— S'il y a une autre entrée, il y a une autre sortie. Et si on laisse filer ce type, on est cuits.
Une ruelle étroite et sombre longeait l'église sur la droite, bordée par deux hauts murs. Elle empestait l'urine. Rome compte vingt fois plus de cafés que de toilettes publiques.
Ils avaient parcouru une quinzaine de mètres lorsque Vittoria tira Langdon par le bras.
Devant eux, sur le flanc gauche de l'église s'ouvrait une modeste porte en bois qui donnait directement sur la sacristie. A cause des remaniements ultérieurs, ces entrées étaient souvent désaffectées.
Vittoria se précipita sur la porte, dont elle regarda la poignée avec perplexité. Derrière elle, Langdon reconnut sa curieuse forme en anneau.
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— C'est un annulus, expliqua-t-il.
Il souleva délicatement l'anneau et le tira vers lui. Le mécanisme fit entendre un petit bruit sec. Vittoria s'écarta, subitement inquiète. Puis Langdon tourna précautionneusement la poignée circulaire à 360 degrés dans le sens des aiguilles d'une montre. En vain. Les sourcils froncés, il tenta un tour dans le sens inverse, sans résultat.
— Vous croyez qu'il peut y avoir une autre porte? demanda Vittoria en scrutant le mur de l'église jusqu'au fond de la ruelle.
Langdon en doutait. Les églises Renaissance étaient souvent construites comme des forteresses, pour les protéger des attaques, et les ouvertures y étaient limitées au strict minimum.
— S'il y en a une, elle est probablement encastrée dans le chevet — comme sortie de secours.
Vittoria remontait déjà vers l'arrière de l'église.
Il lui emboîta le pas. Au loin, un carillon sonna le premier coup de 20 heures.
Langdon n'entendit pas le premier appel de Vittoria. Il s'était arrêté devant un vitrail protégé par des barreaux pour tenter de voir l'intérieur de l'église.
— Robert! souffla-t-elle un peu plus fort.
Il se retourna. Elle était arrivée au fond de la ruelle et faisait de grands gestes en direction du chevet. Langdon la rejoignit au pas de course, à contrecœur. Le long de la base du mur, un petit rempart de pierre dissimulait l'entrée d'une grotte, un boyau creusé dans les fondations de l'église.
— On peut entrer par là? demanda Vittoria.
Langdon hocha la tête.
— On peut surtout sortir, mais ne chipotons pas.
Elle s'agenouilla devant l'entrée du tunnel.
— Voyons voir.
Elle ouvrit la trappe et entraîna Langdon par la main, sans lui laisser le temps de protester.
— Attendez! dit-il.
Elle se tourna vers lui avec impatience. Il soupira:
— J'y vais le premier.
— Toujours chevaleresque?
— L'âge passe avant la beauté.
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— C'est un compliment?
Il la précéda en souriant.
— Attention aux marches.
Langdon avança prudemment dans l'obscurité, une main contre la paroi de pierre rugueuse, comme Dédale l'avait fait dans son labyrinthe pour échapper au Minotaure, certain de trouver la sortie s'il suivait le mur jusqu'au bout. Langdon, quant à lui, se demandait s'il avait vraiment envie d'arriver à la fin de ce tunnel.
Le passage se rétrécissait. Il ralentit, Vittoria sur ses talons.
Après un virage à gauche, ils pénétrèrent dans une alcôve plus large qui, bizarrement, était vaguement éclairée. Dans la pénombre, Langdon distingua le contour d'une grosse porte en bois.
— Tiens, tiens! dit-il en l'approchant.
— Fermée? demanda Vittoria.
— Elle l'a été.
— Elle ne l'est plus?
Un rai de lumière filtrait à travers la porte entrouverte...
dont on avait fait sauter les charnières à l'aide d'une barre de fer qui était encore coincée dans l'embrasure.
Après un moment de silence, Langdon sentit les mains de Vittoria lui parcourir la poitrine et se glisser sous les revers de sa veste.
— Détendez-vous, professeur! Je vous débarrasse de votre arme.
Au même instant, un détachement de gardes suisses se déployait en toutes directions dans les musées du Vatican plongés dans les ténèbres. Les hommes étaient équipés de lunettes de vision nocturne, qui coloraient le décor d'un vert surnaturel. Ils portaient tous aux oreilles des écouteurs connectés à l'antenne d'un détecteur, avec lequel ils balayaient l'espace devant eux. Ils se servaient de ce dispositif deux fois par semaine pour déceler les éventuelles pannes électroniques dans l'enceinte des musées. La petite antenne émettait un signal sonore en présence du moindre champ magnétique.
Ce soir, la prospection n'avait encore rien donné.
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65
L'intérieur de Santa Maria del Popolo était plongé dans la pénombre. L'église avait des allures de chantier de métro — un véritable parcours d'obstacles fait de revêtements de sols arrachés, de palettes de briques, de tas de ciment et de sable, de brouettes, il y avait même une tractopelle rouillée. Du sol défoncé surgissaient les piliers colossaux qui soutenaient la voûte centrale en plein cintre. Une bruine de poussière flottait paresseusement dans l'air, piquetant la lumière tamisée qui pénétrait par les vitraux. Sous une immense fresque de Pinturicchio, Langdon et Vittoria parcoururent des yeux l'église en réfection.
Tout était immobile et baignait dans un silence de mort.
Vittoria tenait à deux mains le semi-automatique devant elle.
Langdon jeta un coup d'œil à sa montre: 20 h 04. Quelle folie! se disait-il, c'est bien trop dangereux. Si le tueur était encore dans les murs, il n'aurait que le choix des issues, et la surveillance d'une seule porte, avec une seule et unique arme se révélerait totalement vaine. La seule solution serait de le coincer à l'intérieur... à condition qu'il ne soit pas déjà sorti. Mais, après la gaffe du Panthéon, Langdon ne pouvait plus se permettre de prêcher la prudence. Il avait fait perdre un temps précieux à l'équipe.
Vittoria semblait découragée, elle aussi.
— Bon, fit-el e en se ressaisissant. Où est la chapel e Chigi?
Langdon parcourut des yeux les surfaces sombres des murs.
Les églises de la Renaissance abritaient en général de multiples chapelles ou niches en demi-cercle, ouvrant sur les bas-côtés et renfermant des tombeaux.
Mauvaise nouvelle. Il en comptait quatre de chaque côté dont les ouvertures étaient toutes obstruées par de grands panneaux de plastique transparent, destinés à les protéger de la poussière et des gravats pendant les travaux.
Il y en huit..., dit-il. Il va falloir les inspecter l'une après l'autre. Cela nous donne une bonne raison pour attendre Oliv...
— Et l'abside secondaire de gauche, c'est laquelle? coupa Vittoria.
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Langdon la dévisagea, médusé par sa maîtrise du vocabulaire architectural.
— Vous dites?
Vittoria montrait du doigt le mur derrière lui. Sur une plaque décorative sertie dans la pierre, était gravé le même symbole que celui qu'ils avaient remarqué à l'extérieur: une pyramide surmontée d'une étoile. Une inscription encrassée légendait le motif:
ARMOIRIES D'ALESSANDRO CHIGI DONT LE
TOMBEAU EST SITUÉ DANS LA DEUXIÈME CHAPELLE
DE GAUCHE
Langdon hocha la tête.
— Bien joué, mon cher Watson! s'exclama-t-il.
Le blason des Chigi comportait une étoile et une pyramide...
Langdon se demanda soudain si l'illustre occupant de la chapelle faisait partie des Illuminati.
Un objet métallique résonna sur le dallage à quelques mètres d'eux. Vittoria braqua son arme dans cette direction.
Langdon l'entraîna derrière un pilier. Silence. Ils restèrent immobiles. On entendait maintenant une sorte de frottement.
Langdon retint son souffle. Nous n'aurions jamais dû venir! Le bruit se rapprochait, des pieds traînant sur le sol. Enfin, une ombre noirâtre se faufila le long du pilier.
— Figlio di puttana! jura Vittoria à voix basse, en reculant d'un bond, imité par Langdon.
Un énorme rat, serrant dans ses mâchoires un sandwich enveloppé dans du papier, s'arrêta devant eux, regarda un instant le canon du pistolet et, sans se laisser impressionner, repartit en trottinant vers un des recoins de l'église pour savourer son butin.
— Fils de p..., souffla Langdon, le cœur encore battant.
Reprenant rapidement son sang-froid, Vittoria abaissa le canon de son pistolet. Langdon passa la tête derrière le pilier et aperçut sur le sol les restes du pique-nique d'un ouvrier au pied d'un établi.
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Il guetta un indice de mouvement dans l'atmosphère poussiéreuse et chuchota à l'oreille de Vittoria:
— Si notre homme est ici, il a certainement entendu tomber cette gamelle, lui aussi. Vous ne voulez toujours pas attendre Olivetti?
— Où est la deuxième chapelle? répliqua-t-elle.
En bougonnant, Langdon se retourna pour s'orienter. Il faisait face au maître autel. Il pointa le pouce vers l'arrière, par-dessus son épaule.
Vittoria et lui se tournèrent ensemble vers le fond de l'église.
D'après l'inscription, la chapelle Chigi était la quatrième des cinq chapelles alignées à leur droite. La bonne nouvelle, c'est qu'ils n'avaient pas besoin de traverser la nef centrale. Et la mauvaise, c'est que la chapelle se trouvait au fond. Il leur faudrait parcourir la nef latérale sur toute sa longueur et passer devant trois autres chapelles, dont l'intérieur était masqué par un rideau de plastique.
— Attendez! dit Langdon. J'y vais le premier.
— Pas question!
— C'est moi qui ai tout retardé avec le Panthéon.
— Mais c'est moi qui ai le pistolet.
Il lut dans ses yeux ce qu'elle voulait dire... C'est mon père qui a été tué. C'est moi qui ai participé à la création de l'antimatière: c'est moi qui lui exploserai les rotules.
Côte à côte, ils longèrent prudemment le mur du bas-côté droit. En passant devant la première chapelle, Langdon avait l'impression de participer à une chasse au trésor télévisée. Je choisis le numéro quatre!
Les épaisses murailles de l'église ne laissaient passer aucun bruit.
Derrière les tentures translucides obstruant les chapelles, ils croyaient deviner des formes fantomatiques. Des statues de marbre, se dit Langdon en espérant ne pas se tromper. Il était 20 h 06. Si le tueur s'était montré ponctuel, il avait peut-être déjà quitté l'église. Sinon... Il n'aurait pas su dire quelle hypothèse il préférait.
Ils passèrent devant la deuxième chapelle, menaçante dans la pénombre. Le jour baissait rapidement, et les teintes ternies des vitraux n'en laissaient guère filtrer. Le rideau de plastique s'enfla à
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leur passage, comme sous l'effet d'un courant d'air. Quelqu'un a peut-être ouvert une porte...
Vittoria ralentit le pas en approchant du quatrième panneau translucide. Elle brandit son arme devant elle et montra à Langdon, d'un hochement de menton, une stèle gravée à l'entrée.
CAPELLA CHIGI
Langdon fit oui de la tête. Ils allèrent se poster sans bruit derrière un large pilier qui bordait l'ouverture. Vittoria glissa le canon de son arme derrière le rideau de plastique, en faisant signe à Langdon de l'écarter.
Ce serait le moment de réciter une prière, se dit-il. Sans grand enthousiasme, il contourna la jeune femme du bras et souleva doucement un coin du rideau. Un froissement très audible les figea tous les deux. Silence. Vittoria avança lentement la tête, et la passa par la fente. Langdon regardait par-dessus son épaule.
Ni l'un ni l'autre n'osait respirer.
— Personne! souffla finalement Vittoria en baissant son arme. On arrive trop tard.
Langdon ne l'entendit pas. Il venait de pénétrer dans un autre monde. Jamais il n'avait vu pareille décoration dans une chapelle catholique. Il dévorait des yeux les murs recouverts de marbre brun. Un lieu terrestre s'il en était, que l'on aurait dit décoré des mains mêmes de Galilée et de ses amis Illuminati.
Au plafond de la coupole, une mosaïque représentait dans un ciel étoilé le soleil et ses sept planètes. Plus bas, les douze symboles païens du zodiaque, directement reliés à la Terre, à l'Air, au Feu et à l'Eau... les quadrants incarnant la force, l'intelligence, l'ardeur et l'émotion. Ici, la force de la Terre.
Langdon identifia sur les murs les allégories des quatre saisons terriennes - primavera, estate, autunno, inverno. Mais le plus incroyable était la présence des deux structures massives qui dominaient l'espace. Il les contempla, émerveillé.
Il croyait rêver, mais elles étaient bien réelles. De part et d'autre de la chapelle, s'élevaient à plus de trois mètres de haut deux pyramides de marbre parfaitement symétriques.
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— Je ne vois ni cardinal ni assassin, chuchota Vittoria en entrant derrière lui.
Cloué sur place par l'étonnement, Langdon ne quittait pas les pyramides des yeux. Que font-elles dans une chapelle chrétienne? Il n'était pas au bout de ses surprises. Au centre de la face antérieure de chacun des monuments était encastré un médaillon d'or terni d'une forme inhabituelle. Deux ellipses luisant dans les rayons du couchant qui pénétrait par la coupole. La voûte céleste, les pyramides, les ellipses de Galilée... L'endroit était plus riche en symboles Illuminati que ce qu'il n'aurait jamais osé imaginer.
— Robert! s'écria Vittoria d'une voix étranglée. Regardez!
Ramené à la réalité, il se retourna brusquement. Elle montrait le sol de la chapelle.
— Quelle horreur! s'exclama Langdon en reculant d'effroi.
Au centre du dallage, un squelette les narguait, brandissant à deux mains le blason orné de l'étoile et de la pyramide de la famille Chigi. Mais ce n'est pas le funeste symbole qui avait glacé le sang de Langdon. La mosaïque était montée sur une pierre circulaire qui jouxtait un trou béant dans le sol.
— Le trou du Diable, souffla-t-il.
La contemplation du plafond l'avait tellement absorbé qu'il en avait oublié la crypte. Il s'approcha d'un pas hésitant.
Une odeur pestilentielle s'échappait de la fosse. Vittoria se couvrit la bouche d'une main.
— Che puzza! Ça pue!
— Les effluves du charnier, expliqua-t-il. Les gaz qui émanent des os en décomposition.
Respirant à travers la manche de sa veste, il se pencha sur le puits, plongé dans une obscurité totale.
— On n'y voit rien, fit-il.
— Vous croyez qu'il y a quelqu'un là-dedans?
— Comment le savoir?
Vittoria lui montra du doigt une échelle en bois pourri adossée au bord du trou, en face d'eux.
— Plutôt mourir! s'exclama Langdon.
— Il y a peut-être une lampe de poche parmi tous les outils du chantier...
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La proposition ressemblait fort à une excuse pour s'éloigner de la puanteur.
— Attention! s'écria Langdon. Qui nous dit que le tueur...
Mais elle était déjà sortie de la chapelle.
Quand cette fille décidait quelque chose...
Il se tourna vers le trou, vaguement étourdi par les relents fétides qui s'en échappaient. Retenant son souffle, il plongea la tête dans la cavité. S'accoutumant peu à peu à l'obscurité, il devina au fond des formes indistinctes. Le puits étroit semblait aboutir dans une salle souterraine plus large. Le trou du Diable.
Combien de dépouilles de la famille Chigi y avait-on balancé sans cérémonie? Il ferma les yeux un moment pour dilater ses pupilles au maximum. Quand il les rouvrit, il distingua une pâle silhouette floue qui semblait flotter dans les ténèbres de la grotte. Il tressaillit mais lutta contre le réflexe de recul. Ai-je des visions, ou est-ce bien un corps humain? La forme s'estompa. Il referma les yeux, plus longtemps que la première fois.
La sensation d'étourdissement s'aggravait et sa pensée vagabondait. Encore quelques secondes. Il avait la nausée — était-ce la puanteur ou le fait d'avoir la tête en bas? Il finit par rouvrir les yeux, incapable de définir ce qu'il voyait.
La crypte s'éclaira d'une faible lumière bleuâtre. Il entendit soudain un sifflement étouffé, et vit un reflet trembloter sur les parois du puits. Soudain, une ombre l'enveloppa. Il sursauta et se releva maladroitement.
— Attention! cria une voix derrière lui.
Avant même qu'il ait eu le temps de se retourner, une douleur aiguë lui transperça la nuque. Il pivota sur lui-même et se trouva nez à nez avec Vittoria, qui écartait la main dans laquelle elle tenait un chalumeau allumé. La flamme sifflait, projetant sa lumière bleue sur les murs de la chapelle.
— Mais qu'est-ce que vous faites? s'exclama-t-il en se frottant la nuque.
— J'essayais de vous éclairer, mais vous avez reculé droit sur moi...
Il lança un regard furibond sur la lampe à souder.
— Je n'ai pas trouvé de lampe électrique..., s'excusa Vittoria.
— Je ne vous avais pas entendue entrer...
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Elle lui tendit le chalumeau en grimaçant à cause des miasmes qui montaient de la crypte.
— Vous croyez que ce sont des vapeurs inflammables?
— Espérons que non.
Il marcha prudemment jusqu'au bord du trou et y plongea à bout de bras la lampe à souder. Il suivit du regard les contours de l'ossuaire. Une crypte circulaire, d'environ six mètres de diamètre, et dont le sol noir irrégulier s'étendait à une bonne dizaine de mètres au-dessous de la chapelle. La tombe terrestre.
Ensuite, il vit le corps.
Il se força à ne pas reculer.
— Il est là! souffla-t-il.
La silhouette blafarde se détachait sur le sol noirâtre.
— J'ai l'impression qu'on l'a déshabillé.
— C'est l'un des cardinaux? demanda Vittoria.
— Qui d'autre cela pourrait-il être?
Langdon observa la masse livide. Inerte. Sans vie. Et pourtant... la position du corps était étrange. On aurait dit que...
— Hohé! appela-t-il.
— Vous croyez qu'il est vivant? s'enquit Vittoria.
Aucune réponse ne monta des profondeurs de la crypte.
— Il ne bouge pas, dit Langdon, mais il a l'air... Non, c'est impossible...
— Il a l'air de quoi? insista Vittoria en se penchant au-dessus du trou. Langdon plissa les yeux.
— Il a l'air d'être debout.
Vittoria retint son souffle et pencha la tête. Elle se releva immédiatement et recula.
— Vous avez raison, il est debout! Il est peut-être vivant! Il faut aller le secourir!
Elle cria vers le fond du puits:
— Hello! Mi puo sentire?
Aucun écho.
Elle se dirigea vers l'échelle pourrie.
— J'y vais!
Langdon la retint par le bras.
— Non! C'est trop dangereux. C'est moi qui descends.
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Cette fois, elle ne protesta pas.
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66
La camionnette de la BBC s'engagea au ralenti dans la Via Tomacelli. Au volant, Gunther Glick regardait un plan de Rome tout en conduisant. Sur le siège passager, Chinita Macri rongeait son frein. Comme elle le redoutait, le mystérieux correspondant avait rappelé et, cette fois, il avait donné des informations.
— Piazza del Popolo! déclara Glick. Il y a une église sur la place, et on trouvera la preuve à l'intérieur!
— La preuve? s'exclama-t-elle en finissant de nettoyer l'objectif de sa caméra. La preuve de l'assassinat d'un cardinal?
— C'est ce qu'il a dit.
— Et tu crois tout ce qu'on te dit?
Comme souvent, Chinita regrettait de ne pas être la responsable de l'équipe. Son métier consistait à obéir aux caprices des journalistes, souvent dingos, dont elle filmait les reportages. Et si Gunther Glick était prêt à croire les tuyaux percés d'un coup de fil anonyme, elle était priée de le suivre comme un chien en laisse.
Elle le regardait, assis au volant, les mâchoires serrées. Ses parents devaient être des comiques frustrés, pour l'avoir affublé d'un prénom pareil. Pas étonnant que ce pauvre garçon ait quelque chose à prouver. Mais malgré son état civil fâcheux et son ardeur agaçante à courir après les scoops, il était plutôt gentil.
Chinita lui trouvait même un charme un peu mou, relâché, British.
Un Hugh Grant sous lithium.
— On ne devrait pas plutôt retourner place Saint-Pierre?
demanda-t-elle le plus suavement possible. Il serait toujours temps d'aller vérifier cette prétendue preuve ensuite. Le conclave a commencé il y a une heure. Si l'élection aboutissait pendant notre absence...?
Glick ne l'entendait pas.
— Il me semble qu'il faut tourner à droite ici, marmonna-t-il en retournant le plan. C'est bien ça, à droite. . et après, tout de suite à gauche.
Il braqua brutalement, pour s'engager dans une rue très étroite.
— Attention! hurla sa compagne.
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Le regard perçant de la cadreuse leur épargna la collision.
Heureusement, Glick réagit rapidement. Il pila net avant l'intersection, laissant passer un cortège de quatre Alfa Romeo, sorties d'on ne sait où, qui lui coupèrent la route avant de tourner à gauche dans la rue suivante — celle que Glick voulait prendre.
— Bande de cinglés! brailla Chinita.
— Tu as vu ce que j'ai vu? répliqua Glick, éberlué.
— Et comment! Ils ont failli nous tuer!
— Non... les voitures! C'étaient toutes les mêmes!
— Des cinglés sans imagination...
— Elles étaient pleines à craquer.
— Et alors?
— Quatre voitures identiques, avec quatre passagers chacune...
— Le covoiturage, ça ne te dit rien?
— En Italie? Ils ne connaissent même pas l'essence sans plomb...
Il appuya sur l'accélérateur.
— Tu es devenu fou? protesta Chinita, le dos plaqué à son siège.
Glick avait tourné dans la petite rue, et fonçait à la poursuite des Alfa Romeo.
— Quelque chose me dit qu'on ne sera pas les seuls ce soir dans cette église..., répondit-il.
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Langdon descendait lentement.
Les barreaux de l'échelle grinçant sous ses pieds, il pénétrait dans les profondeurs de la crypte de la chapelle Chigi. Dans le trou du Diable. Le nez au mur, tournant le dos à la grotte, il se demandait combien de lieux sombres et étouffants lui réservait encore cette journée. Le bois craquait à chacun de ses pas et l'odeur âcre d'humidité et de chair putréfiée était suffocante. Mais que faisait donc Olivetti?
La silhouette de Vittoria était encore visible là-haut. Elle éclairait sa descente avec le chalumeau, dont les rayons bleuâtres portaient de moins en moins à mesure qu'il s'enfonçait dans la crypte. La puanteur en revanche se faisait de plus en plus forte.
Au douzième barreau, son pied glissa sur le bois pourri et il faillit perdre l'équilibre. Il se projeta brusquement vers l'avant, enserrant les montants de ses deux bras. Puis il reprit sa descente, jurant contre les écorchures qui le brûlaient. Trois barreaux plus bas, il trébucha à nouveau, sans glisser. Cette fois, c'est la peur qui l'avait fait sursauter. Devant lui, dans une niche creusée dans la muraille, s'entassaient des crânes soigneusement disposés. Reprenant son souffle, il se retourna pour regarder autour de lui. À ce niveau, la paroi était percée de cavités à fond plat — sortes de tombeaux ouverts où s'entassaient des squelettes.
Les amoncellements d'ossements luisaient autour de lui sous le halo phosphorescent.
Une danse macabre qui a mal tourné, songea-t-il avec une grimace ironique. Il se rappelait l'étrange soirée mondaine à laquelle il avait été convié un mois plus tôt. « Orgie d'ossements et de flammes », disait le carton. Un dîner aux chandelles au profit du musée d'Archéologie de New York, où les convives s'étaient régalés de saumon flambé au pied d'un squelette de brontosaure. Il était invité par Rebecca Strauss – ancien mannequin reconverti en critique d'art pour le New York Times – un véritable tourbillon de velours noir, à la poitrine mal refaite, fumant cigarette sur cigarette. Depuis, elle avait laissé deux messages sur son répondeur, auxquels il n'avait pas
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répondu. Pas très gentleman, se reprocha-t-il, tout en se demandant combien de temps Rebecca aurait supporté ces émanations pestilentielles.
Après le dernier barreau, il sentit avec soulagement le sol humide et spongieux sous ses pieds. Il vérifia que les parois de la salle n'allaient pas se refermer sur lui et contempla le décor: une grotte circulaire de six à sept mètres de diamètre. Respirant à travers la manche de sa chemise, il aperçut le cadavre. Une silhouette floue dans la pénombre, un dos blanchâtre, charnu.
Immobile et silencieux.
Langdon s'avança dans l'obscurité, essayant d'identifier ce qu'il voyait. L'homme lui tournait le dos, et il semblait debout...
— Hohé! lança-t-il à mi-voix.
Pas de réponse. Langdon fit encore quelques pas. La silhouette était trop courte. Raccourcie...
— Que se passe-t-il? cria Vittoria en essayant d'orienter sur lui sa lampe à souder.
Langdon ne répondit pas. Il était arrivé assez près pour comprendre. Il sentit le caveau se resserrer autour de lui et réprima un haut-le-cœur. Surgissant comme une créature infernale, un vieil homme était enfoui dans la terre jusqu'à la taille, le torse nu, les mains attachées derrière le dos avec une large ceinture pourpre. Il était calé en arrière comme une poupée de chiffon grotesque, la tête renversée vers le plafond, comme s'il implorait Dieu de lui venir en aide.
— Il est mort? cria Vittoria.
— J'espère que oui, le pauvre homme.
Langdon se pencha sur le visage du cardinal. Ses yeux bleus exorbités étaient injectés de sang. Il baissa l'oreille vers sa poitrine pour écouter s'il respirait, mais recula immédiatement:
— Oh! Mon Dieu!
— Qu'y a-t-il? appela Vittoria.
— Il est bien mort, s'écria Langdon en réprimant une nausée. Mais de quelle façon...
Le spectacle était affreux. La bouche du prélat, grande ouverte, était remplie de terre.
— Il est mort étouffé..., cria-t-il. Avec de la terre!
— De la terre...?
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Le symbole lui avait échappé. Earth, Air, Fire, Water.
L'assassin avait menacé de graver dans la chair de ses victimes les noms des quatre éléments de la science du temps de Galilée. La terre était le premier. « Dès la tombe terrestre de Santi... » Nauséeux à cause des émanations de gaz, il fit le tour du cadavre. Comment avait-on réussi à calligraphier l'ambigramme du mot « earth »? La réponse était là, sous ses yeux; seuls les Illuminati étaient capables d'une telle virtuosité. La marque au fer rouge avait carbonisé la peau, d'où suintait un liquide noir. La lingua pura...
La crypte se mit à tournoyer autour de lui.
— Earth, murmura Langdon en inclinant la tête pour lire le symbole à l'envers.
Une vague d'horreur le submergea à la pensée de ce qui allait suivre.
Il y en a trois autres qui m'attendent!
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Dans la chapelle Sixtine, le cardinal Mortati commençait à perdre patience malgré la lueur pourtant apaisante des bougies. Le conclave avait officiellement commencé, mais d'une manière qui n'augurait rien de bon.
Trente minutes plus tôt, exactement à l'heure prévue, le camerlingue Carlo Ventresca était entré dans la chapelle. Il s'était avancé jusqu'au maître autel pour y prononcer la prière d'ouverture. Après quoi, les bras le long du corps, il s'était adressé aux cardinaux d'un ton franc et direct, totalement inapproprié au lieu et aux circonstances.
« Vous avez tous constaté l'absence de quatre cardinaux. Au nom de Sa défunte Sainteté, je vous demande toutefois de poursuivre le conclave, comme vous le devez, avec foi et détermination. Que vos yeux restent tournés vers le Seigneur. »
Puis, sans un mot de plus, il s'était dirigé vers la sortie.
— Mais où sont-ils? avait lancé l'un des cardinaux.
— Je suis sincèrement incapable de vous répondre.
— Comment vont-ils?
— Je ne peux pas vous le dire non plus.
— Les reverrons-nous?
Il y avait eu un silence.
— Gardez la foi, avait lancé le camerlingue avant de s'éclipser.
Les portes de la chapelle Sixtine étaient maintenant fermées de l'extérieur, par deux lourdes chaînes cadenassées, comme l'exigeait le protocole. Quatre gardes suisses étaient postés dans le vestibule et rien, si ce n'est un malaise grave chez l'un des cardinaux – ou l'arrivée des quatre cardinaux –, ne pourrait justifier la réouverture de la chapelle avant l'élection définitive d'un nouveau pape. Mortati préférait évidemment la deuxième hypothèse, mais son estomac noué lui disait que le pire était à craindre pour les candidats absents.
Agissons comme il se doit, songea-t-il. Mortati avait en effet décidé de suivre l'avis du camerlingue et il avait appelé au vote.
Les préparatifs rituels avaient duré une demi-heure. Puis on avait procédé au premier tour de vote. Mortati était resté
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patiemment debout devant l'autel, à regarder défiler les cardinaux qui s'approchaient un à un, selon leur rang d'ancienneté, pour accomplir leur devoir d'électeur.
Agenouillé devant lui, le dernier récitait à son tour la formule rituelle:
Je prends à témoin Notre Seigneur Jésus-Christ: qu'il soit juge de ce que, par ce vote, je désigne celui que j'estime devoir élire devant Dieu.
Le cardinal se releva, tendit son bulletin au-dessus de sa tête pour le montrer à tous. Puis il le déposa sur un plateau posé sur le grand calice du maître autel. Il prit le plat et laissa tomber le papier dans le calice, une procédure destinée à éviter le dépôt de plusieurs bulletins par le même électeur.
Après avoir recouvert le calice, il s'inclina devant la croix et retourna s'asseoir à sa place.
Le premier tour avait eu lieu.
La tâche de Mortati commençait.
Il secoua les bulletins dans le calice avant de soulever le plateau. Puis il en tira un au hasard et le déplia. Un carré de papier de cinq centimètres de côté. Il lut à voix haute la phrase gravée sur tous les bulletins:
« Eligo in summum pontificem... J'élis comme souverain pontife... »
Mortati annonça haut et fort le nom manuscrit qui suivait.
Puis il s'empara d'une aiguille enfilée dont il perça le mot Eligo et fit descendre délicatement le bulletin le long du fil. Enfin, il inscrivit le nom de l'élu dans un registre.
Il répéta la procédure pour le suivant. Dès le septième bulletin, il sut que le vote avait échoué. Pas de consensus. Sept cardinaux différents avaient été nommés. Les écritures étaient évidemment déguisées, allant de la minuscule d'imprimerie à la calligraphie la plus élaborée. Le truc était naïf: chaque cardinal avait voté pour lui-même. Mais cette vanité apparente ne révélait, en l'occurrence, aucune ambition personnelle. Il s'agissait plutôt d'une manœuvre éprouvée, destinée à éviter qu'un cardinal recueille assez de voix pour être élu... afin de provoquer un nouveau vote.
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Les membres du Sacré Collège attendaient l'arrivée des absents...
Une fois le dépouillement terminé, Mortati déclara que l'élection avait « échoué ».
Il s'empara du fil où étaient suspendus tous les bulletins et en noua les deux extrémités pour former une boucle, qu'il déposa sur un plat d'argent. Il versa dessus le produit ad hoc, transporta le plateau jusqu'à une petite cheminée située derrière lui, et mit le feu aux morceaux de papier. La fumée noire qu'ils dégageraient monterait par un conduit jusqu'à un orifice du toit de la chapelle. Le cardinal Mortati venait d'envoyer son premier message au monde extérieur.
Premier tour. Pas de pape.
– 295 –
69
Suffoquant, Langdon remonta vers la lumière. Il entendait des voix au-dessus de lui, sans rien comprendre, encore abasourdi par la vision du cardinal étouffé.
Earth... Terre...
Sa vue commençait à se brouiller, il craignait de perdre connaissance. Son pied patina sur l'avant-dernier barreau. Il se projeta vers l'avant pour tenter d'attraper le rebord du trou, mais trop tard. Il perdit l'équilibre et se voyait déjà dégringoler au fond du puits quand il ressentit une vive douleur sous les aisselles et décolla soudainement, les jambes balançant dans le vide. Il émergea du trou du Diable à demi évanoui, hissé par quatre bras fermes sur le sol de la chapelle. Les gardes l'étendirent sur le dallage de marbre froid.
Il mit un moment à se rappeler où il était. Des étoiles et des planètes dansaient au plafond. Des silhouettes floues tournaient autour de lui, des voix criaient. Il redressa la tête. On l'avait étendu au pied d'une pyramide de pierre. Le son sec et mordant d'une voix familière résonnait au loin.
Olivetti criait à Vittoria:
— Comment se fait-il que vous ayez commencé par vous tromper d'église?
Elle s'efforça de lui expliquer les raisons de leur méprise, mais le commandant lui coupa la parole pour hurler des ordres à ses hommes:
— Sortez-moi ce cadavre de là! Et fouillez tout le bâtiment!
Langdon essaya de s'asseoir. La chapelle Chigi était envahie de gardes suisses. On avait relevé le rideau de plastique qui obstruait l'entrée, et l'air frais affluait enfin dans ses poumons.
Il retrouva ses esprits lorsque Vittoria vint s'agenouiller à son côté, son visage d'ange penché sur lui.
— Ça va?
De ses deux mains douces, elle lui saisit le poignet pour prendre son pouls.
— Merci, dit-il en se redressant. Olivetti a l'air furieux...
– 296 –
Elle fit la moue.
— Il y a de quoi. On l'a raté!
— Pas « on », c'est moi qui me suis trompé.
— Alors rachetez-vous. Attrapez le tueur, la prochaine fois.
La prochaine fois? La remarque était cruelle.
— Il n'y aura pas de prochaine fois. Nous ne savons pas où aller...
Vittoria jeta un coup d'œil à la montre de Langdon.
— D'après Mickey, il nous reste quarante minutes. Reprenez vos esprits, et aidez-moi à trouver l'indice pour localiser le meurtre suivant.
— Je vous l'ai dit, Vittoria, les statues ne sont plus là. La Voie de l'Illumination est...
Il s'interrompit. Vittoria souriait, le regardant avec attendrissement.
Deux secondes plus tard il était debout et tournait en rond, écarquillant les yeux devant le décor de la chapelle. Pyramides, étoiles, planètes, ellipses. Et la mémoire lui revint brusquement. Je suis dans le premier autel de la science, et pas au Panthéon. La chapel e Chigi était un lieu idéal pour les Illuminati, un choix bien plus subtil que le célèbre Panthéon. Une chapelle isolée du reste de l'église, érigée en hommage à un grand protecteur des sciences et des arts, et dont la décoration regorgeait de symbolisme terrestre. Le cadre parfait.
Il s'adossa contre un mur et leva les yeux vers les deux pyramides, envahi d'une soudaine bouffée d'espoir. Vittoria avait raison. Si cette chapelle était le premier jalon de la Voie de l'Illumination, peut-être abritait-elle encore la sculpture ayant servi d'indice aux aspirants Illuminati. Et dans ce cas, ils n'auraient qu'à suivre cette indication jusqu'au prochain autel. Ils avaient encore une chance d'attraper le meurtrier.
Vittoria s'approcha de lui.
— J'ai découvert qui était le fameux sculpteur des Illuminati.
Langdon sursauta.
— Pardon?
— Il ne nous reste plus qu'à trouver la statue qui. .
— Attendez! Vous dites que vous savez qui c'est?
Langdon avait passé plusieurs années à essayer de l'identifier.
– 297 –
— C'est Bernini, répondit Vittoria en souriant. Le Bernin.
Il sut tout de suite qu'elle se trompait. C'était impossible. Gian Lorenzo Bernini était le plus célèbre sculpteur italien du XVIIe siècle. Il avait créé une extraordinaire profusion de chefs-d’œuvre.
Or le sculpteur des Illuminati devait être un artiste inconnu.
— Cela n'a pas l'air de vous enthousiasmer, grimaça Vittoria.
— Ça ne peut pas être Le Bernin.
— Pourquoi? C'était un grand sculpteur et un contemporain de Galilée.
— C'était un homme célèbre, et catholique.
— Exactement comme Galilée.
— Pas du tout. Galilée était la bête noire du Vatican tandis que Le Bernin était son enfant chéri. Le clergé l'adorait. Il en avait fait son autorité artistique suprême. Il a passé pratiquement toute sa vie dans la cité du Vatican!
— Une couverture idéale. La méthode d'infiltration des Illuminati...
— Vittoria, coupa Langdon qui commençait à s'énerver, les Illuminati le nommaient il maestro incognito — leur artiste inconnu...
— Oui, inconnu d'eux. Pensez aux secrets des francs-maçons
— les membres des échelons supérieurs sont les seuls à connaître toute la vérité. Galilée a très bien pu cacher l'identité du Bernin à la majorité des Illuminati... pour le protéger, pour que le Vatican ne l'apprenne jamais.
Sans être convaincu, Langdon devait reconnaître que ce raisonnement ne manquait pas de logique. Le cloisonnement de l'information était la pierre d'angle de l'organisation des Illuminati, dont seule une élite connaissait l'ensemble des secrets.
— Et c'est parce que Le Bernin faisait partie de ce réseau, reprit Vittoria avec un sourire de satisfaction, qu'il a sculpté ces pyramides.
Langdon secoua la tête.
— Mais non! Le Bernin ne s'intéressait qu'aux thèmes religieux... il n'avait aucune raison de créer ce genre de composition.
— Ce n'est pas ce que dit la plaque qui est derrière vous.
– 298 –
Langdon se retourna.
LES ARTISTES DE LA CHAPELLE CHIGI
Si l'architecture est de Raphaël, tous les ornements intérieurs sont l'œuvre de Gian Lorenzo Bernin.
Langdon eut beau lire deux fois l'inscription, il n'était toujours pas convaincu. Le Bernin était célèbre pour ses statues de vierges, d'anges, de prophètes, de papes. Pourquoi donc aurait-il représenté des pyramides?
Totalement déconcerté, il leva les yeux vers les imposantes sculptures. Deux monuments funéraires pyramidaux, portant sur un flanc un médaillon doré en forme d'ellipse. On pouvait difficilement faire moins chrétien. Et les étoiles, les signes du Zodiaque... « Tous les ornements intérieurs sont l'œuvre de Gian Lorenzo Bernin. » Vittoria aurait donc raison? Si aucun autre artiste n'avait travaillé dans cette chapelle, Le Bernin était bien, par défaut, le maître inconnu des Illuminati. Les conséquences s'enchaînaient d'elles-mêmes:
Le Bernin était un Illuminatus.
C'est lui qui a forgé les ambigrammes.
C'est lui qui a jalonné la Voie de l'Illumination.
Il était abasourdi. C'était donc ici que le grand maître italien avait placé l'indice qui menait au deuxième autel de la science...
— Je n'aurais jamais imaginé...
— Justement! s'exclama Vittoria. Qui mieux qu'un artiste renommé, protégé par le Vatican, aurait pu parsemer les églises catholiques de Rome des symboles de sa société secrète? Ce qui n'était certainement pas le cas d'un petit artiste inconnu.
Langdon observa chacune des pyramides à la recherche d'un fléchage. Peut-être l'indice vient-il des deux à la fois?
— Elles sont identiques et orientées dans des directions opposées, dit-il. Je ne vois pas laquelle...
— Je ne pense pas qu'il faille chercher sur les pyramides, insinua Vittoria.
— Mais ce sont les seules sculptures...
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Elle l'interrompit en lui montrant du doigt Olivetti qui parlait à ses gardes derrière le trou du Diable.
Langdon tourna les yeux vers le mur du fond. Tout d'abord, il ne vit rien. Puis l'un des gardes se déplaça et il aperçut une forme en marbre blanc. Un bras, un torse, puis un visage. Deux silhouettes grandeur nature, entrelacées. Son pouls s'accéléra. Il avait été tellement absorbé par les pyramides et le trou du Diable qu'il n'avait même pas remarqué cette statue. Il se faufila vers elle et y reconnut la patte du Bernin — la vigueur de la composition, la sophistication des visages, le drapé des tissus —
taillés dans le marbre blanc le plus pur. Ce n'est qu'en se trouvant nez à nez avec elle qu'il la reconnut. Stupéfait, il laissa échapper un cri. — Qui sont ces personnages? demanda Vittoria qui arrivait derrière lui.
— Habacuc et l'Ange, dit Langdon dans un souffle.
C'était une œuvre assez célèbre du Bernin, il avait oublié qu'elle se trouvait dans cette église.
— Habacuc?
— Oui, le prophète qui annonce l'annihilation de la Terre.
— Et vous croyez que l'indice est là?
Il hocha la tête, émerveillé. Jamais de sa vie il n'avait éprouvé une telle certitude. C'était sans aucun doute le premier jalon des Illuminati. Mais s'il s'attendait à ce que cette statue indique le prochain autel de la science, il n'imaginait pas qu'elle le fasse aussi directement. L'Ange et Habacuc avaient chacun le bras tendu.
Langdon réprima un sourire:
— Ce n'est pas si subtil que cela...
Vittoria semblait à la fois passionnée et perplexe:
— Ils se contredisent l'un l'autre. L'ange tend le bras dans une direction et le prophète dans une autre...
Langdon laissa échapper un petit rire. C'était exact. Mais il avait déjà résolu le problème. Retrouvant toute son énergie, il sortit à grands pas de la chapelle.
— Où allez-vous? s'écria Vittoria.
— Il faut sortir de l'église, pour voir où cela nous mène!
— Attendez! Comment pouvez-vous savoir lequel..
— Le poème, répondit-il sans se retourner. Le dernier vers!
– 300 –
« Les anges guident votre noble quête ».. récita-t-elle.
Elle se retourna vers le bras de l'ange, les yeux soudain embués par l'émotion.
— C'est incroyable...
– 301 –
70
Gunther Glick et Chinita Macri étaient assis dans la camionnette garée à l'ombre au fond de la Piazza del Popolo. Ils étaient arrivés juste après les Alfa Romeo, juste à temps pour assister à une série d'événements étonnants. Chinita avait tout filmé, sans avoir la moindre idée de ce qui pouvait bien se tramer dans cette église.
À peine arrivés, ils avaient vu sortir des quatre voitures une nuée de jeunes hommes qui avaient immédiatement encerclé l'édifice. Certains avaient dégainé une arme de poing. L'un d'eux, plus âgé, avait entraîné un groupe vers le perron. Ils avaient fait sauter les serrures du portail à coups de semi-automatiques. Chinita n'avait rien entendu, ils devaient avoir des silencieux. Puis ils étaient entrés dans l'église.
Elle préférait rester inaperçue et filmer à distance. La visibilité était bonne – et un pistolet restait tout de même un pistolet. Glick n'avait pas discuté. Les hommes entraient et sortaient maintenant de l'église, en criant des ordres. Chinita avait aussi filmé une équipe qui semblait fouiller les alentours. Tous les hommes étaient en civil, mais ils se déplaçaient avec une précision militaire.
— Qui crois-tu que sont ces types? demanda-t-elle à Glick.
— Comment veux-tu que je sache? Tu ne loupes rien, j'espère?
— Pas une seconde!
Le jeune journaliste avait l'air fasciné. Il souriait aux anges:
— Tu penses toujours qu'on devrait rentrer guetter l'élection du nouveau pape? ironisa-t-il.
La cadreuse ne savait plus quoi penser. Il se passait visiblement quelque chose ici, mais sa longue expérience professionnelle lui avait appris qu'on trouvait souvent des explications très banales à des événements apparemment surprenants.
— Il ne s'est sans doute rien passé ici, dit-elle. Ces flics ont peut-
être reçu le même tuyau que toi, et ils sont venus vérifier. Mais c'était sans doute une fausse alerte..
Glick lui saisit le bras.
— Là-bas! Regarde! Filme-moi ça! dit-il en montrant l'église.
– 302 –
Elle zooma sur les marches de l'église.
— Salut, beau gosse! s'exclama-t-elle en prenant en gros plan l'homme qui sortait de l'église.
— Qui c'est, ce mec? demanda Glick.
Elle zooma sur lui.
— Jamais vu. Mais je ne détesterais pas le revoir. ., fit-elle avec un sourire.
Langdon descendit les marches en courant et s'élança jusqu'au centre de la place. Le ciel s'assombrissait. Le soleil de printemps se couchait tard à Rome. Il venait de disparaître derrière un groupe d'immeubles et les ombres s'allongeaient sur la Piazza del Popolo.
— Et maintenant, très cher Bernin, dit-il à voix haute, où ton ange nous envoie-t-il?
Il se retourna vers la façade pour situer la chapelle Chigi et retrouver l'orientation de la flèche de l'ange. Il indiquait le soleil couchant.
— Le sud-ouest. C'est par-là.
Il fouilla sa mémoire, feuilletant mentalement les pages de l'histoire de l'art italien. S'il connaissait bien les sculptures du Bernin, il savait que l'artiste avait été beaucoup trop prolifique pour qu'un amateur moyen les retienne toutes. Mais Habacuc et l'Ange était relativement célèbre, et il espérait qu'il en serait de même pour la deuxième.
Earth, Air, Fire, Water. Habacuc avait prédit la fin de la Terre.
L'autel du sacrifice suivant devait évoquer l'air. Rien ne lui venait à l'esprit, et pourtant une grande énergie l'animait. Je suis sur la Voie de l'Illumination! Elle est encore intacte!
Tourné vers le sud-ouest, il scruta en vain l'horizon à la recherche d'un clocher, d'une tour ou d'une coupole. Rien. Il lui fallait un plan. Si Vittoria et lui pouvaient localiser les églises qui se trouvaient sur cet axe, peut-être l'une d'elles déclencherait-elle un souvenir. L'Air, une statue du Bernin, réfléchis, Robert!
Il retourna en courant vers les marches de l'église et trouva Vittoria et Olivetti sous l'échafaudage.
— C'est vers le sud-ouest, dit-il, hors d'haleine. La prochaine église se trouve au sud-ouest de celle-ci.
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— Vous en êtes sûr, cette fois? demanda Olivetti d'un ton glacial.
Langdon ne répondit pas.
— Il me faudrait un plan de Rome, où toutes les églises soient indiquées.
Olivetti l'observa sans changer d'expression. Langdon vérifia l'heure à sa montre.
— Nous n'avons plus qu'une demi-heure.
Le commandant passa devant lui pour descendre à sa voiture, garée devant les marches. Pour y chercher un plan de la ville, espérait Langdon. Vittoria semblait surexcitée:
— Si l'ange indique le sud-ouest, vous avez une idée des églises qui se trouvent dans cette direction?
— D'ici, je ne peux rien voir, rétorqua Langdon et je ne connais pas assez bien les églises de Rome... Il s'interrompit.
— Qu' y a-t-il? s'écria Vittoria.
Il regardait devant lui. Du haut des marches, la vue était plus dégagée. Sans rien distinguer encore, il savait qu'il était sur la bonne voie. Il leva les yeux vers l'échafaudage qui se dressait au-dessus de lui. Haut de six étages, il grimpait jusqu'au sommet de la façade, nettement au-dessus des autres immeubles qui encadraient la place. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire.
À l'autre extrémité de la place, Chinita Macri et Gunther Glick avaient le nez collé sur le pare-brise de la camionnette.
— Tu vois ce que je vois? demanda Gunther.
— Un peu trop bien habillé pour jouer les Spider-man, répliqua-t-elle en zoomant sur l'homme qui se lançait à l'assaut de l'échafaudage
— Et qui c'est, la nana?
Chinita abaissa son objectif vers la jolie fille qui se tenait debout sur les marches:
— Tu aimerais bien la connaître, hein?
— Tu crois qu'on devrait appeler la rédaction?
— Pas encore. On attend, et on observe. Autant avoir quelque chose de concret à annoncer, si on doit avouer qu'on a laissé tomber le conclave.
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— Tu crois vraiment qu'on a assassiné un de ces vieux schnoques dans cette église?
— Décidément, tu iras en enfer.
— Peut-être, mais avec le prix Pulitzer!
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Plus Langdon montait, moins l'échafaudage paraissait stable.
Mais la vue sur Rome était plus belle et plus vaste à chaque barreau. Il continua à grimper.
Il avait le souffle court en arrivant sur la dernière plate-forme. Il secoua la poussière de sa veste et se retourna.
La vue était stupéfiante. Comme un océan en feu, les toits de tuiles embrasés par le soleil couchant ondulaient à l'infini. Plus de pollution ni d'embouteillages. Rome lui apparaissait telle que la chante sa légende – la Ville éternelle.
Ébloui par le soleil, Langdon scrutait les toits à la recherche d'un dôme ou d'un clocher. Rien, jusqu'à l'horizon. Il y a des centaines d'églises à Rome, il doit bien y en avoir une au sud-ouest! À condition qu'elle soit encore debout...
Il refit le parcours des yeux, plus lentement. Les églises n'étaient évidemment pas toutes surmontées d'un clocher, ou d'une coupole. De nombreuses petites chapelles étaient enserrées entre les immeubles. Et Rome avait beaucoup changé depuis le XVIIe siècle, époque où aucune construction ne devait dépasser la hauteur des bâtiments religieux. La prospection de Langdon était gênée par des tours, des immeubles, sans compter les antennes et paraboles...
Pas une seule église visible. Au loin, à la sortie de la ville, le dôme massif de Michel-Ange masquait le soleil couchant. La basilique Saint-Pierre, la Cité du Vatican. Langdon eut une pensée pour les cardinaux du conclave, et pour le conteneur d'antimatière.
Les gardes suisses l'avaient-ils trouvé? Son intuition lui soufflait que non.
Les vers du poème défilaient un à un dans sa tête. « Dès la tombe terrestre de Santi, où se découvre le trou du Diable. » Ils l'avaient trouvée. « À travers Rome, vous dévoilerez les éléments de l'épreuve sacrée. » La Terre, l'Air, le Feu, l'Eau. « Le chemin de la lumière est tracé. » C'est Le Bernin qui avait balisé la Voie de l'Illumination. « Les anges guident votre noble quête. »
L'ange d'Habacuc indiquait le sud-ouest...
— Zoome sur le perron! s'exclama Glick. Ça bouge!
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Chinita ajusta l'objectif de sa caméra. C'était exact. Le chef aux allures de militaire avait garé au pied des marches une Alfa Romeo dont il venait d'ouvrir le coffre. Il scrutait maintenant la place pour vérifier qu'elle était vide. La cadreuse eut un instant l'impression qu'il avait repéré la camionnette, mais son regard ne s'arrêta pas.
Apparemment rassuré, l'officier tira de sa poche un talkie-walkie qu'il plaqua devant sa bouche.
Presque instantanément, un bataillon entier sortit de l'église.
Comme une équipe de football américain après la mêlée, les hommes s'alignèrent le long de la façade au sommet des marches, avant de les descendre au coude à coude, masquant assez efficacement quatre hommes qui transportaient un objet lourd, difficile à manœuvrer.
Glick se pencha sur le tableau de bord.
— Ils ont piqué une statue dans l'église?
Chinita cherchait à percer le mur humain avec son objectif.
— Une seule seconde, un seul plan, c'est tout ce que je demande.
Mais les hommes formaient un mur infranchissable.
— Allons!
Elle insista encore, et finit par avoir gain de cause. Lorsqu'ils essayèrent de soulever l'objet pour le déposer dans le coffre de l'Alfa Romeo, leur chef s'effaça devant eux. Elle eut son plan de plusieurs secondes.
— Appelle le chef. On a un cadavre.
Très loin de là, au CERN, Maximilien Kohler
manœuvrait son fauteuil roulant pour entrer dans le bureau de Leonardo Vetra. Avec une précision mécanique, il feuilleta un à un les différents dossiers du physicien. Déçu, il passa dans la chambre à coucher. Le tiroir de la table de nuit était fermé à clé.
Il roula jusqu'à la cuisine pour y chercher un couteau et revint.
Il trouva exactement ce qu'il cherchait dans le tiroir.
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Langdon se suspendit par les mains au premier plateau de l'échafaudage et se laissa tomber au sommet des marches, où l'attendait Vittoria. Il épousseta ses vêtements.
— Alors, vous avez trouvé? s'enquit Vittoria.
Il secoua la tête.
— Ils ont mis le corps dans le coffre de la voiture, fit-elle.
Le commandant Olivetti et quelques-uns de ses hommes étaient regroupés autour du capot de l'Alfa, penchés sur un plan de Rome.
— Ils ont trouvé l'église? demanda Langdon en les désignant du menton.
— Il n'y en a pas, répondit Vittoria. La première qu'on rencontre sur cet axe, c'est la basilique Saint-Pierre.
Ils étaient au moins d'accord avec lui. Il descendit les marches vers la voiture. Les gardes reculèrent pour le laisser examiner le plan.
— Nous n'avons rien trouvé, fit Olivetti. Mais le plan n'indique que les églises importantes — une cinquantaine environ.
— Montrez-moi où nous sommes, demanda Langdon.
Le doigt d'Olivetti partit de la Piazza del Popolo et traça une ligne droite vers le sud-ouest, qui passait très loin des carrés noirs indiquant les plus importantes églises de Rome.
Malheureusement, elles étaient aussi les plus anciennes, celles qui existaient au XVIIe siècle.
— J'ai des décisions à prendre, déclara Olivetti. Vous êtes bien certain de la direction?
— Absolument.
Le commandant refit son tracé. La ligne croisait le pont Margherita, traversait la Via Cola di Rienzo et la Piazza del Risorgimento sans rencontrer la moindre église, avant d'aboutir au centre de la place Saint-Pierre.
— Et pourquoi ce ne serait pas la basilique Saint-Pierre?
demanda un des gardes à la joue balafrée d'une cicatrice. C'est une église...
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Langdon secoua la tête.
— Il nous faut un lieu public, ce qui n'est pas vraiment le cas de la basilique aujourd'hui.
— Mais l'axe traverse la place, intervint Vittoria qui regardait par-dessus l'épaule de Langdon. C'est un lieu public...
— Oui, mais sans statue, répliqua Langdon.
— Il n'y a pas un obélisque, au centre de la place?
Elle avait raison. Langdon leva les yeux vers celui de la Piazza del Popolo. Curieuse coïncidence. Il chassa cette idée.
— Celui de la place Saint-Pierre n'est pas une œuvre du Bernin! C'est Caligula qui l'a amené à Rome. Et il n'a rien à voir avec l'Air. Et puis il y a un autre problème. Le poème dit explicitement que les éléments sont éparpillés dans Rome.
Saint-Pierre est sur le territoire du Vatican, pas de Rome.
— Tout dépend à qui on pose la question, fit le garde à la cicatrice.
— Comment cela? demanda Langdon.
— Il y a toujours eu une controverse. En général, les plans de Rome incluent la place Saint-Pierre dans la Cité du Vatican.
Mais comme elle est située en dehors de l'enceinte, la mairie de Rome l'a toujours revendiquée comme sienne.
— Vous plaisantez! rétorqua Langdon.
Il ignorait totalement cette querelle de propriété.
— Si je vous dis cela, continua le garde, c'est parce que le commandant et Mlle Vetra parlaient d'une sculpture qui évoque l'air. Langdon ouvrit des yeux ronds.
— Et il y en a une sur la place Saint-Pierre?
— Ce n'est pas vraiment une sculpture. Cela n'a peut-être aucun rapport...
— Dites toujours, trancha Olivetti.
Le garde haussa les épaules.
— Si je la connais, c'est parce que je suis souvent en faction sur la Piazza. J'en connais les moindres recoins.
— Très bien, mais la sculpture? insista Langdon. À quoi ressemble-t-elle?
Les Illuminati auraient-ils eu l'audace de planter leur deuxième jalon sous le nez du Vatican?
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— Je la vois plusieurs fois par jour. C'est exactement au centre de la place, juste à l'endroit où passe la ligne que vous venez de tracer, c'est ce qui m'y a fait penser. Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas vraiment une statue. Plutôt un bloc...
Olivetti fulminait:
— Un bloc?
— Oui, mon commandant. Un bloc de marbre encastré dans le sol. Tout près de l'obélisque. Ce n'est pas un rectangle, c'est une ellipse. On y voit un ange sculpté qui souffle du vent.
Théoriquement, cela pourrait représenter l'Air...
Langdon le dévisageait, ébahi.
— Un bas-relief! s'exclama-t-il.
Tous les regards se tournèrent vers lui.
— Le bas-relief est une sculpture...
« La sculpture est l'art de créer des formes en ronde bosse ou en bas-relief. » Langdon écrivait cette définition sur le tableau de ses classes depuis des années. Et il donnait comme exemple de bas-relief le profil d'Abraham Lincoln sur la pièce d'un penny. Les médaillons des pyramides de la chapelle Chigi en étaient aussi un magnifique exemple.
— Bassorilievo, répéta le garde.
— C'est cela! acquiesça Langdon Je n'y avais pas pensé. La dalle dont vous parlez se nomme le West Ponente - le ponant - le vent d'ouest. On l'appelle aussi il Soffio di Dio.
— Le souffle de Dieu? demanda Vittoria.
— Oui! L'Air! Sculpté par l'architecte lui-même!
Elle semblait déconcertée.
— Mais je croyais que Saint-Pierre avait été construit par Michel-Ange...
— La basilique, mais pas la place. C'est Le Bernin qui en est l'auteur.
Le cortège des Alfa Romeo quitta en trombe la Piazza del Popolo. Leurs occupants étaient bien trop pressés pour remarquer la camionnette de la BBC qui les avait pris en chasse...
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73
Le pied au plancher, Gunther Glick se faufilait dans la circulation du Ponte Margherita, à la poursuite des quatre Alfa Romeo qui traversaient le Tibre. La prudence aurait exigé qu'il garde une certaine distance, mais il avait trop peur de perdre de vue la dernière voiture. Ces types conduisaient comme des fous. Chinita Macri était assise à l'arrière, devant sa table de travail, en communication avec Londres. En raccrochant, elle cria vers l'avant pour couvrir le bruit du moteur
— Tu veux la bonne nouvelle d'abord, ou la mauvaise?
Glick fronça les sourcils. Dès qu'on s'adressait à la rédaction en chef de Londres, les choses se compliquaient.
— La mauvaise d'abord.
— Ils sont absolument furieux qu'on ait quitté la place Saint-Pierre.
— Cela ne m'étonne pas.
— Ils pensent aussi que ton tuyau était bidon...
— Le contraire m'aurait étonné.
— Et le patron te fait dire que tu es assis sur un siège éjectable.
— Génial! Et la bonne nouvelle?
— Ils sont d'accord pour jeter un coup d'œil à la séquence que je viens de tourner.
Glick sentit sa grimace se transformer en sourire réjoui. On va voir ce qu'on va voir!
— Dans ce cas, balance-la-leur tout de suite.
— Je ne peux pas transmettre sans une borne audiovidéo.
— Impossible de s'arrêter maintenant, fit Glick en s'engouffrant dans la Via Cola di Rienzo.
Il négocia un virage à gauche serré et fit le tour de la Piazza di Risorgimento. Chinita rattrapa à temps son matériel informatique qui glissait sur la table.
— Si tu bousilles mon matériel, il ne nous restera plus qu'à la porter nous-mêmes à Londres, la séquence...
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— Accroche-toi, ma belle, j'ai l'impression qu'on est bientôt arrivés.
— Où ça? demanda-t-elle en relevant la tête.
Glick contemplait le dôme familier qui se dressait devant eux. — À notre point de départ! fit-il avec un sourire amusé.
Les quatre Alfa se glissèrent furtivement dans le flot des voitures, avant de se répartir sur le périmètre de la place. Elles déchargèrent les gardes en plusieurs points stratégiques.
Quelques-uns se mêlèrent à la foule des touristes et disparurent derrière les camionnettes radio-télé. D'autres se glissèrent sous les majestueuses colonnades en arc de cercle. Olivetti avait demandé au Vatican que des renforts civils se dispersent autour de l'obélisque.
Assis à l'arrière, Langdon observait le filet humain prêt à se refermer sur sa proie. Comment l'assassin des Illuminati espère-t-il s'en sortir? Comment peut-il espérer amener ici un cardinal et le tuer au milieu de cette foule? Il vérifia sa montre.
Il était 20 h 54. Encore six minutes.
Assis sur le siège passager, Olivetti se retourna vers Vittoria et Langdon:
— Vous allez tous les deux vous installer sur cette dalle... ce bloc sculpté... ce truc en bas-relief. Même scénario que tout à l'heure. Vous êtes un couple de touristes. Téléphonez si vous remarquez quelque chose de suspect.
Avant même que Langdon ait pu réagir, Vittoria lui avait pris la main et l'entraînait dehors.
Le soleil se couchait derrière la basilique, dont l'ombre massive recouvrait peu à peu la place. Langdon sentit un frisson de mauvais augure lui parcourir le corps. En se faufilant dans la foule, il se surprit à scruter tous les visages qu'il croisait. La main de Vittoria était tiède dans la sienne.
En traversant l'immense esplanade, il ressentit l'effet auquel Le Bernin voulait aboutir – « inspirer l'humilité à ceux qui la traversaient ».
Je suis humilié... et affamé, se disait-il, étonné lui-même qu'une pensée si prosaïque puisse lui traverser l'esprit en un moment pareil.
– 312 –
— On va jusqu'à l'obélisque? demanda Vittoria.
Il hocha la tête en la dirigeant vers la gauche. Elle marchait d'un pas vif, mais décontracté.
— Quelle heure est-il?
— Moins cinq.
Elle ne répondit pas. Sa main se resserra sur la sienne. Il sentait le pistolet dans sa poche, espérant qu'elle n'aurait pas l'idée de s'en servir. Il ne l'imaginait pas brandir une arme sur la place Saint-Pierre, et tirer dans les jambes d'un tueur sous les yeux de tous les grands médias internationaux. Et pourtant l'incident serait insignifiant, comparé au meurtre en public d'un cardinal marqué au fer rouge.
L'Air, pensait-il. Le deuxième élément de la science ancienne. Il tentait de se représenter le marquage au fer et le mode opératoire de ce nouveau meurtre. Son regard parcourut l'espace de granit qui s'étendait autour de lui — un immense terrain nu entouré de gardes suisses. Si l'assassin avait vraiment l'audace de tenter son coup ici, il était inimaginable qu'il puisse s'échapper ensuite.
Au centre de la place se dressaient les trois cent cinquante tonnes de l'obélisque de Caligula, culminant à vingt-sept mètres et surmonté d'une croix en métal creux, qui, comme par magie, captait encore les derniers rayons du soleil. . et dont la légende disait qu'elle renfermait des reliques de la croix du Christ.
Deux fontaines se dressaient de part et d'autre de l'obélisque, suivant un tracé parfaitement symétrique. Langdon savait qu'elles marquaient les deux centres de l'ellipse du Bernin, mais cette curiosité ne l'avait jamais autant frappé. Aujourd'hui, Rome lui paraissait peuplée de correspondances géométriques stupéfiantes.
Vittoria ralentit en s'approchant de l'obélisque. Elle laissa échapper une longue expiration, comme pour inciter son compagnon à se décontracter. Il fit un effort, abaissa les épaules et relâcha ses mâchoires.
Quelque part au pied du monument, défiant la plus grande église du monde, reposait le deuxième autel de la science, le West Ponente sculpté par Le Bernin.
Gunther Glick était dissimulé derrière une colonne. En d'autres circonstances, jamais il ne se serait intéressé à cet homme en veste de
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tweed ni à cette femme en short de toile beige — un couple banal d'amoureux en voyage. Mais après les mystérieux coups de téléphone, les voitures banalisées filant à toute allure avec un cadavre dans le coffre de l'une d'elles, après l'ascension de l'échafaudage de l'église par ce grand type sportif monté chercher Dieu sait quoi, le jeune reporter n'avait pas l'intention de les perdre de vue un seul instant.
Il aperçut sa collègue de l'autre côté de la place. Postée exactement où il le lui avait demandé, elle filait de loin le couple en question, portant sa caméra avec désinvolture, comme une journaliste désœuvrée. Mais Glick n'était pas tranquille. Il n'y avait pas d'autres reporters de ce côté de la place, et le sigle de la BBC collé sur l'appareil risquait fort d'attirer l'attention des touristes.
La bande qu'elle avait filmée tout à l'heure - montrant les flics qui déposaient le cadavre nu dans le coffre de l'Alfa Romeo
- était en train de tourner dans la camionnette. Les images volaient au-dessus de la place en direction de Londres. Quelle serait la réaction de la rédac chef?
Glick était furieux de ne pas avoir trouvé le cadavre avant l'arrivée des policiers en civil. Ils étaient maintenant en train de se déployer sur le pourtour de la place Saint-Pierre. Ils attendaient certainement un événement d'importance. « Les médias sont le bras droit de l'anarchie », avait déclaré le tueur.
Le journaliste surveillait d'un œil les camionnettes de presse, et de l'autre Chinita qui talonnait le type et la fille. Il avait peur d'être passé à côté d'un gros scoop, mais quelque chose lui disait qu'il avait encore toutes ses chances.
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À une dizaine de mètres devant eux, Langdon aperçut ce qu'il cherchait. Sous les pieds des touristes, l'ellipse de marbre blanc du Bernin tranchait sur les dalles de granit sombre de l'esplanade. Vittoria serra sa main dans la sienne. Elle l'avait vue, elle aussi.
— Détendez-vous, souffla-t-il. Essayez donc votre respiration de piranha...
Les doigts se relâchèrent.
Ils approchaient. Tout semblait terriblement normal. Des touristes qui flânaient, des bonnes sœurs qui bavardaient, une petite fille qui jetait des miettes de pain aux pigeons, au pied de l'obélisque.
Langdon se retint de regarder sa montre. Il devait être l'heure.
En arrivant devant le bas-relief de marbre, ils s'arrêtèrent le plus naturel ement du monde, comme deux touristes qui remarquent un petit détail amusant. Vittoria lut à haute voix l'inscription:
— West Ponente...
Langdon observa de près le médaillon, vexé de ne jamais avoir remarqué sa signification, pas plus dans ses lectures que lors de ses nombreux voyages à Rome.
C'était une ellipse d'environ un mètre de long, sculptée en bas-relief, représentant un visage d'angelot rudimentaire aux joues gonflées. Sa bouche arrondie soufflait un vent vigoureux, représenté par un faisceau de lignes rayonnantes. Le souffle de Dieu, émanant du Vatican. L'hommage du Bernin au deuxième des quatre éléments... L'Air... un zéphyr sortant des lèvres d'un ange.
En l'examinant de plus près, Langdon se rendit compte que le bas-relief avait une signification encore plus profonde. Le vent qui sortait de la bouche de l'ange était représenté par cinq traits distincts... cinq! Et le visage de l'ange était flanqué de deux étoiles.
Langdon pensa à Galilée. Cinq, deux, les ellipses, la symétrie. . Il avait l'estomac noué, le cœur serré.
Vittoria s'éloigna brusquement.
— Je crois qu'il y a quelqu'un qui nous suit, souffla-t-elle.
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— Où ça? demanda Langdon en relevant la tête.
Elle l'entraîna à une bonne trentaine de mètres de là avant de répondre, lui montrant du doigt le dôme de la basilique pour faire diversion:
— Une femme, qui marche derrière nous depuis qu'on est sortis de la voiture.
Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule d'un air dégagé:
— El e est toujours là. Continuons à marcher.
— Vous croyez que c'est l'assassin?
— Non. À moins que les Illuminati ne recrutent des journalistes de la BBC...
Le carillon assourdissant de la basilique fit sursauter Langdon et Vittoria. Il était 21 heures. Après avoir tourné en rond pour tenter de semer la journaliste, ils se dirigèrent à nouveau vers le bas-relief.
Dans le vacarme des cloches, la place restait parfaitement calme. Les touristes allaient et venaient. Un clochard ivre sommeillait, affalé de tout son poids contre le socle de l'obélisque, à côté de la fillette qui jetait du pain aux pigeons. Langdon se demandait si la caméra de la BBC avait fait reculer l'assassin. C'est fort peu probable, se dit-il en se rappelant les menaces qu'il avait proférées. « Je ferai de vos cardinaux des stars médiatiques. »
L'écho du neuvième coup de cloche s'estompa dans le lointain et un silence paisible retomba sur la place Saint-Pierre.
C'est alors que la petite fille hurla.
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Langdon fut le premier à se précipiter vers elle.
Figée par la terreur, elle montrait du doigt l'ivrogne affaissé au pied de l'obélisque. Un vieux clochard miteux, aux cheveux blancs et poisseux qui lui retombaient sur le visage, vêtu d'un drap de toile sale et informe. Puis la petite fille détala à toutes jambes, sans cesser de hurler.
Avec un frisson prémonitoire, Langdon s'approcha du vieil homme. Un liquide sombre s'échappait de ses haillons. Du sang.
Ensuite, il eut l'impression de vivre un film en accéléré.
Le vagabond s'affaissa sur lui-même. Langdon plongea pour le soutenir mais il était trop tard. Le vieillard tomba le nez sur le pavé. Il ne bougeait plus.
Langdon s'agenouilla, bientôt rejoint par Vittoria. Les badauds se regroupaient autour d'eux.
La jeune femme appuya légèrement ses doigts sur la gorge du clochard.
— Je sens son pouls. Retournez-le, dit-elle.
Langdon avait déjà compris. Saisissant le clochard par les épaules, il le fit rouler sur le dos. Son vêtement informe tomba comme une peau morte, découvrant une large brûlure au centre de sa poitrine dénudée.
Vittoria recula en poussant un cri.
Langdon était paralysé de terreur et d'écœurement. Le dessin était d'une terrible simplicité.
— Air, lut Vittoria d'une voix étranglée. C'est. . c'est lui.
Des gardes suisses arrivaient de toutes parts, criant des ordres, se précipitant à la poursuite d'un meurtrier invisible.
Un touriste raconta que, quelques minutes auparavant, un homme à la peau sombre avait aimablement aidé ce pauvre
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clochard essoufflé à traverser la place, et qu'il s'était même assis quelques instants auprès de lui avant de disparaître dans la foule.
Vittoria acheva de dévêtir le vieil homme. Deux blessures encadraient la marque, juste au-dessous des côtes. Elle lui renversa la tête en arrière et entama un bouche-à-bouche pour le ranimer. Il se produisit alors quelque chose d'inimaginable. Les deux blessures se mirent à cracher en sifflant des geysers de sang, comme les évents d'une baleine. Un liquide salé éclaboussa le visage de Langdon.
Vittoria s'arrêta net, épouvantée.
— Ses poumons! bredouilla-t-elle. Il a les poumons percés...
En s'essuyant les yeux, Langdon se pencha sur les deux perforations. Le sang gargouilla et s'arrêta de gicler. Le cardinal était mort.
Vittoria recouvrit le corps et les gardes suisses s'approchèrent.
Langdon se releva, totalement désorienté. C'est alors qu'il la vit. La femme qui les suivait tout à l'heure était accroupie à quelques mètres de là, caméra à l'épaule.
Leurs regards se croisèrent et Langdon comprit qu'elle avait tout filmé. Puis, bondissant comme un jeune chat, elle disparut dans la foule.
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Chinita Macri s'enfuyait à toutes jambes. Elle venait de tourner le reportage de sa carrière.
Elle serrait dans les bras sa caméra vidéo tout en slalomant dans la foule qui traversait la place en sens inverse. Tous les badauds semblaient attirés par l'attroupement au pied de l'obélisque, alors qu'elle cherchait à s'en éloigner le plus rapidement possible, pour rejoindre la camionnette de la BBC.
Le type en veste de tweed l'avait vue, et elle avait maintenant l'impression que d'autres hommes la suivaient, qu'elle ne voyait pas, mais qui la cernaient de tous côtés.
Elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de filmer, curieuse aussi de savoir si le mort était bien le personnage qu'elle imaginait. Le mystérieux coup de fil qu'avait reçu Glick lui semblait soudain plus crédible.
Un jeune homme d'allure militaire se détacha de la foule en face d'elle. Elle s'arrêta net. Rapide comme l'éclair, le type sortit un talkie-walkie, dit quelques mots, et avança vers elle. Elle fit demi-tour et repartit au hasard dans la foule, le cœur battant.
Tout en se frayant un passage entre les badauds, elle sortit la cassette de sa caméra – une bande en or! – et la glissa dans la poche arrière de son pantalon, rabattant sa veste par-dessus.
Glick, où es-tu, bon Dieu?
Un autre soldat approchait sur sa gauche. Il fallait agir vite.
Elle changea de direction, sortit de sa sacoche une cassette vierge qu'elle logea en force dans sa caméra. Puis elle retint son souffle.
Elle était à une trentaine de mètres de la camionnette quand deux hommes surgirent en face d'elle, les bras croisés.
— Votre film, ordonna l'un. Tout de suite.
Elle recula, les bras serrés autour de sa caméra.
— Pas question!
Le deuxième homme entrouvrit sa veste, dévoilant son arme.
— Allez-y, tirez! s'écria-t-elle, étonnée de la fermeté de sa voix.
— La cassette, répéta le premier.
Mais où Glick est-il passé? Chinita Macri tapa du pied en criant le plus fort possible:
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— Je suis cameraman à la BBC! Selon l'article 12 de la loi sur la liberté de la presse, ce film est la propriété de la chaîne qui m'emploie!
Les deux hommes restèrent de marbre. Celui qui était armé s'avança vers elle.
— Je suis lieutenant de la Garde suisse et, selon la loi sacrée qui régit le sol que vous foulez actuellement, vous faites l'objet d'une fouille et d'une saisie.
Un attroupement s'était formé autour d'eux. Chinita se mit à hurler:
— Il n'est pas question que je vous remette cet enregistrement avant d'en avoir référé à la rédaction de Londres. Je vous suggère de...
L'un des gardes lui arracha sa caméra, tandis que l'autre lui empoignait le bras et la tournait en direction de la basilique.
— Grazie, fit-il en demandant aux badauds de s'écarter.
Chinita priait pour qu'il ne la fouille pas. Si seulement elle arrivait à mettre sa cassette en sûreté...
C'est alors que l'impensable se produisit. Quelqu'un dans la foule était en train de fourrager sous sa veste et elle sentit qu'on lui dérobait sa vidéo. Elle fit volte-face, et réprima un cri. Hors d'haleine, Gunther Glick lui décocha un clin d'œil avant de se fondre dans la cohue des badauds.
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Robert Langdon entra en titubant dans la salle de bains privée attenante au bureau du pape. Il lava les traces de sang sur son visage. Le sang du cardinal Lamassé, qui venait de subir une mort affreuse sous les yeux de centaines de touristes amassés sur la place Saint-Pierre. Sacrifié sur l'autel de la science. L'assassin avait, jusqu'à présent, mis ses menaces à exécution.
Dans le miroir du lavabo, Langdon contemplait son air battu, ses yeux tirés, son menton noirci par une barbe de deux jours. Il se trouvait dans une pièce immaculée et somptueusement équipée - marbre noir et robinetterie en or, serviettes de toilette épaisses et moelleuses, savons parfumés.
Il essaya de chasser de sa pensée la brûlure qui ensanglantait la poitrine du cardinal. Air. L'image était toujours présente. Depuis le matin, Langdon avait vu trois stigmates au fer rouge... et la soirée lui en réservait deux autres.
Derrière la porte, le commandant Olivetti, le capitaine Rocher et le camerlingue discutaient de la suite à donner aux événements. On n'avait apparemment toujours pas trouvé l'antimatière. Les gardes suisses s'étaient-ils montrés assez pointilleux dans leurs recherches? Le tueur avait-il réussi à pénétrer dans les bâtiments privés du Vatican?
Langdon s'essuya les mains et le visage. Il se retourna, à la recherche d'un urinoir, et ne trouva qu'une cuvette de toilette. Il souleva le couvercle.
Il commençait à se détendre et se sentit soudain épuisé. Le trop-plein d'émotions contradictoires, le manque de sommeil et la faim, cette course effrénée sur la Voie de l'Illumination, les deux meurtres sanglants, pratiquement sous ses yeux... L'issue de ce drame l'épouvantait.
Réfléchis, se dit-il. Mais il avait le cerveau vidé.
En tirant la chasse d'eau, il prit soudain conscience d'un détail inattendu, et étouffa un rire nerveux. Je viens de pisser dans les toilettes du pape.
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Dans les studios londoniens de la BBC, une technicienne éjecta la cassette de sa console et se lança à toutes jambes dans le couloir. Elle entra comme une furie dans le bureau du directeur de la rédaction, enfourna sa pièce à conviction dans le magnétoscope, et appuya sur la touche Play.
Pendant que les images défilaient, elle raconta à son chef sa conversation avec Gunther Glick, en mission au Vatican, en précisant qu'elle avait, grâce aux images d'archives, identifié la victime du meurtre de la place Saint-Pierre.
Le directeur sortit en trombe de son bureau en agitant une cloche, interrompant toute activité dans la salle de rédaction.
— Direct dans cinq minutes! cria-t-il d'une voix tonitruante.
Je veux tous les commerciaux sur le pont! On a un scoop à vendre... et de l'image!
Les commerciaux plongèrent dans leur carnet d'adresses.
— Durée? cria l'un d'eux.
— Trente secondes!
— Sujet?
— Meurtre en direct.
Ils se firent plus attentifs.
— Droits de diffusion?
— Un million de dollars.
Plusieurs têtes se relevèrent à la fois.
— Quoi?
— Vous m'avez entendu! Il me faut tous les gros: CNN, MSNBC, plus les trois grands réseaux. Proposez-leur un visionnage. Ils ont cinq minutes pour casquer avant qu'on diffuse.
— Mais qu'est-ce c'est, ce scoop? demanda quelqu'un. Le Premier ministre vient de se faire écorcher vif?
— Mieux que ça! répliqua le rédacteur en chef.
À ce moment précis, quelque part dans Rome, l'Assassin s'offrait un bref moment de répit dans un fauteuil confortable. Il admirait la grande salle légendaire qui l'entourait. Je suis assis dans le Temple de l'Illumination, le repaire des Illuminati . Il
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n'arrivait pas à croire que la pièce ait pu survivre à tant de siècles.
Il composa consciencieusement le numéro du journaliste de la BBC. L'heure était venue. Le monde n'avait pas encore appris la nouvelle la plus effroyable.
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Vittoria Vetra buvait un verre d'eau et grignotait quelques biscuits apportés par un garde suisse. Il fallait qu'elle mange, mais elle n'avait pas faim. Une grande agitation régnait dans le bureau du pape, où se déroulaient en parallèle plusieurs conversations tendues. Le commandant Olivetti, le capitaine Rocher et une demi-douzaine de gardes évaluaient les dégâts et débattaient de la suite de leur action.
Robert Langdon était debout devant une fenêtre, le regard tourné vers la place Saint-Pierre. Vittoria s'approcha.
— Alors, ça vient, l'inspiration?
Il secoua la tête, l'air abattu.
— Un biscuit?
La proposition sembla le ragaillardir.
— Mon Dieu, oui! merci.
Il en dévora plusieurs.
Brusquement, les voix se turent derrière eux. Le camerlingue Ventresca entrait dans le bureau, escorté par deux gardes suisses. S'il avait l'air épuisé tout à l'heure, il semblait maintenant complètement vidé. On l'avait apparemment informé des derniers événements.
— Dites-moi exactement ce qui s'est passé, demanda-t-il à Olivetti.
Le commandant répondit par un rapport factuel, d'une sobriété et d'une efficacité toutes militaires:
— Le cardinal Ebner a été retrouvé mort peu après 20
heures dans la crypte de Santa Maria del Popolo. Il a été tué par étouffement. Sa poitrine était marquée au fer rouge des lettres E A R T H. Le cardinal Lamassé a été assassiné sur la place Saint-Pierre il y a dix minutes. Le décès a été causé par une double perforation des poumons. Sa poitrine était marquée au fer rouge par les lettres A I R. Dans les deux cas, le tueur a réussi à s'échapper.
Le camerlingue traversa la pièce pour aller s'asseoir, la tête baissée, derrière le bureau du pape.
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— Leurs Éminences Guidera et Baggia sont, en revanche, toujours en vie, continua Olivetti.
Ventresca releva brusquement la tête.
— Ce qui serait censé nous consoler? s'exclama-t-il d'une voix douloureuse. Deux cardinaux ont été tués ce soir, commandant. Et les deux autres ne leur survivront pas longtemps si vous ne les retrouvez pas avant.
— Nous les trouverons, affirma Olivetti. Je suis confiant.
— Confiant? Nous avons totalement échoué jusqu'ici!
— Nous avons perdu deux batail es, mon père, mais nous sommes en train de gagner la guerre. Les Illuminati avaient espéré un véritable déchaînement médiatique. Nous avons, à ce stade, réussi à contrarier leur projet. Nous avons récupéré les corps des deux cardinaux discrètement et sans incident. Qui plus est, le capitaine Rocher me dit que la découverte de l'antimatière est en bonne voie.
Coiffé de son béret rouge, le capitaine Rocher s'avança. Sans trop savoir pourquoi, Vittoria le trouvait plus humain que les autres, sérieux sans être rigide. Il avait une voix sensible et cristalline, presque musicale.
— J'ai bon espoir de mettre la main sur l'antimatière d'ici une heure, mon père.
— Capitaine, répliqua le camerlingue, vous me pardonnerez mon pessimisme, mais il me semble qu'une fouille complète de la Cité du Vatican exigerait beaucoup plus de temps que celui dont nous disposons.
— Une fouille complète, certes. Toutefois, après avoir évalué le problème, j'ai la quasi-certitude que le récipient d'antimatière est situé dans l'une de nos zones blanches - celles qui sont ouvertes au public - comme les musées et la basilique. Nous avons déjà coupé le courant dans ces secteurs et nous sommes en train de les sonder.
— Vous comptez limiter les fouilles à ces zones?
— Oui, mon père. Il est hautement improbable qu'un intrus ait réussi à pénétrer dans les autres bâtiments. Et le fait que la caméra ait été dérobée dans un espace public - la cage d'escalier d'un des musées - corrobore cette hypothèse. Le malfaiteur a dû
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la placer, comme l'antimatière, dans une zone blanche. C'est sur ces secteurs que nous concentrons nos recherches.
— Et pourtant il a enlevé quatre cardinaux, ce qui laisse supposer qu'il a réussi à s'infiltrer dans les bâtiments privés...
— Pas nécessairement. N'oublions pas que les cardinaux ont passé une grande partie de la journée dans les musées et dans la basilique Saint-Pierre. Tout laisse supposer que c'est dans l'un de ces secteurs que leur enlèvement a eu lieu.
— Mais comment a-t-il pu leur faire quitter les murs?
— C'est ce que nous sommes en train d'essayer de comprendre.
— Je vois, soupira le camerlingue en se levant. Il s'adressa à Olivetti:
« Commandant, j'aimerais que vous me donniez les détails de votre plan d'évacuation d'urgence. »
— Il est en cours de mise au point. Mais je compte bien que le capitaine Rocher aura trouvé l'antimatière avant que nous soyons obligés de le déclencher.
Rocher claqua des talons comme pour entériner ce signe de confiance.
— Mes hommes ont déjà scanné les deux tiers des zones blanches. Je suis optimiste.
Le camerlingue ne semblait pas partager cette confiance.
Le garde au visage barré d'une cicatrice entrait dans le bureau, un carnet de notes et un plan de Rome à la main. Il se dirigea à grands pas vers Langdon.
— Monsieur Langdon? J'ai le renseignement que vous m'avez demandé sur le West Ponente.
L'Américain avala le reste de son biscuit.
— Très bien. Voyons cela.
Tandis que les autres continuaient à parler, Vittoria rejoignit Robert et le garde, qui étalait le plan de Rome sur le bureau du pape.
Il indiqua la place Saint-Pierre.
— Voici où nous étions. Le trait central du souffle de l'ange est orienté plein est.
Il traça du doigt une ligne qui quittait le Vatican vers l'est, traversait le Tibre puis le centre de Rome.
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— Comme vous le voyez, la ligne suit un axe ouest-est. Il y a une vingtaine d'églises à proximité de son passage.
Les épaules de Langdon retombèrent.
— Vingt églises?
— Peut-être même plus...
— Y en a-t-il qui se trouvent exactement sur le parcours?
— Certaines en sont plus proches que d'autres, mais notre prolongation approximative du West Ponente implique fatalement une marge d'erreur...
Langdon jeta un regard par la fenêtre. Puis il se gratta le menton d'un air renfrogné.
— Et le Feu? L'élément Fire? Est-ce qu'une de ces églises renferme une œuvre du Bernin qui aurait un rapport...?
Silence.
« Et un obélisque? Y a-t-il un obélisque à proximité de l'une ou de l'autre? »
Vittoria lut une lueur d'espoir dans le regard de l'Américain.
Il a raison. Les deux premiers jalons de la Voie des Illuminati étaient situés près d'un obélisque. Il s'agissait peut-être d'un leitmotiv. Plus elle y réfléchissait, plus l'hypothèse lui paraissait plausible. Quatre balises semblables, dressées dans Rome pour accompagner les quatre autels de la science.
Le garde étudiait le plan.
— Le pari est osé, expliqua Langdon, mais je sais que plusieurs obélisques ont été installés ou déplacés dans Rome du vivant du Bernin. Il a probablement joué un rôle dans ces aménagements.
— Ou alors, il a placé ses jalons dans le voisinage d'obélisques déjà existants.
— En effet, acquiesça Langdon.
— C'est dommage, dit le garde, mais je ne vois pas d'obélisques sur cet axe. Même pas dans les environs. Rien.
Langdon poussa un soupir et Vittoria fit la grimace. Elle avait trouvé l'idée prometteuse. Les choses n'allaient pas se révéler faciles. Elle fit un effort pour rester positive.
— Réfléchissez, Robert. Vous connaissez sûrement une statue du Bernin qui évoque le Feu. . D'une manière ou d'une autre...
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— Je ne cesse de sonder mes souvenirs. Mais c'était un sculpteur extrêmement prolifique. Il a laissé derrière lui des centaines de statues. J'espérais que le West Ponente indiquerait clairement une église qui me rappellerait quelque chose.
— Fuoco, le Feu en italien..., insista-t-elle. Toujours rien?
Langdon fit la moue.
— Il y aurait bien ses croquis pour les feux d'artifice, mais ce ne sont pas des sculptures, et ils sont à Leipzig.
— Et vous êtes sûr que c'est le bon axe?
— Vous avez vu le médaillon, Vittoria. Le bas-relief est parfaitement symétrique. Et il n'y a pas d'autre indication.
Il avait raison.
« Qui plus est, puisqu'il s'agissait de l'élément Air, c'est forcément le souffle de l'ange qu'il faut suivre. »
Très bien, pensa-t-elle, mais où va-t-on?
— Vous avez trouvé? demanda Olivetti en s'approchant.
— Il y a trop d'églises, fit le garde. Une bonne vingtaine. On pourrait mettre quatre hommes dans chacune d'elles...
— Ce n'est même pas la peine d'y penser, coupa le commandant. Nous avons manqué ce type deux fois alors que nous savions où le trouver. Et on ne peut pas sortir autant d'hommes du Vatican sans compromettre la recherche de l'antimatière.
— Il nous faudrait un répertoire, intervint Vittoria. Un index des œuvres du Bernin. En parcourant tous les titres, peut-être qu'il y en a un qui nous sauterait aux yeux.
— Je n'en suis pas sûr, rétorqua Langdon. Si c'est une œuvre qu'il a créée spécialement pour les Illuminati, elle risque fort d'être peu connue.
Vittoria refusait de le croire.
— Les deux précédentes étaient assez célèbres.
— Ouais, céda-t-il en haussant les épaules.
— Si on passe la liste au filtre de l'idée de Feu, insista Vittoria, on trouvera peut-être une sculpture située sur notre axe...
Convenant que cela valait la peine d'essayer, Langdon se tourna vers Olivetti.
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— Trouvez-moi une liste des œuvres du Bernin. Vous devez bien avoir des livres d'art, dans cette maison?
Olivetti semblait perdu.
— Dans vos musées? insista Langdon, vous avez bien des ouvrages de référence?
Le garde balafré fit la moue.
— On a coupé le courant, et le fichier est gigantesque. Sans l'aide des conservateurs...
— Cette sculpture dont vous parlez, coupa Olivetti, elle aurait été réalisée quand le Bernin était employé par le Vatican?
— Sans doute. Il a passé ici le plus clair de sa carrière. Il était là en tout cas au moment du conflit avec Galilée.
— Dans ce cas, il y a une autre source, dit Olivetti.
— Où cela? demanda Vittoria.
Le commandant ne répondit pas. Il entraîna à l'écart le garde balafré et lui parla à voix basse. Après un temps d'hésitation, l'homme hocha docilement la tête, avant de se tourner vers Langdon.
— Si vous voulez bien me suivre, monsieur. Il est 21 h 15. Il faut faire vite.
Vittoria les rattrapa sur le pas de la porte.
— Je viens vous aider.
Olivetti la saisit par le bras.
— Non, mademoiselle Vetra, j'ai à vous parler.
Le ton était sans appel.
Une fois Langdon et le garde sortis, Olivetti, le visage crispé, entraîna Vittoria dans un coin de la pièce. Mais il n'eut pas le temps de l'informer de ce qu'il voulait lui dire. Son talkie-walkie se mit à crépiter:
— Mon commandant?
Tout le monde écouta.
La voix avait un ton sinistre: « Je crois que vous devriez allumer la télévision. »
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Langdon ne s'attendait pas à retrouver la salle des Archives secrètes du Vatican, qu'il avait quittée deux heures plus tôt. Un peu essoufflé après avoir suivi son escorte au pas de course, il pénétrait à nouveau dans le sanctuaire.
Guidé par le garde entre les rangées de cellules vitrées, il trouvait le silence ambiant plus oppressant qu'en début de soirée, et c'est avec soulagement qu'il entendit résonner la voix de son compagnon.
— C'est par ici, je crois, dit-il en se dirigeant vers le fond de la crypte, où l'on devinait une rangée de cellules plus petites.
Le garde passa en revue les pancartes et pénétra dans l'une d'elles.
— C'est bien ici, exactement comme me l'a indiqué le commandant.
Langdon lut l'inscription: PATRIMONIO DEL VATICANO.
Les actifs du Vatican. Il parcourut la liste qui suivait: Immobilier... Devises... Banque du Vatican... Antiquités. Il n'avait pas le temps de la lire jusqu'au bout.
— Ce sont les dossiers relatifs aux propriétés du Vatican, expliqua le garde.
Mon Dieu! Même dans la pénombre, on voyait que les rayonnages étaient pleins à craquer.
— Le commandant m'a affirmé que toutes les sculptures réalisées par Le Bernin sous le patronage du pape devaient être enregistrées ici.
Langdon hocha la tête. L'idée d'Olivetti était sans doute judicieuse. Au XVIIe siècle, toutes les œuvres des artistes protégés par le pape devenaient légalement propriété du Vatican. Le principe tenait plus de la féodalité que du mécénat, mais les grands maîtres menaient dans la Cité une vie facile et ils se plaignaient rarement.
— Y compris ses sculptures des églises extérieures à la Cité?
— Bien sûr. Toutes les églises de Rome appartiennent au Vatican.
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Langdon consulta la liste des églises qu'il avait relevées sur le plan. Le troisième autel de la science se trouvait dans l'une d'elles. L'hommage du Bernin au Feu. Aurait-il le temps de le localiser? Il aurait préféré explorer les édifices l'un après l'autre, mais c'était malheureusement hors de question. Il n'avait qu'une vingtaine de minutes pour trouver sa réponse.
Il se dirigea vers la porte pivotante du compartiment.
Comme le garde ne le suivait pas, il se retourna en souriant.
— L'atmosphère est bonne. Raréfiée mais respirable.
— J'ai reçu l'ordre de vous accompagner et de rejoindre immédiatement le centre de sécurité.
— Vous voulez dire que vous ne restez pas?
— Non, monsieur. L'accès des archives est interdit aux gardes suisses. J'ai déjà commis une entorse au protocole en vous conduisant jusqu'ici, comme me l'a d'ailleurs fait remarquer le commandant Olivetti.
— Le protocole? Il joue pour qui, votre commandant?
Vous rendez-vous compte de ce qui est en train de se passer ce soir? songea Langdon.
Le visage du garde se durcit, faisant remonter la cicatrice sous son œil. Il ressemblait soudain à son chef.
— Excusez-moi, fit Langdon. C'est que... votre aide m'aurait été précieuse.
L'homme ne sourcilla pas.
— J'ai été formé pour obéir aux ordres, par pour les discuter.
Contactez le commandant dès que vous aurez trouvé ce que vous cherchez.
Langdon s'énervait:
— Et où suis-je censé le trouver?
Le garde posa son talkie-walkie sur une table proche de l'entrée.
— Sur le canal numéro un.
Et il disparut dans l'obscurité.
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81
Le téléviseur pontifical était un énorme poste Hitachi, enfermé dans une armoire en face du bureau. On venait d'en ouvrir les portes et tout le monde s'était rassemblé pour regarder les informations. Vittoria se rapprocha. L'image d'une jeune présentatrice apparut, une brunette aux yeux de biche.
« Ici Kelly Horan-Jones, en direct de la Cité du Vatican, pour MSNBC. »
Elle était debout devant une photo nocturne de la basilique Saint-Pierre illuminée.
— C'est faux! Elle n'est pas en direct, souffla le capitaine Rocher. C'est une image d'archives. Saint-Pierre n'est pas illuminé en ce moment!
Un chtttt! d'Olivetti le fit taire. Le ton de la jeune femme se faisait dramatique:
« Des nouvel es bouleversantes nous parviennent du Vatican, où le conclave est actuellement réuni. Deux cardinaux qui devaient y siéger ont été sauvagement assassinés ce soir même en plein centre de Rome. »
Olivetti jura entre ses dents.
La journaliste se lançait dans un commentaire plus détaillé, lorsqu'un garde apparut à la porte, hors d'haleine:
— Mon commandant, le standard téléphonique est saturé, toutes les lignes sont occupées. On nous appelle de partout pour connaître la position officielle du Vatican sur...
— Débranchez-les! répliqua Olivetti sans quitter l'écran des yeux.
— Mais, commandant...
— Allez-y!
Le garde repartit en courant.
Vittoria eut l'impression fugitive que le camerlingue voulait intervenir. Il observa longuement Olivetti avant de se retourner vers le téléviseur.
MSNBC diffusait maintenant un reportage filmé. Quatre gardes suisses descendaient le perron de l'église Santa Maria del Popolo, portant le corps inanimé du cardinal Ebner qu'ils déposaient
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ensuite dans le coffre d'une Alfa Romeo. Arrêt sur image et zoom sur le cadavre dénudé.
— D'où vient ce reportage? tempêta Olivetti. La journaliste continuait:
« Ce corps serait celui du cardinal Ebner, archevêque de Francfort, et les hommes qui le transportent seraient des membres de la Garde suisse du Vatican. »
La jeune femme apparut en gros plan. Elle faisait des efforts considérables pour exprimer une consternation de circonstance.
« La rédaction de MSNBC souhaite avertir les téléspectateurs que les images qui vont suivre pourraient heurter les personnes Sensibles. »
Vittoria émit un grognement devant cet avertissement, qui n'était en réalité qu'un coup de marketing savamment orchestré. Personne ne zappait jamais en entendant ces mots.
La journaliste insistait:
« Je le répète, la séquence suivante est de nature à choquer la sensibilité de certains téléspectateurs. »
— Quelle séquence? grogna Olivetti. Elle vient de...
On vit apparaître un couple, au milieu de la foule des touristes massée sur la place Saint-Pierre. Vittoria Vetra et Robert Langdon. Dans un coin de l'écran, on lisait AVEC
L'AIMABLE AUTORISATION DE BBC TELEVISION. On entendit le carillon de la basilique.
— Oh non! s'écria Vittoria.
Surpris et consterné, le camerlingue se tourna vers le commandant:
— Je croyais que vous aviez confisqué la cassette?
On entendit soudain un cri d'enfant. La caméra virevolta avant de cadrer une fillette qui montrait du doigt un clochard couvert de sang. Robert Langdon apparut brusquement sur l'écran, penché sur la petite fille. Gros plan sur le pauvre hère.
Un silence horrifié régnait dans le bureau du pape. On voyait à l'écran le cardinal tomber face contre terre, du sang s'écouler de sa poitrine marquée au fer rouge, et Vittoria appeler au secours avant de pratiquer le bouche-à-bouche.
« Ce reportage saisissant, continuait la journaliste de MSNBC, a été filmé sur la place Saint-Pierre de Rome il y a
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quelques minutes. La victime a été identifiée. Il s'agirait du cardinal Lamassé, membre du Conseil épiscopal français. Son absence au conclave, comme son étrange tenue vestimentaire, n'a pu être expliquée. Le Vatican s'est jusqu'à maintenant refusé à tout commentaire. »
Les images repassaient en boucle.
— Comment ça, « s'est refusé »? Laissez-nous une minute, tout de même! tempêta Rocher.
La présentatrice fronçait les sourcils.
« Le motif de ces meurtres n'est pas encore connu, mais ils auraient été revendiqués, selon nos sources, par un groupe qui répond au nom d'Illuminati. »
— Quoi? explosa Olivetti.
« ... en savoir plus, vous pouvez consulter notre site Internet... »
— Non e possibile! s'exclama Olivetti en changeant de chaîne.
Un autre journaliste, sur une chaîne hispanophone:
« ... une secte satanique connue sous le nom d'Illuminati, et dont certains historiens pensent... »
Olivetti zappa encore. Toutes les chaînes, pour la plupart anglophones, émettaient en direct du Vatican:
« ... gardes suisses en train d'emporter un corps d'une église de Rome, en début de soirée. Selon des sources autorisées, la victime serait le cardinal... »
« les lumières de la basilique Saint-Pierre et des musées du Vatican sont éteintes, ce qui laisse supposer... »
« ... en ligne un spécialiste des sociétés secrètes, qui nous parle de cette réapparition inattendue... »
« ... selon certaines rumeurs, deux autres meurtres auraient été annoncés pour cette nuit... »
« la question se pose de savoir si le cardinal Baggia, papabile numéro un, pourrait figurer parmi... »
Vittoria détourna les yeux. Tout allait trop vite. Elle voyait par la fenêtre les gens se masser, attirés par l'odeur du sang.
La foule grossissait à chaque seconde et les reporters déchargeaient leur matériel des camionnettes, cherchant à occuper le terrain au plus près.
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Olivetti reposa la télécommande et s'adressa au camerlingue:
— Je ne comprends pas ce qui a pu se passer, mon père. Nous avons pourtant bien saisi la cassette dans la caméra de cette journaliste!
Ventresca semblait trop abattu pour pouvoir répondre.
Personne ne disait mot. Les gardes suisses étaient au garde-à-vous.
— Il semble, déclara finalement le camerlingue, trop affligé pour se mettre en colère, que nous n'ayons pas réussi à contenir cette crise aussi bien que je le pensais. Je vais m'adresser à cette foule, ajouta-t-il en regardant par la fenêtre.
— Non, mon père, coupa Olivetti. C'est exactement ce qu'attendent les Illuminati. Votre intervention ne ferait que les conforter dans leur impression de puissance. Vous devez garder le silence.
— Mais tous ces gens amassés dehors..., protesta le camerlingue. Ils ne tarderont pas à être des dizaines de milliers.
Cette mascarade les mettrait en danger. Il faut que je les avertisse. Et que je fasse évacuer la chapelle Sixtine.
— Nous avons encore du temps devant nous. Attendons que le capitaine Rocher ait découvert l'antimatière...
— Êtes-vous en train de me donner des ordres, commandant?
— Certainement pas, mon père. Il ne s'agit que d'un conseil.
Si c'est le sort de cette foule qui vous inquiète, nous pouvons annoncer une fuite de gaz pour faire évacuer la place. Mais reconnaître publiquement que nous sommes pris en otages serait une erreur dangereuse.
— Commandant, je ne vous le répéterai pas: il n'est pas question que j'exploite mes fonctions pour mentir. Si je dois annoncer quelque chose, ce sera la vérité.
— La vérité? Leur dire que la Cité du Vatican est menacée de destruction par des terroristes sataniques? Vous ne feriez qu'affaiblir notre position.
— Je ne vois pas ce qui pourrait encore l'affaiblir, rétorqua le camerlingue avec un regard foudroyant.
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A cet instant, le capitaine Rocher poussa un cri et s'empara de la télécommande pour monter le son. Tout le monde se tourna vers l'écran.
La journaliste de MSNBC était visiblement au bord de la crise de nerfs. Une photo du dernier pape s'affichait à l'arrière-plan.
« Une information de dernière minute, qui nous parvient de la BBC... »
Elle jeta un regard derrière elle, comme pour vérifier qu'elle était bien autorisée à annoncer la nouvelle. Ayant apparemment obtenu confirmation, elle se retourna vers la caméra, le visage lugubre.
« Les Illuminati viennent de revendiquer... »
Elle hésita un instant avant de continuer:
« Ils prétendent être responsables du décès du pape, survenu il y a quinze jours. »
Le camerlingue était bouche bée.
Le capitaine Rocher laissa tomber la télécommande.
Vittoria tentait d'enregistrer l'information.
« Comme la loi du Vatican interdit l'autopsie d'un pape décédé, cette revendication ne peut pas être confirmée. Les Illuminati soutiennent néanmoins que le pape n'est pas mort d'une attaque cérébrale, comme l'a rapporté le Vatican, mais qu'il a été victime d'un empoisonnement. »
Un silence de mort retomba dans le bureau du pape, finalement rompu par Olivetti:
— C'est de la folie! C'est un mensonge éhonté!
Rocher se remit à zapper. Toutes les chaînes annonçaient la même nouvelle, avec des titres rivalisant dans le sensationnel.
MEURTRE AU VATICAN!
LE PAPE VICTIME D'UN EMPOISONNEMENT!
SATAN S'EST INTRODUIT DANS LA MAISON DE DIEU!
Le camerlingue détourna les yeux.
— Que Dieu nous aide!
Le capitaine tomba sur le canal de la BBC.
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« qui m'a averti qu'un meurtre allait avoir lieu dans l'église Santa Maria del Popolo... »
— Attendez! s'écria le camerlingue. Je voudrais écouter...
Un présentateur britannique à l'allure très convenable était assis derrière un bureau. Au-dessus de son épaule, la photo d'un jeune homme roux, ébouriffé et barbu, avec pour légende: GUNTHER GLICK EN DIRECT DEPUIS LA CITÉ DU
VATICAN. Le journaliste envoyait son reportage par téléphone et la connexion était assez mauvaise:
« ... ma cadreuse a filmé le cadavre que l'on sortait de la chapelle Chigi. »
« Je le répète pour ceux qui nous rejoignent, déclara le présentateur, nous avons actuellement en direct Gunther Glick, reporter de la BBC, qui a été le premier témoin du drame. Il avait auparavant reçu deux appels téléphoniques de l'Illuminatus responsable des meurtres des cardinaux. »
« Et vous affirmez, mon cher Gunther, que l'assassin vous a rappelé il y a quelques instants pour vous communiquer un nouveau message des Illuminati?
— En effet.
— Dans lequel ils revendiquaient la mort récente du pape?
insista le présentateur avec une incrédulité feinte.
— C'est exact. L'homme qui m'a appelé déclarait que le pape n'est pas mort d'une attaque cérébrale, comme on l'a cru, mais qu'il a été empoisonné par les Illuminati. »
Dans le bureau du pape tout le monde était figé devant l'écran.
« Empoisonné? Mais... comment?
— Il ne l'a pas précisé, si ce n'est pour donner le nom du poison... »
On entendait un bruissement de papier.
« ... il a parlé de... d'héparine. »
Le camerlingue, Olivetti et Rocher échangèrent des regards embarrassés.
— L'héparine? s'exclama le capitaine Rocher. Mais ce n'est pas...?
— Un médicament que prenait Sa Sainteté, enchaîna le camerlingue.
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Vittoria était abasourdie.
— Le pape était sous héparine?
— Il avait fait une congestion cérébrale, répondit Ventresca. On lui en faisait une piqûre par jour.
Rocher était interloqué:
— Mais ce n'est pas un poison...
— L'héparine peut être mortelle si elle est mal dosée, intervint Vittoria. C'est un anticoagulant très puissant. Une surdose peut provoquer une hémorragie cérébrale.
Olivetti la regardait d'un air méfiant.
— Et comment savez-vous cela?
— On administre de l'héparine aux mammifères marins en captivité pour prévenir les caillots de sang dus à l'inactivité. Il est arrivé que certains meurent d'une surdose. Chez les humains, on peut facilement confondre les symptômes avec ceux d'une congestion cérébrale, surtout si on ne fait pas d'autopsie.
Le camerlingue semblait atterré.
— Mon père, dit Olivetti, il s'agit évidemment d'un stratagème des Illuminati pour se faire mousser. Cette histoire de surdose n'est absolument pas crédible. . Personne n'avait accès à la chambre du pape. Et même si nous mordions à l'appât en réfutant leurs allégations, nous serions incapables de prouver quoi que ce soit, étant donné l'interdiction d'autopsie. Laquelle d'ailleurs ne servirait à rien, puisqu'on trouverait dans le sang les traces du traitement que suivait le Saint-Père.
— C'est vrai, acquiesça le camerlingue d'une voix raffermie. Il y a pourtant quelque chose qui m'inquiète. À part les proches de Sa Sainteté, personne ne savait qu'il prenait de l'héparine.
Le silence s'installa, interrompu par Vittoria:
— Si on lui avait administré une surdose, il y aurait eu des symptômes visibles sur son corps.
Olivetti fit volte-face:
— Mademoiselle Vetra, au cas où vous ne m'auriez pas entendu, je vous rappelle que la loi du Vatican interdit l'autopsie des souverains pontifes. Il n'est pas question de profaner le corps de Sa Sainteté en l'exhumant, au motif de répondre aux scandaleuses assertions d'un criminel!
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Vittoria se sentit rougir de honte. Jamais elle n'aurait imaginé manquer de respect à un pape défunt.
— Je ne parlais pas d'autopsie. ., bredouilla-t-elle.
Elle hésitait à continuer. Lorsqu'ils étaient dans la chapelle Chigi, Robert Langdon avait mentionné le fait que les cercueils des papes n'étaient ni enterrés ni scellés – une réminiscence de l'Égypte ancienne, qui voulait éviter d'enfermer l'âme du défunt.
Les couvercles des sarcophages pesaient quelques centaines de kilos, ce qui garantissait leur inviolabilité. Il serait donc techniquement possible... , se disait-elle.
— Et quels seraient les signes qu'on trouverait sur le cadavre? demanda le camerlingue.
— Ce type d'overdose peut provoquer un saignement des muqueuses buccales..., dit-elle d'une voix craintive.
— C'est-à-dire?
— Les gencives se mettent à saigner. Après la mort, le sang se coagule et noircit l'intérieur de la bouche.
Elle avait vu un jour une photo, prise dans un aquarium londonien, d'un couple d'orques victimes d'une overdose accidentelle d'héparine. Elles flottaient la gueule ouverte à la surface du bassin, la langue noire comme du charbon.
Le camerlingue se tourna vers la fenêtre sans rien dire.
L'optimisme du capitaine Rocher était retombé.
— Si cette revendication est authentique...
— Elle est fausse, coupa Olivetti. Personne d'étranger au Vatican n'a pu être admis dans les appartements du Saint-Père.
— Je disais si..., précisa Rocher. À supposer que ce soit vrai... Si jamais le pape a effectivement été empoisonné, il nous faudra étendre aux bâtiments privés la recherche de l'antimatière. Il est évident que la fouille des zones blanches ne suffirait plus. Et dans ce cas, il est tout à fait possible que nos investigations n'aboutissent pas à temps...
Olivetti toisa son second d'un regard glacial.
— Je vais vous dire, capitaine, ce qui va se passer.
— Non, commandant, intervint le camerlingue. C'est moi qui vais vous le dire. La tournure dramatique qu'ont prise les événements impose des décisions rapides. Dans vingt minutes, je choisirai d'interrompre ou non le conclave, et
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d'évacuer la Cité du Vatican. Et cette décision sera sans appel.
Est-ce clair?
Olivetti ne broncha pas.
Le camerlingue s'exprimait maintenant avec autorité, montrant des ressources d'énergie insoupçonnées:
— Capitaine Rocher, vous allez terminer vos fouilles des zones blanches et vous viendrez m'en rendre compte immédiatement après.
Rocher hocha docilement la tête, en lançant vers Olivetti un regard gêné.
Ventresca fit alors signe à deux gardes.
— Je veux voir ce M. Glick, le reporter de la BBC, dans mon bureau le plus rapidement possible. Si les Illuminati ont effectivement été en rapport avec lui, il n'est pas impossible qu'il puisse nous aider. Allez-y.
Les deux soldats quittèrent la pièce et le camerlingue s'adressa aux autres gardes:
— Messieurs, je ne veux plus une seule mort tragique ce soir. D'ici 22 heures, vous devrez avoir localisé les deux cardinaux encore vivants et capturé l'auteur des deux meurtres précédents. Me suis-je bien fait comprendre?
— Mais, mon père, protesta Olivetti, nous n'avons aucune idée de l'endroit où...
— M. Langdon y travaille actuellement. Il me paraît compétent. Je suis confiant.
Là-dessus, il se dirigea vers la porte d'un pas assuré, et ordonna à trois gardes de le suivre.
Les gardes obéirent. Le camerlingue se tourna vers Vittoria.
— Vous aussi, mademoiselle Vetra. Veuillez m'accompagner, je vous prie.
Vittoria hésita.
— Où allons-nous?
— Rendre visite à un vieil ami.
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82
Dans son bureau du CERN, Sylvie Baudeloque, la secrétaire de Maximilien Kohler, commençait à avoir très faim. Elle aurait bien voulu rentrer chez elle mais son patron venait de l'appeler au téléphone. Il avait apparemment survécu à son séjour à l'infirmerie, et avait exigé qu'elle reste tard ce soir-là.
Sans donner d'explication.
Elle avait appris à supporter les sautes d'humeur et les excentricités de Kohler, ses silences, sa manie agaçante de faire visionner à ses collègues des vidéos secrètes sur le magnétoscope de son fauteuil roulant. Elle se prenait parfois à espérer qu'il se tuerait lors d'une de ses visites hebdomadaires au centre de tir du CERN, mais Kohler était malheureusement un bon fusil.
Assise à son bureau, elle écoutait gargouiller son estomac.
Le patron n'avait pas reparu, elle n'avait plus de travail. Je ne vais pas rester ici à crever de faim sans rien faire, finit-elle par décider. Elle laissa un mot sur le bureau de Kohler et partit pour la cantine.
Elle n'arriva pas jusque-là.
En passant devant les salons de repos de l'aile du personnel, elle les trouva bondés d'employés massés devant les postes de télévision. Il se produisait quelque chose d'important. Elle entra dans le premier salon, rempli d'une bande de jeunes programmateurs informaticiens, et retint un cri devant le bandeau qui s'inscrivait sur l'écran
TERREUR AU VATICAN!
Elle regarda le reportage sans en croire ses yeux. Une ancienne société secrète assassinait des cardinaux à Rome! Que cherchaient-ils à prouver? Leur haine? Leur pouvoir? Leur ignorance?
Et pourtant, l'humeur qui régnait dans la pièce était loin d'être morose.
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Deux jeunes techniciens passaient près d'elle, arborant des T-shirts imprimés à l'effigie de Bill Gates accompagnée du slogan: ET LES SIMPLES D'ESPRIT RECEVRONT LA TERRE
EN HÉRITAGE!