Rеsumе

Ce livre concerne l'histoire économique, sociale et politique de la France pendant les premières décennies du XVIIe siècle et surtout durant les années 1620–1629. La première partie (chapitres I–III) est consacrée à la critique de la théorie de la «crise générale du XVIIe siècle», à l'étude des traits particuliers propres au capitalisme de cette époque, de la structure sociale et de la situation difficile de l'économie capitaliste en France pendant les années 1610–1629. Dans les chapitres IV–VI l'auteur examine les événements politiques les plus importants: lutte contre les huguenots, politique des devanciers de Richelieu, système des finances publiques, activité de Richelieu au début de sa carrière, assemblée des notables de 1626–1627.

Le choix de cette période et des thèmes est dicté par les considérations suivantes.

Ce n'est qu'au début du XVIIe siècle que les particularités les plus originales propres à chaque pays du capitalisme européen se sont dessinées avec netteté. Une nouvelle hiérarchie des Etats commença à se révéler suivant leur place dans l'évolution du capitalisme. Les pays où son rythme était le plus rapide — Flollande et Angleterre — étaient comparativement en avance et leur force politique s'augmentait pour autant.

Ce progrès était d'autant plus évident que le développement des autres pays européens retardait sensiblement. L'essor du capitalisme au XVIe siècle ne put être consolidé partout. Dans quelques pays — Italie, Espagne, Allemagne — les éléments capitalistes, encore tout récents et assez sporadiques, ont éprouvé de grands échecs. La France se trouvait dans une situation particulière. Les guerres civiles du XVIe siècle ont considérablement ralenti la marche du capitalisme industriel et commercial, et son redressement pendant le règne plus propice d'Henri IV fut assez court. En 1610–1629, la conjoncture économique restait encore fort instable ainsi que la situation politique; le capitalisme rencontrait des obstacles qui pouvaient ralentir une fois de plus son cours pour un long terme. L'opposition politique de l'aristocratie féodale aux tendances centralisatrices de l'absolutisme aggravait l'avenir des forces progressistes. Ce groupe social, animé d'un programme réactionnaire, représentait un obstacle au progrès de la bourgeoisie. La personnalité de Louis XIII suggérait aux aristocrates l'espérance de pouvoir mettre le roi sous leur tutelle afin de diriger la politique intérieure et extérieure au gré de leurs intérêts. La perspective d'une prépondérance politique, pareille à celle dont jouissaient les grands d'Espagne, semblait être ouverte aux princes, ducs et pairs de France, ce qui aurait sérieusement entravé le développement du pays entier.

En fait, les forces progressistes — bourgeoisie et masses populaires — étaient déjà assez vigoureuses pour faire pencher la balance au profit du progrès économique et politique en appuyant le gouvernement dans sa lutte contre les tendances séparatistes et réactionnaires. Mais c'étaient des processus profonds et latents pour la plupart des contemporains. Les réalités quotidiennes — guerres civiles, insurrections des huguenots, soulèvements populaires — donnaient plutôt l'impression de l'instabilité politique et de l'insécurité générale. Cette impression semblait être d'autant plus fondée que la situation économique restait précaire et que les finances publiques étaient dans un état déplorable. La bourgeoisie exigeait des mesures protectionnistes plus strictes, la misère du peuple était manifeste, les révoltes semblaient imminentes. Le gouvernement s'efforçait de parer tant bien que mal, à ces difficultés, mais ses efforts restaient presque vains principalement à cause des charges nécessitées par les guerres civiles et la Guerre de Trente ans.

Ces phénomènes invitent l'historien à dépasser les frontières d'un seul pays et d'étudier le développement du capitalisme en France conjointement avec l'examen de la situation économique de l'Europe en général. Ce point de vue est d'autant plus nécessaire que, de nos jours, dominent des théories fort intéressantes sur le complexe des phénomènes propres au continent entier, — théories de la «crise générale du XVIIe siècle». La place réservée à la France par les auteurs de cette conception est toute particulière puisque le retard («la crise») de l'évolution capitaliste s'y était produit d'une manière évidente sans anéantir toutefois le fondement économique de la bourgeoisie.

* * *

L'évolution capitaliste de la France pendant la période examinée était fortement influencée par le capitalisme des pays voisins, principalement de la Hollande et de l'Angleterre. Ces trois Etats progressaient vers la société bourgeoise non seulement chacun à sa manière — ce qui est bien connu — mais à un rythme fort différent, qu'on ne prend pas habituellement en considération pour des périodes de courte durée. La France des années 1610–1629 offre sous ce point de vue un exemple d'importance.

Du niveau différent que le capitalisme atteignit alors dans ces pays résultait une grande différence de leurs forces économiques et politiques tendant à la prépondérance commerciale sur les marchés tant européens que mondiaux. Les intérêts économiques de ces puissances (y compris l'Espagne, dont le déclin économique n'empêchait pas d'être encore un Etat européen et colonial de premier rang) s'enchevêtraient étroitement avec leurs actions politiques. L'économie commençait déjà d'orienter, dans une certaine mesure, la lutte des Etats européens vers l'hégémonie politique en Europe même. Un des problèmes les plus urgents était la conquête des marchés extérieurs, d'une importance extrême pour les manufactures de cette époque. Les marchés des pays voisins offraient des chances à l'enrichissement plus facile et plus efficace. Mais ces avantages s'acquéraient en général aux dépens de l'économie de ces voisins. Les Hollandais s'enrichissaient en exploitant les marchés d'Espagne et surtout de France, causant de grands dommages à l'industrie ainsi qu'au commerce français et nuisant au développement capitaliste de la France. Les Anglais s'enrichissaient aux dépens de l'Espagne et partiellement de la France, les Français — au dépens de l'Espagne et de l'Allemagne. Le fait est bien significatif: des mesures protectionnistes, prises par Olivarès durant les années 1620, ont porté un grand dommage aux intérêts des marchands et des manufacturiers français. Si le gouvernement espagnol avait pu continuer cette politique de prohibitionnisme, fermant aux marchandises françaises les marchés espagnols et américains, les pertes des Français auraient été encore plus grandes.

Les efforts pour conquérir les marchés voisins s'accompagnaient d'une politique tendant à gagner la prépondérance commerciale sur tous les marchés européens ainsi que sur ceux du Proche-Orient. La lutte en vue d'acquérir ces marchés lucratifs est manifeste dans les conflits internationaux, surtout dans la Guerre de Trente ans. Et après une vingtaine d'années survinrent les guerres purement «commerciales» (anglo-hollandaises, franco-hollandaises, franco-anglaises etc.).

Pour les années 1610–1629, il faut prendre en considération les phénomènes suivants: possédant des manufactures assez nombreuses, un commerce bien développé, des ressources abondantes et une population dense, l'économie française rétrogradait plutôt. Il semble que les éléments capitalistes auraient dû progresser d'une manière ininterrompue, suivant tout au moins le rythme de la première décennie. Pourtant c'est le contraire: même la stabilisation de la production et du commerce au niveau atteint a été mise en doute. Impossible d'en rejeter la faute uniquement sur les guerres civiles, quoique les événements des années 1614–1629 aient accru, et de beaucoup, l'instabilité de l'économie.

La cause principale de ce phénomène consiste dans le niveau plutôt bas de l'industrie capitaliste en France. Les indices les plus essentiels le prouvent. La division du travail dans les manufactures françaises était loin de celle qui existait dans les manufactures hollandaises et anglaises. Le nombre des ouvriers qualifiés était insuffisant, ce qui empêchait les patrons de varier les salaires d'une manière efficace pour en tirer un bénéfice plus grand. Les subventions de l'Etat, absolument indispensables à cette époque, étaient toutes accidentelles et assez ques, l'accumulation des capitaux restreinte, la France étant écartée du pillage direct des colonies.

Il en résultait une cherté relative de la production industrielle française, de sorte que les manufacturiers et les marchands français étaient pour la plupart incapables de soutenir en France même, ainsi que sur les marchés étrangers la concurrence des Anglais et des Hollandais. Ils étaient souvent obligés de placer leurs capitaux ailleurs: en participant aux fermes, en achetant les offices, la terre etc. Parfois même les marchands français avançaient leur argent aux marchands hollandais ou espagnols. De cette manière, les profits acquis dans l'industrie et le commerce ne servaient pas toujours au progrès de l'économie purement capitaliste.

La navigation ainsi que le commerce océanique étaient aussi en retard en comparaison avec ceux de la Hollande ou de l'Angleterre. Le particularisme urbain étant très vif chez les marchands français, il en résultait que dans toutes les compagnies de commerce fondées par eux et non par le gouvernement, le nombre d'associés était en général restreint, ce qui rendait la concurrence encore plus difficile sur les marchés étrangers. A cause de ces difficultés, un protectionnisme effectif et suivi constituait pour la bourgeoisie française un problème dont la solution devenait de plus en plus urgente. Elle la demandait avec obstination et cette solution semblait être d'autant plus nécessaire que la domination des Hollandais et des Anglais sur le marché français s'étendait et s'affermissait de plus en plus. Parmi ces trois pays, dont l évolution capitaliste se maintint au début du XVIIe siècle, la France «occupait non seulement une place mineure, mais c'était le seul Etat dont le développement capitaliste éprouvait vraiment de grandes difficultés.

Ces considérations ont guidé l'auteur dans sa critique des théories de la crise générale du XVIIe siècle et de la crise du capitalisme en particulier. Les historiens qui ont contribué à l'élaboration de ces théories (R. Mousnier, E. J. Hobsbawm, R. Romano, P. Chaunu, H. R. Trevor-Roper etc.) ont pour la plupart atténué leurs conclusions quant à l'économie hollandaise et anglaise; ils soulignent plutôt le rythme trop lent à leur avis de ce processus même dans les pays développés. La France, par contre, leur offre une preuve des plus convaincantes de l'existence de la crise du capitalisme (réduction de la production, baisse des prix, diminution des bénéfices, chômage etc.) et des conséquences de cette crise pour les structures sociales et politiques. En analysant l'économie française ainsi que ses liens avec celles des pays plus développés, l'auteur trouve des arguments contraires à ces théories. Les difficultés éprouvées à cette époque par le capitalisme européen ne doivent pas être considérées comme des crises de production et de marché. Elles proviennent de la nature même du système capitaliste à ses débuts, c'est-à-dire à l'époque des manufactures. Le rythme assez lent (en comparaison avec celui de l'industrie capitaliste, mécanisée) était inévitable à cause de la prépondérance du travail manuel dans les manufactures. Quant à la faiblesse relative des éléments capitalistes dans le volume entier de la production, elle provient de ce que les manufactures coexistaient avec toutes sortes de métiers dans les villes et le travail artisanal dans les campagnes. Il est à remarquer que la force 'économique d'un pays, c'est-à-dire le niveau de son évolution capitaliste, contribue, et de beaucoup, à la conquête des marchés étrangers.

Quant à la France, l'exemple de son économie pendant les années cruciales 1610–1629 — la plupart des historiens considèrent ces décennies comme le début de la crise dans l'Europe entière — démontre que la cause principale de cette situation déplorable consistait dans la faiblesse de l'industrie capitaliste de France, incapable de soutenir la concurrence commerciale des Hollandais et des Anglais sur les marchés tant français qu'étrangers. Dans ces conditions, le mercantilisme était le moyen efficace non pas de surmonter la crise de la production capitaliste, mais de protéger les manufactures nationales contre la concurrence commerciale des pays plus développés et d'assurer par ce moyen leur domination sur le marché national ainsi que la participation lucrative des marchands français au commerce mondial.

L'auteur estime par conséquent que ce n'est pas une crise de la production capitaliste qui eut lieu au XVIIe siècle, mais plutôt une lutte économique — et politique — entre les pays où le capitalisme se développait de manière inégale.

La structure sociale était d'une complexité particulière en France, A côté des classes et des états médiévaux en désagrégation surgissaient déjà les éléments des classes futures de la société bourgeoise. Le haut clergé, l'aristocratie féodale et la noblesse d'épée, jouissant de privilèges nombreux, étaient — tant par leur origine que par leurs moyens d'existence, c'est-à-dire par le caractère féodal de leurs revenus et leur place dans la production sociale — des états purement féodaux quoique leur puissance politique s'était beaucoup affaiblie au cours des temps. Bourgeoise d'origine, la noblesse de robe s'était presque pleinement féodalisée quant à ses moyens d'existence (rentiers terriens, propriétaires d'offices); son ascension sociale, qui la mêlait de plus en plus à la noblesse d'épée et même à l'aristocratie, commençait de l'encliner vers ces états dans le plan politique aussi, mais ce n'était que le début de ce processus.

La bourgeoisie industrielle et commerciale, déjà nombreuse, mais pas assez riche, dépourvue des privilèges politiques et fiscaux espérait surmonter les obstacles économiques à l'aide de l'absolutisme, de ses mesures protectionnistes et en résultat de sa lutte avec les forces réactionnaires. Les masses populaires des villes et des campagnes, sur le chemin de perdre leur homogénéité relative du moyen âge, souffraient de plus en plus des impôts d'Etat et de l'exploitation tant féodale que capitaliste. Les contradictions assez accusées de classes, ainsi que celles des divers états entre eux, mettaient la société française en mouvement constant, mais elles ne servaient nullement à préparer la soidisant «situation révolutionnaire» des décennies 1640–1650. L'évolution capitaliste en France ne provoquait pas à cette époque des contradictions de classes tellement avancées que seule une révolution bourgeoise était capable de surmonter. La politique absolutiste était encore en général propice à la bourgeoisie (mesures mercantilistes, centralisation administrative et politique, lutte contre les forces réactionnaires et séparatistes etc.) qui était encore loin de former une classe nationale homogène et avait besoin d'un gouvernement puissant pour assurer ses intérêts économiques tant au dedans qu'en dehors du pays.

L'examen de la lutte politique des années 1610–1629 confirme ces conclusions. Elle se divise en deux étapes: 1) 1614–1620, 2) 1621–1629. La première période fut remplie par des guerres civiles dont l'aristocratie féodale et la noblesse d'épée, tant catholiques qu'huguenotes, étaient les promoteurs. Dans leur lutte contre le gouvernement pour obtenir la prépondérance politique elles ont subi un échec militaire. Pendant la seconde période c'était le gouvernement qui entreprit plusieurs campagnes militaires ayant pour but la ruine du parti politique des huguenots. Cette lutte de longue durée était indispensable à la victoire de l'absolutisme sur son ennemie politique — l'aristocratie féodale qui s'appuyait sur les réserves militaires et politiques considérables du parti huguenot.

Pendant la campagne de 1621, presque toutes les villes huguenotes du Poitou, de Saintonge et de Guyenne, La Rochelle exceptée, ont été conquises, de sorte que ces provinces furent soumises au pouvoir royal. Mais le siège de Montauban, qui servait de clef au Languedoc entier, ne réussit pas à l'armée de Louis XIII. La campagne de 1622 visait directement le Languedoc qui fut complètement conquis et ses villes occupées par les régiments royaux. Ainsi le Sud et le Sud-Ouest huguenots étaient soumis. Restait à prendre La Rochelle, ce qui était impossible pour le moment la marine militaire faisant défaut.

En 1625 les huguenots, se préparant au siège imminent de La Rochelle, prirent les îles qui couvrent la ville du côté de la mer. Au début de l'année suivante l'armée royale y rétablit le status quo ante.

Le siège de 1627–1628, longuement préparé, a démontré la faiblesse du parti huguenot. La ville fut non seulement bloquée mais complètement isolée des provinces huguenotes dont les ressources humaines et pécuniaires avaient été gravement atteintes pendant les campagnes précédentes, ce qui a joué un rôle décisif dans la prise de La Rochelle. En 1629, les derniers points d'appui des huguenots dans les montagnes du Languedoc furent liquidés et le parti dissous.

Cette courte analyse montre que le gouvernement avait un certain plan stratégique et que ses succès allaient en se renforçant. Il est à noter que les campagnes de 1621–1622, qui ont préparé d'une manière efficace la victoire complète des années 1628–1629, sont ordinairement estimées par les historiens comme infructueuses, honteuses même pour le gouvernement. En fait, il était impossible d'obtenir une victoire complète et de prendre La Rochelle sans avoir préalablement conquis les provinces du Sud et de Sud-Ouest, ce qui fut précisément réalisé pendant les premières campagnes.

La structure sociale du parti huguenot a aussi contribué, et de beaucoup, au succès de l'absolutisme. Quoique le lien religieux était très fort, les intérêts économiques et politiques de classe divisaient le parti de manière profonde. Les nobles, poursuivant leur programme d'indépendance politique et de défense des privilèges de toute l'aristocratie féodale (indépendamment de la religion), prétendaient se servir à leur gré des ressources militaires et financières du parti. Ce programme, réactionnaire et séparatiste, n'était pas accepté dans son entier par la bourgeoisie huguenote, royaliste pour la plupart dans le plan politique et qui voulait conserver ses privilèges économiques et fiscaux en participant en même temps au progrès industriel et commercial de la France. Elle appréciait l'oeuvre centralisatrice et mercantiliste de l'absolutisme, surtout ses démarches faites en faveur du commerce français à l'étranger. Cette position royaliste était renforcée objectivement par le fait que l'évolution générale du pays était orientée dans le sens bourgeois et que l'absolutisme de cette époque servait à sa manière au progrès du capitalisme.

De cette division du parti il résultait une opposition parfois manifeste de la bourgeoisie huguenote contre les nobles et les chefs de guerre du parti même au temps' de guerre ouverte contre le roi.

Ces contradictions internes affaiblissaient considérablement les huguenots d'autant plus que les masses populaires des villes étaient loin d'appuyer toujours et partout les chefs du parti, nobles ou bourgeois. La plèbe se trouvait dans une position particulièrement difficile et complexe. Les riches bourgeois l'exploitaient en tant que population ouvrière et urbaine dénuée de tous les droits, ce qui la portait parfois à suivre les actions et les exhortations démagogiques des nobles dans leur lutte contre la bourgeoisie. Il arrivait parfois que les villes devenaient l'arène des complots, tant nobles que bourgeois, tendant à concentrer toute la puissance dans les mains d'un groupe quelconque.

En fin de compte le succès de l'absolutisme a contribué au désastre presque complet de la force militaire de l'aristocratie féodale (l'insurrection de Montmorency et «la Fronde des princes» furent ses derniers efforts désespérés), ce qui était le but principal du gouvernement. Ce succès a profité aussi à l'évolution capitaliste du pays en rendant égaux, dans une certaine mesure, les bourgeois français en tant qu'industriels et marchands soumis à la loi d'égalité des concurrents capitalistes. L'unification politique et administrative en fut accrue, renforçant les positions de la bourgeoisie et de l'Etat absolutiste. Au début des années 1630, les groupes sociaux les plus réactionnaires ainsi que «la république huguenote», dénuée d'homogénéité sociale et incompatible avec l'Etat national centralisé, avaient quitté la scène politique.

Il est à noter que, par leurs traits les plus caractéristiques, les guerres civiles des années 1614–1629 ont été l'expression originale de l'évolution capitaliste de la France. Les éléments nouveaux dans l'économie et dans la structure sociale avaient aidé l'absolutisme à devenir suffisamment fort, de sorte que la lutte des groupes réactionnaires avait été et sans succès. Autrement, l'aristocratie aurait acquis la prépondérance politique à l'aide d'une simple révolution de palais, assez fréquente en ce temps. Dans ce cas «l'Etat huguenot» aurait pu profiter lui aussi, en obtenant une autonomie de fait. Il en aurait résulté le retardement du processus de la consolidation nationale ainsi que de révolution capitaliste.

Les états réactionnaires et la république huguenote, incapables d'obtenir la victoire, contrecarraient par leur lutte à main armée le développement économique du pays en épuisant les ressources matérielles tant directement — ruinant pendant la guerre les villes et les campagnes, qu'indirectement — contribuant à l'accroissement des impôts.

Un des traits les plus saillants des guerres civiles des années 1614–1629 consiste en ce qu elles se sont passées dans une forme presque pure de la lutte du gouvernement contre les états réactionnaires et les huguenots. Les soulèvements populaires de cette période ne peuvent pas entrer en comparaison par leur nombre et leur étendue avec celles du XVIe siècle et surtout des années 1630–1650. On peut expliquer ce phénomène par l'accroissement relativement faible des impôts avant 1630. La guerre civile obligeait le gouvernement à une certaine modération dans la politique fiscale.

Les particularités de l'évolution économique, sociale et politique de la France pendant la période étudiée, provenaient de ces mêmes circonstances qui ont déterminé le caractère et le rythme de son développement capitaliste. Le pays classique du féodalisme ne pouvait ni surmonter promptement son passé à la manière de la petite Hollande (qui en était chargée médiocrement), ni suivre l'exemple de l'Angleterre avec son rythme rapide de l'évolution agraire capitaliste, sa «gentry» vraiment bourgeoise, sa puissance navale etc. La bourgeoisie française a dû passer par une période économiquement et politiquement fort difficile.

Les années vingt du XVIIe siècle ont joué un rôle important dans révolution de l'absolutisme en France. C'est au génie de Richelieu qu'on attribue habituellement le «retour à la politique forte d'Henri IV». En fait, la nouvelle étape s'ouvre non pas en 1624, mais en 1620, avec la victoire de Ponts-de-Cé, à la veille des campagnes militaires contre les huguenots. Elle a été déterminée par la défaite de l'aristocratie, ce qui a permis au gouvernement de commencer la lutte contre la «république huguenote». Luynes en a pris l'initiative, mais c'est Richelieu qui l'ait menée jusqu'à la fin.

L'auteur étudie d'une manière très détaillée les événements compliqués des années 1621–1624, qui précédèrent l'arrivée de Richelieu au pouvoir. En examinant le régime financier de La Vièuville et le système de la dette publique dans son entier, l'auteur arrive à la conclusion que c'étaient principalement les campagnes militaires qui ont causé l'énorme déficit de 1622. Le régime d'économie introduit par La Vieu-ville tendait à l'affermissement du budget en retranchant les garnisons et les pensions. Mais le crédit public étant devenu déjà une condition sine qua non de l'existence même de l'Etat absolutiste, il fallait assurer d'une certaine manière les intérêts des créditeurs de la couronne. Cette politique était appuyée par Louis XIII et le mécontentement de la noblesse d'épée et de l'aristocratie fut réduit à rien. La chute de La Vieu-ville a été causée par son échec dans les affaires diplomatiques. Quoiqu'il ait suivi la politique déjà traditionnelle dirigée contre la maison d'Autriche, ses défauts — manque de souplesse et de clairvoyance — l'empêchèrent de la réaliser avec succès.

Cette politique réussit en fin de compte à Richelieu, mais les débuts de sa carrière furent très difficiles. Dénué d'argent et de forces militaires suffisantes, il a tenté malgré tout de fonder des grandes compagnies de commerce et d'intervenir à l'aide de la force armée dans le conflit de la Valteline. Ces tentatives s'avérant infructueuses, il lui fallut recourir à la diplomatie et aux réformes. Le traité de Monçon fut un traité séparé conclu secrètement avec l'ennemi principal, l'Espagne, aux dépens des alliés italiens de la France — Venise et Savoie. Il a permis à Richelieu de gagner du temps afin de se préparer au siège de La Rochelle.

Aux notables, convoqués en 1626, Richelieu a proposé un plan fort détaillé de réformes financières et autres. Il espérait trouver l'appui des cours souveraines (dont les membres étaient en forte majorité), indispensable pour l'enregistrement les édits touchant la création des compagnies de commerce et les mesures fiscales. Le point principal de ce programme était le rachat du domaine non à la manière de Sully (c'est-à-dire en 16 ans et sans débourser d'argent) mais pendant une période courte de 6 ans et à l'aide de fonds suffisants prêtés par les villes et le clergé moyennant intérêts légaux. Par ce moyen le gouvernement espérait avoir, après ce terme, des revenus suffisants et stables.

Les autres réformes prévoyaient la création de la marine ainsi que des compagnies de commerce et le répartissement de l'armée dans les provinces à charge de cellesci.

Le résultat des débats ne fut pas satisfaisant pour le gouvernement. Les notables avaient refusé l'emprunt espéré; ils proposèrent de racheter le domaine à l'aide d'une rente à 6.25 % jusqu'au remboursement total du capital engagé, c'est-à-dire en 16 ans. Ils consentirent à répartir l'armée dans les provinces mais à condition que celle-ci devraient payer un tiers seulement des dépenses. Ils approuvèrent la création de la marine, mais d'une manière abstraite, sans indiquer les ressources financières.

En outre les nobles et les officiers profitèrent de l'assemblée pour présenter au roi leurs requêtes et articles. Les nobles répétèrent les doIéances de leur chambre aux Etats-Généraux de 1614–1615; les parlements protestèrent violemment contre les intendants de justice en réclamant leur renvoi.

L'assemblée n'a donc profité ni au pays, ni au gouvernement. Le projet financier tomba par le fait des officiers, mécontents à cause des intendants et de plusieurs emprunts forcés. Aux projets touchant la marine et le commerce ils ont donné un appui tout formel, laissant le gouvernement à ses propres ressources. Les trois états tâchaient, chacun à sa manière, de tirer le pays en arrière. Les prélats n'approuvaient pas le gallicanisme, c'est-à-dire l'église nationale. Les nobles d'épée réclamaient obstinément la première place pour leur état sans comprendre que cette perspective était déjà fermée. La noblesse de robe, la plus riche et la plus influente de tous, devenait réactionnaire elle aussi. L'assemblée des notables fut pour les parlements le commencement de leur opposition à la politique centralisatrice de l'absolutisme. Tout en ayant des liens de classe indissolubles avec le gouvernement, ces ordres privilégiés accentuaient de plus en plus leurs intérêts de caste, réactionnaires pour la plupart, et qui entravaient le progrès économique et social du pays.

Les moyens employés par Richelieu dans ces conditions défavorables démontrent les possibilités très restreintes de l'absolutisme. Le pouvoir central avait à surmonter des obstacles sérieux: privilèges onéreux des ordres formant la classe dominante, pénurie d'argent, séparatisme des provinces du Sud-Ouest, faiblesse à l'échelle internationale, danger de guerre extérieure etc.

Pour le siège de La Rochelle et les campagnes d'Italie, Richelieu a dû recourir à des emprunts de plus en plut massifs. Les financiers ont prêté au gouvernement plus de 18 millions par an — presque 40 % des revenus totaux de l'Etat. L'augmentation des impôts en fut la suite inévitable et les soulèvements populaires éclatèrent. L'essor politique de l'absolutisme était payé bien chèrement par le peuple.

L'adhésion des notables aux projets touchant la marine et le commerce a joué tout de même un rôle positif. La marine fut créée; les compagnies de commerce, bien que relativement faibles, aidèrent la colonisation et le commerce océanique en augmentant la production des manufactures et en élargissant les marchés étrangers.



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