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Mais ce que vous venez de me raconter est complètement invraisemblable. »
— Avez-vous entendu parler des Illuminati? l'interrompit Langdon.
La carapace du commandant se fendit subitement. Ses pupilles rétrécirent comme celles d'un requin sur le point d'attaquer.
— Attention, ne me poussez pas à bout, je vous aurais prévenu!
— Alors vous les connaissez?
Les yeux d'Olivetti ressemblaient à deux pistolets prêts à tirer.
— J'ai prêté serment de défendre l'Église catholique, monsieur Langdon. Bien sûr que j'ai entendu parler d'eux. Ils ont disparu depuis des lustres. Les Illuminati sont morts et enterrés.
Langdon plongea la main dans sa poche et en retira la photo du cadavre marqué au fer rouge de Leonardo Vetra qu'il tendit au commandant Olivetti.
— Je suis un spécialiste d'histoire des religions, et donc des Illuminati, reprit l'Américain pendant qu'Olivetti examinait la photo. Il m'a fallu un certain temps pour admettre l'idée que cette secte était toujours en activité. Mais j'ai changé d'avis. À
cause de cette photo et aussi à cause de leur haine inextinguible du Vatican.
— Un canular d'étudiant bidouillé sur ordinateur! siffla Olivetti en rendant le fax à Langdon.
— Un canular? Mais regardez cette symétrie? Vous êtes bien placés, vous surtout, pour reconnaître l'authenticité de...
— L'authenticité, c'est précisément ce qui vous manque cruellement, monsieur Langdon. Mlle Vetra ne vous en a peut-être pas informé, mais le CERN est depuis très longtemps un repaire d'opposants acharnés à l'Église catholique. Votre conseil scientifique nous met régulièrement en demeure d'abjurer le créationnisme, de faire acte de repentance officielle envers Galilée et Copernic, de faire taire nos critiques contre les recherches immorales ou dangereuses. Quel scénario vous semble-t-il le plus probable?
Qu'une secte satanique éteinte depuis quatre siècles refasse surface avec une arme de destruction massive? Ou qu'un hurluberlu du
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CERN essaie de perturber un conclave en introduisant une fausse bombe dans le Vatican?
— Cette photo, reprit Vittoria, d'un ton brûlant comme de la lave, est celle de mon père. Assassiné. Croyez-vous que je plaisanterais avec ça?
— Je ne sais pas, mademoiselle Vetra. Mais je suis sûr d'une chose: jusqu'à ce que j'obtienne des réponses sensées, il n'est pas question pour moi de déclencher je ne sais quelle alarme. Je suis tenu à un devoir de vigilance et de discrétion, afin que les événements spirituels qui se déroulent dans cette enceinte puissent avoir lieu dans la sérénité et la clarté voulues. Et particulièrement aujourd'hui!
— Mais il faut au moins reporter le conclave! intervint Langdon.
— Reporter?
Pour le coup, le commandant des gardes suisses en resta bouche bée.
« Quelle arrogance! Un conclave n'est pas je ne sais quel match de base-ball que l'on pourrait annuler pour cause de pluie. Il s'agit d'un événement sacré dont le déroulement obéit à des règles strictes. Vous vous fichez pas mal qu'un milliard de catholiques dans le monde attendent un guide suprême et que les télés du monde entier soient rassemblées dehors! Le protocole d'un conclave n'est susceptible d'aucune modification. Depuis 1179, tous les conclaves se sont tenus, en dépit des tremblements de terre, des famines, des épidémies, et même de la peste. Croyez-moi, on ne va pas annuler un conclave à cause d'un scientifique assassiné et d'une gouttelette de Dieu sait quoi... »
— Je veux parler à votre supérieur! exigea Vittoria. Olivetti la fusilla du regard.
— C'est moi.
— Non, c'est un ecclésiastique que je veux voir. Les veines du cou d'Olivetti commençaient à saillir.
— Il n'y a personne. À l'exception de la Garde suisse, les seuls responsables présents au Vatican à cette heure sont les cardinaux. Et ils sont réunis dans la chapelle Sixtine.
— Et le camerlingue? demanda Langdon d'un ton neutre.
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— Qui?
— Le camerlingue du défunt pape, répéta Langdon avec assurance en priant pour que sa mémoire ne le trahisse pas.
Il se souvenait d'avoir lu quelque part un article au sujet des étranges arrangements suivant le décès d'un pontife. Si Langdon ne se trompait pas, durant l'intérim entre deux papes, le pouvoir passait aux mains du secrétaire particulier du dernier chef de l'Église et c'est lui qui veillait à l'organisation du conclave jusqu'à ce que les cardinaux aient choisi le nouveau Saint-Père.
— C'est bien le camerlingue le responsable suprême en ce moment...
— Le camerlingue? gémit Olivetti. Mais il n'a qu'un statut de prêtre ici. C'était l'assistant personnel du dernier pape.
— Mais il assure la transition et c'est à lui que vous rendez compte.
Olivetti croisa les bras.
— Monsieur Langdon, il est vrai que la règle vaticane prévoit que le camerlingue assume la fonction d'administrateur suprême durant le conclave, mais c'est uniquement parce qu'il est inéligible à la charge suprême et qu'à ce titre il peut veiller à la régularité du scrutin. C'est comme si votre président mourait et que l'un de ses assistants s'instal e provisoirement aux manettes dans le bureau ovale. Le camerlingue est jeune et sa compétence en matière de sécurité, comme d'ailleurs dans les divers domaines qu'il supervise, est extrêmement limitée. C'est donc en tout état de cause moi le seul et unique responsable ici.
— Nous voulons le rencontrer! reprit Vittoria.
— Impossible. Le conclave commence dans trois quarts d'heure. Le camerlingue est occupé dans le bureau pontifical aux préparatifs de la cérémonie. Pas question de le déranger avec des questions de sécurité.
Vittoria ouvrait la bouche pour répliquer, mais quelqu'un frappa à la porte. Olivetti alla ouvrir.
Un garde en tenue était posté sur le seuil, le doigt pointé sur sa montre.
— Il est l'heure, commandant.
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Olivetti jeta un coup d'œil à sa propre montre et acquiesça.
Il se tourna vers Langdon et Vittoria comme un juge qui hésitait sur la sentence à prononcer.
— Suivez-moi! ordonna-t-il.
Il les introduisit dans un petit box aménagé au fond de la pièce. Un espace neutre: un bureau en pagaille, des classeurs remplis de dossiers, des chaises pliantes, une fontaine d'eau fraîche.
— Mon bureau. Je serai de retour dans dix minutes. Je vous suggère d'utiliser ce moment pour décider de quelle façon vous souhaitez que nous procédions.
— Mais vous ne pouvez pas partir comme ça! s'exclama Vittoria. Ce conteneur va...
— Je n'ai pas le temps, siffla Olivetti. Peut-être devrais-je vous faire enfermer jusqu'à la fin du conclave, quand j'aurai à nouveau le temps?
— Signore, intervint le garde en désignant sa montre, bisogna spazzare la capella.
Olivetti hocha la tête et fit quelques pas, mais Vittoria n'en avait pas fini.
— Spazzare la capella? intervint-elle. Vous allez balayer la chapelle?
— Il s'agit d'un nettoyage électronique, mademoiselle Vetra, soupira Olivetti. La discrétion, encore la discrétion... (Puis, pointant un doigt réprobateur sur les jambes nues de la jeune femme:) De toute évidence, il s'agit là d'une notion que vous avez quelque peine à saisir...
Là-dessus, il claqua la porte, avant de tirer une clé de sa poche et de verrouiller la serrure d'un geste rapide.
— Idiota cria Vittoria. Vous n'avez pas le droit de nous enfermer ici!
À travers la vitre du box, Langdon vit Olivetti murmurer quelques mots au garde. La sentinelle hocha la tête. Alors qu'Olivetti quittait la pièce, il pivota sur lui-même et se mit en position, de l'autre côté de la vitre, bras croisés et arme de poing bien visible sur la hanche.
Parfait, pensa Langdon, absolument parfait.
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Vittoria jeta un regard venimeux au garde suisse qui les surveillait. La sentinelle lui rendit son regard, mais son costume chamarré contredisait son expression menaçante.
— Quel fiasco, fit Vittoria. Retenus en otages par une espèce de clown en pyjama!
Langdon demeurait silencieux et Vittoria espérait bien qu'il allait mettre à contribution sa cervelle de prof de Harvard pour les tirer de ce pétrin. Mais, d'après l'expression de son visage, elle comprit qu'il était sous le choc et provisoirement inopérant.
Dommage qu'il soit incapable de prendre plus de recul, se dit-elle. Le premier réflexe de Vittoria fut de sortir son portable pour appeler Kohler, mais elle comprit aussitôt la stupidité d'une telle démarche. D'abord le garde allait sans doute se ruer dans la pièce pour lui arracher son téléphone. Ensuite, si le malaise de Kohler était aussi grave que les précédents, il devait être dans l'incapacité de répondre à son appel. De toute façon, Olivetti l'aurait sûrement envoyé promener, vu ses préventions à l'égard du CERN.
Souviens-toi! lui souffla une voix intérieure, souviens-toi de la solution au problème!
Se souvenir de la solution: c'était une technique des maîtres bouddhistes. Plutôt que de demander à son esprit de chercher la solution à un problème apparemment insoluble, Vittoria demandait simplement à son esprit de s'en souvenir. Ce qui supposait qu'il connaissait déjà la réponse. Donc qu'il y avait une solution: une telle attitude permettait d'éliminer d'entrée de jeu la paralysie du découragement. Vittoria utilisait souvent cette technique pour résoudre des problèmes scientifiques auxquels ses collègues ne trouvaient pas de solution.
Mais, pour le moment, la méthode de la réminiscence ne donnait aucun résultat. Elle passa donc en revue ses options... Où était l'urgence? Il fallait avertir quelqu'un. Il fallait qu'un responsable l'écoute. Qui? Le camerlingue? Comment? Elle était enfermée dans une petite boîte en verre dont l'unique issue était gardée.
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Un outil! songea-t-elle. Il y a toujours des outils. Regarde autour de toi.
D'instinct, elle laissa retomber ses épaules, relaxa ses yeux et inspira profondément à trois reprises. Elle sentit son pouls ralentir et ses muscles se relâcher. La panique et la confusion mentale se dissipaient. Bon, se dit-elle, libère ton esprit. Cherche l'aspect positif de la situation. Quels sont tes atouts?
L'esprit analytique de Vittoria Vetra, une fois apaisé, était d'une puissance impressionnante. Il ne lui fallut que quelques secondes pour se rendre compte que leur atout maître, c'était précisément d'être enfermés dans cette pièce.
— Je vais téléphoner, fit-elle brusquement.
Langdon hocha la tête.
— J'allais suggérer que vous appeliez Kohler, mais...
— Non, pas Kohler, quelqu'un d'autre.
— Qui?
— Le camerlingue.
Langdon sembla complètement perdu.
— Vous appelez le camerlingue? Mais comment?
— Olivetti nous a précisé qu'il se trouvait dans le bureau du pape...
— Et vous connaissez le numéro privé du pape?
— Évidemment pas! Mais je n'appelle pas sur mon téléphone...
Elle lui indiqua d'un clin d'œil le téléphone hightech qui trônait sur le bureau d'Olivetti.
« Le chef de la sécurité a sûrement un accès direct au pape... »
— Vous oubliez l'athlète de haut niveau qui est planté à deux mètres de nous.
— Mais la porte est verrouillée...
— Je suis au courant, Vittoria.
— Verrouillée aussi pour le garde, Robert. On est dans le bureau privé d'Olivetti. Cela m'étonnerait beaucoup que quelqu'un ait la clé, à part lui.
Langdon jeta un coup d'œil inquiet au cerbère.
— La vitre est mince et je suis convaincu qu'il dégaine très vite. — Vous croyez qu'il va me tirer dessus parce que je me sers du téléphone?
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— Et qui sait, Vittoria? Le Vatican n'est pas un endroit comme les autres. Et vu la situation...
— Écoutez, c'est ça ou passer la soirée dans la prison du Vatican.
Au moins, on sera aux premières loges quand l'antimatière explosera!
Langdon blêmit.
— Mais le garde va appeler Olivetti à la seconde où vous décrocherez ce téléphone! Et puis il y a au moins une vingtaine de boutons là-dessus et pas un seul nom. Vous comptez les essayer tous en espérant tomber sur le bon?
— Pas du tout, répliqua Vittoria en tendant la main vers le combiné et en enfonçant le bouton du haut. Le numéro un! Je vous fiche mon billet que c'est le bureau du pape. Qui serait digne d'occuper la première place sur le téléphone d'un commandant de gardes suisses?
Langdon n'eut pas le temps de répondre. Le garde se mit à frapper la vitre avec la crosse de son arme. Il intimait à Vittoria de reposer le combiné. Elle lui décocha un clin d'œil qu'il n'eut pas l'air d'apprécier. Il était rouge de fureur.
Langdon s'approcha de Vittoria.
— J'espère que vous avez fait le bon choix parce que ce type n'a pas l'air de vous trouver drôle!
— Zut! fit-elle, l'oreille collée à l'écouteur. Un message enregistré.
— Quoi? le pape a un répondeur?
— Ce n'était pas le bureau du pape, expliqua Vittoria en reposant le téléphone, c'était le menu de la semaine de la cafétéria de la curie.
Langdon adressa un timide sourire à leur cerbère qui tout en alertant Olivetti sur son talkie-walkie ne les quittait pas du regard.
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Le standard téléphonique du Vatican se trouve dans l'Ufficio di Communicazione, derrière la poste vaticane. Il occupe une pièce assez petite, équipée d'un standard Corelco de huit lignes. Le Vatican reçoit environ deux mille appels par jour, qui sont pour la plupart automatiquement routés vers le standard téléphonique automatisé.
Ce soir-là, le seul standardiste de service sirotait tranquillement une tasse de thé. Il n'était pas peu fier d'être l'un des seuls employés admis dans l'enceinte du Vatican un soir de conclave. Bien sûr cet honneur était quelque peu terni par la présence des gardes suisses montant la garde devant la porte. Je ne peux même pas aller aux toilettes seul, soupira le standardiste.
Ah, les humiliations qu'on nous impose au nom du conclave!
Heureusement les appels, ce soir-là, avaient été plutôt clairsemés.
Ou fallait-il dire malheureusement? L'intérêt de la planète pour les affaires du Vatican avait sensiblement décliné ces dernières années. Les journalistes, et même les cinglés, n'appelaient plus aussi souvent qu'autrefois. Le bureau de presse avait espéré une effervescence médiatique bien plus grande pour l'événement du jour: les camions garés sur la place Saint-Pierre étaient pour la plupart italiens ou européens. Et quant aux réseaux internationaux, ils n'avaient envoyé que des reporters de second ordre.
Le standardiste souleva sa tasse en se demandant si les cardinaux allaient faire durer le suspense. Tout devrait être bouclé vers minuit, se dit-il. La plupart des initiés connaissaient le nom du futur pape bien avant sa désignation par le conclave, ce qui réduisait l'élection à un rituel de trois ou quatre heures. Bien sûr, une dissension de dernière minute, toujours possible, pouvait prolonger le scrutin jusqu'à l'aube, voire au-delà. Mais pas ce soir, se dit le petit employé. Selon la rumeur, ce conclave-là serait une simple formalité.
Le bourdonnement d'une ligne interrompit provisoirement les réflexions du standardiste. Il regarda le voyant rouge clignoter et se gratta la tête. Bizarre, songea-t-il, le zéro. . Qui à l'intérieur peut bien avoir besoin de moi? D'ailleurs qui reste-t-il dans les bureaux?
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— Citta del Vatican, j'écoute? articula-t-il en décrochant.
La voix au bout du fil parlait un italien fortement teinté d'accent suisse, un peu à la manière des gardes suisses. Mais il ne s'agissait pas d'un garde suisse, en l'occurrence. En réalisant qu'il avait affaire à une femme, le standardiste faillit recracher sa gorgée de thé. Il regarda encore une fois le tableau du standard. Une extension interne... l'appel venait bien de l'intérieur. Il doit y avoir une erreur, se dit-il. Une femme dans nos murs? Ce soir?
La femme en question parlait fort et semblait furieuse.
L'opérateur faisait ce travail depuis assez longtemps pour savoir quand il avait affaire à un dingue. Celle-là n'avait pas l'air cinglée.
Elle était pressée, mais rationnelle. Calme, efficace. Il écouta sa demande avec une certaine stupéfaction.
— Au camerlingue? répéta-t-il en essayant d'imaginer d'où pouvait bien provenir cet appel. Mais je ne peux pas vous le passer. .
Oui, je sais qu'il se trouve dans le bureau du pape, mais... Qui êtes-vous au juste?... Et vous voulez l'avertir de...
Il écoutait, de plus en plus troublé.
« . . Tout le monde est en danger? Mais pourquoi? Et d'où appelez-vous? Je crois que je ferais mieux de vous passer les gardes suisses... »
L'opérateur stoppa net.
« Vous dites que vous vous trouvez où? Où ça? » Il enregistra la réponse, abasourdi, et prit sa décision.
« Patientez un instant s'il vous plaît », fit-il sans laisser à Vittoria le temps d'ajouter quoi que ce soit. Puis il appela la ligne directe du commandant Olivetti. Pas croyable, cette femme dans le bureau...
On décrocha immédiatement. C'était bien elle!
— Pour l'amour de Dieu, passez-moi le camerlingue! criait-elle. La porte du QG de sécurité des gardes suisses trembla sur ses gonds en livrant passage à un taureau furieux, Olivetti, qui fonçait droit devant lui. Un simple coup d'œil à travers la cloison vitrée de son box lui confirma ce que son adjoint venait de lui annoncer.
Vittoria Vetra était en train de téléphoner sur son téléphone.
— Che coglioni che ha questa! se dit-il. Elle a des c..., celle-là!
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Livide, Olivetti fonça sur le box et tourna la clé dans la serrure.
— Mais vous vous croyez où! s'écria-t-il en enfonçant à moitié la porte.
Vittoria l'ignora superbement.
— Oui, reprit-elle, et je dois vous prévenir... Olivetti lui arracha le combiné des mains et le colla contre son oreille.
— Qui est à l'appareil, nom de Dieu!
En entendant la réponse, Olivetti chancela, comme sonné.
« Oui, camerlingue. . C'est vrai, mon père, mais des problèmes de sécurité nous obligent... Bien sûr que non... Je les retiens ici pour... Certainement, mais... Oui, mon père, fit-il enfin, je vous les amène tout de suite. »
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Les bâtiments qui composent le palais apostolique se trouvent à proximité de la chapel e Sixtine, dans le secteur nord-est de la cité pontificale. Avec une vue panoramique sur la place Saint-Pierre, le palais abrite aussi bien les appartements du Saint Père que son bureau.
Vittoria et Langdon suivirent en silence le commandant Olivetti le long d'un interminable couloir. Vittoria ne pouvait détacher ses yeux des muscles de la nuque du commandant qui se contractaient de fureur à intervalles réguliers. Après avoir grimpé trois volées de marches, ils pénétrèrent dans un grand salon baigné d'une lumière tamisée.
Les murs étaient couverts d'œuvres d'art. Langdon n'en croyait pas ses yeux. Dans cette seule pièce, il y en avait pour plusieurs millions d'euros. . Ils tournèrent à gauche après une extraordinaire fontaine d'albâtre, traversèrent une pièce et stoppèrent devant une des portes les plus monumentales que Langdon eût jamais vues.
— Lo studio privato, annonça le commandant en gratifiant Vittoria d'un coup d'œil particulièrement hostile.
La jeune femme ne se démonta pas pour autant et assena trois forts coups du plat de la main sur la porte.
Le bureau du pape, songea Langdon qui ne parvenait pas à admettre qu'il se trouvait devant l'un des lieux les plus sacrés qui soient, pour les catholiques.
— Entrez! s'écria quelqu'un à l'intérieur.
Quand la porte s'ouvrit, Langdon fut aveuglé par les rayons du soleil qui illuminaient le bureau, lequel ressemblait d'ailleurs plus à une salle de bal qu'à un bureau avec ses sols de marbre rouge, ses murs ornés de fresques et son lustre immense. Les fenêtres offraient une vue exceptionnelle sur la place Saint-Pierre baignée de soleil.
Mon Dieu! pensa Langdon. Ça, c'est une chambre avec vue...
À l'extrémité de cette grande salle, assis à un bureau de bois sculpté, un homme écrivait fébrilement.
— Avanti! Entrez! lança-t-il de nouveau en posant son stylo et en leur faisant signe d'approcher.
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Olivetti avança le premier, d'un pas tout militaire.
— Mon père, fit-il d'un air contrit, je n'ai pas pu. .
Le camerlingue l'interrompit d'un geste. Il se leva et étudia ses deux visiteurs. Ce prêtre ne ressemblait pas à l'image convenue des prélats frêles âgés et béats, que Langdon imaginait peupler le Vatican. Il ne portait ni rosaire, ni pendentifs, ni tenue d'apparat, mais une simple soutane noire qui faisait ressortir sa robuste charpente. Il semblait âgé d'un peu moins de quarante ans - un gamin, eu égard aux habitudes locales. Son visage, surmonté d'une couronne de courts cheveux bruns, était resté étonnamment jeune, et ses yeux verts luisaient d'une intense flamme mystique. En s'approchant, cependant, Langdon découvrit dans ces mêmes yeux une immense fatigue, celle d'un homme qui venait de passer les deux semaines les plus exténuantes de sa vie.
— Je suis Carlo Ventresca, déclara-t-il dans un anglais impeccable, le camerlingue du défunt pape.
Il prononça ces mots d'une voix douce et modeste, qu'égayait une pointe d'accent italien.
— Vittoria Vetra, répondit la jeune femme en lui tendant la main. Merci d'avoir accepté de nous recevoir.
Olivetti eut un tic nerveux en voyant le prêtre serrer vigoureusement la main de Vittoria.
— Voici Robert Langdon, spécialiste de l'histoire des religions, de Harvard.
— Padre..., commença Langdon avec son meilleur accent italien en inclinant respectueusement la tête.
— Pas de courbettes, fit le camerlingue, je ne suis pas encore béatifié. Je ne suis qu'un prêtre, un camerlingue qui sert ceux qui ont besoin de lui.
Langdon se redressa.
« Je vous en prie, continua le camerlingue, prenez place. »
Il disposa quelques fauteuils autour de son bureau.
Langdon et Vittoria s'installèrent, tandis qu'Olivetti restait ostensiblement debout.
Le camerlingue s'assit à son tour, joignit les mains, soupira et examina ses visiteurs.
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— Mon père, articula laborieusement Olivetti, pour la tenue de cette femme, c'est ma faute, je n'ai pas...
— Sa tenue m'importe peu, répliqua le camerlingue d'un ton plus las qu'agacé. Ce qui en revanche m'importe beaucoup, c'est que le standard du Vatican m'appelle une demi-heure avant le début du conclave pour m'apprendre qu'une femme téléphone de votre bureau, et que madame m'annonce qu'une menace majeure pèse sur la sécurité du Saint-Siège.. Une menace dont personne n'a daigné m'informer...
Olivetti se raidit sous la remontrance comme un soldat inspecté par un officier pointilleux.
Langdon était hypnotisé par le regard magnétique du camerlingue. Malgré sa jeunesse, malgré la lassitude, l'ecclésiastique évoquait un héros légendaire, il incarnait un étonnant mélange de charisme et d'autorité.
— Mon père, reprit Olivetti, sur un ton à la fois contrit et rigide, vous devriez me laisser le souci de la sécurité. Vous avez d'autres responsabilités...
— Je suis très conscient de mes autres responsabilités. Elles ne me font pas oublier qu'en tant que reggente provisorio, j'ai aussi la responsabilité de la sécurité et du bien-être de tous dans ce conclave. Que se passe-t-il exactement?
— J'ai la situation bien en main.
— Ce n'est pas mon impression.
— Mon père, intervint Langdon, en sortant de sa poche le fax froissé qu'il tendit au camerlingue, voulez-vous jeter un coup d'œil là-dessus, s'il vous plaît?
Le commandant Olivetti avança d'un pas, dans une ultime tentative pour reprendre l'avantage.
— Mon père, ne vous laissez donc pas importuner par..., dit-il.
Le camerlingue prit le fax, ignorant Olivetti quelques instants. Il examina la photo du cadavre de Leonardo Vetra et, horrifié, s'exclama:
— Qui est-ce?
— Mon père, répondit Vittoria d'une voix chancelante. C'était un prêtre et un homme de science. On l'a assassiné hier soir.
Le visage du camerlingue s'adoucit instantanément, il posa un regard plein de compassion sur la jeune femme.
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— Ma pauvre enfant, je suis désolé pour vous.
Il se signa et regarda de nouveau le fax, des larmes d'horreur dans les yeux.
« Mais qui a pu. .? Et cette brûlure sur sa. . »
Le camerlingue s'arrêta pour examiner l'image de plus près.
— Illuminati, reprit Langdon, c'est le mot qu'ils ont... Vous en avez entendu parler, bien sûr...
Une étrange expression passa sur le visage du camerlingue.
— Je connais leur histoire certes, mais je ne vois pas...
— Les Illuminati ont assassiné Leonardo Vetra afin de pouvoir lui voler une nouvelle technologie qu'il..
— Mon père, intervint encore Olivetti, tout cela est absurde.
Les Illuminati? Il s'agit évidemment d'une sorte de canular un peu plus élaboré que les autres.
Le camerlingue sembla peser les paroles d'Olivetti. Puis il se tourna et observa Langdon d'un regard si attentif que son interlocuteur se figea instinctivement.
— Monsieur Langdon, j'ai passé ma vie au sein de l'Église catholique, je suis donc instruit de la légende des Illuminati, des brûlures infamantes qui leur furent soi-disant infligées. Pourtant, je vous avertis: je suis un homme du présent. La chrétienté a assez d'ennemis sans aller ranimer de vieux fantômes.
— Le symbole est authentique, reprit Langdon, en songeant qu'il usait d'un ton peut-être un peu trop défensif. (Il présenta le fax à l'envers au prêtre, qui demeura interdit en découvrant la parfaite symétrie.) Même les ordinateurs les plus récents, ajouta l'Américain, ont été incapables de dessiner un ambigramme symétrique de ce mot.
Le camerlingue joignit les mains et resta silencieux un long moment.
— Mais les Illuminati sont morts, dit-il finalement. Il y a longtemps... C'est un fait historique.
Langdon hocha la tête.
— Hier encore, je vous aurais approuvé entièrement.
— Hier?
— Avant la série d'événements qui nous a conduits ici. Je suis convaincu que les Illuminati ont resurgi pour accomplir un très vieux serment.
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— Pardonnez-moi, mes souvenirs historiques sont un peu rouillés. De quel serment voulez-vous parler?
Langdon inspira profondément.
— Celui de détruire le Vatican.
— Détruire le Vatican? Mais cela est impossible!
Le camerlingue paraissait plus interloqué qu'effrayé.
Vittoria secoua la tête.
— Je crains que nous n'ayons d'autres mauvaises nouvelles à vous apprendre.
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— Est-ce vrai? demanda le camerlingue, visiblement stupéfait en se tournant vers Olivetti.
— Mon père, reprit Olivetti d'un ton qui se voulait rassurant, je ne peux nier la présence du conteneur: on l'a découvert sur nos moniteurs de contrôle. Mais, en ce qui concerne sa puissance, je me refuse à croire ce qu'affirme Mlle Vetra...
— Attendez une minute! coupa le camerlingue. Vous avez vu cette chose?
— Oui, mon père, sur le moniteur 86.
— Mais alors comment se fait-il que vous ne le retrouviez pas? reprit le camerlingue avec une irritation croissante
— C'est très difficile, mon père, répondit Olivetti en corrigeant machinalement sa position.
Vittoria sentait que le camerlingue commençait à prendre l'affaire très au sérieux.
— Êtes-vous certain qu'il se trouve dans la Cité du Vatican ? On aurait pu faire sortir la caméra et retransmettre une image depuis un autre lieu, non?
— Impossible, fit Olivetti. Pour que personne ne puisse capter nos communications internes, l'enceinte du Vatican est équipée d'un écran de protection électronique. Ce signal ne peut donc venir que de l'intérieur, sinon on ne pourrait pas le capter.
— Et je suppose, poursuivit Carlo Ventresca, que vous avez entrepris de retrouver cette caméra par tous les moyens et avec tous les hommes disponibles?
Olivetti secoua la tête.
— Non, mon père. La localiser mobiliserait des dizaines d'hommes pendant des jours entiers. Nous avons beaucoup d'autres problèmes de sécurité à gérer, et, avec tout le respect dû à Mlle Vetra, la gouttelette explosive dont elle nous a parlé est minuscule. Je suis convaincu qu'elle ne peut en aucun cas entraîner les dégâts qu'elle prétend.
La patience de Vittoria était à bout.
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— Cette gouttelette, mon cher monsieur, pourrait raser le Vatican de la surface du globe. J'ai l'impression que vous n'avez pas écouté très attentivement ce que je vous ai dit!
— Mademoiselle, j'ai une grande expérience des différents types d'explosifs, siffla Olivetti.
— Votre expérience est obsolète, répliqua la jeune femme aussi sèchement. Malgré ma tenue, dont j'ai bien compris qu'elle vous obnubilait, je suis une physicienne de haut niveau employée dans le laboratoire de physique nucléaire le plus pointu au monde. C'est moi, figurez-vous, qui ai conçu le conteneur grâce auquel la gouttelette d'antimatière ne nous a pas encore tous annihilés. Et je vous avertis: soit vous trouvez ce conteneur dans moins de six heures, soit vos gardes n'auront plus rien à protéger à l'avenir, sauf un gros trou dans le sol.
Olivetti se tourna vers le camerlingue, ses yeux d'insecte luisant de rage.
— Mon père, je ne puis accepter de me faire traiter ainsi par ces.. hurluberlus. Ils vous font perdre un temps précieux. Les Illuminati et leur gouttelette qui va tous nous détruire... Non mais franchement!
— Basta, articula le camerlingue d'une voix calme qui pourtant sembla résonner dans la pièce. (Il garda le silence quelques instants puis, continua en soupirant:) Dangereux ou pas, Illuminati ou non, quel que soit cet objet, ce qui est sûr c'est qu'il n'a rien à faire au Vatican, surtout le jour du conclave. Je veux qu'on le retrouve et qu'on le neutralise. Commencez les recherches immédiatement!
Olivetti ne voulait pas en démordre.
— Mais, mon père, même en réquisitionnant tous les gardes pour fouiller le complexe, cela prendrait des jours de retrouver cette caméra... D'ailleurs après avoir parlé à Mlle Vetra, j'ai consulté notre ouvrage de balistique pour voir s'il était question d'une substance dénommée antimatière et on n'en parle nulle part. Crétin prétentieux, se dit Vittoria. Un guide de balistique? Tu aurais mieux fait d'ouvrir une encyclopédie. . à la lettre A!
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— Mon père, poursuivit Olivetti, si vous suggérez que nous organisions une fouille de l'ensemble du site, je ne puis vous approuver.
— Commandant, répliqua le camerlingue, fumant de colère, dois-je vous rappeler que, à travers moi, c'est à la direction de l'Église que vous vous adressez? Je constate que vous ne prenez pas ma proposition au sérieux, mais vous avez tort car c'est moi qui pilote le navire, selon nos lois. Si je ne me trompe, nos cardinaux sont à présent en sécurité à l'intérieur de la chapelle Sixtine, et vos soucis de sécurité sont très limités, en tout cas jusqu'à la fin du conclave. Je ne comprends pas pourquoi vous hésitez autant à chercher l'antimatière. Si je ne vous connaissais pas comme je vous connais, je pourrais croire que vous cherchez délibérément à mettre le conclave en danger!
Olivetti lui jeta un regard outré.
— Comment osez-vous! J'ai servi votre pape pendant douze ans! Et celui qui l'a précédé pendant quatorze ans! Depuis 1438, la Garde suisse a...
Olivetti fut interrompu par un couinement sonore de son walkie-talkie.
— Commandante?
Olivetti colla l'émetteur-récepteur contre son oreille et pressa le transmetteur.
— Je suis occupé! Qu'est-ce que vous voulez?
— Excusez-moi, fit le garde, je vous appelle du PCcom. Nous avons une alerte à la bombe.
Olivetti parut on ne peut plus indifférent à cette nouvelle.
— Eh bien, débrouillez-vous! Tâchez de remonter la piste et faites un rapport.
— C'est ce qu'on a fait, commandant, mais l'appel.. (Le garde s'interrompit.) Je ne vous aurais pas dérangé, s'il n'avait mentionné la chose que vous m'avez demandé de chercher. L'antimatière.
— Vous dites? bredouilla Olivetti, la mâchoire tremblante.
— L'antimatière, monsieur. Pendant qu'on essayait de le localiser, j'ai vérifié ses allégations. Les informations que j'ai recueillies sont... Franchement, c'est plutôt inquiétant.
— Mais vous m'aviez dit qu'il n'en était pas question dans le guide de balistique!
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— J'ai trouvé mes infos sur Internet.
Alleluia! pensa Vittoria.
« Il s'agit visiblement d'une substance très explosive, poursuivit le garde. Difficile d'y croire mais le rapport que j'ai lu prétend qu'à poids égal l'antimatière fait cent fois plus de dégâts qu'une tête nucléaire. »
Olivetti se tassa sur lui-même, comme une montagne sur le point de s'écrouler. L'intense satisfaction de Vittoria fut un peu atténuée par l'expression horrifiée du camerlingue.
— Vous avez localisé l'appel?
— Impossible, il provient d'un mobile à cryptage inviolable.
La transmission satellite est illisible donc impossible de trianguler. La signature numérique semble indiquer qu'il se trouverait à Rome, mais nous n'avons vraiment aucun moyen de le localiser.
— A-t-il émis des exigences? reprit Olivetti d'une voix plus calme.
— Non, monsieur. Il nous a simplement informés qu'il y avait de l'antimatière cachée à l'intérieur du complexe. Il a paru surpris que je ne sois pas au courant. Il m'a demandé si je l'avais vue.
Comme vous m'aviez demandé de faire des recherches sur l'antimatière, j'ai décidé de vous prévenir.
— Vous avez fait ce qu'il fallait, répondit Olivetti. J'arrive dans une minute. Prévenez-moi aussitôt s'il rappelle.
Il y eut un instant de silence sur le walkie-talkie.
— Il est toujours en ligne, monsieur.
Olivetti sursauta comme si on venait de l'électrocuter.
— Il est toujours en ligne?
— Oui, monsieur. On essaie de le localiser depuis une dizaine de minutes sans aucun résultat. Il doit savoir qu'il est indétectable, parce qu'il refuse de raccrocher avant d'avoir parlé au camerlingue.
— Passez-le-moi tout de suite! ordonna le camerlingue.
Olivetti soupira.
— Mon père, ce n'est pas une bonne idée. Un garde suisse formé à ce genre de situations est beaucoup plus apte à la gérer...
— Tout de suite! répéta le camerlingue.
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Un instant plus tard, le téléphone de Carlo Ventresca se mit à sonner. Le camerlingue enfonça la touche sur le clavier de son téléphone.
— Au nom de Dieu, qui êtes-vous?
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La voix qu'amplifiait le haut-parleur du téléphone était métallique, froide, pleine d'arrogance. Dans la pièce, personne ne pipait mot.
Langdon essaya de situer l'accent. Moyen-oriental, peut-être?
— Je suis le messager d'une très ancienne confrérie, commença la voix aux intonations étranges. Une confrérie que vous avez opprimée pendant des siècles. Je suis le messager des Illuminati.
Langdon, ses derniers doutes dissipés, sentit ses muscles se raidir. Pendant un instant, il éprouva le mélange familier de violente frayeur et d'excitation qu'il avait déjà ressenties en découvrant l'ambigramme, le matin même.
— Que voulez-vous? demanda le camerlingue.
— Je représente des hommes de science. Des hommes qui comme vous sont à la recherche de réponses aux questions ultimes. La destinée de l'homme, la raison de sa présence sur terre, la façon dont il a été créé...
— Qui que vous soyez, coupa le camerlingue, je...
— Silenzio. Vous feriez mieux d'écouter. Pendant deux mille ans votre Église a confisqué la quête de la vérité. Vous avez écrasé toute opposition en recourant au mensonge et à l'affabulation camouflée en prophétie. Vous avez manipulé la vérité pour servir vos intérêts, n'hésitant pas à supprimer ceux dont les découvertes ne servaient pas votre politique. Et vous vous étonnez qu'une certaine élite intellectuelle vous en veuille?
— L'élite intellectuelle que je fréquente n'a pas recours au chantage pour faire progresser sa cause.
— Quel chantage? Il ne s'agit pas de chantage. Nous n'avons pas d'exigences. L'annihilation du Vatican n'est pas négociable. Cela fait quatre cents ans que nous attendons ce jour. À minuit, le Saint-Siège sera détruit, sans que vous puissiez rien faire pour l'empêcher.
Olivetti se rua vers le téléphone.
— L'accès à cette cité est bien trop surveillé! Vous n'avez pas pu cacher d'engins explosifs ici!
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— Vous parlez avec l'ignorante certitude d'un garde suisse. Peut-
être même un officier? Mais vous imaginez bien que, depuis des siècles, les Illuminati ont eu tout le temps nécessaire pour infiltrer les institutions les plus fermées de la planète. Vous croyez vraiment le Vatican impénétrable?
Seigneur, songea Langdon, ils ont une taupe au Vatican!
L'infiltration était une vieille stratégie de pouvoir des Illuminati, ce n'était pas un secret. Ils avaient infiltré la franc-maçonnerie, les grandes banques internationales, les syndicats et les gouvernements. Churchill avait même confié un jour à des journalistes que, s'il y avait eu autant de hauts fonctionnaires nazis à la solde des Anglais qu'il y avait d'Illuminati sur les bancs du parlement britannique, la guerre n'aurait pas duré un mois.
Un bluff cousu de fil blanc, votre influence est loin de peser aussi lourd que vous le prétendez, rétorqua Olivetti.
— Et pourquoi ça? À cause de la vigilance de vos gardes suisses? Parce qu'ils surveil ent si soigneusement les moindres recoins de votre petit univers idyllique? Mais les gardes suisses eux-mêmes? Ce sont des hommes, après tout, non? Vous croyez vraiment qu'ils veulent miser leur vie sur cette fable d'un type qui marche sur l'eau? Demandez-vous comment j'aurais réussi à faire entrer le conteneur dans le Vatican sans leur aide! Ou comment j'aurais pu faire disparaître quatre de vos plus précieux trésors.
— Des trésors? Que voulez-vous dire?
— Un, deux, trois, quatre. Ils n'ont pas l'air de beaucoup vous manquer pour l'instant.
— Mais enfin de quoi...
Olivetti s'était arrêté net, les yeux écarquillés, comme s'il venait de prendre un coup de poing dans le ventre.
— Vous saisissez, on dirait. . Dois-je vous lire leurs noms?
— De quoi parle-t-il? demanda le camerlingue éberlué.
Le mystérieux interlocuteur s'esclaffa.
— Je vois que votre officier de sécurité n'a pas daigné vous informer! Cela ne m'étonne pas, il est si vaniteux... Et puis j'imagine le déshonneur qu'il éprouverait en vous annonçant la nouvelle: la disparition, cet après-midi, de quatre cardinaux qu'il avait fait serment de protéger...
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Olivetti sortit de ses gonds.
— Comment avez-vous obtenu cette information?
— Camerlingue, demandez donc à votre commandante, si tous les cardinaux se trouvent dans la chapelle Sixtine?
Le camerlingue se tourna vers Olivetti, l'interrogeant silencieusement de ses yeux verts.
— Mon père, lui chuchota-t-il à l'oreille, c'est vrai, quatre cardinaux ne se sont pas encore présentés à la Sixtine, mais il n'y a aucune raison de s'alarmer. Tous ont été pointés à la résidence ce matin, nous sommes certains qu'ils sont tous en sûreté dans le Vatican. Vous avez d'ailleurs vous-même pris le thé avec eux il y a quelques heures. Ils sont simplement en retard pour les discussions préliminaires. Nous les cherchons mais je suis sûr qu'ils ont oublié l'heure et qu'ils doivent être en train de discuter quelque part.
— De discuter quelque part? Alors qu'ils auraient dû se présenter il y a déjà une heure à la Chapelle?
Langdon jeta un regard de surprise à Vittoria. Des cardinaux qui manquent à l'appel? Alors c'était donc des cardinaux qu'ils cherchaient tout à l'heure!
— J'ai la liste sous les yeux, reprit le messager. Il y a le cardinal Lamassé, de Paris, le cardinal Guidera, de Barcelone, le cardinal Ebner, de Francfort...
Olivetti semblait rapetisser à mesure que l'inconnu égrenait ces noms.
Le messager fit une pause comme s'il prenait un plaisir tout particulier à articuler le dernier nom.
—... Et le cardinal Baggia, d'Italie.
Le camerlingue, défait, se tassa dans son fauteuil.
— Je ne peux pas le croire, murmura-t-il. Les cardinaux les plus éminents... Baggia, le successeur pressenti du souverain pontife. Comment est-ce possible?
Langdon en savait assez sur les élections papales modernes pour comprendre l'expression de désespoir qui assombrissait le visage du camerlingue. Si, d'un point de vue technique, tout cardinal âgé de moins de quatre-vingts ans pouvait accéder au trône pontifical, seul quelques-uns disposaient du prestige nécessaire pour rassembler la majorité des deux tiers dans un
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Sacré Collège très divisé. Et les quatre cardinaux qui avaient le plus de chances d'être élus avaient tous disparu.
Le visage du camerlingue ruisselait de sueur.
— Que comptez-vous faire de ces hommes?
— D'après vous? Je suis un descendant des Assassins!
Langdon frissonna. Il connaissait bien ce nom.
L'Église s'était fait quelques ennemis redoutables au cours des siècles, dont les Templiers ou encore les Assassins, des guerriers qu'elle avait trahis ou même pourchassés après les avoir manipulés.
— Libérez les cardinaux! demanda le camerlingue. La destruction de la Cité de Dieu n'est-elle pas une menace suffisante?
— Oubliez vos quatre cardinaux, vous ne les reverrez pas.
Mais croyez-moi, des millions de gens se souviendront de leur mort. N'est-ce pas le rêve de tout martyr? Je ferai des stars médiatiques de vos cardinaux. Vous allez voir, ils crèveront l'écran. Et, à minuit, les Illuminati capteront l'attention générale. Pourquoi changer le monde, si le monde ne regarde pas? Les exécutions publiques nous inspirent une horreur... contagieuse, n'est-ce pas? Vous l'avez démontré il y a longtemps avec l'Inquisition, le châtiment des Templiers, les Croisades.
Il s'interrompit.
« ... Et bien sûr la purga. »
Le camerlingue resta silencieux.
« Vous ne vous souvenez pas de la purga? insista son interlocuteur. Bien sûr que non, vous êtes un enfant. Les prêtres sont d'ailleurs de médiocres historiens. Éprouveraient-ils de la honte à l'évocation de certains épisodes de leur histoire? »
Langdon commenta machinalement, à mi-voix:
— La purga.. 1668. L'Église marque au fer quatre Illuminati du symbole de la croix. Pour « purger » leurs péchés.
— Qui parle? demanda le messager, d'un ton qui trahissait surtout de la curiosité. Qui d'autre est là?
Langdon n'en menait pas large.
— Mon nom n'a pas d'importance, dit-il en essayant d'empêcher sa voix de trembler.
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Parler à un Illuminatus vivant était quelque peu perturbant... Un peu comme de parler à George Washington.
« Je suis un universitaire qui a étudié l'histoire de votre confrérie. »
— Magnifique! répondit la voix. Je suis ravi qu'il y ait quelques hommes qui se souviennent des crimes perpétrés contre nous.
— La plupart de mes collègues pensent que vous appartenez au passé.
— Une erreur que la confrérie a travaillé dur pour propager.
Que savez-vous d'autre à propos de la purga?
Langdon hésita. Ce que je sais d'autre? Que toute cette situation est abracadabrante, voilà ce que je sais! se disait-il.
— Après le marquage au fer rouge, les scientifiques furent exécutés et leurs cadavres jetés dans des lieux publics de Rome pour dissuader d'autres scientifiques de suivre leur exemple.
— Exact. Et nous avons l'intention de faire la même chose ce soir. Quid pro Quo. Œil pour œil. Vous n'aurez qu'à considérer cet acte comme une compensation symbolique du massacre de nos frères. Vos quatre cardinaux vont mourir, au rythme d'un par heure, à partir de 20 heures. A minuit, le monde entier assistera à l'apothéose.
Langdon s'approcha du téléphone.
— Vous avez vraiment l'intention de marquer et de tuer ces quatre hommes?
— L'histoire se répète, non? Bien sûr, nous serons plus élégants, plus audacieux aussi que ne le fut l'Église catholique. Nos frères ont été tués en cachette et leurs cadavres jetés aux chiens sans que personne assiste à cet édifiant spectacle. Une attitude peu courageuse.
— Comment? Vous al ez les assassiner en public?
— Un bon point... Encore que tout dépend de ce que vous entendez par « public ». Je sais que les églises ne sont plus très fréquentées.
Langdon n'en croyait pas ses oreilles.
— Vous avez l'intention de les tuer dans des églises?
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— Un geste magnanime. Grâce à nous, le Seigneur pourra, si ça lui chante, faciliter leur ascension vers le paradis. Ce ne serait que justice pour des cardinaux. Sans compter que la presse appréciera le spectacle, j'imagine.
— Vous bluffez, siffla Olivetti, redevenu froid et neutre. Vous ne pouvez pas tuer un homme dans une église tout en espérant échapper à la police.
— Rappelez-vous que vos gardes suisses n'ont rien vu quand nous avons déposé un puissant explosif au cœur de votre sanctuaire le plus sacré, rien vu quand nous avons enlevé quatre de vos cardinaux. Et vous croyez que je bluffe? Quand les exécutions auront lieu, quand on découvrira les corps, les médias se déchaîneront. À minuit, le monde connaîtra la cause des Illuminati.
— Et si nous postons des gardes dans chaque église? fit Olivetti.
Le messager s'esclaffa.
— Je crains que la nature prolifique de votre religion ne compromette sérieusement ce projet. Vous n'avez pas fait les comptes dernièrement semble-t-il.. Eh bien, apprenez donc qu'il y a plus de quatre cents églises catholiques à Rome. Cathédrales, chapelles, tabernacles, abbayes, monastères, couvents, écoles paroissiales. .
Le visage d'Olivetti restait impassible.
— Le spectacle débute dans une heure et demie, annonça la voix sur le ton de la conclusion. Un par heure. Une progression mathématique mortelle. Maintenant, je dois vous laisser.
— Attendez! demanda Langdon. Parlez-moi des fers avec lesquels vous comptez marquer ces hommes.
— Je pressens que vous les connaissez déjà, non? répondit le tueur, amusé. À moins que vous ne soyez encore sceptique?
Vous les découvrirez bien assez tôt. Elle proclameront la véracité des anciennes légendes.
Langdon eut le vertige. Il savait exactement ce que voulait dire cet homme. Langdon se représenta l'image sur la poitrine de Vetra. Le folklore Illuminati parlait de cinq marques en
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tout. Il en reste quatre, songea Langdon, et quatre cardinaux ont été enlevés...
— Dieu m'a confié une mission, celle de faire élire un nouveau pape ce soir, et je n'y faillirai pas, martela le camerlingue.
— Camerlingue, reprit la voix, le monde n'a nul besoin d'un nouveau pape. À minuit son royaume se réduira à un tas de gravats. L'Église catholique est morte, à quelques heures près. Votre règne ici-bas s'achève.
Un lourd silence succéda à cette sinistre prophétie. Le camerlingue paraissait sincèrement affligé.
— Vous vous fourvoyez. Une Église, ce ne sont pas simplement des pierres et du ciment. On ne fait pas table rase de deux mille ans de foi en détruisant les lieux de culte d'une religion. L'Église catholique se perpétuera avec ou sans la Cité du Vatican.
— Un noble mensonge, mais un mensonge tout de même.
La vérité, nous la connaissons tous deux. Expliquez-moi pourquoi la Cité du Vatican est une citadelle retranchée derrière de hautes murailles?
— Les hommes de Dieu vivent dans un monde dangereux, répliqua le camerlingue.
— Allons, mon père, vous n'êtes plus un gamin! Le Vatican est une forteresse parce que l'Église catholique conserve la moitié de sa fortune à l'abri de ces murs: peintures de maîtres, sculptures, joyaux inestimables, incunables.. sans parler des lingots d'or et des titres de propriété qui garnissent les coffres de vos banques. On estime en général à une cinquantaine de milliards d'euros la valeur brute de la Cité du Vatican avec son contenu.
Un joli magot sur lequel vous êtes assis. Demain, il n'y aura plus que des cendres. Une fortune promptement liquidée! Vous serez en faillite. Même un prêtre ne peut travailler sans être payé.
La pertinence de ce jugement se refléta dans les regards effarés d'Olivetti et de Ventresca. Langdon se demandait ce qui était le plus étonnant: que l'Église catholique ait pu se constituer pareil trésor ou que les Illuminati soient si bien renseignés à son sujet.
Le camerlingue poussa un profond soupir.
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— C'est la foi et non l'argent qui est la colonne vertébrale de l'Église.
— Mensonges, mensonges! L'an dernier vous avez dépensé cent quatre-vingt-trois millions de dollars pour soutenir tant bien que mal vos diocèses à travers le monde. Les églises n'ont jamais été aussi désertées - la fréquentation a chuté de moitié en dix ans. Le montant des donations a diminué de moitié en sept ans. Les postulants au séminaire sont de moins en moins nombreux. Que vous l'admettiez ou non, votre Église est agonisante. Considérez cette soirée comme l'occasion de partir en beauté. Je vous promets un joli feu d'artifice.
Olivetti s'avança. Il semblait moins combatif à présent, comme s'il avait pris la mesure de la tâche qui l'attendait. Il avait la tête d'un homme qui cherche une issue. N'importe laquelle.
— Et si une partie de notre trésor venait alimenter votre cause?
— Cette proposition n'est digne ni de vous, ni de nous!
— Nous sommes riches, vous le savez.
— Sur ce plan, les Illuminati n'ont rien à vous envier.
Langdon se rappela les rumeurs qui couraient sur la fortune des Illuminati, l'ancienne richesse de la franc-maçonnerie bavaroise, les Rothschild, les Bilderberger, le légendaire diamant des Illuminati.
— Les cardinaux, intervint le camerlingue sur un ton implorant. Épargnez-les, ils sont vieux.
— Pauvres petits agneaux, croyez-vous qu'ils crieront quand on les tuera? Pauvres agneaux sacrifiés sur l'autel de la science...
Le camerlingue resta silencieux un long moment.
— Ce sont des hommes de foi, dit-il finalement. Ils ne craignent pas la mort.
Le messager ricana.
— Leonardo Vetra était un homme de foi, mais j'ai tout de même lu de la peur dans ses yeux, hier soir. Une peur que j'ai...
extirpée.
Vittoria qui était restée silencieuse jusque-là poussa un cri de rage.
— Monstre! C'était mon père!
Nouveau ricanement dans le haut-parleur.
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— Votre père? Qui parle? Vetra avait une fille? Alors il faut que vous sachiez que votre père a gémi comme un enfant quand la fin est venue. Pathétique, vraiment. Un être pitoyable.
Vittoria chancela comme si les mots l'avaient assommée.
Langdon tendit le bras pour la soutenir, mais elle retrouva son aplomb et fixa le téléphone d'un regard noir.
— Je jure sur ma vie, qu'avant la fin de la nuit je vous retrouverai. Et alors...
Le messager des Illuminati eut un rire implacable.
— Une femme pleine de cran. Palpitant. Et si, d'ici la fin de cette nuit, c'était moi qui vous trouvais? Alors. .
Les mots restèrent en suspens, comme une épée de Damoclès.
L'instant d'après, l'inconnu avait raccroché.
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Le cardinal Mortati transpirait à grosses gouttes dans sa soutane noire. Non seulement la chapelle Sixtine commençait à ressembler à un sauna, mais le conclave devait commencer dans vingt minutes et on était toujours sans nouvelles des quatre cardinaux manquant. Dans la Sixtine, les premiers murmures que cette absence avait suscités s'étaient transformés en une anxiété flagrante.
Mortati aurait donné cher pour savoir où étaient passés ses cardinaux « buissonniers ». Avec le camerlingue, peut-être? Il savait que ce dernier avait offert le thé en début d'après-midi, mais cela faisait plusieurs heures à présent. Étaient-ils souffrants?
Quelque chose qu'ils avaient mangé? Mortati en doutait. Même agonisant, les cardinaux n'auraient pas manqué un conclave.
L'occasion d'être élu au trône pontifical ne se présentait qu'une fois dans une vie, si elle se présentait. Or, selon la loi vaticane, un cardinal devait se trouver à l'intérieur de la chapelle Sixtine avant le début du scrutin, faute de quoi il devenait inéligible.
Rien n'était officiel, bien sûr, mais rares étaient ceux qui doutaient encore du nom du prochain pape. Ces quinze derniers jours les fax et les téléphones avaient tinté en permanence. Les candidats potentiels avaient été passés au crible. Comme l'exigeait la coutume, quatre noms de cardinaux avaient été retenus — ceux des candidats remplissant les conditions requises pour devenir pape: parler plusieurs langues étrangères, être irréprochable, avoir moins de quatre-vingts ans.
Comme d'habitude, l'un des cardinaux avait surclassé les autres dans les préférences du collège: le Milanais Aldo Baggia. Les états de service exceptionnels de ce parfait polyglotte, combinés à ses impressionnants talents de communicateur doué d'un fort charisme, en avaient fait le favori numéro un.
Mais où peut-il bien être? se demandait Mortati.
Le doyen du Sacré Collège était particulièrement inquiet de l'absence de ses compagnons parce qu'il avait été désigné pour superviser le conclave. Une semaine auparavant, le collège des cardinaux l'avait unanimement désigné comme Grand Électeur du
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conclave. Si le camerlingue était le responsable en titre de l'Église, il n'était qu'un prêtre et il lui manquait la familiarité nécessaire avec une procédure électorale complexe: il fallait donc désigner un cardinal pour superviser le bon déroulement de la cérémonie dans la chapelle Sixtine.
Les cardinaux disaient souvent en plaisantant qu'être désigné à ce poste était l'honneur le plus cruel de toute la chrétienté.
En effet celui à qui revenait cet honneur devenait ipso facto inéligible, et il lui fallait en outre se plonger dans l'énorme pavé Universi Dominici Gregis pour réviser les subtilités du code électoral en vigueur afin de garantir à ses pairs un scrutin rigoureusement conforme aux usages et aux lois.
Mais Mortati n'avait aucune rancœur. Il savait qu'il était le candidat tout désigné pour cette tâche. Non seulement il était le doyen du Collège, mais il avait été de surcroît le confident du défunt pape, un atout incontestable aux yeux de ses pairs. Et si Mortati avait l'âge légalement requis pour être lui-même élu, à soixante-dix-neuf ans, il avait dépassé la « limite » au-delà de laquelle le Collège peut douter que le futur pontife jouira de la santé nécessaire pour faire face à ses très lourdes obligations. Un pape travaille en général quatorze heures par jour, sept jours sur sept et, à ce régime, il meurt d'épuisement, en général, au bout de six ans et quatre mois. Accepter la papauté était donc « le chemin le plus court vers le ciel » selon le bon mot rituel que les anciens répétaient aux nouveaux venus.
Mortati aurait pu devenir pape dans sa jeunesse s'il avait fait preuve d'une plus stricte orthodoxie. Conservateur, conservateur, conservateur, telles étaient les trois qualités essentielles que l'on attendait en effet des candidats à la fonction suprême.
Mortati avait toujours trouvé plaisamment paradoxal que le défunt pape - Dieu ait son âme - se soit révélé étonnamment libéral une fois installé aux commandes du navire. Sans doute avait-il senti le monde moderne échapper peu à peu à l'emprise de l'Église, toujours est-il qu'il avait multiplié les ouvertures, assouplissant ses positions sur la science, allant même jusqu'à subventionner certaines recherches triées sur le volet.
Malheureusement, cette évolution avait été un suicide politique.
Les catholiques conservateurs avaient accusé le pape de « sénilité
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», tandis que les scientifiques le soupçonnaient ouvertement de vouloir asseoir l'influence de l'Église dans des milieux où elle n'avait pas sa place.
— Dites, où sont-ils?
Mortati pivota sur lui-même. Un cardinal lui tapotait nerveusement l'épaule.
— Vous savez où ils se trouvent, n'est-ce pas?
Mortati essaya de dissimuler son inquiétude.
— Certainement encore avec le camerlingue...
— À cette heure? Cela serait tout à fait contraire à la tradition!
Le cardinal fronça les sourcils.
— Peut-être le camerlingue a-t-il oublié de regarder sa montre?
Mortati en doutait sincèrement, mais il resta silencieux. Il était bien conscient que la plupart des cardinaux ne tenaient pas Ventresca en haute estime, jugeant en général l'homme trop jeune pour occuper une fonction si importante. Le vieux prélat soupçonnait qu'une bonne part de l'antipathie qu'il suscitait se bornait à de la simple jalousie. Il admirait cet homme encore jeune dont il avait d'ailleurs vigoureusement, mais secrètement, approuvé la nomination comme camerlingue par le pape. Mortati ne voyait en Ventresca qu'un homme de conviction: contrairement à de nombreux cardinaux, le camerlingue faisait passer l'Église et la foi avant la politique politicienne. C'était vraiment un homme de Dieu.
Du début à la fin de son mandat, le camerlingue avait fait montre d'une dévotion admirable qui était devenue légendaire.
Beaucoup l'attribuaient à un événement miraculeux survenu dans son enfance. . un événement qui aurait fait une profonde impression sur tout homme. Avoir été témoin d'un miracle et en avoir saisi le sens; Mortati aurait souhaité qu'il lui arrive semblable expérience, de celles qui engendrent ce type de foi indestructible.
Malheureusement pour l'Église, songea le vieux cardinal, le camerlingue ne deviendrait jamais pape. Pour se hisser sur le trône de saint Pierre il fallait une certaine dose d'ambition politique –
ce dont le jeune camerlingue était complètement dépourvu. Il avait refusé les différentes offres de promotion que le défunt pape lui avait faites, préférant continuer à servir l'Église comme simple prêtre.
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— Qu'allons-nous faire? insista l'importun en tapotant de nouveau l'épaule de Mortati.
Mortati le regarda sans comprendre.
— Pardon?
— Ils sont en retard! Qu'allons-nous faire?
— Que pouvons-nous faire! répartit Mortati. Attendre et garder espoir.
Tout à fait désappointé par la réponse du Grand Électeur, le cardinal trop curieux s'éloigna dans la pénombre.
Mortati resta immobile un moment, se frottant les tempes et tâchant de clarifier ses idées. C'est vrai: qu'allons-nous faire? Son regard se porta, par-delà l'autel, vers la célèbre fresque du Jugement dernier de Michel-Ange. La peinture ne fit d'ailleurs qu'attiser son anxiété. Cette gigantesque représentation du Christ séparant les vertueux des pécheurs et envoyant ceux-ci en enfer avait tout pour horrifier le spectateur. Ces chairs écorchées, ces corps en flammes, et jusqu'à ce rival de Michel-Ange représenté en enfer avec des oreilles d'âne. . Maupassant n'avait-il pas écrit « Le Jugement dernier de Michel-Ange a l'air d'une toile de foire, peinte pour une baraque de lutteurs par un charbonnier ignorant »?
Maupassant avait vu juste, Mortati était bien obligé de l'admettre.
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Langdon, immobile devant la fenêtre aux vitres pare-bal es du bureau pontifical, ne pouvait détacher ses yeux des camions garés sur la place. Toutes les chaînes de télévision attendaient. Au-delà de l'horreur, l'étrange conversation téléphonique avec le messager des Illuminati lui avait laissé un arrière-goût indéfinissable, un malaise qu'il ne s'expliquait pas.
Les Illuminati, vieux serpent de mer resurgi brusquement des profondeurs de l'histoire, avaient décidé de faire rendre gorge à leur ancien ennemi. Pas d'exigences, pas de négociation, mais une simple vengeance. D'une simplicité démoniaque, à couper le souffle.
Des vengeurs capables d'attendre quatre cents ans! Après des siècles de persécution, la Science semblait avoir enfin payé en retour la Religion, son plus vieil ennemi.
Le camerlingue, affaissé dans son fauteuil, fixait le téléphone d'un œil vague. Olivetti fut le premier à rompre le silence.
— Carlo, dit-il, appelant le camerlingue par son prénom, avec le ton d'un vieil ami. J'ai voué vingt-six ans de ma vie à la protection de ce bureau. Ce soir, les apparences sont contre moi, je suis déshonoré...
Le camerlingue secoua la tête.
— Vous et moi servons Dieu avec des compétences différentes, mais son service est toujours honorable.
— Cette situation... je ne comprends pas... Comment...
Le commandant semblait complètement dépassé.
— Vous comprenez que nous n'avons pas le choix. J'ai la responsabilité de la sécurité du collège des cardinaux.
— La sécurité des cardinaux est, ou plutôt était de mon ressort, mon père.
— Alors, que vos hommes le fassent évacuer immédiatement.
— Mon père?
— Nous prendrons les autres décisions qui s'imposent plus tard, mais avant tout il faut mettre le collège en sécurité. La vie humaine est sacrée, elle passe avant tout. Ces hommes sont les piliers de l'Eglise.
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— Vous suggérez que nous annulions le conclave tout de suite?
— Ai-je le choix?
— Et votre mission de faire élire un nouveau pape?
Le jeune camerlingue soupira et se tourna vers la fenêtre, laissant errer son regard sur les toits de la capitale.
— Sa Sainteté m'a un jour dit que le pape était un homme déchiré entre deux mondes: le monde « réel » et le monde d'en haut. Il m'a mis en garde: une Église qui ignore la réalité terrestre est condamnée à disparaître; elle ne verra pas le royaume de Dieu sur terre.
Sa voix n'était plus celle d'un jeune homme. Elle était celle d'un sage.
« Ce soir, le monde « réel » nous livre un assaut terrible. Il serait dément de l'ignorer. L'orgueil et la tradition doivent s'incliner devant la raison. »
Olivetti acquiesça, visiblement impressionné.
— Je vous avais sous-estimé, mon père.
Le camerlingue ne réagit pas à cette remarque; son regard flottait toujours sur les toits de Rome.
— Je vais vous parler franchement, mon père, reprit Olivetti. Le monde réel est mon monde. Je scrute chaque matin ses bas-fonds pour que d'autres puissent librement travailler à sa régénération.
Je suis plus équipé que vous pour faire face à cette crise. Écoutez-moi et méfiez-vous d'une décision qui pourrait bien se révéler désastreuses.
Le camerlingue fit volte-face.
— L'évacuation du collège des cardinaux de la chapelle Sixtine, insista Olivetti, est la pire des décisions possibles.
— Et que suggérez-vous? répartit le camerlingue désorienté.
— Ne dites rien aux cardinaux. Apposez les sceaux. Cela nous donnera le temps nécessaire pour étudier d'autres options.
Le camerlingue eut l'air troublé.
— Vous ne me conseillez tout de même pas d'enfermer tout le Sacré Collège dans une salle qui va être réduite en poussière par une bombe?
— Si, mon père, rien ne presse. Il sera toujours temps de la faire évacuer plus tard.
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Le camerlingue secoua la tête.
— Si je reporte le conclave avant qu'il ait commencé, passe encore, mais après la fermeture des portes, il n'y aura plus rien à faire. Cela est totalement impossible...
— Le monde réel, mon père. Ce soir, il nous dicte sa loi.
Écoutez-moi.
Olivetti s'exprimait maintenant avec l'aisance d'un homme de terrain.
« Évacuer cent soixante-cinq cardinaux sans les avoir préparés et sans protection serait irresponsable. La confusion et la panique qu'un tel événement causerait à ces vieillards pourraient avoir de graves conséquences pour certains. Et, franchement, l'attaque cérébrale du pape me suffit pour ce mois-ci. »
Le pape décède dans son sommeil d'une attaque cérébrale.
Langdon se rappelait parfaitement la une qui lui avait appris la nouvelle, un soir qu'il dînait avec ses étudiants de Harvard.
— En outre, reprit Olivetti, la chapelle Sixtine est une forteresse. Le public l'ignore mais nous avons renforcé le bâtiment et il peut désormais résister à la plupart des agressions possibles, à l'exception des missiles. Cet après-midi, nous avons fouillé chaque centimètre carré de la Chapelle, à la recherche de micros espions et autres systèmes de surveillance. La Chapelle est « nettoyée », à l'abri des « grandes oreilles » et je suis sûr que ce n'est pas dans la Sixtine qu'est dissimulée l'antimatière. Il n'est pas de place plus sûre pour les cardinaux. Si besoin est, il sera toujours temps de les évacuer en urgence plus tard.
Langdon ne put qu'admirer la détermination d'Olivetti. Son intelligence froide et sa rigueur logique lui rappelaient Kohler.
— Commandant, fit Vittoria d'une voix tendue. Il y a d'autres problèmes à résoudre. On n'a jamais créé une telle masse d'antimatière. Je ne peux donc proposer qu'une estimation approximative du rayon d'action de la bombe. Il n'est pas du tout exclu que l'impact détruise, outre le Vatican, certains des quartiers de Rome voisins. Si le conteneur se trouve dans un immeuble central ou en sous-sol, l'effet en dehors de ces murs sera négligeable, mais s'il se trouve en bordure du périmètre, ou ici, par exemple...
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Vittoria jeta un coup d'œil inquiet sur la foule massée sur la place.
— Je suis très conscient de mes responsabilités à l'égard du monde extérieur, répliqua Olivetti, et cela ne change rien à la gravité de la situation. La protection de ce sanctuaire a été mon seul souci pendant vingt-cinq ans. . J'ai bien l'intention de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher l'explosion.
Carlo Ventresca releva la tête.
— Vous pensez parvenir à la retrouver?
— Laissez-moi en discuter avec mes techniciens. Il n'est pas impossible qu'en coupant l'électricité au Vatican nous puissions éliminer les interférences radio et créer un environnement assez
« transparent » pour détecter le champ magnétique de ce conteneur.
Vittoria eut l'air surprise et admirative.
— Vous voulez plonger le Vatican dans le noir?
— Pourquoi pas? Je ne sais pas encore si cela sera possible. Mais c'est une option que je souhaite explorer.
— Les cardinaux se poseront inévitablement des questions..., fit-elle remarquer.
Olivetti secoua la tête.
— Les conclaves se tiennent à la lueur des bougies. Ils n'en sauront rien. Après la fermeture des portes de la Sixtine, je pourrai mettre la totalité de mes gardes au travail à l'exception de ceux qui gardent le mur d'enceinte. Et organiser une fouille complète. En cinq heures, une centaine d'hommes peuvent abattre un très gros travail.
— Quatre heures, corrigea Vittoria. Je dois rapporter le conteneur au CERN. Le seul moyen d'empêcher l'explosion c'est de recharger les batteries.
— On ne peut pas le recharger ici?
Vittoria secoua la tête.
— L'interface est trop complexe. Je l'aurais apportée si j'avais pu. — Soit, quatre heures, conclut Olivetti en fronçant les sourcils.
Cela fait encore pas mal de temps. Évitons surtout de paniquer.
Mon père, il vous reste dix minutes. Allez à la Chapelle. Enfermez-y les cardinaux. Donnez à mes hommes le temps nécessaire pour
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obtenir des résultats. Le moment venu, nous prendrons les décisions qui s'imposent.
Langdon se demanda combien de temps il restait avant que,
« le moment venu », Olivetti décide, en cas d'échec, d'évacuer.
Le camerlingue semblait désemparé.
— Mais le Collège demandera ce que sont devenus leurs quatre confrères, et surtout, ils voudront savoir où ils se trouvent.
— Alors il vous faudra improviser, mon Père. Racontez-leur que vous leur avez servi des gâteaux, à votre thé, qui les ont indisposés...
Le camerlingue parut indigné.
— Vous me demandez de mentir au collège des cardinaux sur l'autel de la chapelle Sixtine?
— Pour leur propre sécurité. Une peccadille, un pieux mensonge... Votre travail consiste à préserver la sérénité.
Olivetti salua.
« Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je n'ai plus une minute à perdre. »
— Comandant, implora le camerlingue, nous ne pouvons pas ignorer purement et simplement les cardinaux qui ont disparu.
Olivetti s'arrêta sur le pas de la porte.
— Nous ne pouvons plus rien pour eux. Nous devons les abandonner à leur sort. Pour le bien de tous. C'est un adieu douloureux mais nécessaire.
— Un adieu? Que voulez-vous dire?
La voix d'Olivetti se durcit.
— S'il existait une solution, mon père. . un moyen de localiser ces quatre cardinaux, je donnerais ma vie pour les sauver. Mais vu les circonstances...
Il pointa l'index sur la baie par où l'on apercevait le couchant qui faisait chatoyer une mer ondulante de toits de tuiles.
« Fouiller une ville de cinq millions d'habitants est au-dessus de mes moyens. Je ne gaspil erai pas un temps précieux pour apaiser ma conscience en m'adonnant à un exercice aussi vain. Je suis désolé. »
— Et si nous mettions la main sur ce tueur! s'exclama soudain Vittoria. Ne pourriez-vous le faire parler?
Olivetti fronça les sourcils.
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— Un soldat n'est jamais un saint, mademoiselle Vetra.
Croyez-moi, mes sentiments personnels à l'égard de cet homme ne sont pas très éloignés des vôtres.
— Ce n'est pas seulement une question personnel e, dit-elle. Le tueur sait où se trouve l'antimatière, où sont les cardinaux... Si nous pouvions le retrouver, d'une manière ou d'une autre...
— Ce serait jouer leur jeu, rétorqua le commandant. Croyez-moi, priver de toute protection la Cité du Vatican pour fouiller des centaines d'églises, c'est précisément ce que les Illuminati attendent de nous. Gaspiller notre temps et nos forces alors que nous devrions les employer... Ou pis, laisser la Banque du Vatican sans aucune protection... Sans parler des cardinaux qui restent.
L'argument avait porté.
— Et la police romaine? demanda le camerlingue. Nous pourrions alerter le ministre de l'Intérieur pour nous aider à résoudre la crise. Joindre leurs forces aux nôtres pour retrouver l'auteur de l'enlèvement.
— Ce serait une erreur, répliqua Olivetti. Les carabinieri ne nous portent pas précisément dans leur cœur. Ils nous donneraient quelques hommes peu motivés pour pouvoir ensuite pérorer dans les médias. Exactement ce qui ravirait nos ennemis.
Reculons au maximum le moment où nous aurons les médias sur le dos. Je ferai de vos cardinaux des stars médiatiques, se rappela Langdon, c'étaient les mots du tueur. On retrouvera le premier cadavre de cardinal à 20 heures. Et puis un toutes les heures.
La presse va adorer.
Le camerlingue s'exclama avec une pointe de colère dans la voix: — Commandant, nous ne pouvons en conscience abandonner les cardinaux à leur sort!
Olivetti regarda le camerlingue dans les yeux.
— La prière de saint François, vous vous en souvenez?
Le prêtre s'exécuta d'une voix brisée:
« Seigneur, donne-moi l'humilité d'accepter ce que je ne peux changer... »
— Croyez-moi, nous ne pouvons plus rien pour eux, conclut Olivetti, avant de disparaître.
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Le siège de la BBC à Londres se trouve un peu à l'ouest de Piccadilly Circus. Une jeune journaliste décrocha le téléphone.
— BBC, j'écoute, fit-elle en écrasant sa Dunhill. La voix, au bout du fil, était éraillée, avec un accent moyen-oriental.
— J'ai un scoop qui pourrait intéresser votre chaîne.
La jeune femme prit un stylo et ouvrit son calepin.
— Le conclave qui se tient à Rome...
Elle fronça les sourcils. Le reportage diffusé la veille par les envoyés spéciaux de la chaîne n'avait guère soulevé l'enthousiasme des téléspectateurs. L'identité du prochain pape n'était pas au centre de leurs préoccupations.
— Mais encore? fit-elle d'un ton blasé.
— Vous avez un reporter qui couvre l'élection à Rome?
— Il me semble, oui.
— Il faut que je lui parle.
— Désolée mais je ne peux pas vous donner son numéro si vous ne m'en dites pas plus...
— Le Vatican a reçu une menace d'attentat, c'est tout ce que je peux vous dire.
La jeune femme notait soigneusement.
— Votre nom, s'il vous plaît?
— Mon nom importe peu.
La journaliste resta interdite.
— Et vous avez la preuve de ce que vous avancez?
— Oui.
— Je serais heureuse de prendre l'information, mais il n'est pas dans nos habitudes de donner les coordonnées de nos reporters.
À moins que...
— Je vois. Je vais appeler une autre chaîne, merci. Au re...
— Un instant, je vous prie! Ne quittez pas.
Elle posa le combiné sur la table et se massa la nuque. L'art de détecter les petits farceurs n'était en rien une science exacte, mais ce monsieur venait de passer avec succès les deux tests d'authentification d'une source téléphonique. Il avait refusé de
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donner son nom et il ne voulait pas s'attarder au téléphone. Les farceurs et les mythomanes ne lâchaient pas le morceau comme ça.
Heureusement pour elle, les reporters vivaient dans la trouille de rater le scoop de l'année, si bien qu'ils la grondaient rarement pour leur avoir passé un malade en pleine bouffée délirante. Faire perdre cinq minutes à un reporter n'était pas un crime. Laisser passer un gros titre, si.
Avec un gros bâillement, elle tapa sur son ordinateur deux mots clés: « Vatican City ». Quand elle vit le nom du reporter qui couvrait l'élection du pape, elle ricana intérieurement. C'était un petit nouveau, un transfuge de la presse à scandales que la BBC venait d'engager pour couvrir les événements de second plan. La direction le faisait commencer au dernier barreau de l'échelle.
Il devait sacrément s'embêter, obligé qu'il était de faire le pied de grue toute la soirée pour enregistrer une séquence de dix secondes! Il ne serait sûrement pas fâché qu'on le distraie de son inaction forcée.
La journaliste de service de la BBC recopia donc le numéro de téléphone de l'extension satellite de la BBC au Vatican. Puis, allumant une autre cigarette, elle le donna à son interlocuteur anonyme.
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— Ça ne marchera pas, décréta Vittoria qui faisait les cents pas dans le bureau du pape.
Elle se tourna vers le camerlingue.
« Même si une équipe de gardes suisses parvenait à filtrer les interférences électroniques, il faudrait qu'ils soient pratiquement à l'aplomb du conteneur avant de pouvoir détecter le moindre signal.
Et encore faudrait-il que le conteneur soit accessible. Qu'il n'y ait aucun autre obstacle... S'il est enterré dans une boîte métallique quelque part sous une pelouse? Ou caché dans un conduit de ventilation métallique? Ils n'auront pas la moindre chance de le localiser. Et si les gardes suisses ont effectivement été infiltrés?
Comment être certain que la recherche ne sera pas faussée?
Le camerlingue semblait exténué. »
— Que proposez-vous, mademoisel e Vetra?
Vittoria ressentit une légère frustration.
— Mais enfin, c'est évident! Je propose, mon père, que vous preniez d'autres précautions immédiatement. Nous pouvons espérer, contre toute vraisemblance, que la recherche du commandant sera couronnée de succès. Mais regardez par la fenêtre. Vous voyez ces gens? Ces bâtiments autour de la place?
Ces camions, ces antennes satel ites, les touristes? Il est tout à fait possible qu'ils se trouvent à l'intérieur du rayon d'action de la bombe. Il faut agir tout de suite!
Le camerlingue acquiesça machinalement.
Vittoria n'avait pas partie gagnée: Olivetti avait réussi à convaincre le camerlingue qu'il disposait de suffisamment de temps.
Mais Vittoria savait que, si la nouvelle de la catastrophe filtrait, toute la zone allait être envahie de curieux. Une question de quelques minutes. Elle avait observé un phénomène identique, un jour, à Berne, devant le palais fédéral. Durant une prise d'otages avec menace d'attentat à la bombe, des milliers de personnes s'étaient rassemblées autour du bâtiment dans l'attente du dénouement.
Malgré les avertissements répétés de la police, la population n'avait cessé d'affluer. Rien ne captive autant les gens que le spectacle d'une tragédie.
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— Mon père, insista Vittoria, l'homme qui a tué Leonardo Vetra se trouve dans cette ville, ici, quelque part. Je voudrais de toute mon âme lui faire la chasse et le capturer. Mais je suis bloquée ici, dans votre bureau. . parce que j'ai une responsabilité à votre égard. À votre égard et à l'égard de tous ceux qui nous entourent.
Des vies sont en danger, mon père. Vous m'écoutez?
Le camerlingue ne répondit rien.
Vittoria entendait les battements sourds de son cœur.
Pourquoi la Garde suisse n'a-t-elle pas été capable de repérer l'appel de ce fichu salopard? C'est l'assassin des Illuminati la clé du problème! Il sait où est cachée l'antimatière et il sait où sont détenus les cardinaux! Si on le retrouve, tout est réglé...
Vittoria sentait qu'elle commençait à perdre son calme. Elle retrouvait de vieux souvenirs de l'époque de l'orphelinat avec ses terribles moments de dépression et d'angoisse dont elle ne savait comment sortir. Tu as des outils, se raisonna-t-elle, tu as toujours des outils. Mais cela ne servait à rien. Le flux incontrôlable de ses pensées la submergeait. Elle était une chercheuse, elle savait forger des solutions. Mais à ce problème-ci, elle ne voyait pas de solution. De quelles informations as-tu besoin? Que veux-tu? se répétait-elle. Elle se força à inspirer profondément, mais, pour la première fois de sa vie, elle échoua. Elle suffoquait.
Langdon avait une grosse migraine et il avait le sentiment de dériver aux confins de la raison et du non-sens. Il regarda Vittoria et le camerlingue, mais sa vision était brouillée: des images hideuses surgissaient sans cesse: explosions, nuées de reporters, caméras agressives, corps humains marqués au fer rouge...
Shaitan... Lucifer... Porteur de lumière... Satan...
Il essaya de chasser ces images diaboliques de son cerveau.
Un terrorisme calculé, se rappelait-il en essayant de recouvrer une réalité qui le fuyait. Un chaos planifié. Il repensa au séminaire de Radcliffe auquel il avait assisté à l'époque où il poursuivait des recherches sur le symbolisme prétorien. Ce jour-là, sa vision du terrorisme avait radicalement changé.
— Le terrorisme vise un but bien spécifique, mais lequel?
avait demandé le responsable du séminaire.
— Tuer des civils innocents! avait lancé un étudiant.
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— Inexact. La mort n'est qu'un résultat secondaire du terrorisme.
— Une démonstration de force?
— Non, puisqu'il n'y a pas de dissuasion graduée.
— Engendrer la terreur?
— En bref, oui. Le but du terrorisme est tout simplement de provoquer peur et terreur. La peur mine toute confiance dans la classe politique. Elle affaiblit l'ennemi de l'intérieur, elle démoralise le public. Rappelez-vous: le terrorisme n'est pas l'expression d'une fureur incontrôlable, c'est une arme politique. Privez un gouvernement de sa façade d'infaillibilité et le peuple perdra confiance en lui. Perdra confiance, perdra la foi... Est-ce la foi qui est au centre de toute cette affaire? Langdon se demandait comment les chrétiens du monde entier réagiraient aux images des cadavres de cardinaux mutilés, abandonnés tels des chiens crevés. Si la foi d'un prêtre canonisé ne le protégeait pas du mal, comment y résisterions-nous, nous autres humains ordinaires? Les tempes de Langdon battaient à tout rompre, son cerveau ressemblait à un champ de bataille.
La foi ne te protège pas. La médecine, les airbags, si. Dieu ne protège pas. L'intelligence protège. La raison scientifique. Il faut placer sa foi dans quelque chose qui donne des résultats tangibles. Combien de siècles se sont-ils écoulés depuis que Jésus a marché sur les eaux? Les miracles modernes sont le fait de la science... ordinateurs, vaccins, stations spatiales... même le miracle divin de la création. On peut créer de la matière à partir de rien, dans un labo. On n'a plus besoin de Dieu.
Dieu, c'est la science!
La voix du tueur résonnait dans le cerveau de Langdon. « À
minuit... une progression mortelle mathématique... des agneaux sacrifiés sur l'autel de la science... »
Puis, brusquement, comme une foule dispersée par un coup de tonnerre, toutes ces pensées s'évanouirent. Robert Langdon se leva d'un bond, renversant son fauteuil qui s'écrasa sur le sol de marbre. Vittoria et le camerlingue sursautèrent.
— Je l'ai loupé... alors que je l'avais sous les yeux...
— Loupé quoi? demanda Vittoria.
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Langdon se tourna vers le prêtre.
— Mon père, cela fait trois ans que j'essaie d'obtenir de votre administration qu'elle me laisse consulter les archives du Vatican. J'ai été débordé sept fois.
— Monsieur Langdon, je suis désolé, mais le moment me semble mal choisi pour émettre des réclamations de cet ordre.
— Il faut que je consulte les Archives immédiatement! Pour les quatre cardinaux. J'espère pouvoir deviner les lieux où ils vont être mis à mort!
Vittoria le fixa, se demandant si elle ne rêvait pas.
Le camerlingue avait le regard de quelqu'un qui craint d'être victime d'une blague cruelle.
— Mais comment cette information pourrait-elle se trouver dans nos Archives?
— Je ne puis vous promettre que je la dénicherai à temps, mais si vous me laissez carte blanche...
— Monsieur Langdon, je suis attendu à la chapelle Sixtine dans quatre minutes et le bâtiment des Archives est situé à l'autre extrémité de la Cité du Vatican.
— Vous êtes sérieux, n'est-ce pas? fit Vittoria en se tournant vers le camerlingue. S'il y a la moindre chance. . de découvrir où vont avoir lieu ces meurtres, nous pourrions les placer sous surveillance et...
— Mais les Archives, insista le camerlingue. Comment pourraient-elles renfermer un quelconque indice?
— M'expliquer prendrait trop de temps. Mais si je ne me trompe pas, les informations que j'y trouverai nous aideront à capturer le tueur, répondit Langdon.
Visiblement, le camerlingue aurait voulu croire l'Américain mais n'y parvenait pas.
— Les Archives contiennent les manuscrits les plus sacrés du Vatican, des trésors que moi-même n'ai pas le droit de consulter.
— J'en suis tout à fait conscient.
— Il faut une autorisation écrite signée du conservateur et du Conseil des bibliothécaires du Vatican.
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— Ou bien, corrigea Langdon, un agrément du pape. C'est du moins ce que précisaient toutes les lettres de refus que votre conservateur m'a envoyées.
Le camerlingue acquiesça.
— Si je ne me trompe, et sans vouloir vous forcer la main, les agréments sont émis par ce bureau? Autant que je sache, ce soir, c'est vous qui êtes aux commandes de cette nation. Compte tenu des circonstances...
Le camerlingue tira une montre de la poche de sa soutane et y jeta un rapide coup d'œil.
— Monsieur Langdon, je suis prêt à donner ma vie, pour sauver cette Église.
Langdon fut ému par la flamme de sincérité qui luisait au fond de ses yeux.
— Ce document, reprit le camerlingue, vous croyez vraiment qu'il se trouve ici? Et qu'il peut nous aider à localiser les quatre cardinaux?
— J'en suis convaincu.
— Savez-vous où se trouvent les archives secrètes?
Langdon sentit son cœur battre un peu plus vite.
— Juste derrière la Porte Santa Ana. Chaque chercheur doit être accompagné par un bibliothécaire. Ce soir, les bibliothécaires sont partis. Ce que vous me demandez est un accès sans contrôle... Même nos cardinaux doivent se faire accompagner.
— Je traiterai vos trésors avec le plus grand soin et le plus grand respect. Les bibliothécaires ne s'apercevront même pas de mon passage.
Les cloches de Saint-Pierre se mirent à sonner à la volée.
Le camerlingue regarda une dernière fois sa montre.
— Je dois y aller.
Il s'arrêta un bref instant et planta ses yeux dans ceux de Langdon.
« Je vais faire envoyer un garde suisse aux Archives, vous le trouverez là-bas. Je vous donne ma confiance, monsieur Langdon. Allez. »
Langdon resta sans voix.
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Le prêtre semblait avoir recouvré un sang-froid surnaturel.
Il tendit la main vers Langdon et lui pressa l'épaule avec une force étonnante.
— Je veux que vous trouviez ce que vous cherchez, monsieur Langdon. Et que vous le trouviez vite!
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Les Archives secrètes du Vatican se trouvent au fond du jardin des Borgia, au sommet de la colline sur laquelle ouvre la porte Santa Anna. Elles renferment plus de vingt mille volumes et, notamment, selon la rumeur, les carnets manquants de Leonardo da Vinci, ainsi que certains livres censurés de la Bible.
Langdon remonta d'un pas rapide la Via della Fondamenta, ayant peine à croire qu'il allait enfin entrer dans ce sanctuaire inviolable. Vittoria adaptait sans effort son pas au sien. Sa chevelure aux arômes d'amande ondulait dans le vent, faisant frémir les narines de Langdon. Ce dernier étouffa la griserie légère qui l'envahissait. Ce n'était vraiment pas le moment.
Vittoria se tourna vers lui.
— Allez-vous enfin m'expliquer ce que nous cherchons?
— Un petit ouvrage écrit par un certain Galilée.
Elle sembla surprise.
— Rien que ça. . Et que contient-il d'intéressant?
— Il est censé renfermer le signe, il segno.
— Le signe?
— Signe, indice, signal, il y a plusieurs traductions.
— Et un signe vers quoi?
Langdon accéléra l'allure.
— Un lieu secret, répondit-il. Pour se protéger des espions du Vatican, les Illuminati ont choisi un lieu de rendez-vous ultrasecret, ici même, à Rome. Ils l'ont appelé l'« Église de l'Illumination ».
— Plutôt audacieux de baptiser Église un repaire satanique!
Langdon secoua la tête.
— Les Illuminati de Galilée n'avaient rien de satanique.
C'étaient des scientifiques qui vénéraient la connaissance. Ce lieu de rendez-vous fut simplement choisi pour qu'ils puissent se retrouver et discuter de sujets interdits par le Vatican en toute sécurité. Mais voilà: si nous savons que ce repaire secret a existé, personne ne l'a encore localisé.
— On dirait que les Illuminati savent garder un secret!
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— Absolument. En fait, ils n'ont jamais révélé le lieu de leurs réunions à personne en dehors de la confrérie. Ce secret les a protégés, mais il représentait un frein au recrutement de nouveaux membres.
— Pour croître, ils devaient se faire connaître, renchérit Vittoria dont le corps et l'esprit avançaient au même pas.
— Exactement. La confrérie de Galilée commença à faire parler d'elle vers 1630 et des scientifiques du monde entier entreprirent un pèlerinage secret à Rome dans l'espoir d'y être admis... et, qui sait, d'écouter un exposé du maître, ou d'avoir la chance de regarder dans sa lunette astronomique.
Malheureusement, à cause de cette obsession du secret, les savants en visite dans la capitale ne savaient pas où se rendre pour rencontrer leurs pairs, ni même à qui ils pouvaient s'adresser en toute confiance. Les Illuminati voulaient élargir leur audience, mais sans prendre le moindre risque.
Vittoria fronça les sourcils.
— Voilà une situazione senza soluzione.
— Ou une impasse si vous préférez.
— Alors qu'ont-ils décidé?
— C'étaient des scientifiques. Ils ont examiné le problème sur toutes les coutures et ils ont trouvé une solution. Brillante, d'ailleurs. Les Illuminati ont créé une sorte de carte ingénieuse qui devait guider les scientifiques vers leur sanctuaire.
L'air soudain sceptique, Vittoria ralentit le pas.
— Une carte? Ce n'est pas le moyen le plus sûr. Et si elle était tombée en de mauvaises mains...
— Impossible, fit Langdon. Et pour une bonne raison: il n'en existait aucun exemplaire. Ce n'était pas une carte sur papier. Elle était trop grande pour cela. C'était une sorte de jeu de piste dans la ville.
Vittoria ralentit encore.
— Vous voulez dire qu'ils peignaient des flèches sur les trottoirs?
— En quelque sorte, mais leurs « flèches » étaient d'une grande subtilité. . La carte en question se composait d'une série de «
jalons » symboliques soigneusement dissimulés dans des lieux publics. Chacun de ses jalons menait au suivant et ainsi de suite jusqu'au repaire des Illuminati.
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— On dirait une chasse au trésor..., commenta Vittoria en lui lançant un regard intrigué.
Langdon sourit.
— Après tout c'était bien une chasse au trésor, non? Les Illuminati ont d'ailleurs nommé leur chaîne de jalons « la Voie de l'Illumination » et quiconque voulait rejoindre la confrérie devait la suivre jusqu'au bout. Une sorte de test.
— Mais qu'est-ce qui empêchait la police du Vatican de remonter la même chaîne pour retrouver les Illuminati? objecta Vittoria.
— Pas si simple. La Voie de l'Illumination était dissimulée.
Seuls des êtres au profil bien particulier étaient capables d'interpréter les signes placés sur leur chemin et d'en déduire l'emplacement de l'Église de la secte. Les Illuminati avaient conçu ce jeu de piste comme un rite initiatique, qui ne visait pas seulement à garantir leur sécurité mais se voulait aussi un instrument de sélection éliminant les médiocres pour réserver l'accès de leur repaire aux plus intelligents.
— Je ne marche pas! Au XVIIe siècle le niveau scientifique de certains hommes d'Église n'avait rien à envier à celui des plus grands savants. Si les symboles dont vous parlez étaient disposés dans des lieux publics, il existait forcément quelques ecclésiastiques capables de les interpréter.
— Bien sûr, acquiesça Langdon. Ils l'auraient pu s'ils avaient eu connaissance des signes en question. Mais ils n'en furent jamais informés. Et ils ne les remarquèrent jamais parce que les Illuminati les avaient conçus de telle façon que les ecclésiastiques ne puissent jamais soupçonner leur vrai rôle. Ils ont utilisé à cette fin la méthode de la « dissimulation », dans le sens que les symbologues donnent à ce terme.
— C'est la meilleure des défenses naturelles, ajouta Vittoria.
Essayez donc de repérer un poisson trompette qui se laisse flotter parmi les herbes au fond de la mer. .
— C'est exactement ça, approuva Langdon. Les Illuminati utilisaient le même stratagème. Ils ont créé des repères susceptibles de se fondre dans le décor de la Rome de la Renaissance. Pas question d'utiliser des ambigrammes, ni des symboles scientifiques, qui auraient été beaucoup trop voyants.
Tant et si bien qu'ils ont fait appel à un artiste de la secte, ce même
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prodige anonyme qui avait créé leur logo ambigrammatique, et lui ont commandé quatre sculptures.
— Des sculptures « illuminati »?
— Oui, avec un cahier des charges très précis: el es devaient ressembler à de banales sculptures romaines, afin que le Vatican ne les suspecte à aucun prix.
— De l'art religieux, alors?
Langdon opina, avant de reprendre, de plus en plus animé:
— Seconde consigne, ces quatre sculptures devaient aborder des thèmes bien précis: chacune d'elles devait constituer un hommage à l'un des quatre éléments de la science.
— Quatre éléments? s'étonna Vittoria. Il en existe plus d'une centaine...
— Pas au début du XVIIe siècle, lui rappela Langdon. Les alchimistes croyaient que l'univers était constitué de quatre substances seulement: la terre, l'air, le feu et l'eau.
La croix primitive, Langdon le savait bien, était le symbole le plus répandu de cette « quaternité »: les quatre extrémités représentaient les quatre éléments. Mais on trouvait, poursuivait-il, des dizaines de représentations symboliques de la terre, de l'air du feu et de l'eau, chez les pythagoriciens de la Grèce antique, comme dans la civilisation chinoise, chez Jung aussi, dans ses polarités féminines et masculines, dans les signes du Zodiaque, et même les musulmans vénéraient les quatre éléments qu'ils appelaient « carrés, nuages, foudre et vagues ». Langdon, quant à lui, était plus intéressé par leurs versions plus modernes: les quatre degrés mystiques de l'initiation absolue des francs-maçons: la terre, l'air, le feu et l'eau.
Vittoria était de plus en plus perplexe.
— Donc cet artiste a créé quatre œuvres d'art qui semblaient religieuses mais qui étaient en fait des hommages à la terre, à l'air, au feu et à l'eau?
— Exactement, fit Langdon, en empruntant la Via Sentinel qui aboutissait aux Archives. La confrérie a offert, anonymement, ces œuvres d'art à des églises de Rome soigneusement choisies et elle a usé de son influence politique pour qu'elles soient bien visibles.
Si un candidat illuminatus parvenait à trouver la première église et le symbole « terre », il devait encore trouver l'air, puis le feu,
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puis l'eau pour finalement parvenir jusqu'à l'église de l'Illumination.
Vittoria semblait de plus en plus confuse.
— Mais quel rapport avec la traque de l'assassin qui nous occupe?
Langdon jeta sa carte maîtresse avec un sourire vainqueur.
— Un rapport très étroit: notre « illuminé » a appelé ces quatre églises d'un nom très spécial: les « autels de la science ».
Vittoria, sourcils froncés, objecta:
— Mais ça ne veut absolument rien...
Elle s'arrêta net.
— L'autel de la science! s'exclama-t-elle. Le tueur illuminatus a dit... « Les cardinaux seront sacrifiés comme des petits agneaux sur les autels de la science. »
Le sourire de Langdon s'élargit davantage.
— Quatre cardinaux, quatre églises, les quatre autels de la science!
Elle en resta bouche bée.
— Vous dites que les quatre églises où seront sacrifiés les quatre cardinaux sont les mêmes que celles qui servaient autrefois de jalons sur la Voie de l'Illumination?
— C'est en effet mon hypothèse.
— Mais pourquoi le tueur nous aurait-il livré un tel indice?
— Pourquoi pas? répartit Langdon. Rares sont les historiens qui ont entendu parler de ces sculptures. Plus rares encore sont ceux qui croient à leur existence. Et leurs emplacements sont restés secrets pendant quatre siècles. Les Illuminati ont des raisons d'estimer que ce secret bien gardé le restera encore cinq heures. En outre, ils n'ont plus besoin de la Voie de l'Illumination. D'ailleurs le repaire secret, lui, n'existe sans doute plus depuis longtemps. Ils vivent au rythme du monde moderne. Ils se croisent dans des conseils d'administration, déjeunent dans des restaurants d'hommes d'affaires, sur les greens où il se retrouvent pour discuter tranquillement. Ce soir, ils ont décidé d'éventer leurs secrets. Leur heure a sonné. L'heure de la révélation...
Mais Langdon craignait que la révélation des Illuminati ne rappelle un épisode qu'il n'avait pas encore mentionné. Les
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quatre marques. Le tueur avait juré que chaque cardinal serait marqué au fer rouge d'un symbole différent. Preuve de la véracité des anciennes légendes, avait-il ajouté. La légende des quatre ambigrammes était aussi ancienne que les Illuminati eux-mêmes: la terre, l'air, le feu, l'eau – quatre mots dotés d'une parfaite symétrie. Tout comme le nom, Illuminati. Chaque cardinal allait être marqué au fer par l'un des quatre éléments de la science du XVIIe siècle. La rumeur selon laquelle les quatre marques étaient des mots anglais et non italiens était un sujet de controverse entre spécialistes. L'anglais semblait un choix illogique pour ces Illuminati, or ils s'étaient toujours montrés d'une parfaite cohérence.
Langdon remonta l'allée pavée de briques qui menait au bâtiment des Archives. Des images sinistres se télescopaient dans son esprit. Le complot des Illuminati commençait à révéler sa grandiose patience. La confrérie avait juré de garder le silence le temps qu'il faudrait, amassant assez d'influence et de pouvoir, afin de resurgir sans crainte et de combattre au grand jour pour leur cause. Ils n'avaient plus besoin de se cacher. Ils pouvaient enfin exhiber leur puissance et confirmer l'authenticité de vieux mythes tombés dans l'oubli sur leur inextinguible soif de vengeance. L'événement de ce soir était d'abord et avant tout une ingénieuse opération de relations publiques...
— Voici votre ange gardien, annonça Vittoria.
Langdon vit le garde suisse traversant au pas de course une pelouse voisine pour les rejoindre.
Quand le garde les aperçut, il stoppa net, les examina attentivement et, effaré, il s'empara de son talkie-walkie. Il débita son rapport, sur un ton incrédule, à celui qu'il appelait. Si le grondement sonore qui lui répondit n'était pas intelligible, son sens était clair. Le garde vaincu renfonça son talkie-walkie dans sa poche et se tourna vers le couple, l'air fort mécontent.
Il n'échangea pas un mot avec les étrangers qu'il guida dans le bâtiment. Après avoir franchi quatre portes blindées, deux entrées nécessitant un passe spécial, emprunté un long couloir bordé de doubles portes de chêne, le garde s'arrêta devant une dernière porte. Il examina de nouveau Langdon et Vittoria et,
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marmonnant dans sa barbe, se dirigea vers une boîte métallique accrochée au mur. Il la déverrouilla, plongea sa main à l'intérieur, actionna un code. Un bourdonnement se fit entendre et la serrure s'ouvrit dans un claquement métallique.
Le garde suisse se tourna vers ses hôtes et leur adressa la parole pour la première fois.
— Les Archives se trouvent derrière cette porte. On m'a ordonné de vous accompagner jusqu'ici et de retourner au PC.
— Vous partez? demanda Vittoria.
— Les gardes suisses ne sont pas admis dans les Archives secrètes. Vous êtes ici parce que mon commandant a reçu l'ordre formel du camerlingue de vous laisser entrer.
— Mais comment allons-nous sortir?
— Sécurité monodirectionnelle. On ne peut plus simple, vous verrez.
La discussion s'arrêta là. Le garde tourna les talons et reprit le couloir en sens inverse.
Vittoria fit une remarque que Langdon n'entendit pas. Les yeux fixés sur la double porte, l'Américain se demandait quels mystères elle pouvait bien abriter.
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Il n'avait guère le temps, et il le savait. Pourtant le camerlingue Carlo Ventresca marchait lentement. Il avait besoin de ces quelques instants de solitude pour rassembler ses pensées avant de dire la prière d'ouverture du conclave. Il s'était passé tant de choses.. Alors qu'il traversait l'aile Nord du palais, solitaire et harassé, il sentait les défis des deux semaines écoulées peser de tout leur poids sur ses épaules.
Il avait suivi ses saintes obligations à la lettre.
Comme le voulait la tradition vaticane, après la mort du souverain pontife, le camerlingue avait personnellement confirmé le décès en plaçant ses doigts sur le cou du pape, au niveau de la carotide. Il avait cherché à entendre un éventuel souffle puis il avait proféré à trois reprises le nom du chef de l'Église. La loi excluait une autopsie. Après quoi, il avait apposé les sceaux sur la porte de la chambre pontificale, détruit l'anneau du pêcheur, brisé le sceau de plomb et préparé les obsèques. Enfin, il s'était occupé des préparatifs du conclave.
Le conclave, songea-t-il, le dernier obstacle. C'était l'une des plus vieilles traditions de la chrétienté. De nos jours, parce que l'on en connaissait d'ordinaire les résultats avant qu'il ait commencé, ce scrutin apparaissait comme un rituel obsolète, une parodie d'élection. Seulement, à un regard très superficiel, se dit le camerlingue. Le conclave n'était pas une élection. C'était un ancien mode de transfert du pouvoir. Un processus mystique.
Une tradition intemporelle. Le secret, les petits papiers pliés, le fait de brûler les bulletins de vote, le mélange des produits chimiques, les signaux de fumée...
En passant devant les loggias de Grégoire XIII, Carlo Ventresca se demanda si le cardinal Mortati commençait à paniquer. Le vieux prélat avait sûrement remarqué l'absence des quatre cardinaux. Et elle risquait fort de se prolonger toute la nuit. La désignation de Mortati avait été une bonne décision, songea le camerlingue. L'homme était un esprit libre qui laissait parler son cœur. Le conclave, ce soir plus que jamais, aurait besoin d'un véritable chef.
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En arrivant au sommet de l'escalier royal, Carlo Ventresca se dit qu'il ressemblait à un précipice qui pourrait bien l'engloutir avec tous ses projets. De ce point, il entendait le brouhaha monter de la chapelle Sixtine. L'écho des bavardages des cent soixante-cinq cardinaux - cent soixante et un, corrigea-t-il aussitôt.
Pendant un instant, le camerlingue se vit chuter, plonger en enfer, parmi les damnés hurlant, dans un abîme de flammes, sous un déluge de pierres et de sang vomis par le ciel.
Et puis, le silence.
Quand l'enfant s'éveilla, il était au paradis. Autour de lui, tout était blanc. La lumière était aveuglante et pure. Certains adultes ne se seraient pas privés de dire qu'un enfant de dix ans ne peut pas comprendre ce qu'est le paradis, mais le jeune Carlo Ventresca comprenait très bien le paradis. Il s'y trouvait à cet instant précis. De quel autre endroit pouvait-il s'agir? Carlo n'était sur terre que depuis une dizaine d'années mais il avait déjà senti la majesté de Dieu - le tonnerre des grandes orgues, les dômes surplombant les villes, les voix du chœur s'élevant dans l'église, les teintes bronze et or chatoyant sur les vitraux.
Maria, la mère de Carlo, l'emmenait à la messe chaque jour.
L'église était la maison de Carlo.
— Pourquoi venons-nous à la messe tous les jours? avait demandé un jour le petit garçon, sans la moindre nuance de reproche d'ailleurs.
— Parce que j'en ai fait la promesse à Dieu, avait répondu Maria. Et une promesse faite à Dieu est la plus importante de toutes.
Ne Lui manque jamais de parole, Carlo.
Le jeune enfant avait promis qu'il tiendrait toutes ses promesses à Dieu. Il aimait sa mère plus que tout au monde. Elle était son ange descendu du ciel. Parfois, il l'appelait Maria Benedetta, comme la Sainte Vierge, mais elle n'aimait pas du tout ça. Il s'agenouillait à côté d'elle quand elle priait, humant la délicieuse odeur maternelle et l'écoutant murmurer son rosaire.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs... maintenant comme à l'heure de notre mort.
— Où est mon père? avait demandé Carlo, qui savait que son père était mort avant sa naissance.
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— Maintenant, c'est Dieu ton père, répondait invariablement Maria. Tu es un enfant de l'Église.
Carlo ne résistait pas au plaisir de réentendre cette réponse.
— Chaque fois que tu te sentiras effrayé, lui disait-elle, souviens-toi qu'à présent Dieu est ton père. Il veillera sur toi et te protégera toute ta vie. Dieu a de grands projets pour toi, Carlo.
L'enfant savait que sa mère voyait juste. Il sentait déjà Dieu dans son cœur et ses veines.
Dans son sang.
Le sang tombant en pluie du ciel!
Silence. Puis, le paradis.
Son paradis, — Carlo l'avait appris quand on avait éteint ces lumières aveuglantes —, était en fait l'unité de soins intensifs de l'Hôpital Santa Clara, dans les faubourgs de Palerme. Carlo avait été le seul survivant d'un attentat terroriste qui avait détruit une chapelle où sa mère et lui, alors en vacances dans la région, assistaient à la messe. Trente-sept personnes étaient mortes, dont la mère de Carlo. Les journaux avaient trouvé une formule choc pour le petit survivant de l'attentat: « le Miracle de saint François. » En effet, juste avant l'explosion, Carlo, pour une raison inconnue, s'était éloigné de sa mère et s'était aventuré dans une alcôve pour regarder une tapisserie illustrant la vie de saint François.
Dieu m'a appelé là-bas, avait-il décidé alors. Il voulait me sauver.
À l'hôpital, Carlo souffrait atrocement, il délirait. Il revoyait encore sa mère, agenouillée sur son banc d'église, lui envoyant un baiser. Ensuite, il y avait eu un bruit de tonnerre et il avait vu sa chair qui sentait si bon déchiquetée de partout. Il avait encore le goût de la méchanceté humaine sur les lèvres, c'était celui du sang de sa mère. De Marie, la Sainte Vierge!
« Dieu veillera sur toi et te protégera toute ta vie », lui avait promis sa mère.
Mais où était Dieu en ce moment?
Et puis, comme pour donner raison à Maria, un homme d'Église était venu à l'hôpital. C'était un évêque, avait ensuite appris l'enfant. Il avait prié pour Carlo. Le miracle de saint François.
Après la guérison de l'enfant, l'évêque l'avait fait admettre dans le
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petit monastère jouxtant la cathédrale. Carlo avait vécu avec les moines qui lui avaient enseigné ce qu'il savait. Il était même devenu enfant de chœur pour son nouveau protecteur. L'évêque avait suggéré à Carlo d'entrer dans un lycée, mais l'enfant avait refusé. Il n'aurait pu être plus heureux ailleurs. À présent, il vivait vraiment dans la maison de Dieu.
Chaque soir, Carlo priait pour sa mère.
Dieu m'a sauvé pour une raison, se disait-il, mais laquelle?
À l'âge de seize ans, Carlo aurait dû entrer dans l'armée pour les deux années de service militaire obligatoire. L'évêque avait alors expliqué à Carlo que, s'il décidait d'entrer au séminaire, il serait exempté de cette obligation. Carlo avait répondu qu'il souhaitait entrer au séminaire mais qu'il devait d'abord comprendre le mal.
L'évêque n'avait pas compris.
Carlo lui avait confié que, s'il devait passer sa vie dans l'Église à lutter contre le mal, il fallait d'abord qu'il comprenne en quoi il consistait. Et il ne voyait pas de meilleur endroit que l'armée pour comprendre le mal. L'armée, avec ses fusils et ses canons.
Ses explosifs. Comme ceux qui ont tué ma sainte mère!
L'évêque avait essayé de le dissuader, mais Carlo avait déjà pris sa décision.
« Prends garde à toi, mon fils, avait dit l'évêque. Et sache que l'Église attendra ton retour. »
Les deux années de service militaire du jeune homme avaient été épouvantables. La jeunesse de Carlo s'était déroulée dans un havre de silence et de réflexion. Mais, à l'armée, silence et réflexion étaient proscrits. Du bruit, toujours du bruit. . d'énormes engins partout. Pas un instant de paix. Les soldats se rendaient certes à la messe une fois par semaine, dans la chapelle de la caserne, mais Carlo n'avait jamais senti la présence de Dieu chez aucun de ses compagnons. Leur esprit était trop plein du chaos pour voir Dieu.
Carlo détestait sa nouvelle vie, il aurait voulu rentrer chez lui.
Mais il s'était imposé de rester jusqu'au bout. Il s'était fixé une tâche, celle de comprendre le mal. Comme il avait refusé de se servir d'une arme à feu, on lui avait appris à piloter un hélicoptère.
Carlo détestait l'odeur et le bruit de cet engin, mais, celui-ci lui
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permettait de voler dans le ciel et de se rapprocher ainsi de sa mère. Quand on lui avait expliqué qu'il allait devoir apprendre à sauter en parachute, comme tout pilote, Carlo avait été terrifié.
Seulement il n'avait pas le choix.
Dieu me protégera, s'était-il dit une fois de plus.
Le premier saut en parachute de Carlo avait été l'expérience la plus jubilatoire de son existence. En traversant les airs, il avait eu l'impression de voler avec Dieu. Le jeune homme aurait voulu que cela ne finisse pas. . Le silence.. la sensation de flotter. . Il avait vu le visage de sa mère dans les nuages en plongeant vers la terre.
Dieu a des projets pour toi, Carlo. À son retour de l'armée, Carlo était entré au séminaire.
Cela faisait vingt-trois ans.
Maintenant, en descendant la Scala Regia, Carlo Ventresca essayait de comprendre la série d'événements qui l'avait conduit à cette extraordinaire croisée des chemins.
Abandonne toute peur, se dit-il, et consacre cette nuit à Dieu.
Il aperçut la grande porte de bronze de la chapelle Sixtine, gardée, comme le veut la règle, par quatre gardes suisses. Les gardes ouvrirent la porte pour lui livrer passage. À l'intérieur, toutes les têtes se tournèrent. Le camerlingue parcourut du regard les soutanes noires et les ceintures rouges. Il sut alors les projets que Dieu avait conçus pour lui. Le destin de l'Église reposait entre ses mains.
Le camerlingue se signa et franchit le seuil de la chapelle Sixtine.
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Gunther Glick, reporter à la BBC Television, était assis au volant de sa camionnette garée dans l'angle est de la place Saint-Pierre. Il maudissait son rédacteur en chef qui, après une évaluation pourtant très élogieuse de son premier mois de travail au siège londonien — « journaliste très percutant, plein de ressources, d'une grande fiabilité » —, l'avait envoyé faire le planton devant le conclave. Certes, les reportages pour la BBC lui garantissaient une crédibilité qu'il était loin d'espérer lorsqu'il pondait des articles pour le British Taller, mais l'idée qu'il se faisait du journalisme ne consistait certainement pas à faire le guet devant une cheminée censée cracher, on ne savait quand, un filet de fumée blanche.
Sa mission était simple. D'une simplicité insultante: ne pas quitter son poste, jusqu'à ce que cette bande de vieux barbons se décide sur le choix de leur vieux barbon en chef. Ensuite, il devait sortir de sa camionnette et balancer un direct de cinquante secondes sur fond de basilique Saint-Pierre. Passionnant!
Il avait peine à croire que la BBC envoie encore des reporters sur le terrain couvrir des événements aussi ringards. Il n'y a pas un seul des grands réseaux américains ce soir sur cette place. Parce que ce sont de vrais pros, pensa-t-il. Ils se contenteraient de faire une synthèse de la couverture de CNN, qu'ils transmettraient « en direct » devant un rideau bleu ciel, sur lequel ils projetteraient une photo d'archives du Vatican. MSNBC utilisait même des dispositifs de pluie ou de vent artificiels, qui ajoutaient de l'authenticité à ses reportages.
De toute façon, les téléspectateurs d'aujourd'hui se moquaient bien de la vérité. Tout ce qu'ils voulaient, c'était du spectacle.
Le dôme imposant de la basilique qui se dressait devant son pare-brise ne faisait qu'achever de le démoraliser. Les merveilles que les gens peuvent construire quand ils s'y mettent...
— Qu'est-ce que j'ai réussi dans ma vie, moi? dit-il à voix haute. Rien...
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— Le mieux, c'est d'abandonner tout de suite! répliqua une voix de femme à l'arrière du fourgon.
Il sursauta. Il avait oublié qu'il n'était pas seul. Il se retourna vers sa cadreuse, une certaine Chinita Macri, occupée comme d'habitude à astiquer ses verres de lunettes. Elle était noire - pardon, afro-américaine - plutôt grassouillette, et maligne comme un singe, ce qu'elle ne manquait d'ailleurs jamais de vous rappeler. Une drôle de bonne femme. Mais Glick l'aimait bien. Et il n'était pas fâché ce soir d'avoir de la compagnie.
— Qu'est-ce qui ne va pas, mon pauvre Gunther? demanda-t-elle gentiment.
— Je voudrais bien savoir ce qu'on fout ici!
— On assiste à un événement d'une importance capitale.
— On n'assiste à rien du tout. Tous ces vieux chnoques sont enfermés dans le noir...
— Tu sais que tu iras en enfer?
— J'y suis déjà.
— Je te remercie.
Elle lui rappelait sa mère.
— J'aimerais tellement arriver à me faire un nom. .
— Tu as travaillé au British Tatler.
— Sans faire d'étincelles...
— Allons donc! Il paraît que tu as sorti un article absolument génial sur les expériences sexuelles de la Reine avec des extraterrestres.
— Merci de t'en souvenir...
— Et ça continue: ce soir tu vas faire tes premières secondes dans l'histoire de la télé...
Il répondit par un grognement. Il entendait déjà le présentateur-vedette de Londres: « Merci Gunther! » — juste avant d'embrayer sur la météo.
— J'aurais dû demander un boulot de présentateur au siège, fit Glick.
— Sans expérience de terrain? Et avec une barbe pareille? Tu rêves...
Il passa la main dans l'épaisse masse de poils roux qui lui garnissait le menton.
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— Je trouve que ça me donne l'air intelligent...
La sonnerie de son téléphone portable mit heureusement un terme à ses pensées pessimistes.
— C'est sans doute le chef! Il veut peut-être un avant-papier!
— Sur le conclave? Arrête de rêver, mon pauvre vieux...
Glick répondit, essayant sa future voix de présentateur-vedette:
— Gunther Glick, BBC, en direct du Vatican.
Son interlocuteur parlait avec un fort accent du Moyen-Orient:
— Écoutez bien ce que je vais vous dire. Ces informations vont changer votre vie.
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Langdon et Vittoria étaient maintenant seuls devant la double porte qui ouvrait sur les Archives secrètes. Le décor du hall d'entrée se composait d'un curieux mélange de moquette neuve, de colonnes et sol en marbre, et de caméras de surveillance voisinant au plafond avec des chérubins Renaissance. L'histoire de l'art stérilisée, se dit Langdon. Une petite plaque de bronze était apposée près du portail cintré.
ARCHIVIO VATICAN
Conservateur: Père Jaqui Tomaso
Langdon reconnut le signataire des innombrables lettres de refus qu'il conservait dans son bureau de Harvard. « Cher Monsieur Langdon, J'ai le regret de vous informer que nous ne pouvons donner suite à votre demande de... »
Le père Jaqui n'éprouvait évidemment pas le moindre regret. Depuis son arrivée à la direction des Archives secrètes, jamais il n'en avait autorisé l'accès à un chercheur non catholique. Les historiens d'art et des religions le surnommaient Il Cerbero. Il était l'archiviste le plus intransigeant que la terre ait porté.
Langdon poussa devant lui les deux battants de la porte et pénétra dans le sanctuaire, à demi étonné de ne pas y trouver le père Jaqui en tenue de combat, un bazooka à l'épaule.
La grande salle était déserte.
Les Archives du Vatican. Un de ses rêves les plus chers se réalisait.
Il contempla le grand hall sacré, honteux de la déception qu'il éprouvait malgré lui. Mon pauvre Robert, tu es un indécrottable romantique! L'image de rêve qu'il se faisait de ce lieu se révélait totalement erronée. Il avait imaginé d'antiques bibliothèques couvertes de poussière et croulant sous de lourds volumes abîmés, encadrant de longues tables où des religieux se plongeaient dans l'étude de vieux manuscrits et parchemins, à la lueur des bougies et de sombres vitraux.
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Rien de tel.
À première vue, l’endroit ressemblait à un hangar à avions, dans lequel on aurait construit une bonne dizaine de courts de squash. En réalité Langdon n'était pas autrement surpris. Pour protéger les vélins et les parchemins de la chaleur et de l'humidité, on enfermait les rayonnages dans des compartiments vitrés hermétiques dont on pouvait contrôler l'atmosphère. Le professeur de Harvard avait exploré plus d'une cellule de ce type au cours de sa carrière, et ces expériences l'avaient toujours perturbé. Il y éprouvait l'impression étouffante d'être emballé sous vide.
Ici, les compartiments vitrés plongés dans l'obscurité avaient une allure irréelle. Leurs contours extérieurs étaient éclairés par une série de petits spots encastrés dans le plafond de la grande salle.
Ces géants endormis abritaient d'interminables rangées d'étagères chargées d'histoire. Les collections du Vatican étaient d'une richesse inimaginable.
Vittoria en resta muette d'étonnement.
Le temps passait, et il n'était pas question de perdre de précieuses minutes à chercher un fichier ou un catalogue dans ce dédale de cloisons vitrées. Des terminaux d'ordinateurs étaient installés dans les allées.
— Le fonds est informatisé, dit Langdon. Il doit être sur Biblion, je pense.
— Cela devrait nous faire gagner du temps, souffla Vittoria, pleine d'espoir.
Il aurait aimé partager son enthousiasme. Pour lui, c'était une mauvaise nouvelle. Il s'approcha d'une console et pianota sur le clavier. Ses craintes se confirmèrent immédiatement.
— Un bon vieux catalogue aurait été beaucoup plus simple.
— Pourquoi? s'étonna sa compagne.
— Parce que les livres, eux, ne sont pas protégés par un mot de passe. Je suppose que vous n'êtes pas une mordue d'informatique?
Elle secoua la tête.
— Je sais ouvrir les huîtres...
Langdon prit une profonde inspiration et se retourna pour embrasser du regard les rangées de cellules transparentes.
Il marcha jusqu'à la plus proche et cligna des yeux pour
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regarder à l'intérieur. Il devinait dans la pénombre des formes aux contours indistincts qu'il identifia comme des rayonnages, des casiers à parchemins et des tables de lecture. Levant les yeux sur les inscriptions fixées sur le flanc des rayonnages, il entreprit de les lire un à un en longeant la cloison vitrée.
PIETRO L'EREMITA... LE CROCIATE... URANO II...
LEVANTE...
Le classement n'est pas alphabétique.
Cela ne le surprenait pas. L'ordre alphabétique d'auteur était impossible à respecter, en raison des trop nombreux ouvrages anciens anonymes. Le classement par titre n'était pas plus satisfaisant, car la collection était très riche en parchemins non reliés et en correspondances. C'est donc la chronologie qui prévalait le plus souvent dans ce genre de bibliothèque. Mais ce qui déconcerta Langdon, c'est que le Vatican ne semblait pas l'appliquer non plus...
Il sentait les minutes s'écouler en pure perte.
— J'ai l'impression qu'ils ont un système de classement particulier.
— Cela vous étonne? rétorqua Vittoria.
Langdon se replongea dans l'étude des étiquettes. Sur un même rayonnage, les documents semblaient couvrir plusieurs siècles mais traitaient de sujets voisins.
— On dirait un classement thématique.
— Pas très performant! critiqua la jeune scientifique.
En fait..., il s'agit peut-être du catalogage le plus astucieux que j'aie jamais connu, se dit Langdon en y regardant de plus près. Il encourageait toujours ses étudiants à s'intéresser aux sujets et aux tonalités d'une période d'histoire de l'art, plutôt que de se noyer dans les détails de dates et d'œuvres spécifiques. L'archivage du Vatican semblait obéir au même principe. Dégager les grands mouvements... Il reprenait confiance.
— Les documents de ce box sont plus ou moins liés aux Croisades, annonça-t-il. Tout y était rassemblé. Les chroniques et la correspondance de l'époque, les œuvres d'art, les données
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sociopolitiques, les analyses contemporaines.. dans un seul et même emplacement. La compréhension du sujet y gagne en profondeur. C'est génial...
Vittoria fit la moue.
— Mais que font-ils des documents qui traitent de plusieurs sujets?
— Les étagères regorgent d'indications de renvoi, expliqua Langdon en lui montrant les petits onglets de couleur insérés entre les volumes. On vous oriente vers des documents qui sont classés ailleurs, parce que leur thème principal est différent.
— D'accord, fit-elle en manifestant un intérêt très modéré.
Les mains sur les hanches, elle balayait du regard la grande crypte. Puis, se tournant vers son compagnon:
— Alors, professeur, quel est le nom de ce bouquin de Galilée?
Il ne put réprimer un sourire, encore émerveillé d'avoir pu pénétrer dans ce temple de la documentation historique. Il est là, quelque part... , pensa-t-il. Il nous attend dans l'ombre.
Il descendit la première allée d'un pas vif et confiant, en vérifiant les inscriptions au passage:
— Suivez-moi! Vous vous rappelez ce que je vous ai dit sur la Voie de l'Illumination? Et sur la façon dont les Illuminati recrutaient leurs nouveaux membres, à la suite d'un test assez compliqué?
— La fameuse chasse au trésor...
— Après avoir placé les jalons, il fallait trouver un moyen de faire connaître aux savants de l'époque l'existence du parcours.
— C'est logique. Faute de quoi, pas de recrutement.
— Exactement... Et même si certains le savaient, ils en ignoraient le point de départ. Rome était déjà une grande ville.
— Bien sûr.
Langdon s'engageait dans la deuxième allée.
— Il y a une quinzaine d'années, j'ai découvert avec un confrère de la Sorbonne une série de lettres écrites par les Illuminati, qui comportaient de nombreuses allusions au segno.
— Le signe. . l'annonce d'un tracé et son point de départ?
— C'est cela. Et depuis, un grand nombre d'universitaires, dont je fais partie, ont mis au jour d'autres références au segno. Il est aujourd'hui admis que cet indice existe quelque part, et que Galilée
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l'a très largement diffusé dans la communauté scientifique, à l'insu du Vatican.
— Comment s'y est-il pris?
— On ne peut rien affirmer, mais il s'est très probablement servi de ses œuvres imprimées. Il en a publié un très grand nombre.
— Mais le Vatican les connaissait...
— En effet. Il n'empêche que le segno s'est propagé en Europe.
— Sans que personne l'ait jamais trouvé?
— Eh non! Or, curieusement, chaque fois qu'on trouve une allusion au segno - que ce soit dans les journaux intimes de francs-maçons, dans les anciennes publications scientifiques ou dans la correspondance des Illuminati - c'est toujours sous la forme d'un nombre.
— 666?
Langdon sourit.
— Non, 503.
— Ce qui signifie...?
Aucun de nous n'a réussi à l'élucider. J'ai tout essayé la numérologie, les références cartographiques, les latitudes...
Arrivés au fond de l'allée, ils tournèrent à angle droit.
— Pendant plusieurs années, continua Langdon, la seule clé me semblait être le premier chiffre. Le cinq fait partie des nombres sacrés des Illuminati...
— Quelque chose me dit, insinua Vittoria, que vous avez fait une découverte récente. Et que c'est pour cela que nous sommes ici... — C'est exact, répliqua-t-il en s'accordant un rare instant de fierté professionnelle. Avez-vous entendu parler d'un livre de Galilée intitulé Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde?
— Bien sûr! C'est le top des publications scientifiques...
Langdon comprenait ce qu'elle voulait dire, même si lui-même ne l'aurait pas défini tout à fait ainsi.
— Au début des années 1630, reprit Langdon, Galilée souhaitait publier un ouvrage reprenant la théorie héliocentrique de l'univers développée par Copernic. Mais le Saint-Office refusa l' imprimatur tant que l'astronome italien n'y aurait pas inclus des preuves équivalentes de la théorie
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géophysique de l'Eglise — dont il savait parfaitement qu'elle était erronée. Il n'eut pas d'autre choix que d'obéir à cette exigence, si bien que son Dialogo consacrait autant de place à la vérité scientifique qu'à la théorie erronée de l'Église. Comme vous le savez sans doute, ce compromis n'a pas empêché la mise à l'index du Dialogo, ni Galiléee d'être maintenu en prison.
— Les bonnes actions sont toujours punies.
— C'est bien vrai! Mais Galilée était un obstiné. Bien qu'étroitement surveillé, il a rédigé en secret un autre manuscrit, qu'il a intitulé Discorsi.
— J'en ai entendu parler. Les Discours sur les marées.
Langdon s'arrêta net, ébahi qu'elle connaisse cet obscur traité du mouvement des planètes et de son influence sur les marées.
— Vous parlez à une Italienne, spécialiste de physique marine, dont le père vouait un véritable culte à Galilée...
Langdon rit poliment. Mais ce n'étaient pas les Discorsi qui les intéressaient pour le moment. Il expliqua à Vittoria que le savant italien ne s'en était pas tenu là pendant sa période de captivité. Les historiens pensaient qu'il était aussi l'auteur d'un petit ouvrage très peu connu – et qui avait pour titre Diagramma.
— Diagramma della venta, ajouta-t-il. Le Diagramme de la vérité...
— Cela ne me dit rien.
— Ce n'est pas étonnant. C'est la plus mystérieuse de ses œuvres. On pense qu'il s'agissait d'un traité relatant des faits scientifiques que Galilée avait constatés, mais qu'il n'était pas autorisé à divulguer. Comme pour certains de ses manuscrits antérieurs, il aurait fait sortir son manuscrit de Rome clandestinement, par l'intermédiaire d'un ami, et le Diagramma aurait été imprimé discrètement en Hollande. Il connut un grand succès au sein du monde scientifique européen d'avant-garde, jusqu'à ce que cela parvienne aux oreilles du Vatican, qui entreprit alors une campagne d'autodafés.
Vittoria semblait intriguée.
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— Et vous croyez vraiment que le Diagramma renfermait la clé du segno? L'information sur le début de cette Voie de l'Illumination?
— Je suis certain que Galilée s'est servi de ce manuscrit pour la diffuser. C'est la seule chose que je sache.
Il s'engagea dans la troisième allée, sans cesser de lire les inscriptions sur les étagères.
— Les archivistes du monde entier ont toujours cherché à en obtenir un exemplaire, enchaîna-t-il. Mais il semble qu'avec les autodafés du Vatican et le taux d'usure des parchemins, il ait disparu de la surface de la terre.
— Le taux d'usure...?
— Oui. Les archivistes l'évaluent à dix pour cent. Le Diagramma était imprimé sur du papyrus de carex, qui ressemble à du papier de soie. On estime qu'il ne se conserve pas plus d'un siècle.
— Pourquoi avoir choisi un support aussi fragile?
— C'était un ordre explicite de Galilée, il cherchait à protéger ses disciples. Ceux qui se faisaient prendre en possession du document n'avaient qu'à le jeter dans l'eau pour qu'il se dissolve. La destruction de preuves était très facile, mais elle a fait le malheur des archivistes. On pense qu'il n'y a qu'un exemplaire qui ait subsisté après le XVIIe siècle.
— Un seul? s'exclama Vittoria.
Son regard fit le tour de la salle.
« Et il est ici? »
— Le Vatican l'a confisqué aux Hollandais peu après la mort de Galilée. Cela fait des années que je demande à pouvoir le consulter. Depuis que j'ai compris ce qu'il renferme.
Comme si elle lisait dans les pensées de Langdon, la jeune femme accéléra le pas pour aller prospecter dans l'allée adjacente.
— Merci, dit-il en la suivant tant bien que mal. Vérifiez toutes les étiquettes qui mentionnent Galilée, mais aussi la science et les savants. Vous ne pourrez pas vous tromper...
— D'accord! mais vous ne m'avez toujours pas expliqué comment vous vous êtes rendu compte qu'il y avait un indice dans ce Diagramma. Y a-t-il un rapport avec le nombre 503 qu'on retrouve dans toute la correspondance des Illuminati?
– 214 –
— Oui, j'ai fini par trouver qu'il s'agit d'un code extrêmement simple, et qui fait directement allusion à ce texte.
Langdon croyait revivre le jour de cette révélation inattendue.
C'était un 16 août, deux ans auparavant. Il s'ennuyait à mourir au mariage du fils d'un de ses collègues. Les deux héros de la fête faisaient leur entrée solennelle par le lac, à bord d'une barque ornée de fleurs et de guirlandes, accompagnés de joueurs de cornemuse.
Sur la coque de l'embarcation, s'étalait une inscription rutilante en chiffres romains: DCII.
— Pourquoi 602? demanda Langdon au père de la mariée.
— Pardon?
— Le nombre romain sur la barque?
L'homme se mit à rire.
— Ce ne sont pas des chiffres, c'est le nom du bateau.
Et comme son invité ouvrait des yeux ronds:
— Dick and Connie II, expliqua le père.
Langdon se sentit tout penaud. Dick and Connie étaient les prénoms des mariés.
— Mais pourquoi le chiffre deux? avait-il poliment insisté.
Qu'est-il arrivé au Dick and Connie I?
— Il a coulé hier pendant la répétition, expliqua son hôte dans un grognement.
— Désolé, dit Langdon en refrénant une violente envie de rire. Il regardait toujours l'inscription. Le DCII. Une miniature du Queen Elizabeth II. Une seconde plus tard, il était aux anges.
Vittoria avait maintenant droit à l'explication.
— Donc, le nombre 503 est un code, mis au point par les Illuminati, qui remplaçaient des chiffres romains par des chiffres arabes. Pour celui-ci, la correspondance est...
— DIII, termina la jeune femme.
— C'est du rapide, bravo! Ne me dites pas que vous êtes une Illuminata...
— On se sert des chiffres romains pour codifier les strates de dépôts pélagiques.
Évidemment, n'est-ce pas tout naturel? pensa Langdon.
— Et qu'est-ce qu'il signifie, ce DIII?
– 215 –
— DI, DII, DIII, sont des abréviations anciennes qu'utilisaient les savants pour distinguer les trois œuvres de Galilée qui prêtaient le plus souvent à confusion.
Vittoria respira à fond avant de se lancer:
— Dialogo, Discorsi, Diagramma...
— D-un, D-deux, D-trois. Trois œuvres scientifiques, toutes controversées, dont le Diagramma était la dernière.
Elle fit une moue perplexe.
— Mais je ne comprends toujours pas. Si ce segno - cette pub...
cet indice sur la Voie de l'Illumination – s'il figurait réellement dans le Diagramma, comment se fait-il que le Vatican ne l'ait pas découvert quand il a récupéré l'exemplaire hollandais?
— Ils l'ont sans doute vu, mais sans le comprendre. N'oubliez pas que les jalons des Illuminati étaient toujours visibles à l'œil nu, selon le principe de la dissimulation. Le segno était probablement déguisé sous une autre forme, invisible pour ceux qui ne le cherchaient pas. Ou qui ne le comprenaient pas.
— Ce qui veut dire...
— Que Galilée l'a très bien caché. D'après certains documents historiques, le segno serait formulé dans ce que les Illuminati appelaient la Lingua pura...
— La langue pure...?