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Alors, par quoi je commence ?

Par une valeur sûre : le collier protecteur.

Je l’ai fabriqué moi-même en puisant dans le coffre maternel, régulièrement et généreusement rempli par mon père…

Sur le lacet de cuir, il y a un rubis pour prévenir les mauvaises intentions, un diamant pour juguler les énergies malveillantes et un jade pour lutter contre les épuisements. Ces pierres doivent être activées, sous peine de n’exister qu’en termes de symbole, dont s’accommodent la plupart des gens. Activées et régulièrement purifiées. Sinon elles s’encrassent et fonctionnent moins bien. Voire plus du tout.

Lorsque le copain du meurtrier m’a attaqué dans la rue, j’aurais dû y passer. Mais le rubis m’a prévenu, le diamant a bu une partie du rayon mortel et le jade m’a donné la force de m’enfuir. En se déchargeant totalement.

Je m’accroupis et déballe mon matériel sur le tapis de l’ascenseur, bloqué entre deux étages. Le miroir en pied me renvoie mon image, celle d’un garçon crevé, au teint plus blanc que des œufs en neige. Dès que la situation se sera améliorée (un peu d’optimisme ne fait jamais de mal), je m’occuperai sérieusement de ma pomme !

Comme d’habitude, les quatre éléments jouent un rôle incontournable. J’allume donc une bougie (tant pis pour les gouttes de cire sur la moquette), verse un peu d’eau dans le mini-chaudron, ouvre le bocal empli de terre que j’ai pris soin d’emporter. Pour l’air, je vais me contenter de celui qui se trouve autour de moi.

Pas besoin de pentacle, c’est un rituel, pas un sortilège. Et tant mieux, parce que j’imagine déjà la tête du personnel d’entretien nettoyant l’ascenseur…

Pourquoi j’ai attendu aussi longtemps pour réactiver mon amulette ? Parce que recharger des pierres vidées de leur énergie réclame du temps et des efforts. Je l’avoue, j’ai un côté paresseux, du genre : « Pourquoi faire aujourd’hui ce qu’on peut remettre à demain ? »

« C’est au pied du mur qu’on voit le prisonnier ; c’est derrière le mur qu’on reconnaît l’évadé », me répond lugubrement le hussard philosophe Gaston Saint-Langers. Escaladons le mur, alors.

Je mélange du gros sel et de l’eau dans une assiette et j’y plonge mon collier. Avant de songer à lui redonner vie, il est nécessaire de purger les pierres des ondes négatives qu’elles ont absorbées au contact du rayon étrange. Puis je ferme les yeux et… et je lutte contre une terrible envie de m’endormir.

Je dois me concentrer.

Je me focalise sur ma respiration. J’inspire. J’expire. Le souffle est le moteur principal de la magie. Je respire, dans l’obscurité de mes paupières, je m’éloigne de mes propres pensées, qui se détachent et tombent de moi comme des feuilles mortes. Encore une inspiration. Voilà, je suis en état alpha, l’état des transes légères. L’état de clairvoyance.

Je rouvre les yeux.

Le monde a changé. Il est devenu plus net. Plus lumineux, tranchant avec la lumière sale du néon de l’ascenseur. Les mouvements sont ralentis.

« Waouh ! C’est vachement beau ! »

Trop crevé pour m’extasier avec toi, Ombe.

Je sors le collier de l’assiette, l’essuie dans une serviette propre avant de le passer, lentement, très lentement, au-dessus de la bougie.

L’énergie dégagée par la flamme, halo rougeâtre, est reconnaissable entre toutes.

Mon esprit s’en empare et l’oblige à investir les pierres. Réticentes, elles frémissent. Je les apaise en murmurant leur nom :

— Sar norna Sar norna… Sar car culina Sar culina… Aran saron Aran saron…

Le collier toujours serré dans mon poing, je survole le chaudron et son halo blanchâtre, sollicite l’énergie de l’eau avec la même intensité, calme les pierres avec des mots.

Je me tourne ensuite vers la terre et son énergie noire. Vers l’air, enfin, à la fois lait et brume.

Le rituel achevé, j’attache le collier autour de mon cou. Le jade, le rubis et le diamant pulsent contre ma poitrine. Je sors alors de mon état de transe en me frottant les yeux.

Bon, j’ai une armure (je touche mon collier). Il me faut une épée ! Enfin, l’équivalent. Un modèle de soleil en boîte destiné non plus aux vampires, mais aux humains. Le plus simple reste d’introduire une grande quantité d’énergie dans un objet et de la libérer au moment voulu avec une formule. Schhhhhlaaaa. Rayon de la mort contre rayon de la mort, quoi. J’y ai pensé tout à l’heure. C’est pour ça que j’ai pris une des bagues de ma mère, un anneau formé de fils d’or et d’argent entrelacés.

L’or qui condense si bien la lumière et retient si facilement les énergies.

L’argent qui favorise la magie et les pouvoirs intérieurs.

Je ne me sens pas capable de bâtir un sortilège complexe. Je me contente de retourner en état alpha et de m’arrêter au-dessus de la bougie pour remplir la bague avec l’énergie du halo rougeâtre.

— alta Malta… Ilsa Ilsa… je murmure pour ouvrir les métaux à l’énergie du feu. A avalerna olcor&Q A avalerya poldorë ! emprisonnez la force !

Je glisse l’anneau à mon doigt avant de chanceler et de m’effondrer sur le sol. J’en ai trop fait, je crois. Et la bruyère ne pousse pas sur le béton ! Il faut que je quitte à tout prix le secteur avant que les Agents de l’Association ne débarquent.

Je me relève en titubant, je range mon matériel dans le sac. Je débloque l’ascenseur qui reprend sa descente, après un temps d’hésitation et un grincement sinistre.

La planque où je compte me réfugier est à peine plus confortable que cette cabine.

Mais au moins, j’y serai à l’abri.

Enfin j’espère…

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