CHAPITRE III

C’était une innocente boîte, entourée de papier marron, où se détachaient des caractères chinois peints en rouge vif, de la taille d’une boîte à chaussures, posée sur une des banquettes, dans le hall du Hilton. Malko venait de passer devant, sans même la regarder. Soudain le cri perçant d’un boy chinois le fit se retourner. Le bras tendu vers la boîte, le jeune garçon tremblait de tous ses membres en hurlant comme une sirène.

En une seconde, ce fut la panique. Les six employés de la réception plongèrent, avec un ensemble touchant, derrière leur comptoir, laissant trois Américaines en plan. Les petites hôtesses en mini-cheong-sam[6] disparurent comme une volée de moineaux. Les employés et les clients les plus courageux plongèrent à plat ventre, le nez dans la moquette.

Le hall s’était vidé comme par un coup de baguette magique. Un seul n’avait pu bouger : un assistant manager assis à un petit bureau, à deux mètres de l’objet. Pour s’éloigner, il aurait dû passer devant. Sans quitter la boîte en carton des yeux il souleva son téléphone, avec des précautions infinies, et composa le 999. Lorsque quelqu’un répondit, il articula d’une voix blanche :

— Venez vite… Il y a une bombe dans le hall du Hilton.

Il raccrocha et demeura rigoureusement immobile, ne quittant pas l’engin des yeux. Des rigoles de sueur glissaient le long de ses bras. Son cerveau vide se refusait à penser.

On aurait entendu voler une mouche. Les ascenseurs s’étaient arrêtés de fonctionner. Un employé de l’hôtel bloquait l’escalator menant à la rue, avec des gestes hystériques. Les rares clients du bar semblaient soudain vissés à leur chaise. Malko, prudemment abrité derrière un pilier, regardait la bombe, n’arrivant pas à croire que c’était vrai.

Le Hilton était devenu le château de la Belle au bois dormant. Comme si le bruit avait pu faire exploser la bombe. Le silence se prolongea plusieurs interminables minutes. Peu à peu, tous ceux qui s’étaient jetés à terre rampaient hors de portée de l’engin.

Puis, dehors, le bruit d’une sirène se rapprocha et vint mourir devant l’hôtel. Il y eut des cris et des appels, et plusieurs policiers casqués surgirent de l’escalator. Ils jetèrent un œil inquiet à la bombe puis redescendirent. Se rendant enfin compte que c’était sérieux, une des Américaines poussa un cri perçant et s’évanouit.

Poussant devant eux un rempart fait de sacs de sable montés sur une armature de bambous, deux policiers entreprirent de traverser le hall à quatre pattes. Dans un silence de mort, ils parvinrent jusqu’à un mètre de la bombe. Un téléphone se mit à sonner sur le desk de la réception, mais personne ne répondit. Le Chinois qui avait appelé la police essayait désespérément d’entrer dans le mur derrière lui. Son complet était aussi trempé que s’il était resté une heure sous une pluie d’orage.

À l’abri du bouclier, les deux policiers progressaient pouce par pouce. Eux aussi, transpiraient. Si la bombe était de forte puissance, ils seraient pulvérisés. Un Blanc les rejoignit, un vieux sergent anglais en short. Il cria un ordre, s’avança tranquillement jusqu’à trois pieds de la bombe, puis se pencha dessus.

On aurait entendu voler une toute petite mouche. Instinctivement, Malko se rencogna derrière son pilier. C’était trop bête de se faire déchiqueter gratuitement.

Le sergent fit un geste aux Chinois. Avec une perche de bambou l’un d’eux commença à sonder délicatement le paquet suspect, essayant de le retourner. Ce dernier glissa sur la banquette. Effrayé, le Chinois qui maniait la perche fit un faux mouvement : poussée trop violemment, la boîte tomba par terre !

On entendit un cri étranglé ! Le manager assis derrière le bureau n’avait plus forme humaine…

Le paquet avait fait un bruit mou et léger. Avec un juron étouffé, le sergent se leva, fit deux pas en avant et ramassa la boîte.

C’était trop pour le manager : il glissa, évanoui, sur sa chaise. Le sergent soupesa la boîte une seconde et éclata de rire. Il la remit par terre et posa dessus son lourd brodequin. Le carton s’écrasa : c’était un emballage vide.

C’est à qui surgit le plus vite pour s’approcher de la fausse bombe ! Un employé de la réception sauta même par-dessus son comptoir. Le sergent déchirait la « bombe » de ses grandes mains rouges, le visage impassible. Quatre ou cinq employés de l’hôtel se pressaient autour de lui, obséquieux. Il les interrogea rapidement, sans conviction. Bien entendu, personne n’avait rien vu, rien remarqué. En chinois, la bombe portait : « Mort aux impérialistes fauteurs de guerre. »

Un policier en uniforme grimpa en courant l’escalator et dit un mot à l’oreille du sergent : il y avait une bombe posée entre les rails du tramway, dans Hennessy Road, à moins d’un mile. La circulation était paralysée. L’Anglais prit les débris de la boîte en carton et salua. C’était sa septième bombe depuis qu’il avait pris son service, à neuf heures.

Près de Malko, un gros Chinois se releva en soufflant et murmura en s’époussetant :

— Un jour il y en aura une vraie et nous serons tous morts…

Il ne croyait pas si bien dire : trois jours plus tôt, la police, à la suite d’une dénonciation anonyme, avait découvert sur le toit d’un des ascenseurs du Hilton deux kilos de TNT. De quoi expédier l’ascenseur et ses occupants directement en enfer. Évidemment, il n’y avait pas de détonateur. Oubli volontaire ou non ? La direction de l’hôtel avait fait tomber une pluie de dollars sur les journaux en langue anglaise pour qu’on ne parlât pas de l’incident, mais les quotidiens chinois s’en étaient donnés à cœur joie. Depuis, le petit personnel chinois du Hilton préférait l’escalier.

Car il y avait aussi des vraies bombes. On comptait une cinquantaine d’alertes par jour. Dès qu’on apercevait une valise ou un carton abandonné, on se ruait sur le téléphone. Les équipes de déminage dormaient debout.

Hong-Kong n’était plus la cité du plaisir et du commerce. En quelques heures, Malko, arrivé la veille en fin de journée, s’était senti, lui aussi, oppressé par cette ambiance pesante. Les Chinois avaient commencé la reconquête psychologique de Hong-Kong. Comme ils venaient de le faire pour Macao, où l’évêque n’avait plus le droit de dire sa messe sans en demander l’autorisation au responsable du parti. En apparence, c’était toujours l’administration portugaise qui régissait la minuscule enclave, mais la plus infime de ses décisions était soumise à la bureaucratie tatillonne des communistes. Après une longue campagne d’intimidation et de bombes, le gouverneur de Macao avait dû signer un document en neuf points, abandonnant pratiquement le territoire aux communistes.

Macao à peine digéré, les Rouges s’étaient attaqués à Hong-Kong. Certes, il aurait suffi au général Lien-pao, commandant en chef de l’armée chinoise, de lever le petit doigt pour ne faire qu’une bouchée de la poignée d’Anglais de Hong-Kong, sans provoquer plus qu’une protestation outrée et platonique de l’ONU. Mais ce n’était pas la solution « correcte ». Il fallait que les occupants blancs perdent la face, qu’ils s’inclinent devant la sagesse infinie du président Mao. Les Rouges ne voulaient pas occuper Hong-Kong, seulement le contrôler. Un mois plus tôt, ils avaient soumis au gouverneur de la colonie un document en onze points sur le modèle de celui de Macao, qui avait été dignement repoussé par le représentant de Sa Très Gracieuse Majesté.

La première bombe avait explosé le lendemain…

Depuis, Hong-Kong était paralysé. Les incidents grotesques alternaient avec les provocations dramatiques.

Wan-chai, le quartier chaud de Hong-Kong, à l’est de Victoria City, le cœur de l’île, le fief de Suzie Wong, était désert. Les commerçants et les tenanciers de boîtes de nuit recevaient de mystérieuses consignes et fermaient brusquement, pour une heure ou pour un jour. Les portiers des innombrables boîtes de nuit s’étiolaient devant des salles vides d’entraîneuses. Celles-ci restaient chez elles, à apprendre par cœur le petit livre rouge de Mao. Il fallait préparer l’avenir. Seuls quelques rares bordels très bon marché avaient une maigre clientèle locale.

Des émeutes éclataient tout le temps, « spontanément ».

Le jour de l’arrivée de Malko, une centaine de marins des jonques communistes déchargeant à North Point, à peine à un mille du Hilton, avaient pris d’assaut le commissariat du port, armés de haches et de couteaux. Après avoir molesté les deux policiers anglais du poste et jeté à la mer les Chinois, ils avaient relâché les deux Blancs, vêtus de leur seule dignité, le corps et le visage couverts d’inscriptions à la peinture rouge, accusant de mœurs contre nature le gouverneur et son épouse. Lorsque trois voitures bourrées de policiers étaient enfin arrivées, les manifestants s’étaient évanouis dans leurs jonques, et on avait dû se contenter d’arrêter un gamin de treize ans qui avait craché en direction des camions grillagés hérissés d’armes. La police serait obligée de le relâcher pour éviter de nouvelles émeutes…

Comme l’avait proclamé Fei-ming, rédacteur en chef du Drapeau rouge, le quotidien communiste de Hong-Kong : « Les Anglais attraperaient une dépression nerveuse avant les forces démocratiques. »

Les Anglais, plus durs que les Portugais, tenaient bon, rendaient coup pour coup. Mais la lutte était inégale : trente mille contre trois millions et demi. Peu à peu, les communistes faisaient monter la pression par les bombes, les enlèvements, les émeutes, les appels au meurtre du Drapeau rouge, l’intouchable quotidien communiste.

« Ce qui se passe actuellement n’est que le prélude, prévoyaient les experts. Un jour, les communistes créeront un incident plus sérieux qui mettra définitivement les Anglais en position d’infériorité, les forcera à accepter les « onze points » humiliants de l’ultimatum communiste.

» Alors Hong-Kong retrouvera son calme, toujours anglais en apparence, mais l’administration britannique ne sera plus qu’une coquille vide…»

En attendant, l’agitation se calmait dans le hall du Hilton. Le seul effet durable de la « bombe » avait été d’augmenter considérablement la consommation de whisky au bar. Ceux qui avaient assisté à l’incident enjolivaient à qui mieux mieux… Une bombe au Hilton, vraiment ces communistes ne respectaient plus rien. Les propriétaires des boutiques de la galerie marchande affichaient des mines consternées. Même les pires révolutions chinoises ont toujours respecté le commerce.

Malko prit sa clé et monta dans sa chambre. Sa « couverture » lui avait permis de louer une somptueuse suite au vingt-deuxième étage de l’hôtel. La vue était féerique. Le Hilton, comme le Mandarin, l’hôtel le plus luxueux de Hong-Kong, dominait tout Victoria Harbour, le chenal séparant l’île de Hong-Kong de la péninsule de Kowloon, perpétuellement sillonné par une multitude d’embarcations diverses.

Le hurlement d’une sirène le fit se précipiter à la fenêtre. Une voiture de police grillagée dévalait Connaugh Road en direction de l’ouest. Encore une bombe. Lui qui avait imaginé son séjour comme des vacances au soleil !

Un fin crachin, reliquat du typhon Emma, fouettait les vitres du Hilton. À travers la bruine, on apercevait à peine la silhouette massive auréolée de barbelés de la Bank of China, juste de l’autre côté de Queen’s Road, et les innombrables buildings gris de Kowloon formaient une masse confuse et presque irréelle, par-delà Victoria Harbour.

En dépit du mauvais temps, le trafic maritime était toujours aussi intense. Les sampans, les cargos, les wallas-wallas, taxis nautiques, les jonques pansues avec leurs voiles en lambeaux ou de poussifs diesels s’entrecroisaient dans Victoria Harbor, en un ballet féerique pour le spectateur. Seuls les communistes utilisaient encore les voiles traditionnelles : le mazout était introuvable en Chine rouge, à quinze milles à vol d’oiseau.

Malko fronça les sourcils : il était obligé de sortir pour prendre contact avec le patron de l’antenne CIA locale, Dick Ryan. Le rendez-vous avait été fixé par le télex codé reliant Washington au consulat. Ryan devait se trouver sur le Star-ferry reliant Hong-Kong à Kowloon. L’Américain ferait la navette entre l’île et la péninsule entre quatre et six heures. Pas besoin de signe de reconnaissance. Les yeux d’or de Malko suffisaient largement.

Au moment où Malko enfilait un trench-coat, on frappa un coup discret à la porte. Il alla ouvrir : un jeune Chinois s’inclina profondément et lui tendit un petit paquet : les cartes de visite qu’il avait commandées la veille, en arrivant. Malko donna un dollar Hong-Kong de pourboire, ce qui ne représentait guère que quinze cents américains et ouvrit le paquet.

Les cartes étaient à double face, un côté en anglais, l’autre en chinois. Indispensable à Hong-Kong. L’artisan avait consciencieusement calligraphié le titre de Malko.

« Son Altesse Sérénissime le Prince Malko Linge. »

Il n’y avait même pas de fautes d’orthographe. Le cœur un peu réchauffé, Malko sortit de sa chambre. Il avait hâte de commencer à travailler sérieusement. La liftière, moulée dans un cheong-sam doré lui donna un petit coup au cœur. Elle ressemblait à Thepin, la jeune Thaïlandaise qu’il avait connue à Bangkok en essayant de retrouver Jim Stanford[7].

L’ascenseur stoppa avec une petite secousse. La Chinoise coula à Malko un regard câlin avant d’ouvrir les portes. D’habitude, les Blancs, dès qu’ils étaient seuls avec elle, se conduisaient à peu près comme les singes du zoo…


* * *

Dick Ryan était presque chauve, costaud, avec une amorce de double menton, une bouche petite, des yeux marron perpétuellement en mouvement et un air énergique. Assis sur une des banquettes de bois, à l’avant du ferry, il regardait d’un air absent le barrage anti typhon de Yaumati abritant une masse compacte de jonques et de sampans.

— Foutu temps, remarqua-t-il.

Malko regarda ses mains : elles étaient extrêmement soignées. Rare chez les barbouzes. Le gros ferry ralentit. Ils approchaient de Kowloon. Il y avait peu de Blancs à bord, mais personne ne semblait prêter attention à eux. Ils auraient pu être d’innocents touristes. Ils se mêlèrent au flot des Chinois qui débarquaient et reprirent la queue pour monter dans l’autre ferry qui repartait sur Hong-Kong.

Dick Ryan parlait presque sans bouger les lèvres. Il avait facilement trouvé Malko. Les deux hommes ne s’étaient même pas serré la main.

Maintenant, accoudés au bastingage, ils bavardaient rapidement.

L’Américain se rapprocha soudain de Malko et celui-ci sentit qu’il lui glissait quelque chose dans la poche de son imperméable.

— La photo du gars. S’appelle Cheng Chang, fit Ryan. C’est assez bon pour le reconnaître. L’adresse est au dos. J’ai appelé ce matin à son bureau. Il rentre ce soir de Formose par le vol des China Airlines. Vous pourrez le piéger à Kai-tak ou chez lui. Il a dû aller vouloir vendre sa salade aux Chinetoques du grand-père Tchang Kaï-chek.

Le gros ferry vert s’était ébranlé avec une petite secousse. Sans arrêt, des dizaines de ferries identiques relient Hong-Kong à Kowloon, jour et nuit.

— Vous pensez qu’il est sérieux ? demanda prudemment Malko.

Ryan tordit sa petite bouche en un ricanement silencieux.

— Des gars comme lui, on en voit vingt par mois. Quand je suis arrivé ici, je m’amusais à interroger tous les réfugiés arrivant de Chine communiste. Ils racontaient n’importe quoi pour quelques dollars.

» D’ailleurs ici, tout le monde raconte n’importe quoi : entre les barbouzes cocos, les types de Taipeh, les Japonais… Depuis un mois, la seule information absolument sûre que j’ai pu communiquer à la boîte, c’est que la saison des pluies était en retard. Alors, je vous souhaite bien du plaisir…

— Et les Anglais ?

— Focked bastards…[8] sont déjà cocos. Pire que les Chinetoques. Des carpettes.

Le spectre de la reine Victoria se glissa entre les deux hommes. Malko savait que, pour certains membres de la CIA, et non des moindres, l’Intelligence Service était totalement noyautée par les communistes. Les très mauvaises langues insinuaient même que la reine Elisabeth émargeait sur les feuilles de paie du KGB… Le travail de la CIA à Hong-Kong n’était pas aisé. Le consulat américain, un bâtiment en L, dressait ses quinze étages le long de Garden Road, à deux pas du Hilton, sur les premières hauteurs. Le toit était hérissé d’antennes comme une HLM de banlieue. C’était le plus grand centre d’écoute du Sud-Est asiatique. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des sinologues écoutaient tout ce que déversaient les radios communistes, dans les trois dialectes principaux : mandarin, cantonais et yunnan. Le tout était digéré par trois computers qui occupaient les cinquième et sixième étages. Chaque matin, la CIA envoyait une synthèse confidentielle à Washington, étendant même sa bonté jusqu’à en faire profiter le patron des Services de renseignement britanniques qui jetait un œil distrait sur ces informations obtenues à prix d’or avant de les jeter au panier.

Abrutis de propagande communiste, les sinologues allaient sagement de la cantine à leur studio d’écoute, sans faire de mal à personne.

Aussi les Anglais les toléraient-ils, tout en faisant une chasse impitoyable à tout ce qui pouvait ressembler à un agent « noir ».

— Ne me téléphonez qu’en cas d’urgence, avertit Dick Ryan. J’ai un bureau plus discret que le consulat. Electronics of California. Dans San-po-Kong derrière Kai-tak. C’est dans l’annuaire. Nous contrôlons la boîte. Moi, je ne vous connais pas. S’ils vous virent, ça m’évitera une séance de pleurniche de ce fumier de Whitcomb.

Le ferry arrivait en face du Mandarin. Dans quelques minutes, ils seraient à Hong-Kong.

— Qui est Whitcomb ? demanda Malko. L’énumération de Ryan était irrépétable. Il conclut :

— C’est aussi le patron de la Sécurité des British. J’espère que vous n’aurez pas à le rencontrer.

— Et le Coral-Sea ? demanda timidement Malko.

— Aucun risque, fit péremptoirement Dick Ryan. Ils ne vont pas l’attaquer avec des lance-pierres. Tout ce qu’ils peuvent tenter, c’est de poignarder quelques gars, à terre. On y veillera. Allez, salut, maintenant.

Il se leva le premier. Quand il fut à un mètre de Malko, il cria à haute voix, ironiquement :

— Si votre gars vous donne l’adresse d’un bon bordel à Taipeh, appelez-moi, j’y vais la semaine prochaine…

Sa silhouette massive se perdit dans la foule. Malko descendit sans se presser et prit la direction du Hilton à pied.

Dès qu’il fut seul, il regarda la photo. Une bonne bouille de Chinois.

Il lui suffisait de remonter Wardley Street jusqu’à Des Vœux Road. Ainsi il s’arrêterait chez son tailleur. Il avait bien l’impression que Max, l’ordinateur, n’était pas tout à fait au point. Dick était un type solide connaissant son métier.

Dans deux heures il irait chercher l’honorable Cheng Chang à Kai-tak. La photo de Dick était très bonne. Son séjour à Hong-Kong risquait de ne pas se prolonger beaucoup…


* * *

L’essayeur du tailleur Ma-yo-wung ne parlait pas plus de dix mots d’anglais et voulait à tout prix couper à Malko des costumes à l’italienne. Pour lui c’était le comble de l’élégance. Depuis une demi-heure, c’était un dialogue de sourd. Impavide, le Chinois répétait :

— Very good, sir, very good, en montrant une veste cintrée comme une guêpière.

Malko allait abandonner, quand il croisa le regard malicieux d’une petite fille, une Chinoise aux longs cheveux retenus par un bandeau, vêtue d’un chemisier blanc et d’une jupe plissée bleu marine, un gros paquet de cahiers sur les bras. Elle échangeait des remarques à voix basse avec une fillette de son âge, ponctuées de fous rires étouffés.

Visiblement, les démêlés de Malko les amusaient beaucoup.

— Pouvez-vous me venir en aide, mademoiselle, si vous parlez anglais ? demanda Malko avec son sourire le plus charmeur.

La Chinoise se tut, d’abord confuse. Mais elle parlait anglais assez bien. Très vite l’essayage prit une autre tournure. Avec de petites phrases courtes, incompréhensibles pour Malko, la jeune Chinoise fit abandonner la coupe italienne au tailleur.

Lorsque tout fut enfin terminé, Malko remercia chaleureusement. Son interprète clignait des yeux, très intimidée.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il.

— Po-yick.

Elle épela. Elle ponctuait chacune de ses phrases de fous rires nerveux, ne cessant de dévisager Malko du coin de l’œil, fascinée par ses cheveux blonds et ses yeux dorés.

— Eh bien ! Po-yick, proposa Malko, je vous offre un ice-cream à la cafétéria du Hilton, pour vous remercier de m’avoir si bien aidé.

La jeune fille refusa avec horreur, comme si Malko lui avait proposé une orgie sexuelle à dix-sept. Quand il l’eut poussée dans ses derniers retranchements, elle avoua enfin qu’elle serait très heureuse qu’il jetât un coup d’œil sur sa version anglaise… Et puisqu’elle refusait la cafétéria, ils transigèrent pour le hall du Hilton, lieu moins exposé aux perversions. Comme par miracle, l’amie avait disparu. Po-yick entra dans le grand hôtel, les yeux baissés, l’air affreusement gêné. Malko en riait tout seul. Il remarqua une petite étoile rouge épinglée sur le chemisier blanc.

— Vous êtes communiste ? demanda-t-il, amusé.

— Bien sûr !

Ils s’étaient installés sur une banquette de la Jade Room loin des regards indiscrets. Dès que Malko eut prononcé le mot communiste, ce fut un déluge de questions posées d’une voix aiguë :

— Est-ce que dans votre pays on aime le président Mao ?

— Est-ce que vous avez lu ses œuvres ?

— Est-ce qu’on trouve ses photos ?

Malko dut avouer à sa grande honte qu’il n’avait pas lu le petit livre rouge.

— Mais vous n’êtes pas un capitaliste ? interroge Po-yick avec une pointe d’horreur dans la voix.

Il jura qu’il n’était qu’un pauvre salarié exploité par un patron inhumain. Ce qui était presque vrai et rassura la jeune Chinoise.

— Votre pays, c’est un pays ami ? demanda-t-elle, soupçonneuse.

Sur la réponse affirmative de Malko – l’Autriche n’ayant jamais manifesté d’intentions particulièrement agressives à l’égard de la Chine – elle sortit un stylo de son sac et dessina rapidement plusieurs caractères sur une feuille blanche.

— C’est un poème de bienvenue, expliqua-t-elle. Pour les amis étrangers.

Malko remercia, touché, et ils se lancèrent dans la version anglaise. Les longs cheveux noirs de Po-yick frôlaient le visage de Malko tandis qu’il se penchait sur le texte insipide, lui chatouillant agréablement l’épiderme. Po-yick était grande pour une Chinoise, avec de longues jambes et une poitrine infinitésimale.

Une vraie petite Lolita.

Le devoir terminé, elle se leva un peu brusquement, comme gênée.

— Il faut que je m’en aille.

— Je m’en vais aussi, dit Malko. Partons ensemble.

Il avait juste le temps d’aller cueillir Cheng Chang à Kai-tak.

En rangeant ses cahiers, Po-yick demanda timidement :

— Pourquoi êtes-vous venu à Hong-Kong ?

Quand il expliqua qu’il venait repérer les lieux de tournage d’un film, les yeux de la Chinoise brillèrent d’excitation :

— Vous m’emmènerez quand vous tournerez vraiment ?

— Bien sûr, promit Malko.

Ce ne serait pas pour demain…

Oubliant son envie de partir, elle l’assaillit de questions sur Hollywood, sur les acteurs. Elle connaissait le box-office aussi bien que les pensées de Mao. Avec une prédilection pour Steve MacQueen.

— J’ai caché une photo de lui dans mes cahiers, expliqua-t-elle, ma mère serait furieuse si elle savait que j’admire un acteur impérialiste. Nous sommes de bons communistes dans la famille. J’admire beaucoup le président Mao, ajouta-t-elle vivement avec une moue grave.

Malko sourit : à cause de lui cette bonne communiste hantait le Hilton, lieu de perdition de la société capitaliste ! Il regarda sa montre discrètement, et dit :

— Je n’ai pas le temps de bavarder maintenant, je vais à Kai-tak chercher un ami.

Po-yick trottinait près de lui.

— Vous voulez bien me déposer près de chez moi, à Kowloon ? demanda-t-elle. Je suis très en retard.

Gentiment, il lui prit le bras dans l’escalator juste au moment où montait un Américain en civil, le crâne rasé. Il eut un haut-le-corps horrifié devant le spectacle de cette nymphette pendue au bras d’un homme de vingt-cinq ans son aîné. Et avec des socquettes blanches ! Dans certains États américains on aurait envoyé Malko à la chambre à gaz pour une pareille atteinte aux bonnes mœurs…

Malko avait garé la Volkswagen louée le matin à l’hôtel, près des six pousse-pousse verts rangés devant l’hôtel.

Ils allaient rarement plus loin que le coin de Queen’s Road et de Garden Road, servant surtout aux photographies des touristes. Accroupis par terre, les coolies-pousses suivirent Malko et Po-yick d’un œil cynique.

Po-yick se glissa près de Malko et posa ses cahiers par terre puis croisa sagement ses mains sur ses genoux. Malko atteignit l’embarcadère du Star-Ferry en trois minutes. Des gamins pieds nus vendaient le Hong-Kong Standard. Malko embarqua la voiture sur le pont inférieur et ouvrit la portière. Le vent frais de la mer lui fouettait agréablement le visage. Po-yick le rejoignit. Déjà le ferry s’ébranlait. La traversée ne durait pas plus de dix minutes. Il frôla une jonque godillée frénétiquement par une Chinoise au visage sans âge en large pantalon traditionnel. Une lampe à pétrole se balançait à l’arrière en guise de feu de position.

Soudain, Malko aperçut un paquet posé par terre près de la voiture. De la taille d’une boîte à chaussures. Un picotement désagréable lui parcourut le bout des doigts. Il désigna l’objet à Po-yick :

— Regardez ! Si c’était une bombe ?

La Chinoise éclata d’un rire frais, avant de donner un coup de pied dans la boîte :

— Non, il n’y a jamais de bombes sur les ferries ! Malko haussa les sourcils.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils appartiennent tous à des amis du peuple.

En bon anglais, à des communistes. Étrange Hongkong. Po-yick, en dépit de son jeune âge, semblait parfaitement au courant des détours de la politique. Malko abandonna le problème et se perdit dans la contemplation des centaines d’embarcations sillonnant le chenal. Soudain, il sentit le regard de sa compagne posé sur lui et demanda :

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Po-yick ouvrit la bouche puis fit, extasiée :

— Je… je regardais vos yeux et vos cheveux. Je ne savais pas que cela pouvait exister. Est-ce que vous êtes communiste ?

Ce fut au tour de Malko de rester bouche bée.

— Non, pourquoi ? Elle secoua la tête :

— Parce que si vous n’êtes pas communiste, vous êtes impérialiste. Et si vous êtes impérialiste, vous êtes mauvais.

C’était un raisonnement d’une logique implacable. Malko, amusé, remarqua :

— Je suis un impérialiste, comme tu dis, mais je ne suis pas mauvais…

La Chinoise n’eut pas le temps de répondre. Une explosion sourde fit lever toutes les têtes. Cela venait de l’est de Victoria Harbour.

Les passagers du ferry s’étaient tous précipités à tribord, caquetant en chinois avec des voix assourdissantes. Mais on n’apercevait rien. Il y avait trop de cargos ancrés entre la route suivie par le ferry et le lieu où s’était produit l’explosion.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Malko.

— Une grosse bombe, fit Po-yick, extasiée.

Le son de plusieurs sirènes de pompiers monta dans le lointain.

Avec des petits coups de sirène hargneux, une vedette grise de la police frôla le ferry, fonçant vers le lieu de l’accident, dans un sillage d’écume blanche.

La corne aiguë d’une ambulance éclata tout près, en face de l’Hôtel Peninsula, dans Kowloon. Le ferry n’était plus qu’à une centaine de mètres du quai. Malko rentra dans la voiture. Po-yick s’était rembrunie et ne disait plus rien.

Malko se dégagea de l’embouteillage de la place Yaumati et enfila Jordan Road, impatient d’arriver à Kai-tak.

La mer était entièrement recouverte d’une sorte de boue, un mélange de chair humaine, de kérosène, de bagages éventrés, de papiers, de débris de fauteuils et de quelques gilets de sauvetage, sur une zone de trois cents mètres de circonférence, juste en face du Devil’s Peak surmontant la pointe de Sam Ka-tsuen.

Une petite vedette de la police repêcha le corps d’une Chinoise presque entièrement dévêtue, et, cent mètres plus loin, celui d’un enfant japonais, à qui il manquait un bras. Toujours à l’aide de longues gaffes, ils hissèrent à bord un morceau d’antenne, un bout de carlingue éclatée, trouée comme si elle avait été soumise au tir d’une arme automatique.

À cent mètres de là, flottaient deux portefeuilles. Discrètement, les occupants d’un petit sampan les cueillirent pour les enfouir sous un tas de casiers à homard.

Il n’y a pas de petits bénéfices.

La baie de Kowloon grouillait d’embarcations de toutes sortes. Les vedettes de la police tentaient de repousser toutes les jonques accourues à la curée, beaucoup plus que pour aider les survivants éventuels. Le jet s’était brisé en deux. La partie arrière gisait intacte sur un fond de boue de quinze mètres environ. Des hommes-grenouilles plongeaient inlassablement pour tenter de remonter les corps pris dans l’épave.

L’avant, avec les ailes, s’était disloqué au contact brutal de l’eau, le nez ayant heurté la surface liquide presque sous un angle de quatre-vingt-dix degrés. C’est là que flottaient la plupart des cadavres, horriblement mutilés.

Presque tous les corps retrouvés avaient été sectionnés à la hauteur des hanches à cause des ceintures de sécurité. Certains portaient des brûlures superficielles dues à l’explosion des réservoirs de kérosène contenus dans les ailes. Et parmi tous ces cadavres, il y avait des vivants !

Tout de suite après la catastrophe, un sampanier avait repêché un homme et une femme, incapables de parler, abrutis par le choc, atteints de plusieurs fractures, mais vivants.

Un Japonais avait pu regagner le bord à la nage ! Fou de peur, il s’était enfui à travers les pistes de Kai-tak et il avait fallu le mettre de force dans une ambulance.

Provisoirement, le trafic aérien était stoppé. Des voitures de pompiers et des ambulances stationnaient sur la piste en ciment s’avançant vers la mer. Quatre hélicoptères tournaient en rond autour de la grosse tache de kérosène, cherchant à repérer des corps. Une demi-heure après l’accident, il n’y avait plus aucun espoir de retrouver d’autres survivants. Ceux qui étaient restés emprisonnés dans la carlingue submergée étaient noyés.

Malko frissonna devant le spectacle hallucinant. Il était venu à pied jusqu’à l’extrême bord de la piste en ciment pour voir par lui-même l’étendue de la catastrophe. Maintenant, dans le crépuscule, on ne voyait plus que la lampe rouge d’un gilet de sauvetage vide, flottant au milieu de la zone sinistrée… Il s’était gonflé automatiquement, par le souffle de l’explosion. Personne n’avait eu le temps de l’enfiler.

Il n’y avait plus rien à voir. Lentement Malko reprit le chemin des bâtiments de l’aéroport, fendant la foule des curieux qui avaient envahi le terrain. La plupart, pauvrement vêtus, étaient accourus du quartier voisin de Kowloon City, la cité interdite, refuge de tous les repris de justice de la colonie, en quête de rapine. Plusieurs jetèrent un coup d’œil haineux aux vêtements bien coupés de Malko. À Kowloon City, on tuait un homme pour une cigarette.

Malko fut soulagé de retrouver les lumières des bâtiments de Kai-tak. Un grand calme l’avait envahi depuis l’explosion entendue sur le ferry, il avait le pressentiment qu’il s’agissait de l’avion des China Airlines.

Sans savoir pourquoi.

Maintenant, il s’agissait de savoir si Cheng Chang avait survécu à la catastrophe ou non. Il poussa la porte vitrée qui donnait dans le hall de l’aéroport.

Une indescriptible pagaille y régnait.

Il n’y a rien de plus perçant que la voix d’un Chinois. Ici, c’étaient deux ou trois cents Chinois qui hurlaient, appelaient, tentaient de prendre d’assaut le bureau vitré au fond du hall, où le chef d’agence de la China Airlines, pâle, sa chemise blanche tachée, faisait le point des recherches. Il tenait une liste à la main, mais chaque fois qu’il essayait de lire un nom, le brouhaha l’en empêchait. Un Chinois aux vêtements en lambeaux, l’air hébété, était étendu sur une civière improvisée, les yeux fermés, au fond du bureau. Malko joua des coudes pour se rapprocher ; ce n’était pas Cheng Chang.

Les douaniers et les policiers tentaient de reprendre la situation en main, refoulant les centaines de personnes qui avaient envahi les bâtiments de l’aéroport. Mais il était presque impossible de trier les simples badauds de ceux qui étaient venus chercher un parent ou un ami.

Sans arrêt, les haut-parleurs déversaient des ordres en chinois.

La matraque haute, les policiers, en short, vidaient peu à peu le grand hall.

Patiemment, Malko tentait d’approcher l’homme qui tenait la liste. Il avait les yeux hagards et se tenait prudemment hors de portée des dizaines de mains qui se tendaient vers lui. Deux policiers chinois, impassibles, la matraque au bout du poing, l’encadraient.

Enfin, son regard se posa une fraction de seconde sur Malko, qui en profita :

— Combien de survivants ? L’autre jeta :

— Sept, pour l’instant.

Ce qu’il tenait à la main n’était finalement que la liste des passagers. Fugitivement, Malko aperçut certains noms cochés de rouge. Les morts, vraisemblablement. Il fit un nouvel effort pour attirer l’attention de l’employé.

— J’attendais un ami, M. Cheng Chang. Est-il parmi les survivants ?

C’est une question qu’on avait dû lui poser deux cents fois déjà. Une grosse Chinoise, derrière Malko, ne quittait pas l’employé des yeux, comme s’il allait faire un miracle.

— Nous ne savons rien, monsieur, dit-il. Il y a des blessés dans les hôpitaux, mais ils ont perdu leurs papiers et nous ne pouvons pas les interroger. Si vous n’êtes pas un parent direct, il faut attendre demain matin.

Il s’essuya le front, hors d’haleine.

— Est-il parmi les morts ou non ? insista Malko. L’autre daigna jeter un coup d’œil à sa liste et laissa tomber.

— Pas jusqu’à maintenant.

La foule, derrière, poussait Malko en avant, en un mouvement silencieux et désespéré. Il comprit qu’il ne saurait rien de plus précis pour l’instant.

— Comment est-ce arrivé ? demanda-t-il encore.

Le visage du chef d’agence de la China Airlines se ferma instantanément : les compagnies ont horreur que leurs avions tombent.

— Nous ne savons rien encore, affirma-t-il. Il semble que l’appareil ait été en difficulté avant l’atterrissage. L’enquête est déjà commencée. Vous serez tenu au courant.

Malko se dégagea de la foule. La grosse Chinoise prit instantanément sa place, sans dire un mot. Les avions avaient recommencé à se poser et une longue file d’hindous faisait la queue devant les guichets de l’immigration tenus par de jeunes Chinoises impeccables et maussades. Dehors, des dizaines de projecteurs fouillaient les eaux sombres de la rade, à la recherche de problématiques survivants. Toute l’aire de l’accident avait été passée au peigne fin. Du Bœing 727, il ne restait que des débris informes de carlingue et un bout de dérive frappée de l’étoile bleue des Chinois nationalistes, le tout gardé par un soldat en armes, dans un hangar désaffecté.

Quant à Cheng Chang, il était soit à la morgue, soit entre deux eaux. Aucune des deux hypothèses n’arrangeait Malko. Les complications commençaient. Adieu les vacances paisibles au soleil. L’espace d’une seconde, il rêva qu’il était au coin du feu, dans son château. Un jeune Chinois le bouscula et le phantasme s’évanouit. Une petite pensée tenace et encore informe taraudait son cerveau, comme un insecte malfaisant : il y avait peu de coïncidences dans son métier. Et cela ne lui disait rien qui vaille que ce soit justement l’avion de Cheng Chang qui se soit écrasé. C’était pour le moins un hasard regrettable. Pour connaître les renseignements détenus par le Chinois, il n’y avait plus qu’à faire tourner les tables. Méthode peu prisée chez les barbouzes, même de luxe.

Tout cela parce que Dick Ryan n’avait pas voulu écorner ses fonds secrets…

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