend à tenir sa langue, sans quoi il ne la garde pas longtemps.

— En ma compagnie également. » La reine mit la pièce de côté. Elle y réfléchirait plus tard. « Et l’autre chapitre ?

— Ser Gregor ? » Qyburn haussa les épaules. « Je l’ai examiné, selon vos ordres. Le poison utilisé pour la pique de la Vipère Rouge était du venin de mandragore en provenance de l’est, j’en mettrais ma tête à couper.

— Pycelle affirme que non. Il a conté à messire mon père que le venin de mandragore tuait dès l’instant même où il atteignait le cœur.

— Et c’est parfaitement exact. Mais, en l’espèce, ce venin a été en quelque sorte épaissi, de manière à bien prolonger l’agonie de la Montagne.

— Epaissi ? Epaissi comment ? Avec quelque autre substance ?

— Rien n’interdit de penser qu’il en ait été comme Votre Grâce le suggère mais, dans la plupart des cas, couper un poison n’aboutit qu’à réduire sa puissance. Il n’y aurait rien d’impossible à ce que la cause soit moins… disons, moins naturelle. Magique, je serais d’avis. »

Est-il aussi délirant que Pycelle ?« Ainsi, vous comptez me faire accroire que la Montagne se meurt de je ne sais quel ténébreux ensorcellement ? »

Qyburn ignora le ton railleur de Cersei. « Il est en train de mourir du venin, mais lentement, et dans des tortures d’un suprême raffinement. Tous les efforts que j’ai pu faire afin d’adoucir son martyre se sont révélés aussi vains que ceux de Pycelle. Ser Gregor est désormais par trop accoutumé au pavot, je crains. Son écuyer me raconte qu’il est en proie à des migraines atroces, et qu’il ingurgite souvent plus de lait de pavot qu’un individu ordinaire ne s’imbibe de bière. En tout état de cause, ses veines sont devenues noires de la tête aux pieds, son urine est troublée de pus, et la voracité du venin a creusé dans son flanc un trou gros comme mon poing. A parler sans détours, c’est un véritable miracle qu’il soit encore en vie.

— Sa taille, suggéra-t-elle, les sourcils froncés. Gregor est quelqu’un de vraiment colossal. Et de colossalement stupide aussi. Stupide au point de ne pas seulement concevoir quand il ferait mieux de mourir, à ce qu’il paraît. » Elle tendit sa coupe, et Senelle la lui remplit une fois de plus. « Ses hurlements terrifient Tommen. Une nuit, ils ont notoirement réussi à m’empêcher de fermer l’œil. Il serait plus que temps, je trouve, que nous fassions intervenir Ilyn Payne.

— Sa Grâce verrait-Elle un inconvénient à ce que je transfère plutôt ser Gregor dans les cachots ? susurra Qyburn. Une fois là, il ne risquera plus de troubler votre sommeil par ses beuglements, et je serai mieux en mesure pour ma part de le soigner en toute liberté.

— Le soigner ? » Elle se mit à rire. « Autant laisser ser Ilyn le soigner lui-même !

— Soit, si tel est le bon plaisir de Votre Grâce, répliqua-t-il, mais ce poison… Il serait utile d’en savoir davantage en ce qui le concerne, non ? Pour tuer un chevalier, dépêche un chevalier, et un archer pour tuer un archer, se plaît à conseiller l’adage populaire. Pour combattre la magie noire… » Au lieu d’achever sa pensée, il se contenta d’adresser un sourire à la reine.

Il n’est pas un Pycelle, ça, c’est flagrant.Elle s’efforça de l’évaluer, troublée. « Pour quel motif la Citadelle vous a-t-elle retiré votre chaîne ?

— Les archimestres sont tous des pleutres, au fond. Des moutons gris, comme les qualifie Marwyn. J’étais un guérisseur aussi brillant qu’Ebrose, mais j’aspirais à le surpasser. Pendant des centaines d’années, les hommes de la Citadelle ont disséqué les corps des macchabées pour étudier l’essence de la vie. Moi, comme je souhaitais pénétrer l’essence de la mort, j’ai disséqué les corps des gens en vie. C’est en raison de ce crime que les moutons gris m’ont frappé d’indignité et contraint à l’exil. Mais je connais l’essence de la vie et de la mort mieux que n’importe lequel de nos beaux sieurs de Villevieille.

— Ah bon ? » Cela l’intrigua. « Parfait. La Montagne est à vous. Faites-en ce que vous voudrez, mais livrez-vous à vos études exclusivement dans les oubliettes. Quand il mourra, apportez-moi sa tête. Mon père l’a promise à Dorne. Le prince Doran préférerait sans doute se charger lui-même de tuer Gregor mais, en ce bas monde, le sort impose à chacun d’entre nous certains désappointements.

—Votre Grâce sera obéie. » Qyburn s’éclaircit la gorge. « Je ne suis pas toutefois aussi bien pourvu que Pycelle. Il va me falloir me procurer certains équi…

— Je commanderai moi-même à lord Gyles de vous fournir autant d’or qu’il vous sera besoin. Achetez-vous des robes neuves par la même occasion. On jurerait à vous voir que vous remontez tout juste d’une maraude à Culpucier. » Elle le fixa dans les yeux, soucieuse de déterminer jusqu’à quel point elle allait bien oser lui faire confiance. « Est-il indispensable que je précise qu’il vous en cuira si quoi que ce soit de vos… travaux… transpire en dehors de ces quatre murs ?

— Nenni, Votre Grâce. » Il lui faufila un sourire des plus rassurants. « Avec moi, vos secrets sont en sécurité. »

Après qu’il se fut retiré, Cersei se servit elle-même une coupe de vin corsé qu’elle alla siroter près de la fenêtre, les yeux attachés sur les ombres qui s’allongeaient dans la cour, tout en repensant à la pièce d’or. Originaire du Bief. Comment diable est-ce qu’un sous-geôlier de Port-Réal se trouverait en possession d’une pièce d’or originaire du Bief, à moins qu’on ne l’ait payé pour prêter la main à la mise en œuvre du meurtre de Père ?

Quelque effort qu’elle fît, il lui était comme impossible de se remémorer le visage de lord Tywin sans y voir flotter cet imperceptible demi-sourire dérisoire et sans être obsédée par l’odeur pestilentielle qui se dégageait du cadavre. Elle se demanda si Tyrion n’y était pas pour quelque chose, encore une fois. C’est cruel et petit, comme lui. Se pouvait-il qu’il eût fait de Pycelle son homme de main ? Il avait fourré le vieux dans les oubliettes, et les oubliettes, c’est ce fameux Rugen qui en avait la charge, se souvint-elle. Tous les fils de l’affaire étaient enchevêtrés, noués, brouillés d’une manière qui ne lui disait rien qui vaille. Et ce Grand Septon ? Encore une créature de Tyrion, lui souffla tout à coup sa mémoire, et c’est à ses soins que la malheureuse dépouille de Père a été confiée depuis la nuit jusqu’au matin…

Le soleil se couchait quand Oncle Kevan se présenta ponctuellement, revêtu d’un doublet de laine anthracite aussi pimpant que sa physionomie. A l’instar de tous les Lannister, il avait le teint clair et les cheveux blonds, même si ses cinquante-cinq ans ne lui laissaient plus grand-chose de ces derniers. Nul ne se serait jamais avisé de le juger beau. Avec sa taille épaisse et ses épaules en berne, son menton prognathe et carré qu’une barbe jaune coupée court ne contribuait guère à camoufler, Cersei lui trouvait toujours l’allure d’un vieux molosse. Mais un vieux molosse fidèle, voilà précisément ce qu’elle cherchait.

Ils soupèrent en toute simplicité de betteraves, de pain et de bœuf saignant qu’une carafe de rouge de Dorne leur servit à arroser. Ser Kevan se montra des plus laconiques, et c’est tout juste s’il toucha à sa coupe de vin. Il cafarde franchement trop, décida-t-elle. Il faut l’atteler à la tâche pour l’empêcher de ruminer son deuil.

Aussi s’en ouvrit-elle sans ambages, aussitôt que l’on eut achevé de desservir la table et que les serviteurs se furent esquivés. « Je sais à quel point Père se reposait sur vous, Oncle. A moi désormais d’en faire autant.

— Tu as besoin d’une Main, rétorqua-t-il, et Jaime t’a envoyée paître. »

Il joue les pète-sec. Très bien.« Jaime… Je me sentais tellement perdue, sous le choc de la mort de Père, à peine savais-je ce que je disais. Tout brave qu’il est, Jaime, soyons francs, manque un peu de cervelle. Il faut à Tommen quelqu’un de plus expérimenté. Quelqu’un de plus âgé…

— Mace Tyrell est plus âgé. »

Les narines de Cersei se dilatèrent. « Jamais. » Elle repoussa une mèche qui lui balayait le front. « Les Tyrell se haussent beaucoup trop le col.

— Tu serais folle de prendre Mace Tyrell pour te servir de Main, admit ser Kevan, mais tu serais infiniment plus folle de t’en faire un ennemi. J’ai eu vent de ce qui s’est passé dans la salle aux Lampes. Mace aurait dû se garder comme de la peste d’aborder des sujets pareils en public, mais il n’empêche, tu as été toi-même bien malavisée de l’humilier comme tu l’as fait devant la moitié de la Cour.

— Plutôt cela que de supporter un second Tyrell au Conseil. » Le reproche l’avait piquée au vif. « Rosby fera un Grand Argentier tout à fait idoine. Vous avez vu ses chevaux, et cette litière qu’il a, toute en sculptures et draperies de soie. Ses bêtes sont mieux vêtues que la plupart des chevaliers. Un pareil richard ne devrait pas avoir de peine à dénicher de l’or. Quant au poste de Main… Qui trouver de mieux pour achever l’œuvre de Père que le frère qui a pris part à chacune de ses décisions ?

— Tout homme a besoin de quelqu’un en qui se fier. Tywin décela ce quelqu’un en moi, comme il avait fait jadis en ta mère.

— Il l’aimait passionnément. » La putain crevée dans son lit, Cersei refusa d’y penser. « Je sais qu’ils sont à présent réunis.

— J’en prie les dieux. » Ser Kevan la considéra longuement avant de reprendre : « Tu me demandes gros, Cersei.

— Pas plus que ne faisait mon père.

— Je suis fatigué. » Il s’empara de sa coupe et y lampa une gorgée de vin. « J’ai une femme que je n’ai pas vue depuis deux ans, j’ai un fils mort à pleurer, j’en ai un autre sur le point de se marier et d’assumer une seigneurie. Les fortifications de Darry-le-Château doivent être relevées, ses domaines protégés, ses champs incendiés de nouveau labourés et semés. Lancel ne saurait se passer de mon aide.

— Tommen non plus. » Cersei ne s’était pas attendue à ce que Kevan se fasse prier. Il n’a jamais joué les saintes nitouches avec Père. « Le royaume a besoin de vous.

— Le royaume. Mmmouais. Et la maison Lannister. » Il se remit à siroter son vin. « Soit. Je resterai pour servir Sa Majesté…

— Quel bonheur ! je… », commença-t-elle à dire, mais ser Kevan piétina la suite de sa phrase en fonçant tête basse et en haussant le ton.

« … dans la mesure où tu m’appelleras à la régence tout en m’accordant le titre de Main, et où tu te retireras toi-même à Castral Roc. »

L’espace d’un clin d’œil, Cersei en fut réduite à le fixer d’un air ahuri. Qu’est-ce qu’il a dit ? « C’est moi qui suis régente, lui rappela-t-elle.

— Tu l’étais. Tywin était bien résolu à ne plus te laisser tenir cet emploi. Il m’a confié ce qu’il projetait de faire : te renvoyer au Roc et te trouver un nouvel époux. »

Cersei sentit la colère monter en elle. « Il parlait, en effet, dans ce sens. Et je lui ai déclaré, moi, que je n’avais aucune envie de me remarier. »

Oncle Kevan resta imperturbable. « Si tu te montres résolument opposée à une nouvelle union, je ne te contraindrai pas à la subir. Mais sur l’autre point, en revanche… Te voici la dame et maîtresse de Castral Roc. Ta place est là-bas. »

De quel front osez-vous… ?fut-elle tentée de glapir. Au lieu de quoi : « Je suis également la reine Régente, déclara-t-elle. Ma place est avec mon fils.

— Ton père était d’avis que non.

— Mon père est mort.

— A mon grand chagrin, et pour le malheur de tout le royaume. Ouvre les yeux, et regarde autour de toi, Cersei. Le royaume est en ruine. Tywin aurait pu réussir à remettre les choses d’aplomb, mais…

— Je remettrai les choses d’aplomb ! » s’exclama-t-elle, avant d’ajouter, d’un ton radouci : « Avec votre aide, Oncle. Si vous voulez bien me servir avec autant de loyauté que vous serviez mon père…

— Tu n’es pas ton père. Et Tywin a toujours considéré Jaime comme son légitime héritier.

— Jaime… Jaime a prononcé des vœux. Jaime ne pense jamais, il se rit de toutes choses et de tout le monde et dit tout ce qui lui traverse la cervelle. Jaime est un superbe imbécile.

— Et tu n’en as pas moins jeté ton dévolu sur lui tout le premier pour l’office de Main du Roi. Qu’est-ce que cela fait de toi-même, Cersei ?

— Je vous l’ai déjà dit, j’étais malade de chagrin, je ne pensais pas…

— Non, convint ser Kevan, tu ne pensais pas. Et voilà justement pourquoi tu devrais retourner à Castral Roc en laissant le roi en compagnie de ceux qui le font.

— Le roi est mon fils ! » Cersei se dressa d’un bond.

« Ouais, fit son oncle, et d’après ce que j’ai pu voir de Joffrey, tu as autant d’inaptitude au rôle de mère qu’au rôle de gouvernante. »

De rage, Cersei lui balança en pleine figure le contenu de sa coupe de vin.

Ser Kevan se leva pesamment d’un air digne. « Votre Grâce. » Le vin dégoulinait le long de ses joues et dégouttait des picots de sa barbe courte. « Avec votre agrément, me serait-il permis de prendre congé ?

— De quel droit vous autorisez-vous à me dicter des conditions ? Vous n’êtes rien de plus que l’un des chevaliers de la maisonnée de mon père.

— Je ne possède aucun fief, c’est exact. Mais je ne suis pas dépourvu de revenus, et j’ai mis de côté des cassettes d’argent. A sa mort, mon propre père n’a omis de doter aucun de ses enfants, et Tywin savait récompenser quiconque le secondait bien. Je nourris deux cents chevaliers, et je suis en mesure de doubler ce nombre en cas de nécessité. Il est des francs-coureurs qui suivront volontiers ma bannière, et l’or ne me fait point défaut pour louer les services de mercenaires. Il serait sage à Votre Grâce de ne me point traiter à la légère… Et plus sage encore d’éviter de se faire un ennemi de moi.

— Etes-vous en train de me menacer ?

— Je suis en train de vous conseiller.

— Je devrais vous faire jeter dans une oubliette.

— Non. Vous devriez vous démettre de la régence en ma faveur. Comme vous n’en ferez rien, nommez-moi gouverneur de votre Castral Roc, et choisissez pour Main du Roi soit Mathis Rowan, soit Randyll Tarly. »

Des bannerets Tyrell, tous les deux.La suggestion la laissa sans voix. Est-il acheté ? se demanda-t-elle. A-t-il accepté l’or Tyrell pour trahir la maison Lannister ?

« Mathis Rowan est intelligent, prudent, fort apprécié, poursuivit son oncle en toute inconscience. Randyll Tarly est le plus fin soldat des Sept Couronnes. Il ferait une Main pitoyable en temps de paix mais, Tywin disparu, il est l’homme idéal pour en finir avec cette guerre. Lord Tyrell ne peut pas s’offusquer de vous voir choisir pour Main l’un de ses propres vassaux. Rowan et Tarly sont l’un et l’autre des gens capables et loyaux. Nommez n’importe lequel d’entre eux, et vous en faites un homme à vous. Vous renforcez par là votre position tout en affaiblissant celle de Hautjardin, et pourtant Mace ne manquera probablement pas de vous en savoir gré. » Il haussa les épaules. « Voilà ce que je vous conseille, tenez-en compte ou pas. Libre à vous de vous affubler de Lunarion pour Main, cela m’est éperdument égal. Mon frère est mort, femme. Je vais le ramener à la maison. »

Traître, songea-t-elle. Tourne-casaque. Elle se demanda combien lui avait donné Mace Tyrell. « Ce serait là vouloir abandonner votre roi lorsqu’il a le plus pressant besoin de vous, dit-elle. Ce serait là vouloir abandonner Tommen délibérément.

— Tommen a sa mère. » Les yeux verts de ser Kevan affrontèrent sans ciller ceux de sa nièce. Une dernière larme de vin qui tremblotait en scintillant, tel un rubis liquide, sous son menton, finit par se décrocher. « Ouais, sa mère, reprit-il d’un ton de confidence, après une pause, et, je présume, son père aussi… »

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