— Oui.

— Le langage mathématique?

— C'est ce que je crois. Cela paraît assez évident. Galilée était aussi mathématicien, et ses œuvres s'adressaient à d'autres savants. La logique de ce langage lui permettait probablement de suggérer le dessin d'un plan. Et le titre de ce petit ouvrage laisse supposer qu'il s'agirait d'un diagramme.

Le scepticisme de Vittoria parut baisser d'un cran. Mais d'un seul.

Il aurait élaboré un code mathématique

incompréhensible par le clergé... dit-elle.

— Vous n'avez pas l'air très convaincue..., fit Langdon en la suivant dans l'allée.

— C'est vrai. Essentiellement parce que vous ne l'êtes pas vous-même. Si vous en étiez si certain, pourquoi n'avez-vous

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pas publié un article? Un de vos lecteurs autorisé à entrer dans les Archives aurait pu venir vérifier...

— Je ne voulais pas publier! J'avais entrepris un énorme travail pour découvrir cette information... Gêné, il s'interrompit.

— Et vous vouliez être sûr d'en récolter la gloire!

— Oui, si on peut dire. En réalité...

— Ne rougissez pas! Vous vous adressez à une scientifique.

Comme disent les gens du CERN: « Prouver ou crever. »

— Je ne voulais pas seulement être le premier, j'avais peur que l'information ne tombe entre de mauvaises mains, et qu'elle disparaisse.

— Entre les mains du Vatican?

— Ce n'est pas qu'il soit dangereux en soi, mais l'Église catholique a toujours tenté de minimiser la menace des Illuminati. Au début des années 1900, elle est même allée jusqu'à déclarer que cette société secrète avait été inventée de toutes pièces par des esprits un peu trop romanesques. Le clergé estimait que ses ouailles n'avaient aucun besoin de savoir que leurs banques, leurs institutions politiques et leurs universités étaient infiltrées par un mouvement antichrétien très puissant.

Parle au présent, mon cher Robert, pensa-t-il. Elle existe encore cette société secrète.

— Et donc, vous croyez que le Vatican se serait empressé de détruire une preuve de l'existence des Illuminati?

— Ce n'est pas du tout impossible. Toute menace, réelle ou imaginaire affaiblit la confiance dans le pouvoir de l'Église.

Vittoria s'arrêta brusquement de marcher.

— Une dernière question. Vous parlez sérieusement?

— Que voulez-vous dire?

— C'est vraiment ça la solution que vous avez trouvée pour retrouver l'antimatière à temps?

Langdon ne savait si c'était de la pitié ou de la terreur qu'il lisait dans les yeux de la jeune femme.

— La découverte du Diagramma? risqua-t-il.

— Pas seulement! Mais l'espoir d'y dénicher un segno vieux de quatre siècles, de décoder une énigme mathématique, et de suivre un ancien jeu de piste parsemé d'œuvres d'art, que seuls

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les savants les plus géniaux de l'Histoire ont jamais été capables de parcourir. Et tout cela dans les quatre heures qui viennent!

— Je reste ouvert à d'autres propositions, répondit Langdon en haussant les épaules.

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50


Devant l'entrée de la chambre forte numéro 10, Langdon parcourait du regard les inscriptions sur les étagères.

BRAHE... CLAVIUS... COPERNICUS... KEPLER...

NEWTON...

Intrigué, il les relut une à une. Les savants sont bien là... mais où est Galilée?

Il se tourna vers Vittoria qui explorait une autre armoire:

— J'ai trouvé la bonne section, mais il manque Galilée...

— Ça ne m'étonne pas, répondit-elle d'une voix sombre. Il est ici. J'espère que vous avez apporté vos lunettes, parce que cette section lui est entièrement consacrée...

Langdon se précipita. Elle ne se trompait pas, hélas. Tous les rayonnages portaient la même étiquette:


IL PROCESSO GALILEIANO

Il laissa échapper un sifflement. L'affaire Galilée, se dit-il, émerveillé. Le procès le plus long et le plus coûteux de l'histoire du Vatican. Quatorze années, et l'équivalent de trois cent mille dollars. Et tout est conservé ici!

— Si les documents judiciaires vous intéressent... servez-vous!

souffla-t-il à la jeune femme.

— J'imagine que les juristes n'ont guère évolué depuis cette époque.

— Les requins non plus!

Il se dirigea à grands pas vers un interrupteur jaune, situé sur le côté du compartiment vitré, et l'enfonça. Une rangée de spots lumineux s'alluma sous le plafond intérieur. Des ampoules rouge foncé, qui donnaient aux hautes étagères l'al ure d'un décor de théâtre fantastique.

— Mon Dieu! souffla Vittoria effrayée. Lampes à UV?

— Au contraire, le parchemin et le vélin sont des matériaux très vulnérables à la lumière. D'où la nécessité d'utiliser des ampoules spéciales.

— De quoi avoir des hallucinations!

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Ou pire, pensa Langdon en revenant vers l'entrée.

— Un simple mot d'avertissement, dit-il. L'oxygène est par définition oxydant, aussi les pièces hermétiques comme celles-ci en contiennent-elles très peu. On y ménage un vide partiel, qui risque de gêner votre respiration.

— Si les vieux cardinaux y ont survécu...

C'est vrai, puissions-nous avoir autant de chance... , songea Langdon.

L'entrée de la cage vitrée s'effectuait par une porte électronique à tambour. Langdon reconnut, sur l'un des montants, les quatre commutateurs habituels. Lorsqu'on appuyait sur l'un d'eux, la porte pivotait à cent quatre-vingts degrés et s'immobilisait, de manière à préserver l'atmosphère raréfiée.

— Quand je serai entré, expliqua-t-il à Vittoria, appuyez sur le bouton et rejoignez-moi. L'humidité est réglée à huit pour cent - ne vous étonnez pas si vous avez la bouche sèche.

Il entra dans le compartiment pivotant et appuya sur le dispositif. La porte commença à tourner en bourdonnant. Il suivit le mouvement en se préparant au choc physique du passage dans l'air raréfié, une différence atmosphérique comparable à un dénivelé de six mille mètres - en une seconde.

Une sensation de vertige et de nausée accompagnait souvent les quelques instants d'adaptation. Il se remémora le vieil adage des archivistes: « Si tu vois double, plie-toi en deux. » Il entendit deux claquements - réaction des tympans au changement de pression -, il y eut un sifflement derrière lui et le tambour s'arrêta. Il était entré.

Sa première impression fut une mauvaise surprise.

L'oxygène était plus rare qu'il ne s'y attendait. Le Vatican se montrait zélé pour préserver ses archives. Luttant contre un réflexe de nausée qui le submergeait Langdon s'efforça de détendre ses muscles pectoraux pour laisser les vaisseaux pulmonaires se dilater. La sensation d'angoisse s'estompa rapidement. Vive la natation! se dit-il, en se félicitant pour ses cinquante longueurs de piscine quotidiennes. Respirant plus normalement, il explora le box du regard, en proie à une anxiété

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familière. Même avec des parois de verre, il s'agissait bien d'une cage.

Je suis enfermé dans une cage rouge sang.

La porte bourdonna derrière lui. Il se retourna pour surveiller Vittoria. En franchissant le seuil de la chambre forte, la jeune femme se mit à larmoyer et elle suffoqua quelques instants.

— Patientez une minute, lui dit-il. Si la tête vous tourne, penchez-vous vers l'avant.

— J'ai l'impression... de faire de... la plongée... sans...

oxygène...

Langdon lui laissa le temps de s'acclimater. Cela ne devait pas poser de problème; Elle avait visiblement une excellente forme physique, sans aucune comparaison avec celle des anciennes étudiantes de l'université Radcliffe qu'il avait un jour escortées à Harvard, dans la salle hermétique de la bibliothèque Widener. La visite s'était terminée par un bouche-à-bouche pratiqué sur une vieille dame au cours duquel elle avait failli avaler son dentier.

— Vous vous sentez mieux? demanda-t-il à sa jeune accompagnatrice.

Vittoria hocha la tête.

— Après le vol ébouriffant dans votre satané avion spatial, il me semble que je vous devais une revanche...

Elle sourit. Touché.

Il plongea la main dans un casier suspendu près de la porte et en sortit des gants de coton blanc.

— C'est très protocolaire? demanda-t-elle.

— L'acidité de la peau abîme les documents. Enfilez ces deux-là.

— On a combien de temps devant nous? demanda-t-elle en s'exécutant.

Langdon regarda sa montre Mickey.

— Il est un peu plus de 19 heures.

— Cela nous laisse une heure...

Il montra une bouche d'aération au plafond, équipée d'un filtre à air.

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— Moins que cela en fait. En temps normal, le conservateur déclenche un système de ventilation qui renouvelle l'oxygène dans le compartiment. Pas aujourd'hui. Dans vingt minutes, nous serons au bord de l'étouffement.

Même sous la lumière rouge, il la vit pâlir. Il lui sourit en lissant ses gants.

— Trouver vite ou crever, mademoiselle Vetra, conseil de Mickey.

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Gunther Glick fixa des yeux son téléphone portable pendant une dizaine de secondes avant de raccrocher... Chinita Macri l'observait depuis le fond du fourgon de la BBC.

— Qu'est-ce qui se passe? Qui c'était?

Il se retourna. Il avait l'air d'un petit garçon qui vient de voir le Père Noël.

— Un scoop. Il se passe quelque chose dans le Vatican.

— Ça s'appelle un conclave. Bonjour le scoop!

— Non. Il y a du grabuge. Un gros truc.

Il hésitait encore à croire ce qu'il venait d'entendre, honteux de se rendre compte qu'il priait pour que cette histoire soit vraie.

— Que dirais-tu si je t'apprenais que quatre cardinaux ont été kidnappés, et qu'ils vont être assassinés ce soir à Rome, chacun dans une église différente?

— Je te dirais que c'est un canular monté par un collègue de Londres, doté d'un très mauvais sens de l'humour.

— Et si je t'indiquais l'adresse exacte du premier meurtre?

— Je voudrais bien que tu me dises à qui tu viens de parler.

— Il ne m'a pas donné son nom.

— Peut-être justement parce qu'il se fiche de toi?

Le cynisme de sa collègue ne le surprenait pas. Elle paraissait oublier qu'il avait commencé sa carrière au magazine British Tatler, où il avait acquis une connaissance approfondie des menteurs et des cinglés de tout poil. Or cet interlocuteur-là n'était ni l'un ni l'autre. Il avait l'air étonnamment calme et sensé. « Je vous rappellerai peu avant 20 heures, pour vous indiquer l'emplacement exact du premier meurtre. Le reportage que vous y filmerez fera de vous une star du journalisme. »

Comme Glick lui demandait la raison de cette confidence, la réponse était tombée, glaciale, derrière le fort accent arabe:

« Les médias sont le bras droit de l'anarchie. »

— Ce type m'a aussi confié autre chose, lança Glick à sa collègue.

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— Et quoi donc? Que le conclave vient d'élire Elvis Presley comme pape?

— Regarde un peu la banque de données de la BBC, tu veux?

Je voudrais savoir ce qu'on a comme infos sur les types dont il m'a parlé.

— Quels types?

— Fais-moi plaisir!

Chinita Macri poussa un soupir et se connecta sur le serveur.

— Patiente une ou deux minutes.

Glick avait la tête qui tournait.

— Il voulait absolument savoir si j'avais un cameraman avec moi...

— On dit cadreuse ou vidéaste, rectifia-t-elle.

—... Et si on pouvait retransmettre en direct.

— Oui, sur 1,537 mégahertz, mais pourquoi?

On entendit le bip de connexion.

— Ça y est, annonça Chinita. Alors, qu'est-ce que tu cherches, exactement?

Il lui dicta un mot clé.

Elle dévisagea son collègue:

— J'espère vraiment que c'est une plaisanterie...

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52


Le classement des documents de la salle 10 n'était pas aussi logique que Langdon l'espérait. Et le Diagramma ne semblait pas avoir été classé avec les autres ouvrages de Galilée. Sans accès au fichier informatique Biblion, Langdon et Vittoria avaient peu de chances de trouver.

— Et vous êtes certain que le Diagramma se trouve ici?

demanda la jeune femme.

— Absolument. Confirmé par les listings de l'Office de la propagation de la foi et...

— D'accord. Dans ce cas...

Elle se dirigea vers la gauche et Langdon partit vers la droite.

Il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas ouvrir chaque trésor qu'il rencontrait. Le fonds était d'une richesse impressionnante. L'Essayeur... Le Messager astral... Lettres à Velser sur les taches solaires... Lettre à la Grande-Duchesse Christine... Apologie de Galilée... cela n'en finissait pas.

C'est Vittoria qui fit la découverte, près du fond de la salle.

Elle appela d'une voix rauque:

Diagramma della verita!

Langdon se précipita à sa rencontre dans la brume rosée.

— Où ça?

Elle montra du doigt un meuble qui éclaira immédiatement Langdon sur la cause de son échec. Le précieux manuscrit était rangé dans un casier à folios, et pas sur les étagères. On entreposait dans ce type de classeur les feuilles non reliées.

L'étiquette que portait celui-ci ne laissait aucun doute sur son contenu.


DIAGRAMMA DELLA VERITA

Galileo Galilei, 1639

Le cœur battant, Langdon s'agenouilla au pied du meuble.

Le Diagramma. Il adressa un large sourire à Vittoria.

— Félicitations! Aidez-moi à le sortir d'ici.

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Elle se mit à genoux près de lui et ils tirèrent ensemble le casier. Il était posé sur un socle de métal qui roula vers eux, laissant apparaître son couvercle.

— Il n'est pas verrouillé? s'étonna Vittoria devant le simple loquet qui le fermait.

— Jamais. Il faut pouvoir sortir très vite les documents, en cas d'inondation ou d'incendie.

— Alors, ouvrez-le!

Il ne se fit pas prier. La double perspective de concrétiser son plus ancien fantasme d'universitaire et de ne bientôt plus avoir d'oxygène ne le poussait guère à la flânerie. Il poussa le loquet et souleva le couvercle. Posé à plat dans le fond de la boîte se trouvait un sac de coutil noir - un tissu poreux indispensable pour la préservation d'un tel contenu. Il le souleva des deux mains pour le maintenir à l'horizontale.

— J'attendais une malle au trésor et je trouve une taie d'oreiller..., siffla Vittoria.

— Suivez-moi, dit-il en se relevant.

Tenant le sac devant lui comme une offrande sacrée, Langdon se dirigea vers le centre du box, où il savait qu'il trouverait une table de lecture à plateau de verre. Elles occupent très souvent cette situation centrale, pour réduire les déplacements de documents et offrir aux lecteurs l'intimité d'un espace entouré de rayonnages. Des carrières entières d'historiens s'étaient jouées sur des meubles identiques à celui-ci, et les chercheurs n'aimaient guère se sentir épiés à travers des cloisons de verre.

Il déposa son précieux fardeau et déboutonna le sac de tissu.

Puis il alla fouiller dans une corbeille contenant des outils d'où il sortit deux pinces de graveur, aux embouts garnis de tampons de feutre. Le cœur battant d'excitation, il s'attendait presque à se réveiller dans son bureau de Cambridge, affalé sur une liasse de copies à corriger. Il prit une longue inspiration et entrouvrit la taie de coton. Il plongea les pinces à l'intérieur, les doigts tremblant dans ses gants blancs.

— Détendez-vous, souffla Vittoria. C'est du papier, pas du plutonium.

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Il tâtonna à l'intérieur du sac avec les deux instruments, prenant bien soin de ne pas appuyer. Lorsqu'il sentit que les pinces enserraient les bords des documents, il les maintint en position et fit glisser le sac, de façon à réduire l'effet de torsion. Il ne reprit son souffle qu'après avoir reposé le sac et allumé la lampe sous le plateau de verre.

Éclairé en contre-plongée, le visage de Vittoria était d'une blancheur spectrale.

— C'est tout petit! s'exclama-t-elle émerveillée.

Les feuillets empilés ressemblaient aux pages détachées d'un livre de poche. Celui du dessus était une couverture calligraphiée à la plume, où on lisait le titre, la date et le nom de Galilée — écrits de sa main.

Langdon oublia tous les moments désagréables de la journée, oublia sa fatigue, oublia la tragédie horrible qui menaçait le Vatican. Il n'était qu'admiration pour ce texte vénérable. Les rencontres intimes avec l'Histoire le laissaient toujours muet de respect. Il était aussi ému que la première fois où il s'était trouvé en face de la Joconde.

Le papyrus terne et jauni était évidemment d'origine, mais en excellent état de conservation. Pigments légèrement délavés, quelques déchirures et adhérences, mais dans l'ensemble impeccable. Les yeux irrités par la sécheresse de l'air, Langdon contempla quelques instants l'écriture ornée de Galilée. Vittoria se taisait.

— Passez-moi une spatule, s'il vous plaît, lui demanda-t-il en indiquant un plateau contenant de petits outils en inox.

Il passa les doigts sur l'instrument pour éliminer toute électricité statique avant de le glisser, avec d'infinies précautions, sous le feuillet de couverture, qu'il reposa à plat sur le côté.

La première page était manuscrite, d'une calligraphie pratiquement impossible à déchiffrer. Mais elle ne comportait aucun diagramme, aucun chiffre. Un essai rédigé.

— « Héliocentrisme », traduisit Vittoria. On dirait bien qu'il rejette d'emblée la théorie du Vatican... Mais c'est de l'italien ancien. Je ne vous promets rien pour la traduction.

— Peu importe. Nous sommes à la recherche d'une formule mathématique. La langue pure.

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Il tourna la première page à l'aide de la spatule. Ses doigts étaient moites de transpiration dans les gants. Vittoria lut le titre de la deuxième page:

— « Le mouvement des planètes. »

Langdon fronça les sourcils. Il aurait tellement aimé avoir le temps de tout déchiffrer. Les projections de Galilée ne semblaient pas en désaccord avec les images contemporaines de la NASA.

— Ce ne sont pas des maths, souffla Vittoria. Il parle de mouvements rétrogrades et d'orbites elliptiques...

Les ellipses. L'essentiel des ennuis de Galilée avec le tribunal de l'Inquisition provenait de sa description du mouvement des planètes. Le Vatican vénérait la perfection du cercle et refusait d'admettre que l'organisation céleste obéisse à un ordre qui ne soit pas circulaire. Mais les Illuminati de Galilée voyaient dans l'ellipse le même degré de perfection, la dualité mathématique des deux centres. On la retrouvait aujourd'hui dans la symbologie moderne maçonnique.

— Page suivante, ordonna Vittoria.

Langdon obéit.

— « Les phases de la Lune et les marées. » Pas de diagramme.

Pas de chiffres.

Langdon tourna le feuillet. Toujours rien. Une dizaine d'autres. Rien. Rien. Rien.

— Je croyais que ce type était un matheux..., siffla Vittoria.

Langdon trouva que l'oxygène s'amenuisait. Ses espoirs aussi. Sans parler de la pile de feuillets de papyrus.

— Il n'y a pas de maths là-dedans, déclara Vittoria. Quelques dates, quelques chiffres ici et là, mais rien qui ressemble à une énigme à résoudre...

Langdon souleva la dernière page en soupirant.

— C'est un bouquin vite lu..., commenta Vittoria. Il hocha la tête. — Merda! s'exclama-t-elle. Comme on dit à Rome.

L'expression est appropriée, pensa Langdon. Le reflet de son visage sur la table paraissait se moquer de lui, comme celui qu'il avait croisé sur sa porte-fenêtre le matin même. Un fantôme vieillissant.

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— Il y a sûrement quelque chose dans ce texte! gémit-il. Le segno est là-dedans, je le sais!

— C'était peut-être une erreur, cette idée de DIII?

Il la foudroya du regard.

— D'accord, se reprit-elle vivement. C'est parfaitement logique.

Mais l'indice lui-même n'est pas mathématique...

Lingua pura... Que voulez-vous que ce soit d'autre?

— L'art?

— Il n'y a aucun croquis ni dessin dans ce livre.

— Tout ce que je sais, c'est que la lingua pura ne renvoie pas à l'italien. Le langage mathématique conviendrait parfaitement...

— Je ne vous le fais pas dire.

Il refusait de s'avouer si vite vaincu.

— Les chiffres sont peut-être rédigés en toutes lettres... Ou bien le calcul mathématique se fait en mots plutôt qu'en équations...

— Cela va prendre un moment de lire toutes les pages...

— C'est justement le temps qui nous manque. Partageons-nous le travail.

Il remit à l'endroit la pile de feuilles.

« Je connais assez d'italien pour reconnaître les chiffres », affirma-t-il.

Il sépara la pile en deux parties avec sa spatule et déposa la petite dizaine de pages du début devant sa compagne.

« Je suis certain que c'est là-dedans », répéta-t-il.

Vittoria souleva la couverture à la main.

— Spatule! s'écria-t-il en lui tendant un instrument.

— Mais j'ai des gants. . Je ne vois pas comment je pourrais...

— Faites ce que je vous dis.

— Vous éprouvez ce que j'éprouve? demanda-t-el e.

— Vous êtes énervée?

— Non. J'ai du mal à respirer.

Lui aussi. La sensation d'étouffement était venue plus vite qu'il ne l'aurait pensé. Il fallait faire vite. Les énigmes d'archives n'avaient rien de nouveau pour lui, mais il avait en général du temps devant lui. Sans ajouter un mot, il se pencha sur les papyrus et entreprit de traduire sa première page.

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Montre-toi, fichu signe! Montre-toi!

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53


Quelque part dans les catacombes de Rome, la silhouette sombre s'enfonçait dans le boyau creusé à même la roche. La galerie d'un autre temps n'était éclairée que par des torches, l'air chaud et lourd. Il entendait les voix apeurées des prisonniers, leurs appels résonnant inutilement dans l'espace confiné.

En tournant le coin de la galerie, il les vit, exactement tels qu'il les avait laissés: quatre vieillards terrifiés, parqués dans une étroite cavité fermée par des barreaux rouillés.

— Qui êtes-vous? demanda l'un des hommes en français.

Pourquoi sommes-nous ici?

Hilfe, au secours! cria une autre voix en allemand, laissez-nous partir!

— Savez-vous qui nous sommes? demanda un troisième en anglais avec un accent espagnol.

— Silence! ordonna la voix éraillée d'un ton sans réplique.

Le quatrième prisonnier, un Italien silencieux et pensif, regarda au fond des yeux d'encre de son ravisseur. Satan ne doit pas avoir un autre regard, songea-t-il, j'en jurerais. Dieu nous aide.

Le tueur jeta un coup d'œil à sa montre et se retourna vers ses prisonniers.

— Bien, messieurs, par qui je commence?

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54


Dans la salle 10 des archives, Robert Langdon lisait à voix haute les nombres qu'il repérait sur le feuillet calligraphié du Galilée. Mille... centi... uno, duo, tre... cincuanta... Il me faut un nombre, n'importe lequel bon sang!

Quand il eut atteint le bas du feuillet, il souleva la spatule pour tourner la page mais dut s'y reprendre à trois fois. Sa main tremblait et la spatule ne lui obéissait plus tout à fait.

Quelques minutes plus tard, il s'aperçut qu'il avait abandonné la spatule et qu'il tournait les pages à la main. Oups!

s'exclama-t-il, honteux comme un petit garçon pris en faute. Le manque d'oxygène commençait à lever ses inhibitions. Si je continue comme ça je n'irai pas au paradis des archivistes!

— Pas trop tôt! s'exclama Vittoria en voyant Langdon tourner les pages à la main.

Elle jeta la spatule à son tour et imita Langdon.

— Trouvé quelque chose?

La jeune femme secoua la tête.

— Non, rien qui soit purement mathématique. J'écrème, mais je ne vois pas l'ombre d'un indice se profiler.

Langdon poursuivit sa traduction des feuillets, mais avec des difficultés croissantes. Son italien était assez hésitant, et la minuscule écriture jointe aux archaïsmes de langage ralentissait encore sa progression. Vittoria en atteignant la fin de sa liasse et en la refermant avait l'air complètement découragée. Elle s'accroupit pour inspecter de nouveau le carton. Quand Langdon eut achevé la dernière page, il pesta dans sa barbe et se pencha vers Vittoria qui maugréait en écarquillant les yeux sur un passage.

— Une piste?

Vittoria ne tourna pas la tête.

— Vous aviez des notes de bas de page sur vos feuil ets?

— Non, il me semble que non, pourquoi?

— Cette page comporte une note, mais illisible, à cause d'une pliure.

Langdon regarda le passage en question, mais il ne parvint à lire que le numéro du folio dans le coin supérieur droit. Le numéro

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5. Il lui fallut un moment avant de noter la coïncidence et même alors, il ne vit pas de rapport immédiat. Cinq, Pythagore, pentagramme, Illuminati. . Langdon se demandait si les Illuminati auraient choisi la page cinq pour dissimuler leur indice. Il sentit pointer une timide lueur d'espoir dans le brouillard rougeâtre qui les entourait.

— S'agit-il d'une note mathématique?

Vittoria secoua la tête.

— Non, c'est une ligne de texte, en tout petits caractères, presque illisibles.

Ses espoirs s'évanouirent.

— On cherche des maths, Vittoria, Zingua pura.

— Oui, je sais.

Elle hésita.

— Mais je crois que ça vous intéressera quand même.

Langdon sentit de l'excitation dans sa voix.

— Allez-y.

Plissant les yeux pour déchiffrer, Vittoria s'exécuta:

« The path of light is laid. The sacred test. »

— La voie de lumière est tracée, le test sacré..., fit Langdon en se redressant.

— C'est ce qu'on lit. « La voie de lumière. »

La vérité mit quelques instants à percer les brumes qui ouataient maintenant les perceptions et les pensées de Langdon.

Il n'avait pas la moindre idée de l'usage qu'il pourrait bien faire de cette phrase, mais c'était une référence directe à la Voie de l'Illumination, telle qu'il pouvait, du moins, se l'imaginer. La voie de lumière, le test sacré. Sa cervelle le faisait penser à un moteur qui ne parvient pas à accélérer parce qu'il est encrassé par un carburant de mauvaise qualité.

— Vous êtes sûre de la traduction?

Vittoria hésita.

— En fait...

Elle lui lança un drôle de regard en coin.

« Ce n'est pas à proprement parler une traduction. La phrase est écrite en anglais. »

Pendant un instant, Langdon crut qu'il avait mal entendu.

— En anglais?

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Vittoria poussa le document vers lui et Langdon lut la minuscule note au bas de la page.

« The path of light is laid. The sacred test. » De l'anglais... Que fait cette phrase en anglais dans un ouvrage italien?

Vittoria haussa les épaules. Elle aussi semblait un peu égarée.

— Peut-être est-ce la Lingua pura? Après tout, c'est la langue internationale de la science. C'est celle que nous utilisons tous au CERN.

— Mais Galilée écrit au XVIIe siècle! Personne ne parlait anglais en Italie, à l'époque, pas même... (Il s'arrêta net, saisi par l'importance de ce qu'il allait dire. Pas même le clergé. Au début du XVIIe siècle, articula-t-il en accélérant la cadence, l'anglais n'était pas utilisé au Vatican. La hiérarchie de l'Église parlait italien, latin, allemand, français, espagnol, mais l'anglais était considéré comme une langue de libres penseurs réservée à des brutes matérialistes comme Chaucer ou Shakespeare.

Langdon se rappela soudain la légende qui voulait que certaines formules des Illuminati notamment pour les quatre éléments aient été rédigées en anglais. Elle devenait plus compréhensible à présent.

— Vous pensez donc que Galilée aurait considéré l'anglais comme la Lingua pura parce que c'était une langue que personne ne parlait au Vatican?

— Oui. En rédigeant son indice en anglais, Galilée mettait habilement ses censeurs sur la touche.

— Un indice, mais ce n'est même pas un indice, objecta Vittoria. « La Voie de la Lumière est tracée, le test sacré »? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire?

Elle a raison, songea Langdon. Cette phrase n'apportait aucune indication claire. Pourtant, en la répétant en lui-même, un fait étrange le frappa. Vraiment troublant, et si la solution était de ce côté-là?

— Il faut que nous sortions d'ici, lança Vittoria d'une voix enrouée.

Langdon n'écoutait pas. « La Voie de la Lumière est tracée, le test sacré. »

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— Des pentamètres iambiques! cria-t-il brusquement en recomptant les syllabes. Dix syllabes, cinq paires, un temps fort, un temps faible. .

Vittoria restait bouche bée.

— Pentamètre quoi?

Cinq paires de syl abes, pensa Langdon, comportant chacune, par définition, deux syllabes. Cinq et deux. Il ne parvenait pas à le croire: dans toute sa carrière, il n'avait jamais fait le rapprochement. Le pentamètres iambique était un mètre symétrique fondé sur les nombres sacrés des Illuminati: deux et cinq! Tu t'égares! se dit-il en essayant d'écarter l'idée de son esprit.

Une coïncidence sans signification! Mais elle revenait sans cesse.

Cinq... pour Pythagore et le pentagramme. Deux... pour la dualité universelle.

Une autre révélation le fit soudain frissonner: le pentamètre iambique était souvent appelé, à cause de sa simplicité, « vers pur »

ou « mètre pur ». La lingua pura? Était-ce la langue à laquelle se référaient les Illuminati?

— « La Voie de la Lumière est tracée, le test sacré »...

— Oh! s'exclama Vittoria.

En pivotant sur lui-même, Langdon la vit inverser haut et bas de la liasse. Il sentit sa gorge se serrer. Ce n'est pas possible...

— Ne me dites pas que ce vers est un ambigramme!

— Non, ce n'est pas un ambigramme. . mais c'est. . Elle fit pivoter plusieurs fois le document.

— C'est quoi?

— Ce n'est pas le seul vers!

— Il y en a un autre?

— Il y a un vers sur chaque marge, en haut, en bas, à droite et à gauche. Je crois qu'il s'agit d'un poème.

— Quatre vers, reprit Langdon galvanisé d'excitation. Galilée était un poète? Faites-moi voir!

Vittoria garda la liasse qu'elle continua à faire tourner pour en déchiffrer le sens.

— Je n'avais pas vu les vers parce qu'ils sont sur les bords...

Elle inclina la tête pour lire le dernier.

« Eh! Vous savez quoi? Ce n'est même pas Galilée l'auteur! »

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— Quoi?

— Le poème est signé John Milton.

— John Milton?

Le grand poète anglais qui avait écrit le Paradis perdu était un contemporain de Galiléee et un savant que beaucoup de spécialistes des Illuminati soupçonnaient d'avoir été membre de la secte et Langdon était tenté de les suivre: non seulement Milton avait accompli un pèlerinage à Rome en 1638, sur lequel on était très bien renseigné. Il s'agissait pour lui de « communier avec des hommes éclairés », mais il avait rencontré Galilée à plusieurs reprises alors que celui-ci était condamné à la prison, comme en témoignaient diverses peintures de l'époque, dont le célèbre Galilée et Milton d'Annibale Gatti, qui se trouvait actuellement à Florence, au musée de l'Histoire de la science.

— Milton connaissait Galilée, n'est-ce pas? demanda Vittoria en passant finalement le feuillet à Langdon. Peut-être lui a-t-il écrit ce poème comme une sorte d'hommage?

Langdon serra les dents en refermant ses doigts sur le document. Il le posa à plat sur la table et lut le vers dans la marge supérieure. Puis il le tourna à 90 degrés et lut le vers de la marge droite. Puis ceux de la marge inférieure et de la marge gauche.

Quatre vers en tout. Le premier que Vittoria lui avait lu était en fait le troisième. Sidéré, Langdon relut le quatrain une seconde fois dans le sens des aiguilles d'une montre: haut, droite, bas, gauche. Et poussa un grand soupir de soulagement.

— Vous l'avez trouvé, mademoiselle Vetra.

Elle esquissa un mince sourire.

— Bon, on peut partir, maintenant?

— Il faut que je recopie ces vers. Il me faudrait un stylo et du papier.

Vittoria secoua la tête.

— Laissez tomber, professeur. Il n'est plus temps de jouer au scribe. Mickey nous montre la sortie.

Elle lui prit la page et se dirigea vers la porte. Langdon se leva d'un bond.

— Vous n'avez pas le droit de l'emporter dehors! C'est un...

Mais Vittoria était déjà sortie.

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55


Langdon et Vittoria sortirent à grandes enjambées dans le petit jardin des Archives où ils purent enfin respirer à pleins poumons.

L'air frais fit à Langdon l'effet d'une drogue en pénétrant dans ses poumons. Les taches pourpres qui constellaient son champ de vision s'évanouirent rapidement. Mais pas la culpabilité. Il venait de se rendre complice du vol d'un inestimable trésor dans une des bibliothèques les plus inaccessibles du monde. Ils avaient abusé de la confiance du camerlingue.

— Dépêchez-vous, fit Vittoria, tenant toujours le précieux feuillet à la main et remontant au pas de course la Via Borgia en direction du bureau d'Olivetti.

— Si jamais ce papyrus est mouillé...

— Du calme! Quand nous l'aurons déchiffré, nous renverrons le folio 5 à ses propriétaires.

Langdon accéléra pour marcher à son pas. Outre ses scrupules d'honnête citoyen, il était sous le choc de l'extraordinaire découverte qu'ils venaient de faire. Et de ses énormes conséquences: John Milton était un Illuminatus. Il a composé un poème pour Galilée que ce dernier a publié dans son folio 5. . loin des yeux du Vatican.

En quittant le jardin, Vittoria tendit le folio à Langdon.

— Vous croyez pouvoir déchiffrer ce bidule? Ou est-ce qu'on s'est asphyxié la cervelle pour des prunes?

Langdon se saisit délicatement du document et le glissa sans hésitation dans une poche intérieure de sa veste en tweed, hors d'atteinte du soleil et de l'humidité.

— C'est déjà fait.

Vittoria stoppa net.

— C'est... quoi?

Langdon ne ralentit pas.

— Mais vous ne l'avez lu qu'une fois!

La jeune femme le rattrapait à grands pas.

« Vous m'aviez dit que ce serait un vrai rébus! »

Elle avait raison, et pourtant Langdon avait déchiffré le segno à la première lecture. Une strophe parfaite de pentamètres

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iambiques et le premier autel de la science lui était clairement apparu, sans le moindre doute possible.

Certes, la facilité avec laquelle il avait accompli cette tâche lui laissait un arrière-goût dérangeant. C'était un enfant de l'éthique puritaine du travail. Il entendait encore son père lui citer ce vieil aphorisme typique de la Nouvelle-Angleterre: « Si tu n'as pas souffert pour y arriver, c'est mal fait. » Langdon espérait contredire le dicton.

— Je l'ai déchiffré, dit-il en pressant le pas. Je sais où va avoir lieu le premier meurtre. Nous devons avertir Olivetti.

Vittoria le talonnait à présent.

— Comment avez-vous trouvé la solution aussi vite?

Montrez-moi ce truc encore une fois!

Avec la dextérité d'un pickpocket, elle plongea la main dans la poche intérieure de son veston et en sortit le feuillet.

— Attention, gémit Langdon, vous ne pouvez pas...

Vittoria l'ignora résolument.

Feuillet en main, elle gambadait derrière lui, plaçant le document à la lumière du jour déclinant, en examinant les marges. Tandis qu'elle lisait à haute voix, Langdon fit un geste pour récupérer le feuillet mais s'interrompit aussitôt, charmé par le timbre d'alto de Vittoria qui scandait au rythme de son pas: Dès la tombe terrestre de Santi,

Où se découvre le trou du Diable,

À travers Rome vous dévoilerez

Les éléments de l'épreuve sacrée,

Les anges guident votre noble quête.

Les mots s'envolaient de la bouche de Vittoria comme un chant.

Pendant quelques instants, en écoutant ces vers, Langdon se sentit transporté à une autre époque, il était un contemporain de Galilée, écoutant le poème pour la première fois... sachant qu'il s'agissait d'un test, d'une carte, d'un indice qui devait dévoiler les quatre autels de la science, les quatre jalons qui illumineraient une voie secrète à travers Rome.

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Dès la tombe terrestre de Santi,

Où se découvre le trou du Diable,

À travers Rome vous dévoilerez

Les éléments de l'épreuve sacrée...

Les éléments.. C'est clair: la terre, l'air, le feu, l'eau. Les quatre éléments de la science et les quatre jalons des Illuminati déguisés en sculptures religieuses.

— Le premier jalon, fit Vittoria, m'a tout l'air de se trouver dans les parages de la tombe de ce Santi.

Langdon sourit.

— Je vous avais bien dit que ce n'était pas si difficile...

— Mais qui est ce Santi? demanda-t-elle, prise d'une soudaine impatience, et où se trouve sa tombe?

Langdon se sourit à lui-même. Il était surpris de voir combien peu de gens avaient entendu parler de Santi, le patronyme d'un des plus grands artistes de la Renaissance. Son prénom était mondialement connu. C'était l'enfant prodige qui à vingt-cinq ans s'était vu confier d'importantes commandes par le pape Jules II.

Et à sa mort, à seulement trente-huit ans, celui qui avait légué à la postérité la plus grande collection de fresques que le monde ait jamais vue. Santi était une étrange comète dans le monde de l'art et seuls quelques très grands génies sont restés par leur prénom dans l'histoire: Napoléon, Galilée, Jésus.. sans oublier les demi-dieux Sting, Madorma et Prince qui avait échangé son nom contre le symbole, dans lequel Langdon voyait une croix de Saint-Antoine barrée d'une Ankh hermaphrodite.

— Santi, ou Sanzio, reprit l'Américain, est le nom du grand maître de la Renaissance, Raphaël.

— Raphaël, le Raphaël?

— Oui, le seul et unique.

Langdon pressait le pas en direction du bureau de la Garde suisse.

— Alors la Voie commence à la tombe de Raphaël?

C'est on ne peut plus cohérent, répondit Langdon. Pour beaucoup d'Illuminati les peintres et les sculpteurs étaient des

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frères, des « éclairés ». Ils ont pu choisir la tombe de Raphaël en hommage au peintre.

Langdon savait aussi que Raphaël, comme tant d'autres artistes religieux, était soupçonné d'athéisme.

Vittoria remit délicatement le feuillet dans la poche de Langdon.

— Et où est-il enterré?

Langdon inspira profondément.

— Croyez-moi si vous voulez, Raphaël est inhumé dans le Panthéon.

Vittoria semblait sceptique.

— Dans le Panthéon?

Langdon devait bien admettre que le Panthéon n'était pas le site où il s'était attendu à trouver le premier jalon. Il aurait plutôt imaginé l'autel de la science dans une église hors des sentiers battus, dans un endroit discret et retiré. Même au début du XVIIe siècle, le Panthéon avec son énorme dôme à oculus faisait partie des sites les plus courus de Rome.

— Mais le Panthéon est-il vraiment une église? demanda Vittoria.

— C'est la plus vieille église catholique de Rome!

Vittoria secoua la tête.

— Mais vous croyez sérieusement que le premier cardinal va être exécuté au Panthéon? Dans un des sites touristiques les plus fréquentés de la capitale?

Langdon haussa les épaules.

— Les Illuminati veulent focaliser l'attention du monde entier. Tuer un cardinal au Panthéon est un excellent moyen d'attirer tous les regards.

— Mais comment ce type espère-t-il tuer un dignitaire de l'Église dans un lieu pareil sans se faire repérer. C'est impossible!

— Aussi impossible que de kidnapper quatre cardinaux dans la Cité du Vatican? Le poème est sans équivoque.

— Et vous êtes certain que Raphaël est enterré dans le Panthéon?

— Je suis un habitué du site.

Vittoria acquiesça, pas entièrement convaincue, cependant.

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— Quelle heure est-il?

— 19 h 30.

— Et le Panthéon est loin d'ici?

— Environ un kilomètre et demi. On a le temps.

— Le poème parle de la « tombe terrestre » de Santi, que veut-il dire par là?

— Terrestre? Eh bien il n'existe probablement pas d'endroit plus terrestre dans Rome que le Panthéon. Il doit son nom à la religion originelle des Romains, le panthéisme, à savoir l'adoration de l'ensemble des dieux et notamment les dieux païens de la Terre Mère.

Étudiant en architecture, Langdon avait été étonné d'apprendre que les dimensions de la rotonde du temple se voulaient un hommage à Gaia, la déesse de la Terre. Les proportions étaient si exactes qu'on aurait pu y enchâsser, au millimètre près, une sphère géante.

— D'accord, acquiesça Vittoria qui semblait plus convaincue. Et le « trou du Diable », qui se découvre sur la tombe de Santi?

Langdon n'était pas très sûr de savoir quoi penser du «

trou du Diable ».

— Le « trou du Diable » doit représenter la célèbre ouverture circulaire dans la coupole.

Cette hypothèse ne manquait pas de bon sens.

— Mais il s'agit bien d'une église, objecta Vittoria en s'approchant de lui. Pourquoi aurait-on nommé cette ouverture un « trou du Diable »?

Langdon s'était posé la même question. Il n'avait jamais entendu l'expression « trou du Diable » mais il se souvenait bien d'une critique du Panthéon remontant au VIe siècle et qui semblait tout à fait pertinente vu la situation. Le vénérable Bede avait un jour écrit que le trou percé dans le toit de l'édifice était l'œuvre de démons qui essayaient de s'échapper du bâtiment quand il avait été consacré par Boniface IV.

— Et pourquoi, renchérit Vittoria alors qu'ils traversaient un petit jardin, pourquoi les Illuminati se seraient-ils servis du nom de Santi alors que le peintre était connu sous celui de Raphaël?

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— Vous posez beaucoup de questions...

— Mon père disait la même chose.

— Je vois deux raisons: la première c'est que le mot Raphaël comporte un trop grand nombre de syllabes. Une contrainte métrique, donc, liée au pentamètre iambique.

— Tiré par les cheveux..., commenta la jeune femme.

Langdon était assez d'accord.

— Mmm. Peut-être l'utilisation du mot Santi permettait-elle d'obscurcir l'indice et ainsi d'en réserver l'interprétation aux hommes les plus « éclairés ».

Vittoria renâcla une fois de plus devant l'argument.

— Je suis sûre que le patronyme de Raphaël était très connu de son vivant.

— Bizarrement, il ne l'était pas. Il valait mieux être connu par son prénom, comme pour les stars actuelles de la pop. Il a fait un peu comme Madonna qui ne se sert jamais de son patronyme, Ciccone.

Vittoria le considéra d'un air ironique.

— Vous connaissez le patronyme de Madonna?

Langdon regretta cet exemple. C'était fou le nombre de choses inutiles dont on pouvait encombrer son cerveau quand on fréquentait un campus de dix mille étudiants...

Alors qu'ils arrivaient à quelques mètres du bureau central de la Garde suisse, ils furent stoppés par un cri rauque.

— Stop! aboya quelqu'un derrière eux.

Langdon et Vittoria firent demi-tour et découvrirent un canon pointé sur eux.

— Attention, cria à son tour Vittoria, indignée, faites donc attention avec votre...

— Pas un geste! rétorqua le garde en brandissant son arme.

— Laissez passer, ordonna une voix derrière eux.

C'était Olivetti qui sortait du PC de la sécurité. Le garde était sidéré.

— Mais, commandant, c'est une femme...

— À l'intérieur! cria Olivetti au garde.

— Commandant, je ne peux pas...

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— Tout de suite, vous avez de nouveaux ordres. Briefing avec le capitaine Rocher dans deux minutes. Nous organisons une traque.

Passablement désorienté, le garde retourna dare-dare au PC de la sécurité. Olivetti, raide et bouillant de colère, marcha droit sur Langdon.

— Nos archives les plus secrètes! Vous me devez une explication!

— Nous avons de bonnes nouvelles, le coupa Langdon.

Les yeux d'Olivetti s'étrécirent.

— Elles ont intérêt à être excellentes!

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Le convoi d'Alfa-Romeo 155 T-spark banalisées remonta la Via dei Coronari dans un rugissement d'avions à réaction.

Douze gardes suisses en civil armés de fusils semi-automatiques Cherchi-Pardini, de grenades fumigènes et de lanceurs Cougar avaient pris place à bord des quatre véhicules. Les trois tireurs d'élite avaient emporté des fusils à visée laser.

Assis sur le siège passager de la voiture de tête, Olivetti tournait le dos à Vittoria et Langdon. Ses yeux lançaient des flammes.

— Vous m'annoncez une explication sérieuse et vous voudriez que j'avale ça?

Langdon se sentait à l'étroit dans cette petite voiture.

— Je comprends votre...

— Non, vous ne comprenez pas! (La voix d'Olivetti, toujours si feutrée, avait triplé d'intensité.) Je viens d'enlever une douzaine de mes meil eurs hommes du Vatican alors que le conclave est sur le point de commencer. Et je l'ai fait pour surveiller le Panthéon, sur la base du témoignage d'un Américain que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam et qui m'assure qu'un poème vieux de quatre siècles lui a inspiré ce plan génial. Ce qui m'a conduit à confier la recherche de la bombe d'antimatière à des subordonnés...

Langdon résista à la tentation de sortir le feuillet numéro 5 de sa poche et de le brandir sous les yeux d'Olivetti.

— Tout ce que je sais, c'est que le renseignement que nous avons déniché mentionne la tombe de Raphaël et que celle-ci se trouve à l'intérieur du Panthéon.

Le garde qui conduisait approuva.

— Il a raison, commandant, ma femme et moi..

— Conduis et tais-toi! aboya Olivetti qui se tourna vers Langdon. Comment un tueur peut-il bien projeter un assassinat dans un endroit si bondé et imaginer qu'il parviendra à s'enfuir?

— Je ne sais pas, fit Langdon. Mais de toute évidence, les Illuminati sont des gens pleins de ressources. Ils se sont introduits au sein du CERN et du Vatican. Nous avons eu beaucoup de

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chance de découvrir où allait se dérouler le premier crime. Le Panthéon est votre seule chance d'attraper ce type.

— Ça ne colle pas avec ce que vous m'avez dit tout à l'heure! La seule chance? Mais vous avez parlé d'une sorte de jeu de piste, d'une série de jalons. Si le Panthéon est le bon point de départ, on n'a qu'à remonter la piste par les autres jalons. On aura quatre chances d'attraper ce type.

— C'est ce que j'avais espéré, fit Langdon. Et c'est bien comme ça que les choses se seraient passées.. Il y a cent ans.

En comprenant que le Panthéon était le premier autel de la science, Langdon avait rapidement dû déchanter.

L'histoire joue souvent des tours cruels à ceux qui la traquent.

Après toutes ces années, c'était sans doute beaucoup demander que de retrouver la Voie de l'Illumination intacte avec toutes ses statues à la même place. Et l'Américain s'était laissé aller à rêver qu'il pourrait remonter la piste jusqu'au repaire sacré des Illuminati. Malheureusement, il avait rapidement saisi la vanité de cet espoir.

— Le Vatican a fait enlever et détruire toutes les statues qui se trouvaient dans le Panthéon à la fin du XVIe siècle.

Vittoria eut l'air choquée.

— Pourquoi?

— Ces statues représentaient des dieux de l'Olympe.

Malheureusement, cela signifie que notre premier jalon s'envole et avec lui...

— Tout espoir de retrouver les autres et donc de remonter la Voie de l'Illumination?

Langdon acquiesça.

— Nous ne pouvons être sûrs que d'un seul site, le Panthéon. Après, la voie se perd dans les limbes.

Olivetti les regarda longuement avant de se retourner.

— Arrête-toi, brailla-t-il au chauffeur.

Le chauffeur donna un violent coup de frein et l'Alfa stoppa en dérapant, aussitôt suivie des trois autres.

— Que faites-vous? demanda Vittoria.

— Mon boulot! rétorqua Olivetti d'une voix dure comme la pierre. Monsieur Langdon, quand vous m'avez dit que vous

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m'expliqueriez la situation en route, j'en ai déduit que j'arriverais au Panthéon avec une notion claire de la raison pour laquelle mes hommes sont ici. Ce n'est pas le cas. Comme je délaisse des obligations cruciales en vous accompagnant et comme je ne vois rien de très solide dans votre théorie sur la poésie ancienne et les sacrifices de jeunes agneaux, je ne peux pas, en toute conscience, continuer ce petit jeu. J'annule cette mission.

Il sortit son talkie-walkie et appuya sur ON. Vittoria se pencha et lui agrippa le bras.

— Vous ne pouvez pas!

Olivetti reposa le talkie-walkie et lui décocha un regard furibond.

— Connaissez-vous le Panthéon, mademoiselle Vetra?

— Non, mais je...

— Laissez-moi vous dire quelque chose. Le Panthéon se compose d'un unique espace, une salle circulaire faite de pierre et de ciment. Il n'y a qu'une seule entrée. Étroite. Cette entrée est en permanence gardée par quatre policiers romains armés qui protègent ce sanctuaire des vandales, des terroristes antichrétiens et des pickpockets roms.

— Et alors...?

— Alors? reprit Olivetti en agrippant le dossier du fauteuil.

Alors ce que vous venez de me dire est totalement impossible!

Donnez-moi un seul scénario plausible: comment peut-on tuer un cardinal à l'intérieur du Panthéon? Et comment fait-on entrer un otage dans le Panthéon, devant les gardes, pour commencer, sans parler de le tuer et de s'enfuir après? (Olivetti s'était retourné et projetait au visage de Langdon son haleine chargée de café.) Comment, monsieur Langdon? Un scénario plausible, c'est tout ce que je vous demande.

Langdon sentit la petite voiture rapetisser autour de lui.

— Je n'en ai pas la moindre idée! Je ne suis pas un assassin! Je ne sais pas comment il a l'intention de le procéder! Tout ce que je sais...

— Un scénario? railla Vittoria d'une voix imperturbable.

Comment trouvez-vous celui-là: Le tueur arrive en hélicoptère et

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jette un cardinal hurlant par l'ouverture de la coupole. Le cardinal meurt en s'écrasant sur le sol de marbre.

Trois paires d'yeux se tournèrent en même temps vers Vittoria. Langdon ne savait pas quoi penser. Vous avez trop d'imagination, ma belle, songea-t-il, mais vous êtes sacrément rapide.

— C'est possible, je l'admets, mais pas très.. Olivetti fronça les sourcils.

— Ou bien le tueur drogue le cardinal, reprit Vittoria, l'amène au Panthéon dans un fauteuil roulant comme n'importe quel vieux touriste, le pousse à l'intérieur, lui tranche discrètement la gorge et ressort.

Ce scénario-là réveilla un peu Olivetti.

Pas mal! pensa Langdon.

— Ou bien le tueur pourrait...

— Ça va, coupa Olivetti, ça me suffit.

Il inspira profondément et expira d'un coup. Quelqu'un frappa au carreau et tout le monde sursauta. C'était un soldat d'une autre voiture. Olivetti descendit sa vitre.

— Tout va bien, commandant?

Le soldat était habillé en civil, version jeans-baskets. Il remonta la manche de sa chemise à carreaux, découvrant un chrono militaire noir.

— 19 h 45, commandant. Nous avons besoin de temps pour prendre position.

Olivetti acquiesça vaguement mais resta silencieux un long moment. Il promena son doigt sur le pare-brise, traçant machinalement une ligne dans la poussière qui le recouvrait. Il examina Langdon dans le rétroviseur et l'Américain se sentit étudié et jaugé. Finalement, Olivetti se tourna vers le garde. Il semblait agir à contrecœur.

— Je veux des approches distinctes. Des véhicules Piazza della Rotonda, Via degli Orfani, Piazza Sant'Ignacio et Piazza Sant'Eustachio. À trois cents mètres. Vous vous garez, vous vous préparez et vous attendez les ordres. Trois minutes.

— Très bien, commandant.

Le soldat salua et retourna à sa voiture.

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Langdon fit un clin d'œil admiratif à Vittoria. Elle lui renvoya son sourire et, pendant une courte seconde, Langdon sentit une connexion inattendue entre eux, un fil magnétique qui les unissait.

Le commandant se tourna dans son fauteuil et riva ses yeux dans ceux de Langdon.

« Monsieur Langdon, il vaudrait mieux que tout ceci ne nous pète pas à la figure. »

Langdon sourit, intimidé. Il vaudrait mieux, en effet.

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Maximilian Kohler, que sa perfusion de cromolyne et de prednisone commençait à revigorer, ouvrit les yeux. Ses bronches et ses vaisseaux pulmonaires se dilataient et il respirait de nouveau normalement. Il était étendu dans une chambre de l'infirmerie du CERN. Il aperçut son fauteuil roulant à côté du lit.

Il fit le point, examina la blouse de papier qu'on lui avait enfilée. Ses vêtements étaient pliés sur une chaise. Dehors, il entendit l'infirmière qui faisait sa ronde. Il resta allongé quelques instants, aux aguets. Puis, aussi silencieusement que possible, il se redressa, s'assit au bord du lit et s'empara de ses affaires. Luttant contre ses jambes mortes, il parvint à s'habiller. Puis à s'installer tant bien que mal sur son fauteuil.

Étouffant un début de toux, il dirigea son fauteuil roulant vers la porte, en prenant bien soin de ne pas mettre le moteur en route. Il jeta un coup d'œil dans le couloir. Vide.

Maximilian Kohler se glissa sans un bruit hors de l'infirmerie.

— 19 h 46 et trente secondes...

Même quand il parlait dans son talkie-walkie, Olivetti s'exprimait toujours d'une voix presque inaudible. Un chuchotement.

Langdon était en nage dans sa veste Harris en tweed, sur le siège arrière de l'Alfa-Roméo, arrêtée non loin de là. Vittoria était assise à côté de lui, apparemment captivée par Olivetti qui transmettait ses dernières consignes avant l'intervention.

— Le déploiement se fera sur huit points, reprit Olivetti. Sur tout le périmètre avec un renfort à l'entrée. La cible pourrait vous reconnaître visuellement, donc vous ne serez pas visible. Usage de moyens non-létaux uniquement. On aura besoin de quelqu'un pour surveiller la coupole. La cible est prioritaire, le butin, secondaire.

Mon Dieu! songea Langdon, impressionné par la froide efficacité avec laquelle Olivetti venait de dire à ses hommes que la récupération du cardinal n'était pas essentielle: butin secondaire.

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— Je répète. Neutralisation non-létale. Nous avons besoin de la cible vivante. Go!

Olivetti rangea son talkie-walkie.

Vittoria était abasourdie, presque en colère.

— Mais, commandant, personne ne va entrer à l'intérieur?

Olivetti pivota brusquement.

— À l'intérieur?

— À l'intérieur du Panthéon. Là où ça va se passer.

— Réfléchissez, fit Olivetti, ses pupilles soudain plus pâles. Si la Garde a été infiltrée, mes hommes sont très facilement repérables. Or, M. Langdon vient juste de me prévenir que le Panthéon était notre seule chance de capturer la cible. Je n'ai pas l'intention de faire fuir le tueur en envoyant mes hommes à l'intérieur!

— Mais s'il est déjà à l'intérieur?

Olivetti regarda sa montre.

— La cible a été très claire: 20 heures. Nous avons un quart d'heure.

— Il a dit qu'il tuerait le cardinal à 20 heures. Mais il se peut qu'il ait fait entrer la victime dedans, d'une façon ou d'une autre.

Et si vos hommes voient sortir la cible mais qu'ils soient incapables de l'identifier? Il faut que quelqu'un s'assure qu'il n'est pas déjà à l'intérieur.

— C'est trop risqué maintenant.

— Pas si la personne qui s'en charge est inconnue de la cible.

— Déguiser un agent prendrait trop de temps et. .

— C'est de moi que je parlais, coupa Vittoria.

Langdon lui jeta un regard épaté. Olivetti fit « non » de la tête. — Absolument exclu.

— Il a tué mon père.

— Justement, il se peut qu'il vous connaisse.

— Vous l'avez entendu au téléphone. Il ne savait même pas que Leonardo Vetra avait eu une fille... Il n'a évidemment pas la moindre idée de ce à quoi je ressemble. Je peux jouer les touristes et faire signe à vos hommes, quand ce sera le moment.

— Commandant? fit une voix sur le talkie-walkie. On a un problème au point nord. La fontaine est en plein dans l'axe, elle

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masque l'entrée. Pour la surveiller, il faudrait se positionner à découvert sur la place. Qu'est-ce qu'on fait?

Vittoria décida qu'elle en avait assez entendu.

— C'est bon, j'y vais.

Elle ouvrit la portière et sortit.

Langdon sortit à son tour. Mais qu'est-ce qu'elle fait, bon sang!

Olivetti jeta son talkie-walkie, bondit hors de la voiture et lui barra le passage.

— Mademoiselle Vetra, vous avez de bons instincts, mais je ne peux pas laisser un civil intervenir.

— Intervenir? Mais vous y allez à l'aveuglette, laissez-moi vous aider.

— Ce serait génial d'avoir quelqu'un à l'intérieur, mais...

— Mais quoi? s'exclama Vittoria. Je suis une femme, c'est ça?

Olivetti ne répondit pas.

— J'espère que ce n'est pas votre arrière-pensée, commandant, parce que vous savez très bien que mon idée est excellente et si vous laissez un stupide préjugé macho...

— Laissez-nous faire notre travail.

— Laissez-moi vous aider!

— Trop dangereux. Nous n'aurions aucun moyen de communiquer avec vous. Je ne peux pas vous laisser prendre un talkie-walkie, vous seriez trop repérable.

Vittoria plongea sa main dans sa poche et en sortit son téléphone mobile.

— La plupart des touristes se baladent avec leur portable.

Olivetti fronça les sourcils.

Vittoria déplia son mobile et mima un coup de fil:

— Salut, chéri, je suis debout au milieu du Panthéon, c'est un endroit vraiment incroyable!

Elle referma son téléphone et jeta un regard sévère à l'officier.

« Qui pourrait me soupçonner? C'est une situation absolument sans risque. Je serai vos yeux! »

Elle indiqua le portable d'Olivetti, dans sa ceinture.

« Quel est votre numéro? »

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Olivetti ne répondit pas. Le chauffeur, qui avait écouté attentivement, semblait avoir son avis. Il sortit de la voiture et prit le commandant à part. Ils discutèrent quelques instants à mi-voix.

Enfin, Olivetti acquiesça et se tourna vers Vittoria.

— Enregistrez ce numéro.

Il commença à dicter.

« Maintenant, appelez-le. »

Vittoria enfonça le bouton d'appel automatique et le mobile d'Olivetti se mit à sonner.

— Entrez dans le Panthéon, mademoiselle Vetra, jetez un coup d'œil, sortez puis appelez-moi et dites-moi ce que vous aurez vu.

Vittoria referma son portable d'un geste sec.

— Merci, monsieur.

Langdon se sentit subitement une responsabilité à l'égard de la jeune femme, son instinct protecteur s'était inopinément réveillé.

— Attendez une minute, dit-il à Olivetti, vous l'envoyez là-dedans toute seule?

Vittoria lui jeta un regard agacé.

— Robert, tout se passera très bien.

Le garde suisse prit de nouveau Olivetti à part.

— C'est dangereux, fit Langdon à Vittoria.

— Il a raison, opina Olivetti. Même mes meilleurs hommes ne travaillent pas seuls. Mon lieutenant vient de me dire que la couverture sera plus convaincante si vous y allez ensemble.

— Ensemble? (Langdon hésita.) En fait, ce que je voulais...

— Que vous entriez tous les deux ensemble. Vous aurez l'air d'un couple en vacances. Et vous pourrez vous aider l'un l'autre. Je me sentirai mieux comme ça.

Vittoria haussa les épaules.

— Ça me va, mais il n'y a plus de temps à perdre.

Langdon étouffa un gémissement. Bien joué, cowboy!

— La première rue que vous trouverez, expliqua Olivetti le doigt pointé vers le croisement, c'est la Via degli Orfani. Prenez à gauche, vous arrivez directement au Panthéon. Deux minutes de marche et vous y êtes. Je reste là, je dirigerai mes hommes et j'attendrai votre appel. Vous savez vous servir d'un pistolet?

Il sortit son arme.

Le cœur de Langdon bondit dans sa poitrine.

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— On n'a pas besoin d'arme!

Vittoria tendit la main et prit le pistolet.

— Je peux ficher une seringue dans un marsouin à quarante mètres depuis un zodiac.

— Bien. (Olivetti lui tendit le pistolet.) Cachez-le.

Vittoria regarda son short, puis Langdon.

Oh non, pitié! songea Langdon. Mais Vittoria fut trop rapide: elle ouvrit sa veste et enfonça l'arme dans une de ses poches intérieures. Il eut la sensation d'un boulet, sa seule consolation étant que le Diagramma fut dans l'autre poche.

— On a l'air complètement inoffensifs, fit Vittoria. On y va!

Elle prit le bras de Langdon et l'entraîna avec elle. Le chauffeur les appela.

— Se tenir par le bras c'est pas mal. Mais par la main, ce serait encore mieux, le genre jeunes mariés, vous voyez?

En tournant le coin de la rue, Langdon aurait juré qu'il avait vu Vittoria sourire.

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Le « PC opérationnel » de la Garde suisse qui jouxte les bâtiments du Corpo di Vigilanza sert essentiellement à l'organisation de la sécurité lors des apparitions publiques du pape et des événements du Vatican. Mais ce jour-là, c'est un autre usage qui lui était dévolu. L'homme qui s'adressait au détachement spécial était le capitaine Elias Rocher, commandant en second de la Garde suisse. Rocher était un homme au torse puissant et aux traits délicats. Il avait ajouté sa touche personnelle à l'uniforme bleu traditionnel de capitaine: un béret rouge posé de biais sur le côté du crâne. Sa voix était étonnamment fluette pour un homme aussi charpenté, et ses intonations chantantes. Malgré les inflexions cristallines de sa voix, le regard de Rocher était perçant et hostile comme celui d'un prédateur sûr de sa force. Ses subordonnés l'avaient d'ailleurs surnommé « grizzly ». Un grizzly qui suit le crotale comme son ombre, ajoutaient-ils, le crotale étant le commandant Olivetti.

Rocher était aussi redoutable que son crotale de chef mais lui, au moins, on le voyait venir.

Les hommes de Rocher écoutaient attentivement, les visages tendus, fermés. Pourtant, l'information qu'ils venaient d'entendre avait fait monter leur tension de quelques dixièmes.

Le petit nouveau, le lieutenant Chartrand, debout au fond de la salle, aurait tant voulu, à cet instant, faire partie des 99 % de candidats gardes suisses recalés! vingt ans, Chartrand était la plus jeune recrue du corps. Il avait été engagé trois mois auparavant.

Comme tous ses pairs, il avait fait son école en Suisse, puis suivi un entraînement complémentaire de deux ans à Berne avant de se présenter à la redoutable batterie de tests organisés par le Vatican dans une caserne secrète des environs de Rome. Mais, dans cette formation, rien ne l'avait préparé à affronter une crise comme celle-ci. Au début, Chartrand crut que ce briefing n'était qu'une nouvelle forme d'entraînement inventée par ses chefs. Armes futuristes, sectes criminelles, cardinaux kidnappés... Et puis Rocher leur avait montré la séquence vidéo de la bombe

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d'antimatière et Chartrand avait dû se rendre à l'évidence: il ne s'agissait nullement d'un exercice.

— On va couper le courant à différents endroits, disait Rocher, pour supprimer toute interférence magnétique extérieure. On se déplace par groupes de quatre. Jumelles infrarouges, reconnaissance par détecteurs conventionnels recalibrés pour des champs de flux inférieurs à trois ohms. Des questions?

Chartrand, qui semblait passablement nerveux, leva la main.

— Et si on ne trouve pas à temps, demanda-t-il en regrettant aussitôt sa question.

Grizzly lui jeta un regard noir sous son béret rouge. Puis il congédia ses hommes d'un peu rassurant: « Bon vent! »

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En approchant du Panthéon, Vittoria et Langdon longèrent une file de taxis en attente; tous les chauffeurs dormaient derrière un volant. Le petit somme faisait partie des usages sacrés de la Ville éternelle.

Langdon avait bien du mal à raisonner rationnellement sur une situation aussi absurde. Six heures plus tôt, il dormait tranquillement dans son lit en Amérique. Sa brutale traversée de l'Atlantique l'avait projeté au cœur d'un complot satanique surréaliste, et il se retrouvait à Rome, un semi-automatique dans la poche de sa veste, tenant la main d'une belle jeune femme qu'il connaissait à peine.

Vittoria regardait droit devant elle. Sa poigne sentait la détermination et l'indépendance, mais les doigts noués à ceux de l'Américain traduisaient sa confiance innée. Sans hésitation. Il la trouvait de plus en plus attirante. Ne rêve pas, se dit-il.

Vittoria sembla ressentir son malaise.

— Détendez-vous, murmura-t-elle sans tourner la tête. On est en voyage de noces.

— Je suis détendu.

— Vous m'écrasez les doigts.

Il relâcha la tension en rougissant.

— Respirez par les yeux, souffla-t-elle.

— Pardon?

— Pour détendre vos muscles. Cela s'appelle pranayama.

— Piranha?

— Mais non, pas le poisson. Pranayama. Peu importe...

Ils débouchèrent sur la Piazza della Rotonda; le Panthéon se dressait devant eux. Comme toujours, l'imposant édifice inspira à Langdon une admiration mêlée de crainte. Le temple de tous les dieux. Les dieux païens, terrestres et marins. La structure lui parut toutefois plus massive que le souvenir qu'il en avait gardé. Les piliers verticaux et le fronton triangulaire du majestueux pronaos masquaient à ses yeux le grand dôme qui surplombe la rotonde.

Le triomphalisme de l'inscription latine qui s'étalait sur l'architrave l'amusait en revanche toujours autant. M. AGRIPPA L

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F COS TERTIUM FECIT: Edifié par Marcus Agrippa, fils de Lucius, consul pour la troisième fois.

Quelle humilité! se dit-il en balayant du regard les abords de l'ancien temple. Quelques touristes errant, armés de caméras vidéo, d'autres savourant, à la terrasse de la Tazza di Oro, le meilleur café glacé de Rome. Devant l'entrée du Panthéon, quatre policiers montaient la garde, l'arme au poing, comme l'avait annoncé Olivetti.

— Cela m'a l'air plutôt calme, fit Vittoria.

Langdon hocha la tête, mais il était inquiet. Maintenant qu'il se trouvait sur place, leur plan lui semblait totalement insensé.

Vittoria lui faisait apparemment confiance, mais il avait pu se tromper en déchiffrant le poème... Il se récita le premier vers. «

De la tombe terrestre de Santi, où se découvre le trou du Diable. »

Oui, se dit-il, c'est sûrement ça. La tombe de Santi. Combien de fois n'avait-il pas contemplé le tombeau de Raphaël sous la coupole?

— Quelle heure est-il? demanda Vittoria.

— 19 h 50. Le spectacle ne va pas tarder à commencer.

— J'espère que ces flics sont des pros, fit-elle en regardant les touristes entrer dans le Panthéon. Il ne sera pas facile d'échapper à une fusillade sous cette coupole.

Langdon poussa un soupir en l'entraînant vers le portique. Le pistolet pesait dans sa poche. Il retint son souffle en passant devant les policiers. Que se passerait-il s'ils le fouillaient? Mais ils ne parurent même pas le remarquer. L'image du couple d'amoureux qu'il formait avec Vittoria devait être convaincante.

Il chuchota à l'oreille de sa compagne:

— Vous vous êtes déjà servie d'un pistolet, autrement que pour vos seringues de sédatif?

— Vous ne me faites pas confiance?

— Je vous connais à peine...

— Et moi qui croyais qu'on était des jeunes mariés!

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Langdon et Vittoria pénétrèrent dans l'atmosphère humide et fraîche de la rotonde. La grandiose coupole s'élevait sans aucun soutien à plus de quarante-trois mètres au-dessus de l'épaisse muraille circulaire – plus vaste encore que celle de la basilique Saint-Pierre. Au sommet, la célèbre ouverture circulaire, laissait entrer un mince rayon de soleil couchant. Le

« trou du Diable », se répétait Langdon.

Ils avaient atteint leur but.

Le regard de Langdon parcourut l'immensité de la voûte qui les surplombait, avant de redescendre le long des trois étages du mur cylindrique, jusqu'au sol de marbre poli sous leurs pieds. Le grand dôme résonnait de bruits de pas étouffés et de chuchotements. Il observa un à un les visages de la dizaine de touristes qui déambulaient dans le grand espace clair-obscur. Le tueur est-il l'un d'eux?

— C'est aussi calme que dehors, remarqua Vittoria, sans lui lâcher la main.

Il hocha la tête.

— Alors, où est la tombe de Raphaël? demanda-t-elle.

Il réfléchit un instant, regarda autour de lui. Des tombeaux, des autels, des colonnes... D'un signe de tête, il la lui indiqua sur leur gauche.

— Je crois que c'est celle-là.

Vittoria examinait les visiteurs.

— Je ne vois personne qui ressemble à un tueur sur le point d'assassiner un cardinal... Si on faisait le tour complet?

— Oui. Allons inspecter les niches. Ce sont les seuls endroits où quelqu'un pourrait se cacher.

— Celles qu'on voit tout autour?

— C'est cela, les alcôves creusées dans le mur.

Sur tout le pourtour de l'édifice, alternant avec les tombeaux, une série de cavités en demi-cercle s'ouvraient dans la muraille. Bien que peu profondes, elles constituaient des recoins parfaits où se dissimuler dans l'ombre. Elles avaient autrefois abrité les statues des dieux de la Rome antique, que le Vatican avait

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détruites lors de la conversion du temple en église chrétienne. Le cœur serré, l'historien d'art de Harvard constata immédiatement que le jalon du premier autel de la science des Illuminati avait fatalement disparu. Il se demanda ce qu'il avait pu représenter autrefois, et vers quel autre monument romain il pouvait bien conduire les pas des adeptes. Il ne pouvait rien imaginer de plus excitant que de découvrir une trace de l'ancienne société secrète — la statue qui ouvrirait subrepticement la Voie de l'Illumination, et qui lui apprendrait le nom de ce fameux sculpteur anonyme.

— Je fais le tour par la gauche, dit Vittoria. Prenez à droite. Je vous retrouve dans cent quatre-vingts degrés.

Langdon répondit par un sourire crispé. L'horreur sinistre de cette histoire le faisait frissonner. En longeant sa moitié de circonférence, il lui semblait entendre la voix du tueur chuchoter dans le grand vide de la rotonde. « À 20 heures. Des agneaux sacrifiés sur les autels de la science. Une progression mathématique vers la mort. 20 heures, 21 heures, 22 heures, 23

heures... et minuit. »

Langdon vérifia sa montre: 19 h 52. Huit minutes.

Dans la première niche de droite se trouvait le tombeau du premier roi de l'Italie unifiée. Comme c'était fréquent à Rome, le sarcophage était disposé de biais par rapport au mur, ce qui semblait perturber le groupe de visiteurs qui le contemplait.

Langdon ne prit pas le temps de leur expliquer la raison de cette maladresse apparente. Les tombeaux chrétiens n'obéissaient pas forcément à la logique architecturale des bâtiments qui les abritaient. L'essentiel était qu'ils soient tournés vers l'est, en raison d'une ancienne superstition que Langdon avait évoquée en cours de sémiologie, pas plus tard que le mois précédent.

— C'est parfaitement incongru! avait lancé une étudiante, au fond de la salle, après l'explication que venait de développer le professeur. Pourquoi les chrétiens tenaient-ils tant à être enterrés face au soleil levant? Ils ne pratiquaient tout de même pas le culte du soleil!

Langdon faisait les cent pas devant le tableau en grignotant une pomme.

— Monsieur Hitzrot!

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Un jeune homme qui sommeillait sur sa chaise se redressa en sursaut:

— Qui? Moi?

Langdon lui montra du doigt la reproduction d'un tableau Renaissance affichée au mur de la classe:

— Qui est cet homme agenouillé devant Dieu?

— Euh... C'est un saint?

— Génial! Et comment le savez-vous?

— Parce qu'il a une auréole au-dessus de la tête...?

— Excellente réponse. Et cette auréole vous rappelle-t-elle quelque chose?

Un sourire ravi apparut sur les lèvres de l'étudiant.

— Oui! Ces trucs égyptiens qu'on a appris au dernier trimestre... les disques solaires!

— Merci, Hitzrot. Vous pouvez vous rendormir.

Le professeur s'adressa à toute sa classe:

« Comme bien d'autres éléments de la symbolique chrétienne, les auréoles des saints sont héritées du dieu Râ des anciens Égyptiens. Le christianisme est truffé de réminiscences du culte solaire. »

— Excusez-moi, demanda une jeune fille au premier rang.

Je vais à la messe tous les dimanches, et je n'en vois pas vraiment les traces...

— Tiens donc? Quelle fête célébrez-vous le 25

décembre?

— Noël, la naissance de Jésus-Christ.

— Et pourtant, si l'on en croit les évangiles, Jésus serait né au mois de mars. Que fêtons-nous donc le jour de Noël?

Silence général.

« Mes chers amis, le 25 décembre correspond à l'ancienne fête païenne de sol invictus – le soleil invincible – qui coïncide avec le solstice d'hiver, cette date miraculeuse qui marque le retour de l'astre solaire, et l'allongement de la durée des jours.

Langdon s'offrit une nouvelle bouchée de sa pomme. »

« Les religions conquérantes, reprit-il, se sont souvent approprié les fêtes traditionnelles de celles qui les ont précédées, pour faciliter la conversion des populations. Ces correspondances permettaient aux nouvelles ouailles de s'acclimater à la foi qu'on

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leur imposait. Les convertis continuaient à célébrer les mêmes fêtes, dans les mêmes lieux de culte, s'appuyant sur des images semblables... seul le dieu avait changé. »

L'étudiante du premier rang semblait furieuse:

— Vous insinuez que le christianisme n'est qu'une forme de...

rhabillage du culte solaire?

— Absolument pas. Il a aussi emprunté à d'autres religions. La canonisation des saints, par exemple, provient du principe de déification inventé par Euhemerus. La sainte communion, la pratique qui consiste à « manger Dieu », est un héritage des Aztèques. Même le concept du sacrifice de Jésus, mort pour racheter nos péchés, n'est pas une pure invention chrétienne. On trouve des cérémonies d'autosacrifices de jeunes hommes pour sauver leur peuple, dans les premiers temps du culte de Quetzalcôatl.

— Alors, fit l'étudiante avec un regard furieux, qu'est-ce qui est vraiment propre au christianisme?

— Dans toutes les religions organisées, il n'y a en fait que très peu d'éléments véritablement inédits. Aucune d'elles n'est partie de zéro. Elles découlent plus ou moins les unes des autres. Les religions modernes sont des assemblages de croyances et de rites assimilés par l'histoire, une sorte de compilation des différentes tentatives de l'homme pour appréhender le divin.

— Eh! Attendez! risqua Hitzrot, apparemment réveillé. Je sais ce qu'il y a de vraiment propre à la religion chrétienne: c'est l'image de notre Dieu. Il n'est jamais représenté en aztèque, en dieu soleil à tête de faucon ou de je ne sais quel monstre. L'art chrétien le dépeint toujours comme un vieil homme à barbe blanche. C'est un symbole exclusif, ça, non?

Langdon sourit.

— Lorsque les premiers convertis au christianisme ont dû abandonner leurs divinités - le soleil, Mithra, leurs dieux païens, romains, grecs, et j'en passe -, ils ont demandé à la jeune Église chrétienne à quoi ressemblait leur Dieu unique. Avec une grande sagesse, elle a choisi l'image la plus puissante, la plus crainte et la plus familière de l'histoire.

Hitzrot semblait sceptique:

— Un vieillard barbu?

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Langdon lui montra le tableau des divinités antiques accroché au mur.

— Et Zeus, vous l'avez déjà regardé?

Le cours était terminé.

— Bonsoir, fit une voix derrière lui.

Tiré de sa rêverie, Langdon sursauta. Il se retourna. Un homme âgé, vêtu d'une cape bleue, brodée d'une croix rouge sur la poitrine, lui souriait de ses dents jaunies.

— Vous êtes anglais? demanda-t-il avec un fort accent toscan.

Langdon plissa les yeux, un peu interloqué.

— Non, je suis américain...

L'homme eut l'air gêné.

— Mon Dieu! Excusez-moi, vous êtes si bien habil é que je me disais...

— Puis-je vous aider? proposa Langdon, le cœur battant à tout rompre.

— En fait, c'est moi qui allais vous le proposer. Je suis le Cicérone de ce lieu, annonça-t-il en indiquant avec fierté son badge de guide municipal. Mon travail consiste à vous rendre la visite de Rome plus intéressante.

Langdon trouvait que sa visite d'aujourd'hui ne manquait pas vraiment d'intérêt.

— Vous m'avez l'air d'un homme plus cultivé que la moyenne des touristes, continua le guide sur un ton obséquieux.

Je me ferai un plaisir de vous raconter l'histoire du Panthéon.

— Merci, fit Langdon avec sourire. C'est très gentil à vous.

Mais il se trouve que je suis moi-même historien d'art et...

— C'est magnifique!

Les yeux du retraité s'allumèrent d'un éclat soudain.

« Dans ce cas, enchaîna-t-il, vous serez sûrement passionné par ce que j'ai à vous dire. »

— Je vous remercie, mais je crois que je préfère...

— Le Panthéon, déclama le guide en récitant son boniment, a été construit par Marcus Agrippa en l'an 27 avant Jésus-Christ.

— C'est cela, approuva Langdon. Et reconstruit par Hadrien en 119 après Jésus-Christ.

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— Sa coupole a longtemps été la plus grande voûte jamais réalisée en maçonnerie. Jusqu'en 1960, où elle fut supplantée par le Superdôme de La Nouvelle-Orléans...

Comment faire taire ce moulin à paroles? Langdon émit un grognement.

—... Et un théologien du Ve siècle a donné au Panthéon le surnom de maison du Diable, prétendant que les démons y pénétraient par l'ouverture circulaire du sommet de la coupole!

Langdon l'immobilisa du bras. Il leva les yeux vers le grand oculus, et le souvenir du scénario suggéré par Vittoria le cloua sur place... un cardinal marqué au fer rouge, jeté par le toit de la coupole et s'écrasant sur le sol de marbre. Voilà une image qui serait médiatique!

Il balaya la rotonde du regard, guettant les photographes ou les cameramen de presse. Il n'y en avait aucun. Ses craintes étaient d'ailleurs absurdes. Une mise en scène aussi spectaculaire serait du dernier ridicule.

Il reprit son inspection méthodique des niches latérales, accompagné par le babil incessant du guide qui le suivait comme un caniche. Il faudra que je me rappelle qu'il n'y a rien de pire qu'un historien d'art qui se prend pour un baroudeur...

De l'autre côté de la rotonde, Vittoria était, elle aussi, plongée dans ses pensées. Elle se retrouvait seule pour la première fois depuis qu'elle avait appris la mort de son père, et elle comprenait en même temps le caractère terrible de la menace qui l'avait amenée à Rome. Son père adoptif avait été sauvagement assassiné. Presque aussi effroyable que sa mort était le détournement de sa création à des fins violentes. L'antimatière se trouvait maintenant entre les mains de terroristes. Elle était rongée par la culpabilité: c'était son invention à elle qui avait permis le transport de l'antimatière... Le conteneur qu'elle avait mis au point continuait son compte à rebours au sein des murs du Vatican.

Elle avait aidé son père à poursuivre la simplicité de la vérité. . et était devenue la complice des semeurs de chaos.

Curieusement, la seule chose qui la rassurait en ce moment, c'était la présence d'un parfait étranger. Robert Langdon. Elle trouvait dans ses yeux un réconfort inexplicable. . qui lui rappelait l'harmonie de l'océan qu'elle avait quitté le matin même. Elle était

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contente qu'il soit là. Non seulement il était pour elle une source de réconfort et d'espoir, mais c'était grâce à lui qu'ils avaient retrouvé la piste de l'assassin de son père.

En longeant le mur circulaire, elle respirait profondément pour tenter de chasser de son esprit les idées de vengeance qui l'avaient assaillie toute la journée. Elle pour qui la vie n'avait pas de prix...

elle voulait le voir mort, cet affreux personnage. Et le plus puissant des karmas ne parviendrait pas à la persuader de tendre l'autre joue.

L'instinct de vendetta de ses ancêtres siciliens coulait dans ses veines d'Italienne et, comme eux, elle se sentait, pour la première fois de sa vie, prête à défendre l'honneur et le souvenir de son père en recourant au meurtre. Pour la première fois de sa vie, elle comprenait la signification du mot vendetta.

Harcelée malgré elle par des visions de vengeance elle s'aperçut qu'elle approchait de la tombe de Raphaël. Même à distance, ce tombeau avait quelque chose de spécial.

Contrairement aux autres, il était le seul à être parfaitement aligné avec le renfoncement de la niche et protégé par un écran de plexiglas. Sur le flanc du sarcophage, une inscription gravée: RAFFAELLO SANTI 1483-1520

Elle contempla la niche avant de lire la plaque fixée sur le mur.

Elle la relut.

La relut encore une fois.

Un instant plus tard, elle traversait la rotonde en courant: Robert! Robert!

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La progression de Langdon était quelque peu gênée par le flot de paroles du guide qui ne le lâchait plus. Ils approchaient de la dernière alcôve.

— J'ai l'impression que ces niches vous passionnent, s'exclama son compagnon avec ravissement. Mais aviez-vous remarqué le resserrement progressif des cinq étages de caissons, du bas vers le haut de la coupole, qui la font paraître plus légère?

Langdon hocha la tête sans écouter. Il contemplait la dernière niche quand quelqu'un le tira par la manche. C'était Vittoria, hors d'haleine. À voir son visage défait, une seule conclusion s'imposait à son esprit. Elle a trouvé un cadavre, pensa-t-il. Un frisson de peur le parcourut tout entier.

— Ah! C'est votre femme! s'exclama le guide, enchanté d'avoir trouvé une nouvelle cliente. Alors vous, madame, on voit bien que vous êtes américaine! ajouta-t-il en montrant le short et les baskets de Vittoria.

— Je suis italienne...

— Ah bon!

Le grand sourire disparut instantanément.

— Robert, souffla Vittoria en tournant le dos à l'importun.

Le Diagramma de Galilée. Montrez-le-moi!

L'incorrigible indiscret l'interrompit:

Diagramma? Eh bien! On peut dire que vous en savez des choses! Ce précieux document n'est malheureusement pas accessible au public. Il est conservé sous bonne garde dans les Archives du Va...

— Excusez-nous, fit Langdon, inquiet du ton dramatique de sa compagne.

Il l'entraîna à l'écart et sortit de sa poche le feuillet dérobé.

— Que se passe-t-il?

— Quelle est la date de ce texte? demanda Vittoria. Le guide les avait rejoints. Il regardait bouche bée la feuille de papyrus:

— Mais, ce n'est pas...

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— Une reproduction publiée dans un guide touristique, coupa Langdon. Je vous remercie de votre aide, monsieur, mais ma femme et moi souhaiterions être seuls un instant.

L'homme recula sans quitter le papier des yeux.

— La date! répéta Vittoria. En quelle année Galilée a-t-il publié...

Langdon posa le doigt devant les chiffres romains, au bas de la page.

— La date est ici... Mais qu'est-ce qui ne va pas?

— En 1639?

— Quel est le problème?

Elle le fixa d'un œil grave.

— Nous sommes mal partis, Robert. Très mal partis. Les dates ne correspondent pas du tout!

— Quelles dates?

— Raphaël a été enterré au Panthéon en 1759. Un siècle après la publication du Diagramma.

Langdon la dévisagea.

Mais non. Il est mort en 1520, plus d'un siècle avant.

— Oui, mais il n'a été transféré ici que bien plus tard...

— Comment ça?

— Je viens de le lire. On a transporté ses restes au Panthéon en 1759, avec ceux d'autres Italiens illustres.

Langdon avait compris. La terre s'entrouvrait sous ses pieds.

— Quand le poème a été écrit, reprit Vittoria, le tombeau de Raphaël était ailleurs! Le Panthéon n'avait rien à voir avec Santi! Et nous, nous n'avons rien à faire ici...

— Pourtant, j'étais certain...

Vittoria courut rattraper le guide, qui s'éloignait enfin.

Signore, excusez-nous. Savez-vous où était enterré le corps de Raphaël au XVIIe siècle?

— À. . à Urbino, sa ville natale, bredouilla l'homme, interloqué.

— C'est impossible! marmonna Langdon. Je suis certain que les autels de la science des Illuminati étaient tous à Rome!

— Les Illuminati? s'étrangla le guide en regardant la feuille de papyrus. Mais qui êtes-vous?

Vittoria prit la situation en main.

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— Nous sommes à la recherche d'un monument surnommé «

tombe terrestre de Santi ». Dans cette ville. Voyez-vous de quoi il pourrait s'agir?

— Il n'y a qu'un tombeau de Santi, murmura le vieil homme.

Langdon s'efforçait de réfléchir calmement. Si la dépouille de Raphaël ne se trouvait pas à Rome en 1655, que pouvait bien signifier le premier vers du poème? « La tombe terrestre de Santi... le trou du Diable. » Qu'est-ce que cela veut dire? Fais marcher tes méninges, Robert...

Vittoria ne lâchait pas sa source.

— Y avait-il à l'époque un autre artiste du nom de Santi?

Le guide haussa les épaules.

— Pas que je sache.

— Quelqu'un d'un tant soit peu connu? insista la jeune femme.

Un savant, un poète, un astronome. .?

Le pauvre homme semblait regretter de ne pas les avoir quittés plus tôt.

— Non, madame. Le seul Santi que je connaisse, c'est l'architecte Raphaël.

— L'architecte? s'étonna Vittoria. Je croyais que c'était un peintre...

— Il était l'un et l'autre. Comme tous les autres grands de la Renaissance: Michel-Ange, Léonard de Vinci...

Langdon n'aurait pas su dire si c'était l'explication du guide ou les monuments funéraires qui l'entouraient. . Mais cela n'avait pas d'importance. L'architecte Santi. Tout son raisonnement se mit en place comme les pièces d'un puzzle. Les architectes de la Renaissance avaient deux raisons de vivre: glorifier Dieu en construisant de grandes églises, et glorifier les dignitaires de leur époque en leur édifiant de somptueux tombeaux. La tombe de Santi. Cela pourrait très bien... Les formules s'enchaînaient à toute vitesse dans son esprit.

La Joconde de Vinci.

Les Nymphéas de Monet.

Le David de Michel-Ange.

La Tombe terrestre de Santi.

— C'est une tombe construite par Raphaël, s'exclama-t-il.

— Pardon? fit Vittoria.

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— Le poème ne parle pas de l'endroit où il est enterré. Mais d'un tombeau dont il est l'architecte.

— Qu'est-ce que vous dites?

— J'ai mal compris le premier vers. Ce n'est pas le monument érigé pour Santi qu'il fallait trouver, mais un autre, érigé par lui, pour un autre personnage. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt? La moitié des sculptures de la Renaissance et du Baroque romains étaient des mausolées, ou des monuments funéraires. Raphaël a dû en réaliser des centaines!

— Des centaines? répéta Vittoria, démoralisée.

— C'est de cet ordre-là, hélas.

— Et vous en voyez une qui serait plus terrestre que les autres?

Langdon se sentit soudain incompétent. S'il était imbattable sur les œuvres de Michel-Ange, il connaissait beaucoup moins bien celles de Raphaël, qui ne l'avait jamais vraiment passionné. Il pouvait nommer trois ou quatre de ses tombeaux, mais il aurait été incapable de les décrire.

Devinant le désarroi de l'Américain, Vittoria se retourna vers le guide, qui s'éloignait discrètement. Elle le rattrapa énergiquement par le bras.

— Pouvez-vous m'indiquer un tombeau construit ou sculpté par Raphaël, et que l'on pourrait qualifier de « terrestre »?

Le pauvre homme fit la moue, visiblement au comble de la désolation:

— Je ne sais pas. . Il en a réalisé tellement. . Peut-être voulez-vous parler d'une chapelle de Raphaël? Les architectes en construisaient très souvent, pour abriter les tombes...

— D'accord, mais en connaissez-vous une qu'on pourrait définir comme « terrestre »?

Il haussa les épaules.

— Je suis désolé, mais je ne vois pas ce que vous cherchez. Ce mot ne me dit rien. Excusez-moi, mais il faut que je m'en aille...

Vittoria le retint par la manche et récita:

— « Une tombe terrestre... avec un trou du Diable... » ça ne vous rappelle pas quelque chose?

— Non, vraiment rien.

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Langdon leva les yeux sur la coupole. Il avait momentanément oublié le deuxième vers du poème. « Le trou du Diable. »

— Attendez! s'écria-t-il. Est-ce que vous voyez une chapelle de Raphaël qui comporterait une ouverture circulaire?

Le guide secoua la tête:

— A part celle du Panthéon. . je ne vois pas. . sauf. .

— Sauf quoi? s'exclamèrent Vittoria et Langdon à l'unisson.

Le Toscan marcha vers Langdon en inclinant la tête:

— « Un trou du Diable », disiez-vous? Buco del diavolo?

— C'est cela, acquiesça Vittoria.

Un sourire apparut sur les lèvres du vieil homme.

— Voilà une expression que je n'ai pas entendue depuis longtemps... Mais si je ne me trompe pas, elle désigne un caveau...

— Un caveau? s'exclama Langdon? Une crypte?

— C'est cela, une cavité souterraine, creusée sous un autre tombeau, où l'on enterrait de nombreux cadavres...

— Un ossuaire! termina Langdon.

— Voilà! fit le guide, plein d'admiration pour son Américain.

C'est exactement le mot que je cherchais.

Langdon réfléchit un instant. Un expédient bon marché utilisé par le clergé pour régler un problème délicat. Lorsque les notables d'une paroisse construisaient de somptueux tombeaux dans l'église, les membres de leur famille demandaient fréquemment de pouvoir être enterrés ensemble.

Quand l'espace ou les fonds manquaient, on creusait un trou sous le tombeau d'origine, où l'on déposait les restes moins nobles des collatéraux ou des descendants. L'orifice d'accès au caveau était alors fermé par une bouche plus ou moins décorée, une « bouche du Diable », disaient les Italiens, allusion transparente aux effluves fétides qui s'en dégageaient parfois.

Langdon ne connaissait pas l'expression, et la trouva très adéquate.

Son cœur battait à tout rompre. « Dès la tombe terrestre de Santi, où se découvre le trou du Diable... » Une seule question restait à poser.

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— Raphaël a-t-il construit une tombe « terrestre » équipée d'un ossuaire?

Le guide se gratta la tête avec perplexité.

— Je regrette beaucoup... il n'y en a qu'une qui me vienne à l'esprit.

On ne pouvait rêver une meilleure réponse.

— Une seule? Où ça? s'écria Vittoria.

L'homme la dévisagea avec inquiétude.

— C'est celle de la chapelle Chigi, construite par Raphaël pour Agostino Chigi et son frère, deux banquiers, grands protecteurs des arts et des sciences.

— Des sciences? demanda Langdon en échangeant un regard avec Vittoria.

— Et où est-elle cette chapelle? répéta Vittoria.

Le guide ignora sa question, heureux d'être à nouveau utile.

— Quant à savoir si elle est « terrestre », toutes les tombes le sont... mais celle-ci est... différente.

— Différente? reprit Langdon. Comment cela?

— Parce qu'elle comporte une profonde contradiction.

Raphaël n'était que l'architecte. C'est un autre sculpteur qui a réalisé la décoration et les ornements intérieurs. Je ne me souviens plus lequel.

Langdon buvait ses paroles. Le sculpteur inconnu des Illuminati?

— Quoi qu'il en soit, continua le vieux Toscan, c'était un sculpteur de mauvais goût. Dio mio! Atrocita! Un tombeau chrétien entouré de pyramides!

Langdon jubilait:

— Des pyramides? Il y a des pyramides dans cette chapelle?

— Eh oui. C'est terrible, n'est-ce pas?

Vittoria lui secoua le bras:

— Où se trouve-t-elle, cette chapelle?

— À environ quinze cents mètres au nord d'ici. Dans l'église Santa Maria del Popolo.

— Merci. Allons-y!

— Attendez! s'écria le guide. Je suis bête! Je me rappelle à l'instant...

– 270 –


— Ne nous dites pas que vous vous êtes trompé! menaça Vittoria.

Il secoua la tête.

— Non, mais j'aurais pu y penser plus tôt. Elle ne s'est pas toujours appelée chapelle Chigi. Son ancien nom, c'était capella della Terra.

— La chapelle de la Terre! répéta Langdon, saisi.

En courant vers la sortie, Vittoria sortit son téléphone portable.

— Commandant Olivetti? Ce n'est pas au Panthéon!

Nous nous sommes trompés d'église!

— Pardon?

— Le premier autel de la science, c'est la chapelle Chigi!

La voix du commandant se durcit:

— Quoi? Mais M. Langdon...

— Dans l'église Santa Maria del Popolo! Foncez-y avec vos hommes! Il ne reste que quatre minutes!

— Mais ils sont postés au Panthéon. Je ne peux pas...

— Dépêchez-vous! cria-t-elle avant de raccrocher.

Langdon sortait derrière elle, encore abasourdi.

Elle lui attrapa la main et l'entraîna vers la file de taxis qui attendaient le long du trottoir. Elle frappa du poing sur le capot du premier. Le conducteur endormi se redressa en sursaut.

Vittoria ouvrit la portière arrière, poussa Langdon sur la banquette et le rejoignit.

— Santa Maria del Popolo! ordonna-t-elle. Presto!

Le chauffeur démarra en trombe, mi-réjoui, mi-effaré.

– 271 –


63


Gunther Glick s'était emparé du clavier de l'ordinateur.

Derrière lui, Chinita Macri se penchait sur l'écran par-dessus son épaule.

— Je te le disais bien, triomphait le reporter. Il n'y a pas que le British Tatler qui publie des papiers sur ces types-là...

Elle regarda de plus près. Il avait raison. Ces dix dernières années, la BBC avait publié six articles sur la secte des Illuminati.

— Je n'en reviens pas! cria-t-elle. Qui sont les tocards qui ont écrit ça?

— Il n'y a pas de tocards à la BBC.

— Qui vient de t'embaucher.

Glick se renfrogna.

— Je ne vois pas pourquoi tu es aussi ironique. Il y a plein de témoignages historiques solidement documentés sur les Illuminati.

— À peu près autant que sur les sorcières, les Ovnis, et le monstre du Loch Ness.

Glick parcourait des yeux les titres des articles.

— Tu as entendu parler d'un certain Winston Churchill?

— Ça me dit quelque chose.

— BBC a réalisé un documentaire sur sa vie il y a quelques années. Figure-toi qu'en 1920 il a publié une déclaration dans laquelle il mettait le pays en garde face à une machination mondiale des Illuminati contre les bonnes mœurs.

— D'où sort cette info? Le British Tatler n'existait pas encore!

— Du London Herald, 8 février 1920.

— Ce n'est pas vrai.

— Vérifie toi-même.

Elle obéit. London Herald, 8 février 1920. Incroyable!

— Bon, eh bien Churchill était parano, conclut-elle.

— Il n'était pas le seul, rétorqua son collègue. Il semble que Woodrow Wilson ait fait trois déclarations à la radio, où il évoquait la mainmise croissante des Illuminati sur le système bancaire américain. Tu veux un extrait?

— Pas vraiment.

– 272 –


Glick le lut tout de même:

« Il s'agit là d'une infiltration tellement structurée, insidieuse et tentaculaire, qu'il est préférable de ne pas la condamner à voix haute. »

Chinita était toujours sceptique:

— Je n'ai jamais rien entendu là-dessus.

— Parce qu'en 1921, tu étais encore une gamine.

— Je te remercie.

Elle ne se laissa pas démonter. C'est vrai qu'elle ne faisait plus toute jeune. À quarante-trois ans, son épaisse toison noire était striée de cheveux blancs. Elle était trop fière pour les teindre. Sa mère, une Baptiste du sud des États-Unis, lui avait appris à se respecter et à se contenter de son sort. « Quand on est une femme noire, disait-elle, ça ne sert à rien d'essayer de le cacher. Le jour où tu commences, tu es morte. Tiens-toi droite, souris à belles dents, et laisse les gens se demander quel est le secret qui te réjouit. »

— Et Cecil Rhodes? demanda Glick. Tu vois qui c'est?

— Le financier britannique?

— Oui, le fondateur de la bourse d'études.

— Ne me dis pas...

— Un Illuminatus.

— Foutaise.

— BBC, 16 novembre 1984.

— C'est nous qui avons dit ça?

— Parfaitement. D'après l'article, les bourses Rhodes sont financées par une fondation créée il y a plusieurs siècles.

C'est ainsi que les Illuminati recrutaient les esprits les plus brillants.

— C'est ridicule! Mon père a eu une bourse Rhodes!

— Bill Clinton aussi...

Chinita commençait à s'énerver. Elle ne supportait pas ce genre de reportages aussi minables qu'alarmistes. Mais elle connaissait suffisamment la BBC pour savoir qu'on y vérifiait scrupuleusement toutes les informations et les sources.

— En voici une autre que tu dois te rappeler, reprit Glick.

BBC, 5 mars 1998, Chris Mullin, qui présidait une commission

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parlementaire à Londres, a demandé à tous les députés francs-maçons de déclarer leur affiliation à l'organisation.

Elle s'en souvenait en effet. Le décret incluait même les policiers et les juges.

— C'était pour quelle raison, déjà? demanda-t-elle.

Glick lut à haute voix

«... inquiétude que des factions souterraines au sein des francs-maçons n'exercent un contrôle considérable sur les institutions politiques et financières. »

— C'est ça!

— Un décret qui a fait du grabuge, apparemment. Les députés concernés étaient furieux. Il y avait de quoi. La plupart se sont révélés être des braves types, qui étaient devenus francs-maçons pour bénéficier du soutien d'un réseau et participer à des œuvres de bienfaisance. Ils n'avaient pas le moindre soupçon concernant d'éventuelles menées clandestines.

— ... activités présumées...

— Peu importe.

Il continuait à faire défiler les articles sur l'écran:

— Tiens, regarde ça! La piste des Illuminati remonte à Galilée en Italie, aux Alumbrados1 d'Espagne et aux Gurinets2

en France... ainsi qu'à Karl Marx et à la Révolution russe.

— C'est toujours facile de réécrire l'Histoire...

— OK, tu veux du contemporain? Regarde-moi ça. Une référence aux Illuminati dans un numéro récent du Wall Street Journal.

— Impossible!

— Et devine quel est le jeu vidéo qui marche le mieux sur Internet aux États-Unis?

— Gigalol, avec Pamela Anderson?

Illuminati, le Nouvel Ordre mondial.


1 Alumbrados (ou Aluminados): secte espagnole fondée en 1498 et persécutée par l'Inquisition. (N.d.T.)

2 Gurinets: disciples de l'abbé Pierce Guérin, fondateur de la secte des « Il uminés» en 1634. (N.d.T.)


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Elle lut la publicité par-dessus son épaule.

« Steve Jackson est embarqué dans une folle course-poursuite.... une grande aventure aux dimensions historiques, qui le met aux prises avec une ancienne confrérie satanique bavaroise qui cherche à s'emparer du pouvoir mondial.

Connectez-vous sur... »

Chinita en avait la nausée.

— Mais qu'est-ce que cette secte peut avoir contre la chrétienté?

— Pas seulement la chrétienté, ils veulent détruire toutes les religions. Mais si j'ai bien compris, ajouta-t-il en montrant son téléphone portable, ils m'ont l'air d'avoir une sérieuse dent contre le Vatican.

— Allons! Tu ne crois tout de même pas ce que t'a raconté ce type...?

— Qu'il est le messager des Illuminati, et qu'il se prépare à tuer quatre cardinaux? J'espère bien que c'est vrai!

– 275 –


64


Le taxi de Langdon et de Vittoria remonta les quinze cents mètres de la Via della Scrofa en une minute et quelques secondes. Il était à peine 20 heures quand il s'arrêta dans un crissement de pneus au sud de la Piazza del Popolo. Comme il n'avait pas d'euros, Langdon laissa au chauffeur une somme rondelette en dollars et sortit d'un bond de la voiture, suivi par Vittoria. Dans le silence de la place, on n'entendait que les rires de quelques intel ectuels romains, assis à la terrasse du café Rosati. Un parfum de café et de pâtisseries flottait dans la brise.

Langdon n'était pas encore remis de sa méprise et du détour inutile par le Panthéon. Mais un rapide coup d'œil circulaire le rassura. La Piazza del Popolo arborait des symboles chers aux Illuminati. Sa forme elliptique, bien sûr, mais surtout l'imposant obélisque égyptien qui se dressait au centre. Ces trophées rapportés par les légions romaines de l'Antiquité — que les historiens d'art appelaient « pyramides surélevées » — étaient éparpillés dans toute la Ville éternelle.

Suivant des yeux le monolithe jusqu'à son sommet, il remarqua à l'arrière-plan un détail beaucoup plus curieux.

— Nous ne nous sommes pas trompés, cette fois, dit-il à Vittoria. Regardez!

Il lui montrait du doigt la Porta del Popolo, l'arc de triomphe majestueux qui fermait la place, en face d'eux. Le regard de Vittoria se posa sur la coquille surplombant la grande arche centrale.

— Une étoile au-dessus de trois pierres en triangle. .

— Cela ne vous rappel e rien? La source de lumière au sommet de la pyramide...

— Le Grand Sceau américain!

— Exactement, le symbole maçonnique du billet vert.

La jeune femme respira à fond et parcourut la place des yeux:

— Alors, où est-elle, cette fichue église?

Santa Maria del Popolo était nichée en travers comme un navire échoué, dans un coin de la place, au pied de la colline du Pincio. La tourelle du XIe siècle était camouflée par un immense échafaudage qui recouvrait entièrement la façade de l'église.

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Langdon traversa la place en courant à côté de Vittoria, en proie à des pensées confuses. Un meurtre était-il réellement en train de se préparer dans une des chapelles de ce sanctuaire? Et pourquoi Olivetti n'était-il pas là? Le pistolet qui alourdissait sa poche ne suffisait pas à le rassurer.

Au pied de la façade s'étalait un escalier en demi-cercle aux marches accueillantes - en théorie seulement, car sur un pilier de l'échafaudage, une pancarte avertissait les curieux que l'église était fermée pour travaux.

Cette restauration providentielle garantissait évidemment au tueur une parfaite tranquillité. Plus besoin d'imaginer un stratagème compliqué pour accomplir son dessein. Il n'avait qu'à trouver le moyen d'entrer.

Vittoria se faufila entre les montants métalliques et commença à gravir les marches.

— Attendez! s'exclama Langdon. S'il est à l'intérieur...

Sans l'écouter, elle arriva devant l'unique portail en bois de la façade. Langdon la rattrapa. Avant qu'il ait pu dire un mot, elle saisit la poignée et tira. La porte ne céda pas.

— Il doit y avoir une autre entrée, dit-elle.

— Sans doute, fit Langdon, soulagé. Mais Olivetti va arriver d'une minute à l'autre. C'est trop dangereux d'entrer seuls. Nous devrions plutôt surveiller l'église de l'extérieur, jusqu'à ce...

Elle l'incendia du regard.

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