CHAPITRE XIII

Trois petites filles d’une dizaine d’années se jetèrent dans les jambes de Malko, dès qu’il descendit du taxi. Se donnant la main, elles commencèrent à danser autour de lui une ronde endiablée, chantant d’une voix aiguë une étrange complainte. La première attaquait.

— J’aime mon père !

La deuxième répliquait :

— J’aime ma mère !

Et les trois autres reprenaient en chœur :

— Mais j’aime encore plus le président Mao…

Aussi soudainement qu’elles avaient surgi, elles disparurent dans l’ombre des arcades, ravies de ce bon tour joué à un Blanc.

En dépit de l’heure tardive, une foule compacte et bruyante se pressait dans Temple Street, envahissant la chaussée. On n’était qu’à quelques mètres de Jordan Street et c’était déjà un autre monde, grouillant et mystérieux, imperméable au Blanc.

Temple Street avait deux spécialités : les bordels bon marché, à raison d’un par maison, et les restaurants ambulants de serpents. Les reptiles étaient lovés dans des cages de verre, à côté du fourneau, dans une petite carriole, genre de voiture de quatre-saisons. À la demande du client, on sortait le reptile, on en coupait un morceau qui était grillé immédiatement. Le client mangeait debout ou accroupi au milieu de la chaussée. Il y a belle lurette que les voitures avaient renoncé à passer dans Temple Street, les restaurants occupant toute la chaussée. De chaque côté, sous les arcades, les flâneurs se faufilaient entre des tas d’immondices.

Malko eut du mal à trouver le numéro 34. Les chiffres disparaissaient sous la crasse. C’était un vieil immeuble de trois étages avec du linge pendu à chaque fenêtre et un couloir si sale qu’il aurait effrayé un cafard.

Il commençait à pleuvoir. Malko se réfugia sous les arcades, frôlant des personnages innommables. Une vieille Chinoise se tenait sur le seuil du 34. À la vue de Malko elle eut un sourire édenté et murmura avec une expression qu’elle voulait engageante :

— Beautiful girls, cheap[13].

Malko s’engagea dans le couloir noirâtre. Si ses ancêtres le voyaient en ce moment, ils devaient se retourner dans leur tombe. L’odeur fade de l’opium et celle, inimitable, de la crasse asiatique, se mélangeaient pour composer un fumet de pourriture. Un escalier étroit et branlant s’ouvrait devant lui. Il s’y engagea.

La première fille qu’il vit sur le palier n’était peut-être pas chère, mais devait être en service depuis la fin de la guerre. Sa robe chinoise luisante de crasse boudinait des formes opulentes et les couches successives de fard n’arrivaient pas à cacher toutes ses rides. Elle roucoula en mauvais anglais :

— Darling. Good night. You come with me ?

Malko en frissonna. Elle aurait dû être dans un bocal à l’université. Prenant son silence pour un acquiescement, elle voulut l’enlacer et il fit un pas en arrière.

— Cheng Chang, demanda-t-il. Mister Cheng Chang. Elle ne sembla pas comprendre. De nouveau elle se rapprocha. Malko, à tout hasard, ouvrit une porte devant lui. Cinq filles seules jouaient au fan-tan sur une table boiteuse. Elles s’arrêtèrent en le voyant. Deux se levèrent et vinrent vers lui. De nouveau les explications laborieuses recommencèrent. Cheng Chang semblait être complètement inconnu. Plus Malko s’entêtait, plus elles secouaient la tête. Soudain l’une d’elles eut un rire aigu et interpella les autres.

Puis, elle prit Malko par le bras, et, avec une mimique expressive, lui fit signe de le suivre. Elle puait le patchouli et la sueur et à chaque marche s’amusait à frôler Malko. Ils montèrent deux étages. La fille frappa deux coups à une porte et attendit. Il y eut un remue-ménage puis le battant s’ouvrit. La fille eut un gloussement de joie et poussa Malko en avant.

Il était pourtant blindé contre l’horreur mais il eut un sursaut de dégoût. L’ampoule jaunâtre éclairait une apparition dantesque. Une Japonaise en kimono, le faciès décharné, les deux yeux crevés, ne laissant apparaître que le blanc. Elle murmura une phrase d’accueil en japonais et s’inclina. Malko en eut le cœur sur les lèvres.

— Cheng Chang, cria-t-il, dégoûté, à l’autre fille qui regardait en ricanant bêtement.

Soudain, il y eut un pas lourd dans l’escalier et un gros Chinois se matérialisa sur le palier. En gilet de corps, les cheveux huileux, des avant-bras énormes, il était tout, sauf rassurant. En très bon anglais, il demanda :

— Qu’est-ce qui ne va pas, sir ?

— Je cherche un certain Cheng Chang, dit Malko. Il m’a donné rendez-vous ici.

Les petits yeux se vrillèrent dans les siens.

— Mister Cheng Chang. Je ne connais pas. Cela doit être une erreur. Vous ne voulez pas une fille ? Elles ne vous plaisent pas ?

Malko serra les lèvres :

— Je vous dis que je cherche Cheng Chang. Il doit être ici.

L’autre haussa les épaules et prit Malko par le bras. Ses doigts étaient durs et crochus comme des pinces d’acier :

— Si vous ne voulez pas de filles, sir, répéta-t-il, il faut partir, nous ne voulons pas de scandale.

Une seconde les deux hommes se dévisagèrent. La Japonaise attendait, le visage mort. Pour gagner du temps, Malko demanda :

— Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?

Pour le coup, le Chinois s’anima, découvrant assez de dents en or pour rendre jalouse l’Afrique du Sud.

— C’est une Japonaise, sir. Nous en avons trois. Elles ont été capturées pendant la guerre et nous leur avons crevé les yeux parce que les Japonais étaient très cruels avec nous. Maintenant, nous les réservons aux clients japonais, n’est-ce pas, sir ? Mais si vous voulez, c’est vingt dollars Hong-Kong…

Il luisait de joie… l’immonde. Malko se sentit des idées de meurtre, mais ce n’était pas le moment. Il préféra tirer un billet de cinquante dollars Hong-Kong et le tendre au Chinois.

— Vous êtes sûr que vous ne connaissez pas Cheng Chang ?

Le Chinois ne prit même pas le billet. Stupéfiant. Il secoua la tête sans répondre comme s’il n’avait même pas compris la question. Découragé, Malko rempocha l’argent et redescendit l’escalier.

Le brouhaha et l’odeur de Temple Street étaient toujours aussi effroyables. Une fillette l’aborda, cherchant à l’entraîner dans l’ombre. Il resta quelques secondes devant le numéro 34, se demandant s’il n’allait pas prévenir le colonel Whitcomb. Mais si Cheng Chang était là, on aurait dix fois le temps de le faire disparaître.

Bonne idée pourtant de lui avoir donné rendez-vous dans un bordel ; c’est le dernier endroit où on l’aurait suivi et le seul où il pouvait se rendre sans éveiller les soupçons. Soudain quelque chose bougea dans le couloir. Malko s’avança et vit le gros Chinois. Il fit signe à Malko d’avancer.

— Money, murmura-t-il.

Malko tendit un billet de cent dollars, plié, que l’autre fit disparaître :

— M. Cheng Chang est parti, fit-il. Beaucoup peur.

— Quand ?

Le Chinois regarda autour de lui.

— Pas longtemps.

— Où ?

L’autre secoua la tête.

— Je ne sais pas, sir. Beaucoup de gens cherchent Cheng Chang… Une fille. Puis une autre fille venue, après.

— Une fille belle ? La première ?

— Oui, oui.

Le Chinois n’avait plus qu’une envie : filer. Avec un geste vague il rentra dans l’obscurité, laissant Malko au bord de la dépression nerveuse. Où était Cheng Chang ? Et Mina, surtout ? C’est sa venue qui avait provoqué la fuite du Chinois. Qui était la seconde femme qui traquait Cheng Chang ? Mina avait bien une demi-heure d’avance sur lui, à cause du ferry.

Il allait repartir vers Nathan Road lorsqu’il sentit une main maigre s’accrocher à la sienne.

Un gamin d’une quinzaine d’années se tenait dans l’ombre. Maigre, les yeux brillants avec un blue-jean collant et un maillot de corps. D’abord Malko le prit pour un jeune pédé et se dégagea. Mais le Chinois s’accrocha en murmurant :

— Mister Cheng Chang. You come.

Malko sursauta. Ce n’était pas le même qu’à Aberdeen. On aurait cru du Kafka. À mesure qu’il se rapprochait, Cheng Chang fuyait. Il eut d’abord envie de l’envoyer au diable. Puis il lui posa des questions, mais l’autre secouait la tête. Il avait été au bout de son anglais. De guerre lasse, Malko fit signe qu’il était prêt à le suivre.

Ils débouchèrent dans Nathan Road, et le gamin s’arrêta à un taxi. Il monta près du chauffeur. Une discussion s’engagea. Apparemment, le chauffeur ne voulait pas aller là où l’autre voulait. Le jeune Chinois fit mine de descendre et, enfin, par gestes, réclama de l’argent à Malko. Le chauffeur, lesté de dix dollars, consentit à démarrer. La circulation était fluide, et très vite ils sortirent de Kowloon par Nathan Road, remontant vers le nord. D’immenses HLM pouilleuses, avec des tonnes de linge aux fenêtres, bordaient la route. Puis le paysage changea.

On se serait cru en Norvège. Les phares éclairaient des bois de sapin et de petits lacs tranquilles, escarpés comme des fjords. Ils entraient dans les Nouveaux-Territoires, la bande de terre montagneuse et surpeuplée, coincée entre Kowloon et la frontière de la Chine rouge. Malko était rien moins que rassuré : la grande plaisanterie des Chinois communistes était d’enlever des Blancs et de les rendre après plusieurs mois… quand ils les rendaient. Et Dick Ryan ne savait même pas où il se trouvait…

Ils roulèrent près d’une demi-heure, traversant plusieurs villages endormis. Kowloon était loin derrière eux.

La route était bordée de rizières. Ils croisèrent un petit convoi militaire anglais et retrouvèrent le bord de mer, passant devant une fabrique de jonques, encore éclairée. Puis un grand écriteau, noir sur fond blanc, apparut dans la lumière des phares. « Cha-to-kok. »

C’était un des villages frontières de la colonie. Malko se souvenait parfaitement de l’avoir situé sur la carte. La moitié des maisons se trouvaient en territoire communiste. Sur les indications du guide, le taxi s’arrêta au bord de la route. Malko descendit.

Ils se trouvaient le long des premières maisons, devant un pont franchissant une rivière à sec. Un kilomètre plus loin, il y avait des soldats chinois. De jour, on pouvait apercevoir les barbelés du poste anglais qui défendait la route. Sans laissez-passer, il était impossible de franchir le barrage. Le chauffeur avait déjà fait effectuer un demi-tour à la Datsun et houspillait le guide pour être payé. Malko se vit déjà revenant à pied à Kowloon… Il ne manquait plus que cela. Pour frapper un grand coup, il sortit un billet de cent dollars, le coupa en deux et en tendit la moitié au Chinois, lui faisant comprendre, par une mimique appropriée, qu’il aurait la seconde moitié à son retour.

L’autre grommela, empocha le demi-billet et stoppa son moteur.

Mais que diable étaient-ils venus faire ici ? Ils se trouvaient à près de dix milles de Hong-Kong.

Son guide semblait impatient de s’enfoncer dans le village qui s’ouvrait, désert et mort en apparence. Ils enfilèrent une ruelle si étroite qu’ils pouvaient difficilement marcher à deux de front, à cause des innombrables éventaires étalés devant de minuscules boutiques. Au fond de chacune d’elles, des visages apparaissaient à la lueur d’une lampe à pétrole. Certains sortaient sur leurs talons, silencieusement. Ils ne devaient pas souvent voir de Blancs…

Le guide hésitait. Il demanda plusieurs fois son chemin. Soudain, il s’arrêta devant ce qui semblait être une grange. Après avoir inspecté les alentours, il poussa vivement Malko à l’intérieur. On n’y voyait goutte, mais l’odeur fade de l’opium flottait, épaisse et lancinante. Le jeune Chinois avait refermé la porte derrière eux. Malko sentit qu’il lui prenait la main et qu’il le guidait dans un escalier raide, étroit et branlant.

Ils débouchèrent dans un grenier, faiblement éclairé par deux petites lampes à pétrole. Plusieurs hommes étaient étendus sur une sorte de bat-flanc rectangulaire. Quand les yeux de Malko se furent habitués à la pénombre, il distingua une petite vieille accroupie dans un coin, vêtue de hardes noires, puis un second cercle de fumeurs. Il se trouvait dans une fumerie clandestine.

Certains fumeurs étaient couchés en rond, à même le sol, sur des morceaux de vieux journaux, la tête calée sur des billots de bois, avec au milieu des tasses de thé et des paquets de cigarettes. D’autres étaient étendus sur le bat-flanc. Silencieusement les fumeurs se passaient les deux uniques pipes de la fumerie, fumant tour à tour une boulette d’opium. C’était une fumerie de pauvres.

La plupart se dressèrent sur leurs coudes devant les cheveux blonds de Malko, pleins de méfiance. Il y eut une discussion animée entre la vieille et le jeune Chinois. Finalement, ce dernier prit Malko par le bras et le força à s’installer au milieu des fumeurs, assis à même le sol. Poliment les Chinois lui firent de la place et il se retrouva sur un journal presque propre, avec un petit oreiller de bois ! Furieux il interpella le guide et se releva :

— Where is Cheng Chang ?

Il s’ensuivit une explication confuse et embrouillée. La vieille, qui baragouinait quelques mots d’anglais, s’en mêla, tirant Malko par la manche. Finalement, il crut comprendre que Cheng Chang se trouvait quelque part dans Cha-to-kok, à un endroit que son guide devait découvrir. Le seul endroit où Malko pouvait attendre en toute sécurité était la fumerie. Celui-ci se résigna. Discuter eût fait perdre encore du temps.

Le jeune Chinois disparut dans l’escalier et Malko se retrouva avec la pipe commune dans la main. Obligeant, son voisin fit griller une boulette d’opium et l’introduisit dans le fourneau. Malko aspira une longue bouffée. À la sixième bouffée, il se sentait déjà moins nerveux. Voyant qu’il savait fumer, les Chinois ravis se disputèrent l’honneur de lui préparer sa pipe. Tout cela sans le moindre échange de parole. Et pour cause.

Les pipes succédèrent aux pipes. Les Chinois bavardaient entre eux à voix basse. La vieille apportait thé et cigarettes. Malko avait un peu perdu la notion du temps. L’odeur de l’opium l’étourdissait. Il n’avait plus envie de bouger. Personne ne s’occupait plus de lui.

De temps en temps la pensée que Cheng Chang se trouvait à quelques centaines de mètres lui arrachait un sursaut, mais, comme si ses voisins avaient deviné ses soucis, il y avait toujours une pipe toute prête… Plusieurs fumeurs se levèrent et s’en allèrent, laissant entre les mains de la vieille un billet froissé.

Son guide réapparut tout à coup, essoufflé et décoiffé. Malko se leva d’un bond. Le jeune Chinois était dans un état d’agitation extrême, marmonnait des mots incompréhensibles. Il fit comprendre à Malko qu’il fallait payer la vieille et lui arracha trois billets de dix dollars qu’elle fit disparaître aussitôt. Malko eut le pressentiment d’une catastrophe.

— Quick, quick, répétait le Chinois en le poussant dans l’escalier.

Une fois dehors, il se mit à courir dans la ruelle, déserte maintenant. Le village était un véritable labyrinthe de chemins obscurs. Seul, Malko ne s’y serait jamais retrouvé.

Son guide s’arrêta enfin devant une porte de bois, qu’il ouvrit brutalement.

— Here, fit-il, avant de s’enfuir en courant, visiblement peu soucieux de se mêler à cette histoire.

Malko entra. C’était une pièce en terre battue, avec une lampe à pétrole, accrochée à une poutre, qui diffusait une lumière extrêmement faible. Une masse sombre bougeait au centre de la pièce, par terre, laissant échapper des halètements. Malko s’approcha et distingua la tache plus claire d’une cuisse de femme avec une main aux longs ongles rouges crispés dessus. Il y eut un hurlement rauque, quand la main remonta, saisissant à pleine main l’entrejambe. Deux femmes étaient en train de se battre férocement. Sans un mot, sans même s’apercevoir de la personne de Malko.

Il y eut une nouvelle empoignade et les deux combattantes roulèrent l’une sur l’autre. Malko eut le temps de reconnaître le visage convulsé de Mina. Une grande estafilade saignait sur sa joue, ses yeux étaient hagards, elle haletait, un rictus de haine forcenée la défigurait presque.

— Mina ! appela Malko.

La Chinoise ne répondit pas. D’un coup de reins, elle venait de clouer son adversaire au sol en s’asseyant sur son ventre. Malko reconnut la deuxième veuve de Cheng Chang, celle qui avait voulu le tuer. Elle semblait encore plus mal en point que Mina, respirait à peine, les yeux fermés. Celle-ci arracha son chemisier brutalement, découvrant la poitrine de l’autre Chinoise. Il y eut un cri horrible. Mina se redressa et cracha le bout d’un des seins…

Un flot de sang jaillit de la poitrine mutilée. Toujours à genoux sur son adversaire, Mina arracha une de ses chaussures à hauts talons, la brandit et l’abattit de toutes ses forces sur le visage de la blessée. Le talon aigu s’enfonça dans l’œil droit comme un pieu et resta planté. Mais le sursaut de l’adversaire de Mina sous l’effroyable douleur, fut si violent qu’il la désarçonna.

Mina se releva d’un bond, les yeux fous, échevelée. Son regard traversa Malko sans le voir. Elle plongea dans un recoin sombre et émergea, brandissant à deux mains une grosse fourche à trois dents.

Avant que Malko puisse intervenir, elle brandissait la fourche au-dessus du corps inerte de son adversaire. Avec un « han » de bûcheron, elle l’abaissa de toutes ses forces sur le ventre.

La Chinoise blessée se recroquevilla comme une araignée. Le hurlement d’agonie qui jaillit de sa gorge s’écrasa sur les murs de pierre épaisse. Les trois dents de la fourche s’étaient enfoncés de vingt centimètres, la clouant au sol. Ce n’était pas assez pour Mina. Comme si elle avait pilé du mil dans un mortier, elle arracha la fourche et refrappa plus bas, vers le sexe, recommença son geste inlassablement. On aurait dit qu’elle écrasait un animal malfaisant. Blessée à mort, la Chinoise se tordait comme un ver de terre coupé en morceaux, exhalant un râle rauque. Toute sa vie, Malko aurait dans les oreilles le cri de la fille transpercée.

Enfin, Mina planta la fourche une dernière fois dans le corps agité d’un tremblement convulsif. La tête retomba en arrière, elle agonisait.

Seulement, alors, elle sembla s’apercevoir de la présence de Malko. Il se trouvait entre la porte et elle. La fourche haute, aux pointes encore gluantes de sang, elle marcha sur lui.

— Laissez-moi passer, ordonna-t-elle ou je vous cloue contre le mur comme cette putain.

Elle l’aurait fait sans la moindre hésitation. Malko regarda la femme en train de mourir, puis s’écarta légèrement.

— Où est Cheng Chang ? demanda-t-il.

Mina se plaça rapidement entre la porte et lui, et l’ouvrit.

— Là, fit-elle en désignant un coin de la pièce. Rapidement, elle se jeta dehors. Malko s’approcha de l’endroit qu’elle avait désigné.

Un homme était allongé sur de vieux sacs. Presque nu. Il avait été affreusement torturé. L’œil gauche pendait sur la joue, vraisemblablement énucléé d’un coup de pouce. Les parties sexuelles avaient démesurément enflé sous les coups. Malko se détourna, réprimant une nausée. L’odeur fade du sang se mélangeait à celle de la crasse. Il toucha le visage du mort : le corps était encore chaud. Il avait donc été torturé pendant que Malko se trouvait dans la fumerie. Par Mina ou par l’autre tigresse.

Surmontant son dégoût, il retourna le corps. Il n’y avait rien dessous, que des chiffons imprégnés de sang. Cheng Chang avait définitivement emporté son secret dans la tombe. Cela n’expliquait pourtant pas les tortures. Il suffisait de le tuer pour l’empêcher de parler. Sauf si c’était Mina. Malko avait du mal à imaginer autant de férocité de la part d’une fille aussi jeune. Pourtant, il l’avait vue à l’œuvre…

Il fouilla la pièce rapidement, puis sortit. Il reconstituait toute l’histoire. La seconde Chinoise devait le surveiller. Après avoir assisté à la bagarre du Marché de la nuit, elle avait suivi Mina qui l’avait menée à Temple Street. Ensuite les deux femmes avaient dû se battre, devant le cadavre de Cheng Chang.

Les petites ruelles de Cha-to-kok étaient maintenant calmes et silencieuses. Il tourna près d’un quart d’heure avant de retrouver la grand-route.

Le taxi était toujours là, le chauffeur endormi au volant. Il le réveilla et s’affala à l’arrière du véhicule. Maintenant, il fallait retrouver Mina.

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