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Tout avait commencé pour Macha Loven quelques mois auparavant, exactement lorsqu’elle était revenue de ses vacances en Israël où habitait la sœur de sa mère. Fin juillet elle avait repris son travail mais gardait encore en mémoire les souvenirs très frais de son séjour à Tel-Aviv. Des longues discussions avec son oncle par alliance qui était chef de cabinet dans le ministère de l’Économie et s’occupait du commerce extérieur.

— Tu dois souvent voir passer des ordres de paiement, lui dit-il, puisque nous utilisons les services du S.W.I.F.T… Nos échanges avec l’Italie sont moyennement importants.

— Je vois très souvent passer des ordres en effet, dit-elle sans d’abord s’intéresser à l’affaire… Ils sont fréquents et portent sur des sommes considérables.

Un peu plus tard, deux ou trois jours plus tard, son oncle lui apporta quelques documents non confidentiels sur le commerce extérieur, les échanges entre Israël et l’Europe. Lorsqu’elle eut lu et relu les chiffres, elle fut un peu choquée et commença par rechercher des explications.

— Rome est une place bancaire et pas mal de notre argent transite par cette ville mais n’est pas uniquement réservé à l’Italie.

— N’empêche, répondit-elle à son oncle, que j’ai vu des chiffres bien au-dessus de cette moyenne… Je ne les ai pas en tête mais il semble que beaucoup d’argent soit transféré d’Israël et également du Liban par l’intermédiaire des banques via l’Italie. Et cet argent est ensuite ventilé sur différents pays certes, mais la plus grosse partie reste dans les coffres des banques italiennes.

— Il y a de sévères restrictions à l’importation puisque nous connaissons une grave crise économique et une inflation élevée. Je ne pense pas que ce soit aussi important que tu le dis. Tu n’as pas tous les chiffres en tête.

— Non, mais j’ai quand même souvenir qu’ils sont élevés. Et toujours en dollars, marks, livres et francs français…

— Pour le Liban c’est normal… Après les dures épreuves que ce pays a endurées, il est obligé de tout importer. Il bénéficie d’aides internationales importantes. Mais l’argent ne séjourne guère dans les banques du pays… Je ne savais pourtant pas que la place de Rome était aussi importante pour le Moyen-Orient…

Londres, Francfort et Paris restent quand même des attraits pour tous les financiers…

Macha eut l’impression qu’il n’acceptait pas aisément ses constatations. Certes il était un peu macho sur les bords mais de là à nier ce qu’elle trouvait évident. C’était pourtant elle qui s’occupait des données inscrites dans les ordinateurs, qui vérifiait si les ordres reçus étaient formulés sans erreurs.

— J’aimerais quand même avoir d’autres précisions, dit-elle, sur le niveau d’échanges entre l’Italie et Israël par exemple, avec le Liban également si c’est possible…

— Tu m’en demandes beaucoup… Les banques restent les banques et ont leurs secrets. Elles spéculent sur les monnaies et c’est tout à fait normal dans la mesure où elles fournissent à l’État des dollars et des marks à moindre prix, une fois leur commission prise. Nous ne pouvons quand même pas nous montrer trop pointilleux sinon elles arrêteraient de nous fournir des devises au meilleur prix.

— D’où vient l’aide extérieure, principalement des USA ?

— Des banques américaines, c’est certain… Mais il y a d’autres sources… Tu penses bien qu’une banque du groupe Rothschild se fait un point d’honneur de nous prêter de l’argent, même si elle n’oublie pas les intérêts… En fait il y a d’autres banques non dirigées par des Juifs qui nous aident discrètement parce qu’il ne faut pas provoquer les Arabes. Ils n’ignorent rien de ces pratiques mais tant que ça reste discret… Seul l’Iran clame très haut son indignation, d’autant plus que les dirigeants prétendent que certaines banques américaines ont prélevé des fonds sur les avoirs iraniens bloqués pour nous les donner.

— Est-ce vrai ?

Son oncle refusa de répondre. Il lui apporta quelques chiffres et, lorsqu’elle rentra en Italie, elle emportait une documentation économique importante. Sa sœur Ruth fut même surprise de la voir s’intéresser à l’économie d’Israël.

— Tu vas reprendre tes études ?

— Pourquoi pas ?

Son oncle lui avait également communiqué les chiffres supposés pour le troisième trimestre de l’année et les prévisions pour le dernier.

Une semaine plus tard elle ne pensait plus tellement à cette histoire lorsque se produisit le terrible attentat de la gare de Bologne, le 2 août. Elle ignorait alors que son ami Claudio Benezzi, qui vivait avec elle, se trouvait parmi les victimes. Elle ne l’apprit que le lundi lorsque son nom parut dans la presse. Il revenait de chez ses parents. Elle l’avait attendu tout le dimanche sans imaginer qu’il se trouvait sur les lieux de l’attentat. Plus tard elle sut qu’ayant eu une panne de voiture il avait dû prendre le train qu’il attendait justement avec un ami lorsque la charge énorme de plastic avait éclaté.

Macha se comporta avec une sorte d’énergie sombre qui impressionna tout le monde. La semaine suivante elle avait repris son travail et s’efforçait d’être aussi peu plainte que possible, ce qui était une gageure avec tous ces gens, amis ou non, qui n’attendaient que ça, exprimer leur compassion, se délecter même inconsciemment de son malheur.

Ce fut l’article d’un hebdomadaire qui provoqua chez elle cette étincelle qui devait la conduire dans des recherches assidues et passionnées à l’insu de tous, sauf peut-être de sa sœur. Dans cet article le journaliste s’interrogeait sur l’origine de l’argent qui alimentait le terrorisme rouge. Il mettait en cause la firme automobile tchèque Skoda, qui aurait fourni aux autonomes milanais une somme de soixante-dix millions de lires. Dans le dernier paragraphe l’auteur de l’article écrivait que pour l’argent du terrorisme noir il était beaucoup plus difficile de remonter les filières, mais que dans les milieux de la police et des services secrets on n’ignorait pas que de grosses sommes provenaient des États-Unis par l’intermédiaire des banques israéliennes et libanaises, ce qui évidemment rappela brutalement à Macha Loven ses discussions de vacances avec son oncle de Tel-Aviv.

— Je crois, dit-elle à sa sœur, que je peux trouver quelque chose de terrible si j’en ai la constance et si j’ai aussi un peu de chance. Claudio a certainement été tué par de l’argent venu de quelque part. Il faut que je trouve, peut-être pas d’où, mais certainement comment.

Dès lors elle commença à faire des heures supplémentaires, à remplacer des collègues malades ou désirant un jour de congé. Dès qu’un ordre bancaire provenant d’Israël ou du Liban s’inscrivait sur l’écran et l’imprimante selon un code incompréhensible pour un profane, elle le notait soigneusement.

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