8

Le petit Fokker « Friendship » se posa dans un nuage de poussière ocre, faisant fuir une douzaine de moutons paisiblement occupés à brouter l’aire d’atterrissage. Chris et Milton ouvrirent de grands yeux et demandèrent à Malko :

— On est en Afrique ou quoi ?

— Non, en Sardaigne. Mais c’est à peu près la même chose. Effectivement l’aéroport d’Olbia se composait en tout et pour tout d’une baraque en bois servant à tous les usages et d’un bout de champ occupé en permanence par un troupeau de moutons, très bien dressés puisqu’ils s’écartaient devant les avions.

Les formalités de débarquement furent réduites à leur plus simple expression. Un douanier pas rasé et débraillé jeta un coup d’œil découragé au tas de bagages sorti de l’avion et demanda à la cantonade :

— Rien à déclarer ?

Devant le manque évident de bonne volonté des passagers dont la plupart ne comprenaient pas un traître mot d’italien, il rentra dans la baraque terminer sa partie de cartes et on ne le revit plus. Il avait des excuses : la chaleur était tout simplement saharienne. Pas un souffle d’air, pas un nuage et le soleil, accroché haut dans le ciel, tapant sans pitié, sur un paysage sauvage et désertique. Malko avait retenu une voiture en câblant de Genève. Ils étaient partis le soir même de la mort du docteur Weisthor. Grâce à lui, un maillon de la chaîne s’était mis en place. Mais il restait encore beaucoup à découvrir. Et surtout à retrouver Kitty. Un petit Sarde volubile lui présenta une Fiat 2300 en assez bon état, tenta de lui extorquer un pourboire et le mit en garde :

— Signor, si vous voyez des carabiniers sur la route qui vous font signe, arrêtez-vous vite, sinon c’est dangereux…

— Pourquoi ? fit Malko un peu étonné. L’autre eut un geste évasif.

— Ils sont très nerveux ces temps-ci. Il y a eu beaucoup d’enlèvements. Pour des rançons. Alors ils tirent un peu vite… Mais quelquefois ce sont de faux carabiniers qui sont sur la route, des bandits. Alors là, il ne faut pas s’arrêter…

— Et comment reconnaît-on les vrais des faux ?

Le Sarde resta muet. C’est un problème qu’il n’était pas chargé de résoudre. D’ailleurs les bandits sardes s’attaquaient rarement aux étrangers pour ne pas nuire au tourisme. Et ils auraient été particulièrement mal venus de stopper la voiture de Malko. Entre Chris et Milton, cela faisait à peu de chose près la puissance de feu d’un bataillon de carabiniers.

La Fiat 2300 sortit de l’aéroport et s’engagea dans une route étroite, aveuglée de soleil. Autour d’eux s’étalait un pays désertique sans la moindre ferme, avec une végétation rabougrie. Même les chèvres y mouraient de faim. Il fallait être ce fou d’émir pour avoir acheté de la terre dans ce coin-là. Il n’avait pas été difficile pour Malko de retrouver sa piste. L’émir Katar avait acquis avec d’autres amis de sa race tout un morceau de Sardaigne pour y implanter des hôtels et des lotissements immobiliers. Le tout dans l’endroit le plus désert de l’île, afin d’en faire une « réserve » de milliardaires. Pour donner l’exemple, il y passait chaque année plusieurs semaines, ce qui ne le changeait pas beaucoup de son climat habituel.

Ayant littéralement fait sortir de terre des villages, l’émir était considéré par les autorités sardes comme Dieu le père. Difficile d’aller l’accuser de meurtre et de kidnapping. Surtout à titre officieux. Car Foster Hillman était encore vivant pour cinq jours. En conduisant, Malko tentait d’assembler les morceaux du puzzle. Quel lien unissait Hillman, la belle princesse Riahi, l’émir Katar et les barbouzes de Nasser ? Et pourquoi cet homme si riche s’était-il lancé dans cette sinistre aventure ? Weisthor aurait pu répondre à toutes ces questions, mais il était mort.

Ils roulèrent une heure environ sur une route défoncée et déserte sans croiser une seule voiture, puis se trouvèrent brusquement en face d’un grand panneau vert annonçant : « Ici commence la Costa Luminosa. Propriété privée ».

Le paysage était toujours aussi désertique mais les nids de poule faisaient place à une route macadamisée flambant neuf. L’émir faisait bien les choses. Le paysage était superbe : des rochers abrupts tombant dans la mer, des criques de sable et de rochers, des pics, dans le lointain, se découpant dans l’air sec. Et pas un chat ! Si !

En sortant d’un virage, Malko freina brusquement réveillant Chris et Milton qui somnolaient. Une Alfa-Roméo, conduite intérieure grise avec un phare sur le toit, était en travers de la route, avec plusieurs hommes en uniforme gris. La Fiat 2300 stoppa au milieu d’un groupe de carabiniers armés, jusqu’aux dents, de mitraillettes. En reconnaissant des étrangers, le chef salua poliment et se pencha vers Malko :

— Scusi ! Nous cherchons des bandits.

— Je vous en prie, dit Malko. Vous en attrapez souvent ? Le Sarde découvrit des dents éblouissantes :

— Non. Jamais. Ma…

— Nous allons chez l’émir, demanda Malko. Est-ce encore loin ?

— Il Principe ?

Une coulée de respect figea le carabinier. Encore un qui était esclave des apparences.

— Dieci minuti, annonça-t-il en saluant respectueusement et en reculant. Ce qui lui épargna de voir Chris Jones, toujours prudent, rengainer son Colt magnum, sorti à tout hasard.

Ils quittèrent la plaine pour une étroite route en lacets serpentant sur le dos des falaises à pic. En bas, la mer avait la couleur de l’émeraude. De loin, Malko aperçut un ensemble de bâtiments blancs nichés dans une anse en pente douce. Quelques coups de volant et il arriva devant un écriteau annonçant Hôtel Cala di Volpe[10].

Charmant présage. L’hôtel était très joli, bien que moderne, construit dans le style des vieilles maisons sardes sans aucun angle vif, car c’est, paraît-il, dans les coins que se cachent les fantômes… Une piscine grande comme le lac de Genève jouxtait la mer. Plusieurs petits bateaux étaient ancrés dans la baie.

De Genève, Malko avait retenu des chambres. Le directeur, Suisse blond et charmant, les pilota dans un dédale de galeries. Les chambres avec air conditionné étaient agréablement décorées. Sous le lit de Malko, il y avait bien une souris morte, mais le directeur lui jura qu’elles venaient rarement mourir dans cette chambre-là. Généralement, elles expiraient dans les chambres du personnel. Trempé de sueur, imprégné de poussière, Malko se précipita sous une douche. Ses yeux dorés viraient au rouge, de fatigue. Depuis qu’ils avaient quitté New York, ils n’avaient jamais dormi plus de cinq heures par nuit. C’était une véritable course contre la montre pour retrouver Kitty avant que ses ravisseurs ne la torturent un peu plus. Avant aussi l’annonce officielle de la mort de Hillman. Se sachant traqué, il y avait alors beaucoup de chances pour que l’émir la fasse disparaître.

Changé, propre, ayant revêtu un de ses impeccables complets d’alpaga bleu nuit, Malko mit sur le bureau la photo panoramique représentant son château et convoqua les gorilles pour un briefing devant une carte du pays.

À dix kilomètres de l’hôtel, il y avait un petit village, Porto-Giro, centre de tourisme. La propriété personnelle de l’émir Katar était un peu plus loin, au nord.

— Allons faire un tour avant qu’il fasse nuit, proposa Malko. Nous n’avons pas de temps à perdre.

Un quart d’heure plus tard, après des lacets vertigineux, ils débarquaient sur une placette ravissante bordée de boutiques de luxe vendant tout au poids de l’or. Elles avaient peu de clients et se rattrapaient comme elles pouvaient. Des groupes de touristes anglais, italiens et français baguenaudaient. Un peu plus bas, il y avait un petit port tout neuf, plein de yachts. Vraiment une vision rassurante et gaie. Pourtant, si le docteur Weisthor n’avait pas menti, Kitty Hillman se trouvait à quelques kilomètres, torturée et mutilée. Mêlés aux touristes, Chris et Malko descendirent par un étroit sentier puis par un pont enjambant un canal jusqu’au port. Milton était resté en haut, à la terrasse d’un café, à tout hasard. Deux douzaines de très beaux yachts, dont un superbe trois-mâts, La Croix-du-Sud, étaient à quai. Malko s’approcha d’un marin qui traînait près du poste d’essence et demanda :

— Où est le bateau de l’émir ?

L’homme désigna de la tête un gros cabin-cruiser bardé d’antennes, amarré au quai, le Basra.

Il n’y avait aucun signe de vie à bord et la passerelle était relevée. Malko et Chris s’arrêtèrent un peu plus loin pour l’observer. Deux jeunes filles d’allure Scandinave en short ultra-court, moulant des fesses rondes, les mêmes cheveux blonds sur les épaules, la poitrine sans soutien-gorge, traînaient lentement le long des bateaux. Elles se firent héler par un gros homme en chemise hawaïenne du pont d’un ketch. Au bout de cinq minutes de discussion, ponctuée d’éclats de rire, elles franchirent la coupée… et s’installèrent sur le pont, autour d’une table chargée de verres.

Chris Jones regardait tout cela avec ébahissement. Il n’avait jamais vu autant de yachts privés.

— Eh ! oui ! fit Malko. C’est ce qu’on appelle la dolce vita. Nous ne trouverons rien ici. Il faut aller voir où demeure l’émir. Kitty n’est certainement pas sur le bateau.

Ils rejoignirent Milton Brabeck plongé dans la contemplation des mini-jupes et des maillots microscopiques. C’était à qui porterait les lunettes les plus énormes et le maillot le plus petit. Cerné par les seins et les fesses bronzées, le gorille commençait à se poser des questions sur la civilisation occidentale.

— On se croirait à Saint-Tropez, soupira Milton avec un mélange de nostalgie et de dégoût, mais où la nostalgie l’emportait nettement. De nouveau, ce fut l’escalade des collines desséchées. Peu après le village, ils quittèrent la route goudronnée pour un chemin de terre qui les mena au sommet d’une colline, couverte d’énormes rochers. La Fiat 2300 cahotait et cognait, heurtant d’énormes pierres, tombant dans des ornières, au milieu d’un nuage de poussière. En sueur, Malko stoppa enfin sur un petit rond-point désert dominant tout le paysage. Ils avaient une vue splendide, avec à gauche une baie très découpée où la côte rocheuse s’abaissait jusqu’à former d’étroites plages. Plusieurs bâtiments blancs, éblouissants sous le soleil, étaient groupés autour de la plus grande des criques, où un wharf en bois permettait d’accoster. Derrière, un désert pierreux montait en pente douce jusqu’aux premiers contreforts de la montagne.

— C’est là qu’habite l’émir, annonça Malko.

Les deux gorilles descendirent de la Fiat, de la sueur plein les yeux. Malko prit une paire de jumelles dans la voiture et les braqua sur les maisons. C’était peu encourageant. Du côté mer, le seul accès était le wharf. De part et d’autre, les rochers tombaient à pic dans l’eau. D’où il était, Malko pouvait voir deux sentinelles en uniforme qui gardaient l’extrémité. Ils faisaient partie de la garde personnelle de l’émir, composée à moitié de Sardes, à moitié d’Arabes, tous armés et revêtus d’une tenue paramilitaire, grâce à un arrangement avec les carabiniers. L’ensemble se composait d’une dizaine de bungalows plats, ceux du Prince en arrière des autres réservés aux invités de marque de la Costa Luminosa. Un grand patio, agrémenté d’une piscine, large de près de trente mètres, délimitait la partie secrète des appartements de l’émir Katar. Des gardes en interdisaient l’accès à quiconque. L’émir avait, paraît-il, installé fastueusement ce domaine où il donnait de temps à autre des fêtes grandioses pour les milliardaires de la Café Society. Une certaine année, Frank Sinatra s’était beaucoup fait remarquer en débarquant d’hélicoptère directement dans la piscine. Bien entendu, la propriété était protégée par l’immunité diplomatique, tout comme Son Excellence Abdullah Al Salind Katar lui-même. L’air chaud dessinait des formes étranges dans les jumelles. À part le grincement des grillons, le silence était absolu. Tout semblait calme et paisible chez l’émir. Personne en vue, à part les gardes écrasés de chaleur. C’était l’heure de la sieste.

Malko mit ses jumelles au point et aperçut, gardant le patio, un garde arabe assis sur un banc, les jambes relevées, un fusil à la main, regardant avec ennui l’eau immobile de la piscine. Kitty Hillman se trouvait quelque part de l’autre côté du garde, inaccessible. Il abaissa les jumelles, plutôt découragé, essuya la sueur sur son front et croisa le regard de Chris. Il faisait une température d’enfer sur cette colline. Un serpent fila entre les rochers.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Milton. Si on reste ici on mourra carbonisés.

Chris Jones clignait des yeux ; il remarqua :

— C’est impossible de se faufiler de jour. Il faut y aller la nuit, neutraliser les gardes et chercher la petite.

Malko remit ses lunettes et répliqua :

— Impossible. L’attaque d’une propriété privée à main armée, c’est un délit assez sérieux dans les pays civilisés. Et en plus, nous sommes dans une île. N’oubliez pas que notre histoire ne regarde pas les Italiens et notre appartenance à la C.I.A. ne nous met pas à l’abri des lois. Si les carabiniers prennent parti ce sera contre nous.

— Mais enfin, grogna Chris, le kidnapping, c’est un crime dans tous les pays. Et la petite est là-bas, non ?

— Le temps qu’on alerte officiellement les autorités, conclut Malko, l’émir a cinquante fois le temps de la faire disparaître. En admettant que les Italiens nous croient. Et rien n’est moins sûr. Cette affaire est trop secrète et trop gênante pour que le Gouvernement intervienne. Au moment où les Anglais découvrent que l’un des chefs de leur M.I. 5 était un agent double, il n’est peut-être pas indispensable de jeter la suspicion sur la C.I.A.

— Alors, on n’a plus qu’à reprendre l’avion ? fit Milton boudeur. Malko jeta les jumelles dans la voiture et s’épousseta. En dépit de la chaleur terrifiante, il avait un costume et une chemise de toile.

— On ne reprend pas l’avion. Je n’abandonnerai pas Kitty, fit-il. Je vais aller rendre visite à l’émir.

Chris sauta en l’air comme si un scorpion l’avait piqué :

— Non, mais vous êtes dingue ? Malko secoua la tête.

— Non. C’est la seule chose à tenter. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Katar risque de torturer encore Kitty puisqu’il ignore que Foster Hillman est mort. Il pense que ce dernier essaie de récupérer sa fille par tous les moyens. Cela risque de le faire changer d’avis de savoir que Kitty ne lui est plus d’aucune utilité et que nous sommes là. Je préfère abandonner toute vengeance contre lui et récupérer cette jeune fille.

Le gorille était sceptique.

— Il va nous envoyer balader. Malko haussa les épaules.

— C’est un risque à prendre. Après il n’y aura plus que la manière forte. Mais pour l’instant, je ne vois aucun moyen de pénétrer, sauf un assaut de front, impensable. Et nous ne pouvons pas rester là à nous tourner les pouces.

— Laissez-nous venir avec vous, proposa Chris.

— Non. S’il y a un coup dur, il vaut mieux que vous soyez dehors. Ils remontèrent en silence dans la voiture. Avant d’aller chez l’émir, Malko voulait les déposer à l’hôtel. Il n’avait pas livré tout à fait le fond de sa pensée : en intervenant ouvertement, il espérait que l’émir n’oserait pas continuer ses sévices sur Kitty. Cela donnait le temps de la délivrer.

Ils refirent la route à toute vitesse. À l’embranchement de la route de Porto-Giro, il y avait un groupe de carabiniers et, un peu en retrait de la route, sur une plate-forme rocheuse, un hélicoptère rouge appartenant aux carabiniers. Toujours la chasse aux bandits. Malko abandonna les deux gorilles au bord de la gigantesque piscine du Cala di Volpe.

— Si je n’étais pas rentré ce soir, avertit Malko, avertissez les autorités italiennes et faites un scandale. Mais ne sortez pas tout de suite vos gros pistolets.

— N’ayez crainte, fit Chris Jones, sombrement. On ne vous laissera pas croupir ici.

Sur cette promesse rassurante, Malko remonta dans la Fiat 2300.

Lorsqu’il stoppa devant l’entrée de la propriété de l’émir, un garde en uniforme quitta l’ombre d’un grand parasol abritant son tabouret et s’approcha de la voiture. C’était un Sarde d’une cinquantaine d’années, au visage ridé et las, avec des yeux globuleux. Il salua respectueusement Malko.

— C’est une propriété privée, monsieur, dit-il. Vous n’avez pas le droit d’entrer.

— J’ai rendez-vous avec Son Excellence l’émir, dit Malko.

— Vous avez rendez-vous ? On ne m’a rien dit…

Le garde hésitait. Mais la tenue élégante de Malko sembla le rassurer :

— Laissez votre voiture ici, monsieur, dit-il. Vous suivez ce sentier jusqu’au poste de garde qui se trouve avant la maison de Son Excellence.

Malko monta lentement le sentier. De part et d’autre, il y avait de petits bungalows blancs qui paraissaient inhabités. Il arriva au grand patio qu’il avait inspecté avec ses jumelles. Un homme massif et trapu, la peau du visage brun sombre, enveloppé dans une kafixa blanche, somnolait sur un banc, la tête appuyée au mur, une vieille mitraillette Thomson entre les genoux. Les pas de Malko sur le dallage de marbre le firent sursauter. Il ouvrit les yeux, bondit sur ses pieds, l’arme braquée sur Malko. Celui-ci s’arrêta et sourit d’un air engageant.

— Je viens voir l’émir Katar, annonça-t-il en anglais.

Le gorille sembla comprendre le mot « émir ». Du bout de sa mitraillette, il désigna à Malko le passage voûté qui menait au patio. En avançant un peu, Malko vit une sorte de minuscule corps de garde vitré avec un standard téléphonique. Un Arabe en civil, sans cravate, lisait un journal. Le garde et lui échangèrent quelques phrases gutturales et le civil leva un regard éteint sur Malko ; en anglais rocailleux, il demanda :

— Qui êtes-vous, monsieur ? Son Excellence ne reçoit que sur rendez-vous.

Malko tira une de ses cartes et la jeta sur la table crasseuse.

— Portez-lui ceci, il me recevra.

L’Arabe prit la carte et examina les caractères gravés : Son Altesse Sérénissime le Prince Malko Linge. Château du Liezen. Autriche. Mâchonnant son loukoum, il mit bien cinq minutes à prendre une décision. Il ne lisait pas l’allemand, mais la longueur du titre l’impressionnait favorablement. Il se leva :

— Je vais voir si Son Excellence peut vous recevoir, annonça-t-il. Malko attendit debout. Le garde à la mitraillette derrière lui. Trois minutes plus tard, le civil était de retour ; il découvrit des dents très blanches pour une esquisse de sourire.

— Le secrétaire de Son Excellence l’émir va vous recevoir. Son Excellence vous verra plus tard. Si vous voulez me suivre.

Ils franchirent la voûte et tournèrent à droite dans le patio. Malko aperçut encore deux gardes armés de mitraillettes étalés sur des bancs. L’émir était un homme prudent.

Son guide s’arrêta devant une porte blanche ornée d’un butoir fait de trois serpents d’or et frappa un coup léger. Il y eut un bruit de serrure et un colosse café au lait, au crâne rasé, nu jusqu’à la ceinture, entrouvrit la porte. Avec ses pantalons bouffants, ses babouches et ses bourrelets de graisse, il évoquait parfaitement les personnages de La lampe d’Aladin. Sauf, évidemment, le pistolet automatique P. 08 passé dans sa ceinture de soie. Une bouffée d’air glacé frappa Malko en plein visage.

Tout le bungalow était climatisé. Une gaine de velours bleu habillait une chaîne de sûreté en acier empêchant la porte de s’ouvrir entièrement. Le colosse l’ôta, laissa entrer Malko et referma vivement la porte derrière lui, puis il donna deux tours de clef et introduisit Malko dans une pièce incroyable, disparaissant immédiatement. Resté seul, Malko regarda autour de lui.

On se serait cru au fond de l’Arabie Saoudite ou chez le capitaine Corcoran. Une immense baie vitrée donnait sur la mer. Les murs étaient vert pistache, littéralement couverts de tableaux, des Degas, un Sisley, deux Utrillo, un Renoir et une poignée de Van Gogh. Au bas mot, un petit milliard.

Sans compter l’or. Il y en avait partout : des coupes, des vases, des candélabres, des cendriers, des seaux même. À croire que l’émir continuait à attaquer les caravanes. Là où on n’avait pas pu mettre d’or, il y avait des ivoires, des laques.

À travers les interstices des tapis aux couleurs lumineuses, on apercevait le marbre noir du sol.

Un décorateur hollywoodien se serait évanoui de joie devant ce cadre. Et dire que l’émir avait été élevé en Angleterre ! Chassez le naturel, il revient au galop. Malko s’arrêta devant le portrait en pied de l’émir Katar, revêtu d’une djellaba rose, sur fond de nuages bleus, un cimeterre recourbé passé à la ceinture.

Une toux discrète fit retourner Malko. Un personnage qui aurait très bien pu être marchand de loukoum sur la grand-place de Djeddah venait de surgir d’une tenture. Malko ne saurait jamais s’il y vivait habituellement ou si la tenture dissimulait une porte. Un long nez recourbé et triste, un petit ventre rondouillard d’eunuque et une poignée de main évoquant irrésistiblement la méduse. Il s’inclina profondément devant Malko et dit d’une voix de crécelle en anglais :

— Je suis Hussein, le secrétaire de Son Excellence l’émir Abdallah Al Salind Katar. Allah Amrack.

Les mots glissaient sur sa langue comme des bonbons à la guimauve. Offrant de sa main grassouillette un fauteuil Louis XV à Malko, il entama un étonnant monologue, ponctué de petits silences, sans que Malko puisse placer un mot.

— Son Excellence ne peut vous recevoir tout de suite, expliqua-t-il. Son Excellence ne se lève jamais avant trois heures de l’après-midi. Son Excellence reçoit beaucoup : des gens du monde entier viennent en Sardaigne admirer ses réalisations. Son Excellence donne deux fois par semaine des dîners de quatorze couverts, quatorze est son chiffre porte-bonheur et Son Excellence est très superstitieuse. L’inimitable Hussein reprit son souffle et continua à dévider son dépliant publicitaire.

— Son Excellence est très bonne. Elle entretient à travers le monde un nombre prodigieux d’institutions charitables dont les bénéficiaires chantent ses louanges auprès d’Allah. Son Altesse croit à l’immortalité et à la nécessité de la charité et de la bonté.

Malko se permit un sourire tristement ironique qui échappa au secrétaire « haute-fidélité » qui continua à dévider sa mélopée.

— Tout en étant très conservateur, Son Excellence adore voyager. C’est pour éviter d’attendre les avions de ligne qu’elle a acheté son jet français, une petite merveille. Ainsi, à la fin de la semaine, Son Excellence prendra son jet pour aller au cocktail du prince de Karaman, à Barcelone. Dans ces courts déplacements, Son Excellence bien entendu n’emmène qu’un valet arabe, dont le père a servi son père, et lui-même, le fidèle secrétaire. Car Son Excellence a horreur d’avoir de l’argent sur elle. Sauf quelques pièces d’or à distribuer aux pauvres. Car, il faut le dire, Son Excellence est très généreuse. Son Excellence aime aussi beaucoup les chevaux de courses. Un de ses chevaux, « My baby », vient d’être vendu 800.000 dollars. N’est-ce pas merveilleux ? Malko s’attendait à ce que Hussein hennisse pour souligner la performance ou saute par-dessus une des bergères Louis XV. Mais le secrétaire continuait l’énumération des qualités de son maître.

— Son Excellence parle plusieurs langues en dehors de l’arabe, mais sa préférence va au français si distingué et à l’anglais si pratique. Cependant, Son Altesse comprend assez bien l’allemand.

Malko en profita pour affirmer que le français n’avait pas de secrets pour lui et qu’il se ferait une joie de parler français avec Son Excellence, si toutefois, elle daignait se montrer.

Hussein affirma que ce n’était qu’une question de minutes et précisa qu’au cas où Malko désirerait envoyer des fleurs à l’émir, il ne pouvait être question de moins de trois douzaines de roses. Cela se faisait énormément dans l’émirat.

Hussein était si louangeur qu’on aurait dit un marchand de voitures d’occasion…

Épuisé, il se tut enfin et attendit, les yeux baissés, assis du bout des fesses dans son fauteuil signé, probablement interdit au personnel. Il y eut soudain un froissement de tentures, Hussein jaillit de son fauteuil, le visage illuminé par la joie et claironna.

— Son Excellence l’émir Abdullah Al Salind d’Al Katar. S’il oubliait un titre, on devait lui couper la tête.

Malko se leva à son tour et ses yeux dorés se posèrent sur l’homme qui avait fait enlever Kitty.

Jamais on ne l’aurait imaginé dans une affaire pareille. L’émir était encore plus grassouillet et plus vulgaire que le secrétaire, bien que beaucoup plus grand. Il se déplaçait lourdement, le bassin en arrière. Malko, qui avait vu de vieilles photos, ne le reconnut pas. C’était un gros poussah vêtu d’un polo jaune, d’un pantalon de toile avec des chaussettes rapiécées dans des nu-pieds. Dans sa biographie parlée, Hussein avait oublié de préciser que Son Excellence était d’une avarice prodigieuse. Il tendit la main à Malko.

— Je suis ravi de vous recevoir, dit-il d’une voix chantante. J’ai beaucoup d’amis en Allemagne et en Autriche. J’aurais pu vous y voir… Sous-entendu : comment se fait-il que je ne vous aie jamais rencontré ? Malko serra la main tendue, molle et grasse.

— J’habite les États-Unis, précisa-t-il. Mon château est en cours de restauration.

L’émir hocha la tête, signifiant qu’il comprenait ce genre de désagrément. Mais lui avait au moins la ressource de faire couper en place publique la main droite des mauvais entrepreneurs. Il claqua des doigts en direction de Hussein. Celui-ci lança un cri aigrelet et prolongé :

— Cahouaaah ![11]

Presque aussitôt le colosse café au lait reparut, portant délicatement une cafetière à long col dans la main gauche et deux tasses minuscules dans la main droite. Il versa un mince filet de café brûlant dans une des tasses qu’il tendit à l’émir. Celui-ci y trempa les lèvres et seulement alors, le serviteur remplit les deux tasses.

Hussein avant de s’éclipser, précisa à l’oreille de Malko que Son Excellence, étant musulmane, ne buvait jamais d’alcool. Son Excellence était très pratiquante.

Visiblement, l’émir n’avait aucune idée de la véritable personnalité de Malko. Autrement, il n’aurait pas été aussi hospitalier. Ils burent leur café en silence puis l’émir reposa sa tasse et demanda poliment :

— Comment trouvez-vous la Sardaigne ?

— Charmant, assura Malko. Très beau pays. Très sauvage.

— J’y ai beaucoup travaillé, assura douloureusement l’émir, comme s’il avait manié la pioche de ses brunes mains. Je suppose que vous désirez vous y installer. C’est un peu pour les gens comme vous que j’ai voulu créer ce complexe où nous serions entre nous. Il appuya sur le nous.

De mieux en mieux.

Malko se caressa le menton. Dans la pièce calfeutrée et insonorisée, le moindre bruit semblait incongru.

— À vrai dire, je n’ai pas l’intention de m’installer ici, précisa-t-il. Je suis seulement venu vous rendre visite.

Les yeux myopes de l’émir papillotèrent de joie. En Europe il n’était pas habitué à cette humilité. On le traitait plutôt de bougnoule milliardaire derrière son dos, en espérant quand même qu’il entendrait…

— Je suis ravi, prince Malko, roucoula-t-il et j’espère que vous voudrez bien être mon invité.

Le sourire de Malko disparut. Il se pencha en avant, scrutant le visage mou de son interlocuteur.

— Altesse, dit-il, je suis venu vous voir pour affaires. Une affaire désagréable.

L’émir se tortilla sur son fauteuil et tenta de sourire :

— Désagréable ? Je ne comprends pas.

Malko remarqua que son pied droit avait appuyé sur le tapis, à un endroit où, il y avait une minuscule bosse… Une sonnette dissimulée, très probablement. L’émir recula imperceptiblement devant les yeux dorés, striés de vert. Durs comme du jade.

— Excellence, continua Malko, vous avez commis une grave erreur. Je suis venu vous aider à la réparer. Si vous le voulez bien.

— Une erreur ?

Ou l’émir avait suivi les cours de l’Actor’s Studio ou il était à mille lieues de savoir qui était Malko. Il le prenait peut-être pour un quémandeur distingué.

— Excellence, poursuivit Malko, je suis venu chercher une jeune fille qui se nomme Kitty Hillman et qui se trouve ici, contre son gré. Cette fois, l’émir Katar sembla se liquéfier sur son fauteuil. Il dit faiblement :

— Une jeune fille ? Je ne comprends pas. Mais le ton n’y était plus.

Malko attendait, ses yeux dorés fixés sur l’émir. Celui-ci cherchait à dissimuler une expression de panique sur son visage gras. Il prit des lunettes dans une poche de son pantalon et les chaussa pour mieux examiner Malko.

— Mais qui êtes-vous d’abord, monsieur ? dit-il, je croyais d’après votre carte…

— Je suis un agent de la C.I.A., fit paisiblement Malko. Un organisme dont vous avez certainement entendu parler. Quant à mon titre, il est authentique lui aussi ! Je suis très éclectique, voyez-vous. L’émir suffoquait. Il toisa Malko comme si c’était un Juif et balbutia :

— Mais, je ne comprends pas ce que vous voulez dire, monsieur, je n’aurais jamais dû vous recevoir. Ma bonne foi est surprise. Vous… vous êtes un aventurier.

Malko récidiva d’une voix pleine d’amertume et de colère :

— Qu’avez-vous fait de Kitty Hillman, depuis que vous lui avez fait couper un doigt ?

— Quelle horreur ! fit d’un ton défaillant l’émir.

— C’est bien mon avis.

Soudain, il y eut un froissement imperceptible derrière la tenture par où avait disparu Hussein. Ils étaient espionnés. Malko regretta de ne pas avoir pris son pistolet extra-plat.

Tous ses muscles tendus, il regarda l’émir méchamment.

Celui-ci se leva mais Malko resta assis.

— Je vais vous faire chasser, annonça son hôte.

— Je ne vous le conseille pas, dit Malko. J’ai encore quelque chose à vous dire. Foster Hillman est mort. Il s’est suicidé. À cause du chantage que vous exerciez contre lui. Vous n’avez donc plus aucune raison de garder cette jeune fille. Même si vous la coupiez en morceaux et l’expédiez à la C.I.A. on ne vous donnerait même pas en échange l’horaire des trains New York-Washington.

— Sortez, dit l’émir.

Malko pointa un index menaçant sur l’Arabe.

— Excellence, martela-t-il. Vous n’avez plus affaire à un homme torturé qui voulait sauver sa fille à tout prix. Vous avez toute la C.I.A. sur le dos. Savez-vous ce que cela représente ? Même si vous m’abattez maintenant, on enverra d’autres agents. Nous avons du temps et de l’argent. Et si vous assassinez cette jeune fille, le monde ne sera pas assez grand pour vous sauver, Excellence.

— Vous êtes fou ! dit l’émir. Mais sa voix était moins ferme. Malko assena un dernier coup :

— Soyez raisonnable. Libérez Kitty Hillman et nous passerons l’éponge sur votre chantage. Autrement, il vous arrivera ce qui est arrivé au docteur Weisthor.

L’émir était gris. Mais il eut la force de lancer d’une voix étranglée une phrase en arabe. Le géant café au lait surgit du néant et se planta devant Malko, la main droite sur la crosse de son P. 08 au canon interminable. Malko sentit qu’il avait perdu la partie. Quelque chose effrayait l’émir encore plus que la C.I.A. Sinon, il aurait rendu Kitty. Ce n’était visiblement pas un professionnel de l’espionnage. Il était dans l’impasse.

À pas lents, il se dirigea vers la porte et avant de sortir lança à l’émir :

— Excellence, si vous changez d’avis, je suis à La Cala di Volpe. Je vous répète, Foster Hillman est mort. La nouvelle sera dans les journaux de la semaine. Kitty ne peut plus servir à rien.

Le géant café au lait avait déjà soulevé la chaîne recouverte de velours bleu, et attendait menaçant.

Malko se retrouva sous le soleil brûlant. Il passa devant le garde indifférent et reprit sa voiture transformée en véritable fournaise. Il regrimpait la route en lacets, le cœur lourd. Dans l’immédiat, il ne voyait aucun moyen de libérer la jeune fille, si elle était encore vivante.


* * *

Abdul Aziz sortit de derrière son rideau, un large sourire sur son visage grêlé de petite vérole. Il avait encore à la main le pistolet avec lequel il avait tenu Malko en joue. Malko et l’émir. Au cas où ce dernier aurait eu la mauvaise idée d’être trop bavard. Aziz s’inclina profondément devant l’émir et dit :

— Votre Excellence a parfaitement bien parlé. Cet Américain bluffait. L’émir tapa du pied, ivre de rage.

— Chien, il ne bluffait pas ! Ils ont tué le docteur et ils vont me tuer. L’Égyptien eut un sourire perfide et s’inclina de nouveau.

— Ya achài ![12] Il faut s’incliner devant la volonté d’Allah. Ce serait une erreur profonde de rendre cette jeune fille. D’abord, parce qu’ils vous tueraient quand même. Ensuite, parce que vous n’aurez plus aucune chance d’avoir ce que vous voulez…

— Ce que vous voulez, vous, coupa l’émir avec indignation.

— Ce que nous voulons, corrigea la barbouze égyptienne ; sibylline. L’émir lui jeta un regard noir.

— Disparais de ma vue, chien. Et occupe-toi de cet espion américain. Sinon…

Cette revanche verbale le soulageait un peu. Il regarda avec une haine concentrée la silhouette squelettique d’Aziz disparaître derrière les draperies. Comme il aurait aimé le faire fouetter au soleil pendant une semaine, en arrosant les plaies de vinaigre… Découragé, il se laissa tomber dans un fauteuil. Il crevait de peur. Pour une fois, tous ses milliards ne lui servaient à rien. Il se voyait mal allant demander au Gouvernement américain la liste de ses agents dans les pays du Moyen-Orient. Même contre beaucoup de dollars… Le cauchemar avait commencé à la conférence de Khartoum, après la guerre contre Israël. L’émir s’y était rendu, comme la plupart des dirigeants arabes. Une fois de plus, il se préparait en pleurnichant, à verser quelques centaines de milliers de dollars et à pourfendre verbalement l’agresseur israélien, son armée se composant en tout et pour tout, d’une centaine d’hommes plus habitués à couper les têtes qu’à se battre contre des chars.

C’est un certain Youssef Saadi, une des barbouzes égyptiennes, qui l’avait entrepris un soir. On lui avait mis poliment le marché en main. Pour une fois, on ne lui demandait pas de dollars. Sa contribution à l’effort de guerre arabe consisterait à se procurer des renseignements précieux pour la guerre froide. Car les Services Secrets égyptiens avaient découvert que la plupart des agents C.I.A. en place en Egypte, en Syrie et au Liban travaillaient aussi pour Israël, en vertu d’un accord secret.

— Mais pourquoi moi ? avait protesté l’émir, je ne connais rien en Renseignement.

— Peut-être, avait répondu Youssef Saadi, mais vous connaissez Foster Hillman, qui dirige la C.I.A., à vous de vous débrouiller.

Jamais il n’avait su comment les Égyptiens avaient appris ses relations avec Hillman. Il soupçonnait fortement le docteur Weisthor, qui le haïssait et entretenait d’excellentes relations avec des Allemands intégrés aux services égyptiens. Entre autres, un certain Selig Hattoum, en réalité Wilfried Gottinger, ex-patron de la Gestapo de Dresde.

Il avait rencontré Foster Hillman plusieurs fois en Suisse dans des conférences secrètes, où la C.I.A. et l’Intelligence Service réglaient certains problèmes délicats. Lui, l’émir de Katar avait toujours entretenu d’excellents rapports avec Londres. Ce qui lui avait évité quelques révolutions.

Avant de quitter Khartoum, il avait reçu un ultime avertissement. D’un ami séoudien. Toute l’affaire n’était qu’une machination nassérienne pour avoir un prétexte de l’abattre en tant que traître à la cause arabe. Parce que les Égyptiens savaient qu’il ne pourrait se procurer ce qu’ils demandaient…

Deux jours après son retour en Suisse, Abdul Aziz et Fouad Abd el Baki avaient débarqué à Genève. Sous prétexte de l’aider à réaliser son projet. En réalité pour l’abattre dans le cas où il ne tenterait rien. Alors, acculé, l’émir Katar s’était souvenu de la fille de Foster Hillman… Un jour, ce dernier lui avait expliqué son drame. Plus tard, comme messagère, Katar n’avait pas trouvé mieux que sa vieille amie la princesse Riahi qui l’avait initié à l’amour, quelques années plus tôt. Elle avait conservé une certaine tendresse pour lui, s’ennuyait et ignorait même le mot « morale ». Il avait été très peiné de sa mort. D’autant plus qu’elle risquait de précéder de peu la sienne propre… Il savait que les agents « noirs » de la C.I.A. ne faisaient pas de cadeau. Les cimetières étaient pleins de gens se fiant à la bonne tête des barbouzes américaines.

L’émir Katar sonna. Il fallait absolument qu’il se change les idées. Bien sûr, il aurait pu faire liquider les deux Égyptiens. Mais après ? Tôt ou tard, une rafale de mitraillette aurait balayé sa Cadillac. Les Arabes ne sont pas souvent courageux, mais ils sont toujours rancuniers.

Загрузка...