Douze

Il n’y avait pratiquement rien à Padronis.

La flotte était prête à affronter menaces et mauvaises surprises en émergeant de l’espace du saut, et elle ne trouva que deux vaisseaux.

En des circonstances normales, cela seul aurait dû surprendre. La naine blanche Padronis n’avait aucun compagnon, que ce fût planète ou astéroïde. Les naines blanches accumulent lentement de l’hélium dans leur coquille de gaz, si bien qu’elles virent à la nova au bout d’une très longue période. Si un satellite naturel avait jamais orbité autour de Padronis, il avait été anéanti longtemps avant que les hommes n’atteignent cette région de l’espace.

Le croiseur léger syndic mutiné cinglait d’un bon pas vers le point de saut pour Héradao à l’arrivée des vaisseaux de Geary, dont il était déjà très éloigné. Son équipage n’avait visiblement plus aucune envie d’en découdre avec l’Alliance.

La station orbitale syndic abandonnée qu’ils avaient aperçue lors de leur dernier passage dans ce système était toujours là et gravitait sur son orbite solitaire autour de l’étoile, laquelle finirait par exploser dans un lointain avenir. C’était d’ailleurs là que se trouvait l’autre vaisseau du système, un cargo amarré à ce poste de secours construit par les Syndics un siècle plus tôt, avant l’hypernet, quand il fallait encore sauter d’étoile en étoile (dont celles qui, comme Padronis, n’avaient rien à offrir) pour atteindre sa destination. Elle était désaffectée depuis des décennies, tout y avait été coupé mais était resté en place, car rapatrier le matériel aurait coûté plus cher qu’il ne valait.

« Que fabrique ce cargo ? » demanda Geary. On ne voyait rigoureusement rien d’autre dans le système, bien que les senseurs de la flotte se soient échinés à le scanner en quête de la plus infime anomalie. « Assurez-vous que rien d’anormal ne reste coincé dans les filtres antiparasites parmi tout ce que les senseurs auraient pu capter. Je tiens à ce que tout soit soigneusement contrôlé, même les interférences qui n’ont l’air que de parasites.

— Il n’y a strictement rien, affirma Desjani en secouant la tête. Ce cargo et la station se trouvent à trois heures-lumière, de sorte qu’ils ne sauraient nous menacer.

— Commandant ? l’interpella le lieutenant Castries. On est en train de charger du matériel à bord de ce cargo.

— Du matériel ? »

Un appel leur parvint du Tanuki. Il n’était pas à haute priorité, mais Geary n’avait rien de plus urgent sur le feu pour le moment. « Que se passe-t-il, capitaine Smyth ? »

Smyth ébaucha un sourire torve. « Ce cargo, là. Il est en train de piller la station.

— De la piller ? Vous êtes sûr ?

— Il y a sans doute une petite chance que des autorités syndics l’aient affrété pour récupérer des équipements dont elles auraient besoin ailleurs, mais ça me paraît peu probable. Maintenant que le gouvernement des Mondes syndiqués n’a plus aucune autorité dans les parages et bien d’autres sujets d’inquiétude, ce cargo est venu dépouiller la station abandonnée, perdue au beau milieu de nulle part, de tout ce que son armateur pourra embarquer et revendre, même pour des rogatons. »

Geary fixait l’image du cargo ; son instinct lui soufflait de faire quelque chose. Mais quoi ? « Même désaffectée, elle doit encore contenir un tas de matériel et de fournitures qui pourraient se révéler vitaux pour un vaisseau passant par Padronis et souffrant d’un grave problème.

— Effectivement, convint Smyth. Tout à fait. Et ces pillards s’en moquent. Ils sont là pour se faire du gras, même si ça doit se traduire par un drame pour autrui. C’est ce qui arrive quand l’autorité centrale s’effondre, amiral. Les riches et les puissants peuvent encore prendre soin d’eux-mêmes, mais ce sont justement ceux qui ont besoin d’aide qui en pâtissent.

— Merci, capitaine Smyth. Nous n’y pouvons rien, j’imagine.

— Non. Nous pourrions chasser ce pillard, mais un autre se pointerait tout de suite après notre départ. » Smyth mit fin à la conversation avec un haussement d’épaules résigné.

« Amiral, le héla Desjani, regardez donc les Danseurs. »

Geary s’exécuta. À Sobek, les Danseurs avaient tenté de prévenir la flotte d’un danger. À Simur, ils étaient restés à proximité de l’Invulnérable en raison, semblait-il, de la menace que faisaient peser les Syndics.

Mais, pour l’heure, ils ne se trouvaient plus à la lisière de la formation de la flotte et se retournaient en manifestant ce qui évoquait à Geary une sorte de jubilation. « Ils ont l’air de se sentir en sécurité.

— Pas moi, lâcha Desjani. Je n’arrive pas à m’ôter de l’esprit ce qui s’est produit ici à notre dernier passage. » Le nuage de poussière et de débris qui avait été naguère le croiseur lourd Lorica et son équipage croisait encore autour de Padronis, et l’Indomptable avait bien failli connaître le même sort. « Ne pourrions-nous pas rentrer chez nous ?

— Ouais. Filons. Droit sur le point de saut pour Atalia. »

Atalia était un système stellaire très animé, mais qui, en raison de sa position en première ligne, avait beaucoup souffert pendant cette guerre interminable. La flotte émergea de nouveau avec prudence de l’espace du saut, mais Geary ne s’attendait pas à rencontrer des problèmes. Ce système était trop proche de l’espace de l’Alliance et avait d’ores et déjà déclaré son indépendance d’avec les Mondes syndiqués. Y poser des chausse-trapes aurait été pour les Syndics une tâche pratiquement impossible.

Ce qui n’en rendit que plus surprenantes encore les alarmes des systèmes de combat qui retentirent dès leur émergence.

« Des Syndics ! » Desjani jeta un regard noir à Geary. « Deux croiseurs lourds près du point de saut pour Kalixa, quatre croiseurs légers et six avisos devant celui pour Varandal. Ils ont dû reconquérir ce système. Ne sommes-nous pas habilités à les jeter dehors ?

— Peut-être. » Après tout ce qu’on venait de traverser, l’idée de virer les Syndics d’Atalia présentait une certaine séduction en dépit de son douteux bien-fondé légal. « Bizarre. Cette estafette est encore là, tout près de ces croiseurs légers et de ces avisos. »

Assez inexplicablement, le vaisseau estafette de l’Alliance croisait toujours à proximité du point de saut pour Varandal. C’était sans doute le témoignage de son engagement plus ou moins réticent à tenir à l’œil le système stellaire d’Atalia, sans pour autant représenter une défense vraiment efficace au cas où des vaisseaux des Mondes syndiqués y auraient fait irruption dans le dessein de le réintégrer par la force à leur empire, comme cela en donnait précisément l’impression. Mais, si cette réoccupation était avérée, pourquoi l’estafette n’était-elle pas repartie ensuite ? Même si les Syndics ne l’avaient pas menacée, elle aurait dû rapporter l’événement à Varandal.

Avant que Desjani eût pu répondre, des identifications de bâtiments commencèrent d’apparaître sur les écrans. « Nous connaissons ces vaisseaux syndics ? s’enquit-elle, mystifiée.

— Ce ne seraient pas des vaisseaux syndics ? demanda à son tour Geary alors que les couleurs se modifiaient sur l’écran. Ils sont… Ils viennent de… Midway ? Ils n’avaient pas transmis de… Manticore ? Kraken ? Ces croiseurs lourds étaient encore à Midway au moment de notre départ. »

Le visage de Desjani s’était durci. « Ils n’ont pu arriver à Atalia avant nous qu’en empruntant l’hypernet syndic pour une destination comme Indras. Les Syndics ont manipulé leur hypernet pour nous interdire son emploi et ceux de Midway marchaient dans la combine.

— Une seconde. » Geary s’accorda un instant de réflexion, conscient d’avoir été déstabilisé par cette révélation. « S’ils avaient été partie prenante, pourquoi se trahiraient-ils en se trouvant sur place à notre irruption ? Ils n’espéraient tout de même pas que la flotte serait entièrement détruite ou presque, même si tous les traquenards qu’elle a rencontrés sur sa route avaient opéré à cent pour cent. Gagnons le point de saut pour Varandal et attendons qu’ils nous fournissent des explications à leur présence. »

Quand ces explications leur parvinrent enfin, ce fut sous les traits de la kommodore Marphissa. « Si elle fait semblant d’être heureuse de nous revoir, c’est une excellente comédienne, fit remarquer Rione.

— Contente de vous retrouver, amiral Geary, était en train de dire la kommodore. Nous avons recouvré l’accès à tous les portails de l’hypernet deux jours après votre départ de Midway. Le gouvernement syndic a dû apprendre à fermer temporairement l’ensemble ou une partie de ses portails. Nous faisons de notre mieux pour découvrir comment il s’y prend, mais nous n’avons réuni jusque-là aucune information à cet égard.

» Nous sommes venus à la suggestion du capitaine Bradamont, qui nous a appris la capture des survivants de la flottille de réserve à Varandal. Ces rescapés fourniront à nos vaisseaux les équipages qui leur manquent, si bien que la présidente Iceni a donné son approbation à cette opération de récupération. Six cargos sont en route pour Varandal, accompagnés par le capitaine Bradamont, qui nous a affirmé que l’amiral Timbal se plierait à vos instructions en votre absence.

» Nous nous inquiétons néanmoins pour elle et nos cargos et nous constatons avec le plus grand plaisir que la flotte et vous-même gagnerez bientôt Varandal vous aussi. Si les vaisseaux de la flottille de récupération du système indépendant de Midway peuvent vous assister d’une manière ou d’une autre, je vous prie de nous le faire savoir. Au nom du peuple, Marphissa, terminé. »

L’espace d’un instant, nul ne moufta puis Rione haussa les épaules. « Je ne m’attendais pas à ça. Qu’est-il arrivé, à votre avis, quand le capitaine Bradamont et ces six cargos ont atteint Varandal ?

— Espérons qu’ils auront recueilli ces prisonniers syndics, souffla Geary. Et que mes instructions auront fourni une couverture suffisante au capitaine Bradamont.

— La kommodore semblait parfaitement sincère quand elle a exprimé son inquiétude pour Bradamont, fit observer Rione.

— Les Syndics sont des menteurs aguerris, affirma Desjani. Et elle devait réellement s’inquiéter pour ses cargos. Je sais, je sais, ce ne sont plus des Syndics, ajouta-t-elle en voyant Geary la regarder de travers. Bon, ils sont libres de venir récupérer ces poids morts à Varandal, n’est-ce pas ?

— Entièrement, dit-il. Et si les vaisseaux de Midway attendent seulement le retour des cargos, nous n’avons pas à nous occuper d’eux. Ils ne représentent aucun danger pour Atalia.

— D’autant qu’ils défendent en réalité ce système », renchérit Rione.

Geary secoua la tête. « Encore quelque chose à quoi je ne me serais jamais attendu. » Il pianota sur ses touches de com. « Kommodore Marphissa, je dois vous informer des attaques très contestables menées contre nous par les Mondes syndiqués tant à Sobek qu’à Simur. Nous vous serions reconnaissants de nous fournir toutes les informations dont vous disposeriez encore sur le dysfonctionnement de l’hypernet syndic. Nous nous dirigeons vers le point de saut pour Varandal. Une fois là-bas, si le capitaine Bradamont et vos cargos s’y trouvent encore, nous veillerons à ce qu’ils s’en retournent librement. Il fait… euh… bon vous revoir, kommodore. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé.

— Étiez-vous obligé d’ajouter ce “il fait bon vous revoir” ? » grommela Desjani.

Les autorités d’Atalia se montrèrent plus qu’accueillantes et firent des pieds et des mains pour fournir au grand Black Jack tout ce dont il avait besoin (du moins si elles en disposaient) ; elles exprimèrent prudemment la reconnaissance envers Midway que leur inspirait la protection apportée par sa flottille (en sous-entendant qu’elles ne verraient pas d’un mauvais œil que l’Alliance fournît un contingent identique), tout en se plaignant que, depuis son arrivée, cette flottille interdisait à tout autre vaisseau de sauter pour Kalixa et Indras au-delà ; et, au fait, qu’étaient exactement ces six bâtiments mystérieux qui ne semblaient pas de facture humaine, et d’où venait donc ce supercuirassé dont la conception, elle non plus, n’était guère familière ? Geary laissa Rione s’en dépatouiller et répondre à toutes ces questions par des « merci mais non, sans façons » ambigus, ne livrant aucune information réelle sur la flotte ni sur son périple.

L’équipage restreint du petit vaisseau estafette trépignait lui aussi de curiosité. Il confirma que six cargos étaient arrivés à Atalia avec les forces de Midway et avaient sauté pour Varandal quelques jours plus tôt. Conscient de la nature aussi rasoir que peu gratifiante de son affectation à Atalia, Geary servit à l’équipage une mouture édulcorée du rapport qu’il avait préparé pour le QG de la flotte et le gouvernement de l’Alliance.

À l’approche du point de saut pour Varandal, Rione demanda à lui parler en privé. Se doutant plus ou moins des propos qu’elle allait lui tenir, il n’y consentit qu’à contrecœur.

« J’espère que vous n’imaginez pas que tout danger est écarté », déclara-t-elle tout de go, à peine entrée dans sa cabine. Elle avait décliné le siège qu’il lui offrait.

Mécontent d’avoir deviné juste, Geary s’assit, lui, puis se renversa pour fixer le plafond. Il s’était livré très souvent à cet exercice depuis que Charban et lui avaient discuté des motifs qu’y distinguaient les humains et de ce qu’un Danseur, voire un Énigma ou un Bof, verrait dans ces mêmes formes. Mais seuls les Danseurs pourraient leur apporter un jour la réponse. « Je sais qu’il nous faudra affronter certains défis dans l’espace de l’Alliance…

— Les problèmes que nous avons laissés derrière nous sont toujours là et se sont même sûrement aggravés, le prévint-elle. Trop de gens chez nous vous prennent pour un cadeau des vivantes étoiles, chargé de sauver l’Alliance de la perdition, ou alors pour la plus grande menace qu’elle ait jamais dû affronter.

— Et, entre ces deux extrêmes, beaucoup d’autres jouent leur partie personnelle en se persuadant qu’ils le font à bon droit, ajouta Geary d’une voix lasse. Qu’y puis-je ?

— Patienter, observer et réagir. » Elle eut un geste d’impuissance. « Les acteurs sont trop nombreux, et chacun joue dans son coin. À ce propos, je m’inquiète chaque jour davantage de ce que feront les vaisseaux de la République de Callas et de la Fédération du Rift à notre arrivée à Varandal. »

D’abord le docteur Nasr et maintenant Rione. Que tous deux y fissent allusion soulignait assez la grave tournure que prenait ce problème. « J’ai promis à leurs équipages que je ferais mon possible pour…

— Je ne crois pas que cela suffise, amiral, le coupa-t-elle. Le capitaine Hiyen a l’air très soucieux. Selon lui, il ne se passe encore rien de bien grave dans les équipages, hormis de légers mais constants remous qui semblent préluder à de plus forts séismes. Vous n’aurez peut-être pas le loisir d’agir. La dernière fois qu’ils sont rentrés à Varandal, ils ont attendu les instructions et n’ont été récompensés de leur patience que par l’ordre de repartir dans l’espace avec vous au lieu de rentrer chez eux, ce à quoi ils étaient en droit de s’attendre. Je ne sais pas comment ça se passera cette fois, mais préparez-vous à un tremblement de terre de ce côté-là. »

Geary opina avec lassitude. « Tandis qu’il serait inutile que je me prépare à des séismes venant d’autres directions, j’imagine ?

— Oui. Je n’aime pas jouer en défense, mais nous n’avons pas mieux en l’occurrence. Nous pouvons tout juste espérer parer les coups à mesure qu’on nous les assène. Sauf si un nouveau facteur venait modifier l’équation.

— Un nouveau facteur ? » Geary la dévisagea. « Les Danseurs que nous ramenons avec nous, par exemple ?

— Impossible de prédire l’impact qu’aura cet événement. D’autant que les Danseurs eux-mêmes sont imprévisibles. Ils ont choisi de nous accompagner. J’ignore encore pour quelle raison. Ils nous en feront peut-être part quand nous atteindrons le territoire de l’Alliance. »

Geary reporta le regard sur l’enchevêtrement de câbles, de conduites et de fils qui couraient au plafond. « Quelqu’un ne souhaitait pas mon retour ni celui de la flotte.

— Mais vous rentrez. Avec une flotte qui reste puissante. Pourquoi ce constat semble-t-il ne vous procurer aucune satisfaction ? Me cacheriez-vous quelque chose, Black Jack ?

— Voilà qui nous changerait.

— Effectivement. Mais vous éludez la question.

— Saviez-vous que le gouvernement de l’Alliance est en train de construire une nouvelle flotte ? »

Elle le dévisagea, manifestant ouvertement sa surprise pour la première fois depuis qu’il la connaissait. « D’où tenez-vous cela ? »

Geary ébaucha un sourire, simple rictus dépourvu d’émotion. « J’ai mes sources.

— De quelle taille, cette flotte ? » Si Rione l’avait su, elle le cachait avec brio.

« Vingt cuirassés, vingt croiseurs de combat et un nombre correspondant d’escorteurs. »

Elle le fixa pendant ce qui lui parut une bonne minute avant de reprendre la parole. « Je peux vérifier cette information à notre retour. En avez-vous été prévenu officiellement ?

— Diable non !

— Zut ! Ça pourrait signifier bien des choses, toutes pernicieuses. » Rione secoua la tête. « Que dit le vieux dicton, déjà ? “Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes ne peuvent rien.” Et je n’en suis pas un.

— Moi non plus. Avons-nous une petite chance ? »

Rione marqua une pause puis se fendit à son tour d’un sourire énigmatique. « Bien sûr que oui. Black Jack est avec nous. »

Il cherchait encore sa repartie qu’elle avait déjà filé.

Le lendemain, après s’être enfoncée plus profondément dans un espace interstellaire inexploré jusque-là en combattant à l’aller comme au retour, la flotte de l’Alliance rentrait enfin chez elle.

Varandal.

Geary ressentait comme un immense soulagement. Il était chez lui. Dans l’Alliance. Ses amis et conseillers le préviendraient sans doute contre les nombreux adversaires, tant politiques que militaires, qui devaient comploter contre lui et lui interdisaient de baisser sa garde, ne fût-ce qu’un instant, dans un espace théoriquement « amical », mais, pour l’heure, il se cantonnait fermement au déni et préférait croire que seuls répit et soutien les attendraient, lui et la flotte, à Varandal.

« J’espère qu’on ne va pas nous allumer, marmonna Desjani, lui rendant brusquement plus complexe la tâche de s’illusionner.

— Pourquoi nous tirerait-on dessus ? s’étonna-t-il.

— Parce que vous êtes Black Jack et que vous ne revenez pas pour rien. Parce que nous ramenons le supercuirassé bof. Parce que six Danseurs nous escortent. Parce que Bradamont est passée ici avec six cargos syndics et a donné un coup de pied dans la fourmilière. Parce que ce sont des crétins.

— L’amiral Timbal n’est pas un crétin, lâcha Geary en s’efforçant encore de préserver ses derniers lambeaux de sérénité.

— Même s’il est toujours aux commandes à Varandal ? » Desjani lui décocha un regard en biais. « Préparez-vous à tout et n’importe quoi à notre émergence.

— C’est moi l’amiral, vous savez ?

— Alors permettez-moi d’aviser respectueusement l’amiral que vous êtes de se tenir prêt à tout ce qui pourrait survenir à notre sortie de l’espace du saut ! »

Geary se redressa dans son fauteuil de commandement, soupira et se massa les globes oculaires. Il n’aurait pas la bêtise de rappeler à Tanya qu’elle se faisait l’écho des avertissements que lui avait donnés Rione quelques jours plus tôt. Je n’avais pas songé à tout cela quand j’ai épousé le commandant de mon vaisseau amiral.

« Quoi ?

— Je n’ai rien dit.

— Si, vous… Pas grave. Nous serons bientôt arrivés. » Desjani lui adressa encore un regard de reproche puis se concentra sur son écran.

Geary l’imita et vit une des lueurs de l’espace du saut s’allumer brusquement sur leur passage, du moins en donnait-elle l’impression. Impossible de préciser à quelle distance elle se trouvait, comme d’ailleurs aucun phénomène dans l’espace du saut, mais l’Indomptable lui fit l’effet de plonger droit dedans juste au moment d’émerger.

Les officiers de quart sur la passerelle aspirèrent eux aussi une bouffée d’air entre les dents, lui faisant ainsi comprendre qu’ils avaient éprouvé la même sensation.

Là-dessus réapparurent enfin, bienvenus, la noirceur de l’espace conventionnel et les points brillants des étoiles innombrables, dont celui de la plus proche, Varandal.

Nulle alarme ne retentit lorsque les senseurs de la flotte entreprirent de sonder l’espace environnant et d’enregistrer la situation. Geary s’était entre-temps arraché à la légère confusion mentale que cause l’émergence, son écran s’était remis à jour et affichait l’image rassurante d’une activité humaine de routine dans le système stellaire.

Du moins jusqu’à ce qu’il se mette à tressauter, comme pris de hoquet, et que l’image d’une douzaine de navettes furtives de l’Alliance, près de la station orbitale d’Ambaru, se substitue à la première. « Qu’est-ce qu’elles fichent là ?

— Ambaru doit aussi les voir, marmonna Desjani en vérifiant ses propres données. Elles émettent des signaux. C’est pour ça que nous avons pu les repérer de si loin. »

Il afficha ces données et se rendit compte qu’elle disait vrai. Les navettes furtives émettaient effectivement des signaux qui, normalement, auraient dû passer pour le bruit d’arrière-fond d’un système stellaire. Seuls des senseurs programmés pour chercher des motifs spécifiques dissimulés dans ces parasites auraient dû déceler ces signatures. « Manœuvres ? Pour quoi faire ?

— Eux le savent peut-être, suggéra Tanya en pointant de l’index les images d’un croiseur léger et de deux destroyers de l’Alliance, à trente minutes-lumière du point de saut. « Coupe, Bandoulière et Javelot. Que fabriquent-ils ici ?

— Ils retournent vers l’intérieur du système, répondit Geary en se renfrognant. Et aucun signe de ces cargos syndics.

— Pas de débris non plus, fit remarquer Desjani.

— Entrons nous aussi dans le système. Nous transmettrons un message d’arrivée standard, sans plus, jusqu’à ce que j’aie reçu des nouvelles de Timbal.

— Et s’il n’était plus là ?

— De son remplaçant, alors. »

Cela prit plusieurs heures, évidemment. Coupe et Bandoulière restèrent laconiques quand Geary les appela, et se contentèrent de lui apprendre qu’ils s’étaient livrés à des manœuvres spéciales sur ordre de l’amiral Timbal. Mais les commérages entre vaisseaux et stations orbitales de Varandal avaient été assez pléthoriques pour fournir au lieutenant Iger une image parcellaire des événements, qu’il se hâta de recomposer.

« Les cargos syndics… euh… les cargos de Midway sont bien passés ici, amiral. Ils se sont présentés et ont réclamé les prisonniers de la flottille de réserve syndic que vous avez détruite. Mais il y a eu comme un gros os. Commandos et fusiliers sur la station d’Ambaru, vaisseaux de guerre circulant rapidement et nuées de messages hautement classifiés.

— Mais les cargos sont repartis sans encombre ? Avec le capitaine Bradamont ?

— Il n’est fait nulle part mention du capitaine Bradamont, amiral. Sinon… Oui, il semble bien qu’ils aient sauté il y a quelques jours. »

Quand un message de l’amiral Timbal leur parvint enfin, sa teneur confirmait ces hypothèses : « Le capitaine Bradamont était bien avec eux, mais je suis le seul à le savoir. Si certaines coteries avaient découvert qu’elle accompagnait ces cargos, ç’aurait provoqué des ennuis sans fin et la situation était déjà bien assez compliquée. Elle nous a appris que vous aviez rencontré de grosses difficultés quand vous avez tenté d’emprunter le portail de l’hypernet de Midway, mais que ces problèmes s’étaient aplanis après votre départ. Selon Bradamont, les Syndics… euh, pardonnez-moi, les gens du système stellaire libre et indépendant de Midway étaient quelque peu éberlués mais persuadés que le gouvernement syndic avait trouvé le moyen d’interdire de manière sélective l’accès à ses portails, et qu’il avait recouru à ce subterfuge pour compliquer votre voyage de retour. »

Timbal se trouvait encore à trois heures-lumière de distance, sur la station d’Ambaru ; il poussa un profond soupir. « Ici, ç’a été… intéressant, disons. Vous avez certainement remarqué les navettes furtives et les commandos qui s’attardent autour d’Ambaru et attendent que je mette un pied dehors, loin de la protection des fusiliers. Un peloton entier de fantassins sur le qui-vive me suit partout depuis quelques jours, parce que je suis persuadé qu’un de leurs officiers supérieurs au moins a reçu l’ordre de m’arrêter. Mais vous voilà de retour, comme l’avait annoncé le capitaine Bradamont. Elle s’en est bien sortie, même s’il s’en est fallu d’un cheveu à un certain moment. Elle m’a aussi fait part de ce que vous avez rencontré durant votre périple, et elle m’avait même parlé de ce supercuirassé que vous avez capturé, mais je ne m’étais pas rendu compte de la taille de ce foutu machin. Et aussi des Danseurs. Je savais qu’ils allaient rappliquer. Mais j’étais le seul, de sorte que vous avez fait là une entrée pour le moins théâtrale. Mais il faut dire aussi que c’est une habitude chez vous. » Timbal sourit, façon de montrer qu’il se fendait d’un compliment.

« Je suis toujours aux commandes jusqu’à nouvel ordre, reprit-il. Mais je me félicite de vous voir de retour pour me soutenir. Ça va très vite se tasser, selon moi, et le QG de la flotte y regardera maintenant à deux fois avant de me faire passer en cour martiale pour haute trahison ou manque de jugeote, voire par pur principe. Oh, on dirait bien que les commandos ont finalement décidé de lever le camp ! J’imagine donc que tout va bien et qu’on est tous copains comme cochons à présent !

» J’ai réellement hâte de voir votre rapport circonstancié sur vos dernières activités. Fichtre, c’est vraiment un très gros cuirassé. En l’honneur de nos ancêtres, Timbal, terminé. »

Les quelques journées qui suivirent furent très animées. Il fallait ramener la flotte à l’intérieur du système, affecter à de nombreux vaisseaux des orbites de garage réservées à l’Alliance et en envoyer d’autres aux bassins de radoub pour réparations ; dépêcher à la station d’Ambaru des navettes chargées de prisonniers de l’Alliance libérés afin qu’on procède à leur enregistrement et à des examens, médicaux et autres ; transmettre aussi des rapports, et des estafettes de l’Alliance filaient déjà vers le portail de l’hypernet local pour annoncer le retour de Black Jack au gouvernement d’Unité et au QG de la flotte. D’autres courriers, privés ceux-là et affrétés par les médias, quittaient également Varandal en trombe, porteurs des mêmes nouvelles : Black Jack est vivant, il est revenu, il a arraché aux Syndics des milliers de prisonniers de l’Alliance, dont de nombreux officiers supérieurs, hommes et femmes, qu’on croyait morts depuis belle lurette, il a trouvé de nouveaux alliés à l’humanité, il a été trahi par les Syndics, a de nouveau vaincu les Énigmas… Sans compter d’autres annonces dont Geary se serait bien passé : Black Jack serait en possession du plus gros vaisseau spatial jamais construit et il s’en servirait pour défendre l’humanité… pour prendre le contrôle de l’Alliance… pour anéantir les Syndics… pour…

« Une flotte ? éructa Desjani. On croit que vous allez construire une flotte de vaisseaux sur le modèle de l’Invulnérable ? Sait-on seulement ce que ça coûterait ?

— Non, répondit Geary, amer. Ces gens-là n’en ont aucune idée. C’est bien pour ça qu’ils me prêtent cette intention. » Tous deux se trouvaient dans la cabine de Geary, dont l’écoutille était ouverte, et, pour la millième fois peut-être depuis leur arrivée à Varandal, il se demandait quand Tanya et lui auraient une petite chance de quitter l’Indomptable, de passer au moins quelques heures de permission ensemble, loin de tout bâtiment officiel et en tant que mari et femme plutôt que comme commandant et amiral.

Un autre message entra, qu’il faillit enregistrer dans sa boîte vocale sans l’écouter, avant de se rendre compte de l’identité de son expéditeur. « Ils sont encore vivants, lui annonçait le docteur Nasr avec un pâle sourire. Nous avons maintenu deux Vachours en vie jusqu’à notre retour dans l’Alliance, en attendant qu’on puisse les confier à d’autres instances.

— Compliments, docteur », répondit Geary. Il comprenait aisément l’attitude penaude du médecin. Avaient-ils bien fait ? Qu’allait-il advenir désormais de ces Bofs ? Nasr s’en souciait davantage que tout autre car, à ses yeux, ils restaient ses patients. Alors que la flotte tout entière avait pris l’habitude de se servir du sobriquet de « Bofs » pour les désigner, lui continuait d’employer le terme plus courtois et respectueux de « Vachours ».

« J’ai reçu l’ordre de les transférer à la garde du personnel de l’Institut Shilling, reprit le médecin. Ce sont de braves gens. De bons médecins. Mais je répugne malgré tout à remettre ces Vachours à des individus qui ne savent rien d’eux. Nous en avons appris assez long sur eux pour doser convenablement les sédatifs que nous leur administrons, même si, encore dernièrement, nous avons connu quelques quarts d’heure difficiles.

— Les autorités médicales tiendront compte de votre expérience, n’est-ce pas ? Vous venez de dire vous-même que les gens de l’Institut Shilling étaient compétents.

— C’est vrai, mais c’est le dessus du panier. Nous sommes des médecins spatiaux, amiral, précisa le docteur Nasr avec une pesante ironie. Une forme inférieure de praticiens aux yeux de l’élite. Ils nous écouteront, certes ; quelques-uns prêteront même attention à nos propos, mais je crains fort que la plupart n’en tiennent pas compte et ne répètent nos erreurs. » Toute trace d’humour s’était désormais dissipée. « Et les deux derniers Vachours risquent de succomber. Non pas parce que les gens qui en auront la garde sont des êtres malfaisants, mais parce que l’erreur est humaine, même quand ça n’implique pas d’adorables petites boules de poils qui ne raisonnent pas comme nous et dont l’espèce n’a pas connu la même évolution. »

Geary serra les dents, luttant contre une impression de futilité dont il savait que le médecin devait la partager. « Nous avons agi au mieux. Je vois mal ce que nous aurions pu faire d’autre.

— Moi non plus, amiral. Je tenais à ce que vous en fussiez informé. Je me montre peut-être d’un pessimisme malvenu en refusant de confier mes patients à des collègues. Je me raconte sans doute des histoires en me persuadant que j’en sais plus que les autres. » Nasr afficha l’espace d’un instant une moue mélancolique. « C’est bien dommage, poursuivit-il. Les Vachours ne sauront jamais à quel point nous nous sommes échinés pour les aider à rester en vie. Mais eux croient connaître déjà nos intentions à leur égard, de sorte qu’ils refuseraient aussi de nous écouter. Comment l’expliquer à des tiers qui sont déjà prêts à nous faire des reproches ? On m’en a déjà rebattu les oreilles : comment avez-vous pu combattre ces êtres ? Les massacrer ?

— Ils ne nous avaient guère laissé le choix.

— Nos archives devraient l’établir, convint le médecin. Sauf si on refuse de leur accorder foi.

— Merci, docteur. Merci pour tout. » Geary se tourna vers Tanya pour lui dire quelques mots, mais il fut interrompu par un couinement le prévenant de l’arrivée d’un message urgent.

Le masque du capitaine Hiyen était celui, figé, d’un condamné à mort affrontant son peloton d’exécution : mélange de résignation (on n’y peut plus rien) et de résolution (autant prendre ce dernier coup du sort avec le plus de panache possible). Certainement pas la mine fataliste qu’un commandant en chef aime voir à l’un de ses subordonnés qui se présente au rapport, et qui, en outre, semblait singulièrement déplacée à Varandal, où la sécurité paraissait désormais acquise. « Il faut absolument que je vous parle en privé et le plus tôt possible, amiral. »

Le cuirassé Représailles n’orbitait qu’à quelques secondes-lumière de distance, permettant à la conversation de se dérouler sans ces pauses aussi pénibles qu’interminables durant lesquelles la lumière porteuse du message rampait entre deux vaisseaux. « À quel propos exactement ? s’enquit Geary en invitant d’un geste pressant Desjani à venir le rejoindre.

— De… Des vaisseaux de la République de Callas. Et aussi de la Fédération du Rift, j’ai l’impression. Je vous en prie, amiral. Le temps nous est peut-être compté. »

Rione l’avait prévenu qu’une marmite depuis longtemps sur le feu était en passe de déborder. Geary réfléchit un instant puis se retourna vers Tanya, qui, assise et tendue, semblait sur le qui-vive et consciente de son inquiétude. « Capitaine Desjani, veuillez s’il vous plaît m’accompagner jusqu’à la salle de conférence de haute sécurité. » Tant pis pour le tête-à-tête ! Si ce qu’il redoutait se vérifiait, il aurait besoin d’autres oreilles et d’autres cerveaux.

Et, si cette affaire concernant les vaisseaux de la République de Callas recouvrait bien ce qu’il craignait… Il pressa une touche de com. « Émissaire Rione, retrouvez-moi dès que possible dans la salle de conférence de haute sécurité. » Rione avait été coprésidente de la République de Callas avant d’être évincée et démise de ses fonctions par un vote, à l’occasion d’une de ces vagues intempestives de scrutins qui bouleversaient l’ordonnance politique de l’Alliance, et les matelots et officiers de ses vaisseaux la respectaient, comme d’ailleurs ceux de la Fédération du Rift. République et Fédération n’avaient rallié l’Alliance qu’au cours de la guerre, par peur des Mondes syndiqués, et, maintenant que leurs populations aspiraient à trancher certains liens officiels, l’allégeance de Rione à l’Alliance avait constitué un sérieux motif de désamour pour les électeurs.

« C’est à propos de cet appel du Représailles ? » s’enquit Tanya alors qu’ils se dirigeaient vers la salle de conférence d’un pas vif, mais sans pour autant se précipiter afin de ne pas alarmer les spatiaux qu’ils croisaient en chemin.

« Oui. Vous vous doutez sans doute de sa teneur. »

Elle opina lentement, d’un air si résolu qu’il stupéfia Geary. « Ils veulent rentrer chez eux.

— Comme nous tous.

— Pas autant qu’eux. Et nous sommes chez nous. Dans l’Alliance. Ces vaisseaux viennent de la République de Callas. Il y a longtemps qu’ils n’ont pas revu leur patrie.

— Je sais. »

Quelques minutes plus tard, l’écoutille de la salle se refermait derrière Rione qui venait de se joindre à eux, et les lumières de son linteau proclamaient qu’elle était aussi sûre que le permettaient actuellement l’équipement et les logiciels de la flotte, tout comme étaient sécurisées les communications qu’elle hébergeait. Geary fit signe à Tanya de contacter le capitaine Hiyen.

Celui-ci n’eut pas l’air très content de constater la présence des deux femmes, mais il s’y résigna en soupirant pesamment. « Amiral, je vais me fier à votre jugement quant à la participation de ces dames à notre discussion. Madame la coprésidente, si pour ma part je vous accorde encore ce titre, beaucoup de nos compatriotes ont perdu toute confiance en vous. »

Rione resta impassible, mais Geary lut le chagrin dans ses yeux. « Ce n’est pas moi qui ai pondu les ordres vous intimant de rester dans la flotte. On m’a chargée de vous les transmettre, mais je ne les ai jamais approuvés.

— Je vous crois, répondit Hiyen. Amiral, pour parler net, j’ai le triste devoir de vous annoncer que des mutineries sont sur le point de se déclarer à bord des bâtiments de la République de Callas appartenant à cette flotte, ainsi, me semble-t-il, que sur ceux de la Fédération du Rift. À tout moment, mes officiers et mes matelots, comme ceux d’autres vaisseaux de la République et de la Fédération, risquent de refuser d’obéir à mes ordres et de rompre avec la flotte pour rentrer chez eux. C’est mon avis de professionnel.

» Il n’y a strictement rien que je puisse faire pour l’empêcher, ajouta-t-il. Que nous l’ayons évité jusque-là est déjà un miracle en soi. Mais c’est à présent inéluctable. »

Desjani serra le poing. « Si ces vaisseaux se mutinaient et se séparaient de la flotte, celle-ci ne tarderait pas à perdre toute cohésion. Mais si vous ordonniez aux fusiliers de soumettre les mutins ou à vos unités de tirer sur eux, les conséquences seraient probablement encore plus désastreuses. »

Naturellement, Geary savait que c’était à lui et à lui seul qu’il incombait de prendre une décision bien qu’il ne fût pas responsable de la situation, tout comme lui seul serait tenu pour responsable de ses conséquences négatives éventuelles.

« Vous avez tout essayé pour contrôler la situation ? s’enquit-il.

— À peu près tout sauf des arrestations en masse, répondit Hiyen sur un ton pesant. Ça n’aurait fait que la rendre encore plus explosive, j’en ai peur.

— Il a raison, intervint Rione d’une voix calme mais remplie d’assurance. On ne peut pas contenir plus longtemps la vapeur.

— Mais le capitaine Desjani n’a pas tort non plus, déclara Geary. Si je laisse ces vaisseaux rentrer chez eux, tous les matelots et fusiliers de la flotte commenceront à se demander s’ils ne sont pas habilités à prendre les mêmes décisions de leur propre chef. Nombre d’entre eux ne tiennent nullement à se mutiner et veulent rester dans la flotte, mais ils ont l’impression qu’on abuse d’eux. Tenter de les soumettre par la force donnerait des résultats encore plus accablants.

— Parlez-leur, le pressa Tanya.

— La force reste notre seul et dernier recours, prévint Hiyen. Ils n’écouteront personne, pas même Black Jack. Sans doute lui sont-ils encore reconnaissants, mais ils en ont beaucoup trop vu. Si je tente de m’opposer à eux, mes matelots me relèveront de mes fonctions et, si vous cherchez à les en empêcher, ils riposteront. »

Si seulement Hiyen avait été un incapable, un mauvais chef dont les déclarations seraient sujettes à caution et dont la destitution suffirait à rétablir l’équilibre… Mais c’était un officier compétent. Pas le plus brillant de la flotte, sans doute, mais un bon meneur d’hommes malgré tout. Geary se tourna vers Tanya et lut dans ses yeux le reflet de son propre constat.

« Comment la flotte est-elle censée gérer de telles situations ? » demanda Rione.

Geary haussa les épaules. « Traditionnellement en fusillant le messager. En l’occurrence le capitaine Hiyen, qui nous a avertis du problème. En lui faisant donc porter le chapeau, à lui seul, et en croisant les bras, jusqu’à ce que ça finisse par exploser. »

Desjani hocha la tête puis dévoila les dents en un sourire sans joie. « Puis en blâmant les subordonnés du capitaine Hiyen, les moins gradés si possible.

— Nous ne pouvons pas empêcher l’explosion, déclara Rione. Tout au plus… atténuer ses effets. La… comment dire ?… la réorienter ? »

Hiyen secoua la tête avec véhémence. « On ne réoriente pas une mutinerie, madame la coprésidente. »

Desjani se pencha, le regard intense. « Une petite minute. La réorienter. Ces vaisseaux ont sans doute reçu de leur gouvernement l’ordre de suivre la flotte, amiral, mais ils sont toujours sous votre commandement.

— N’est-ce pas là tout le problème ? » aboya Geary.

Desjani s’empourpra et il prit conscience qu’il allait devoir le payer tôt ou tard. Mais, pour l’heure, elle s’exprimait d’une voix égale : « C’est vous le chef. Envoyez-les ailleurs. Tout de suite.

— Où pourrais-je bien leur ordonner d’aller sans les mécontenter tout autant ? s’enquit-il, dépité. Ils veulent rentrer chez eux… »

Il s’interrompit, comprenant brusquement. « Victoria, ces ordres que vous apportiez, vous savez… ? Suis-je habilité à le faire ?

— Je… » Habituellement maîtresse de soi, Rione avait été très secouée par la situation, mais elle réussit à se contrôler en prenant visiblement sur elle-même. « Ça dépend. Vous ne pouvez pas les envoyer n’importe où. Il vous faut un motif officiel, lié à la défense de l’Alliance. »

Geary afficha un écran, entra vivement une demande de recherche puis étudia une nomenclature détaillée des unités de la République de Callas et de la Fédération du Rift : nom et statut des bâtiments, patronyme de leur commandant… De vieux vaisseaux usés, à l’équipage fatigué. « Ils ont besoin de réparations et d’une remise en état. Qu’on renouvelle leur personnel. Qu’on remplace les hommes et les femmes tombés au combat. Pour l’instant, c’est l’Alliance qui couvre toutes ces dépenses. Pourquoi la République de Callas et la Fédération du Rift n’en auraient-elles pas la charge ?

— Amiral ? l’interpella Hiyen. Nos ordres sont d’accompagner la flotte de l’Alliance.

— Vos ordres sont d’y rester attachés et de vous soumettre au commandement de l’Alliance, rectifia Rione.

— Ce qui ne veut pas dire “physiquement attachés”, précisa Desjani.

— Exactement, ajouta Geary. Si j’ordonne à vos vaisseaux de regagner leur patrie, ils ne feront que se plier à mon ordre. Ce ne sera plus une mutinerie mais pure obéissance disciplinée. Capitaine Hiyen, tous les vaisseaux de la République de Callas ont l’ordre de former un détachement et de regagner sous votre commandement leur territoire d’origine, aux fins de réparations, remise en état et réapprovisionnement. Exécution immédiate. Quand pourrez-vous partir ? »

Hiyen dévisagea Geary puis éclata d’un rire teinté d’incrédulité. « Dans l’immédiat, probablement. Nous disposons d’assez de provisions et de carburant pour le saut jusqu’à la République par l’hypernet. Mais pour combien de temps ? Qu’adviendra-t-il si notre gouvernement se contente de nous renvoyer vers vous ? Ou s’il tente de le faire ? »

Rione secoua la tête. « Votre gouvernement vous a ordonné de suivre les instructions de l’Alliance, capitaine Hiyen. C’est une consigne de l’Alliance qui vous renvoie chez vous. Si la République tient à s’opposer aux ordres de l’Alliance, elle doit d’abord annuler ceux qui vous placent sous son commandement. »

Hiyen approuva de la tête, l’œil brillant. « D’accord, mais pendant combien de temps ?

— Quelle est l’expression exacte ? demanda Rione à Geary.

— Jusqu’à nouvel ordre, répondit-il. Formulation militaire convenable, ordres corrects, tout cela conformément aux exigences qui ont placé ces vaisseaux sous l’autorité de l’Alliance. » Il se tourna vers Desjani. « Aidez-moi à les rédiger aussi vite que possible. Nous nous servirons des paragraphes standard sur la formation d’un détachement.

— C’est l’affaire de cinq minutes, déclara Desjani. Faites passer le mot au cas où nous ne les aurions pas, capitaine Hiyen. Vous devez également faire une annonce aux vaisseaux de la Fédération du Rift, amiral.

— Qui est leur plus haut gradé ? s’enquit Geary en consultant son écran.

— Le commandant Kapelka du Passavant », répondit Hiyen.

Geary consacra un instant à passer en revue les états de service de cette femme avant d’appeler le Passavant. Sans doute n’irait-elle jamais plus loin dans sa carrière que le commandement de ce croiseur lourd, mais, dans les quelques systèmes stellaires appartenant à la Fédération du Rift, c’était déjà beaucoup.

Il envoya un message à haute priorité au Passavant.

Moins d’une minute plus tard, l’image du commandant Kapelka leur apparaissait, assise elle aussi à une table de conférence et l’air tracassée. Geary se demanda qui d’autre était attablé avec elle et de quoi ils discutaient.

« Pardonnez-moi de prendre votre appel ici, amiral, mais il exigeait une réponse immédiate », s’excusa-t-elle. La tension, sensible dans sa voix, ne devait manifestement rien à l’appel de Geary.

« C’est parfait, répondit-il en s’efforçant d’imprimer à la sienne une intonation calme et routinière. Je tenais à vous faire part de mes ordres vous concernant. Vous êtes nommée commandante d’un détachement composé de tous les vaisseaux de la Fédération du Rift. Prise d’effet immédiate. Ce détachement devra se séparer du corps principal de la flotte et regagner aussi vite que possible la Fédération afin de procéder aux réparations, remises à neuf et réapprovisionnements nécessaires. Il devra y rester jusqu’à nouvel ordre. »

La mâchoire de Kapelka lui en tomba et elle resta quelques secondes bouche bée avant de réussir à reprendre contenance pour la refermer. « Immédiate ? Vous nous ordonnez de rentrer chez nous sans délai ?

— Dès que possible, rectifia Geary. Vos vaisseaux vont exiger pas mal de travail. Avant de partir, assurez-vous que tous ont bien les provisions et le carburant requis pour le voyage, mais ne vous attardez pas inutilement.

— Les vivantes étoiles en soient remerciées ! » Le commandant Kapelka regarda autour d’elle, mais en évitant les gens qui entouraient Geary pour ne s’intéresser qu’à ceux installés à sa table. « Vous avez entendu ? Faites passer le mot à tous les vaisseaux. Tout de suite !

— Vous recevrez vos ordres officiels dans quelques minutes, reprit Geary comme si tout cela n’était que pure routine et qu’il n’avait pas remarqué sa réaction. Faites-moi savoir si vous rencontrez des difficultés. »

Il mit fin à l’appel puis se tourna de nouveau vers l’image du capitaine Hiyen. « Vous recevrez vous aussi des instructions détaillées dans le même délai. Prévenez votre équipage et les autres vaisseaux de la République de Callas. »

Un sursis inattendu s’était présenté, une grâce de dernière minute était arrivée et les fusils du peloton d’exécution s’étaient enrayés. Le capitaine Hiyen salua. Il affichait encore un sourire émerveillé quand son image disparut.

« Je ne voudrais pas vous mettre des bâtons dans les roues, c’était la seule solution qui nous restait, mais êtes-vous bien certain que vous n’allez pas passer pour ramolli ? demanda Desjani. Chacun dans la flotte savait ce qu’on ressentait à bord des vaisseaux de la République et de la Fédération. On se doutera qu’on vous a forcé la main. »

Il lui adressa un regard agacé. « Qu’étais-je censé faire d’autre ?

— Toutes les autres options étaient pires. Bien pires. Mais sommes-nous sûrs que cette solution-là ne va pas créer de nouveaux problèmes ? »

Pourquoi était-elle si… Parce qu’elle peut lire en moi. Je suis tellement soulagé d’avoir désamorcé cette bombe que je me refuse de réfléchir aux conséquences éventuelles. Je peux me fier à Tanya pour me remettre les pieds sur terre quand je m’apprête à me vautrer dans la satisfaction béate. « Ça se pourrait, concéda-t-il. Mais comment gérer cela ?

— Je m’en occupe, répondit Rione en feignant de ne pas remarquer le front de Desjani, plissé par la réflexion. Il nous suffira de répandre les rumeurs adéquates sur les vaisseaux de l’Alliance. Des gens à moi, déjà en place, peuvent s’en charger.

— Quelles rumeurs ? demanda Geary en regrettant de n’en pas savoir davantage sur les agents que Rione avait éparpillés dans sa flotte.

— Des rumeurs selon lesquelles Black Jack se serait lassé de voir les gouvernements de la République de Callas et de la Fédération du Rift refuser de verser leur quote-part dans l’entretien de leurs propres bâtiments. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit : le financement de la maintenance et des réparations ne doit pas se faire dans l’attente de l’obsolescence et future mise au rancart des vaisseaux.

— Dans l’espoir de… voulez-vous dire. »

Rione inclina légèrement la tête en signe d’acquiescement, le visage impavide. « Mais vous, amiral, vous ne vous en satisfaites pas. Vous avez pris la décision de régler ce problème dès votre retour dans l’espace de l’Alliance.

— Non, intervint Desjani d’une voix tranchante. L’amiral Geary s’émeut avant tout du mauvais traitement infligé aux équipages de ces vaisseaux, qui n’ont eu droit qu’à de très brèves permissions depuis la fin de la guerre. Problèmes de maintenance et de financement ne doivent arriver qu’en second.

— C’est vrai », convint Geary.

Rione opina de nouveau après une courte pause. « Cette raison supplémentaire devrait encore conforter votre position. Vous avez pris votre décision, vous avez l’autorité nécessaire, et elle est maintenant arrêtée sans que personne ait son mot à dire. N’est-ce pas ce à quoi on s’attendrait de la part de Black Jack ?

— J’espère bien. La légende fait de lui un meilleur officier que je ne serai jamais. »

Desjani interrompit son travail de rédaction pour le foudroyer du regard. « Vous êtes meilleur que votre légende.

— Votre capitaine a raison, déclara Rione avant de se tourner carrément vers Desjani. Vous avez trouvé la solution. Je vous suis encore redevable.

— C’est… exact, marmonna Tanya, pas trop sûre de ce qu’elle devait répondre.

— Ne vous inquiétez pas, commandant. Je ne vais pas commencer à me conduire comme si nous étions deux sœurs.

— Tant mieux. Je n’aurais pas supporté. » Desjani fit la grimace. « Merci pour l’assistance que vous avez apportée à l’amiral. »

Rione se tourna vers Geary. « Je vais faire ma part. »

Elle sortit ; Geary et Desjani se remirent frénétiquement au travail sur les ordres requis. Heureusement, on pouvait les garder aussi simples que succincts en leur appliquant des formulations stéréotypées. « Je crois que ça va, déclara Geary. Relisons-les lentement une dernière fois. » Il s’exécuta, repéra un mot mal placé, rectifia le tir puis se tourna vers Tanya. Celle-ci hocha la tête et Geary frappa la touche des transmissions.

« Quatre minutes et demie, déclara Desjani d’un air satisfait. En dépit de l’interruption.

— Laquelle ? Quand Rione vous a remerciée ?

— Peu importe. »

Il se renversa dans son fauteuil et se massa les yeux. Il lui semblait que Rione se montrerait tout aussi évasive s’il abordait ce sujet avec elle. « Il s’en est fallu d’un cheveu. À voir la réaction de Kapelka, son équipage devait être à deux doigts de lui poser un ultimatum.

— Ouaip. » Desjani se rejeta elle aussi en arrière, souriante. « Et Hiyen, lui, s’attendait à ce que tu tires sur le messager.

— J’en ai déjà été témoin, Tanya. Plus souvent qu’à mon tour. Comparées à celle d’aujourd’hui, il s’agissait pourtant de questions bien moins graves, j’imagine. D’un problème qu’on aurait pu régler avec l’équipement d’un seul croiseur léger, ou encore du commandant d’un destroyer dont ses propres subalternes rapportaient la dangereuse incompétence, et le reste à l’avenant. Il arrive parfois que le messager exagère franchement l’importance du message, ou même qu’il invente carrément. Raison de plus pour vérifier que ce qu’on vous rapporte est exact.

— Vous attendriez-vous à un démenti de ma part ? » Elle se leva. « La réaction habituelle, de nos jours, c’est de classifier l’événement afin que chacun puisse prétendre qu’il ne s’est rien passé. Mais, si tous ces vaisseaux s’étaient mutinés en même temps dans l’espace de l’Alliance, bonjour pour tenir l’affaire sous le boisseau. »

Geary la dévisagea. Cette allusion à une mutinerie était un rappel d’événements passés. « Quand le capitaine Numos a participé à la mutinerie déclenchée par le capitaine Falco, nous nous trouvions hors de l’espace de l’Alliance. Peu de gens en ont entendu parler, ni ne savent d’ailleurs exactement ce qui a conduit à la perte du Triomphe, du Polaris et de l’Avant-garde. Est-ce pour cette raison, selon vous, que Numos n’est toujours pas passé en cour martiale ? »

Tanya réfléchit. « Oui, maintenant que vous le dites. Une enquête trop approfondie risquerait de faire du tort à certaines huiles. Falco mort, Numos devra endosser la pleine responsabilité de la mutinerie, de sorte qu’il n’hésitera pas devant un scandale aussi large que possible. Et, maintenant que l’amiral Bloch est revenu d’entre les morts, il ne tiendra certainement pas à ce que soit rendu public le foutoir où il a conduit la flotte. »

Cette nouvelle-là aussi leur était parvenue : en témoignage de leur bonne volonté, les Syndics avaient relâché l’amiral Bloch et une centaine d’autres prisonniers de l’Alliance. Mais où il se trouvait et ce qu’il faisait à présent restait un mystère que même les informateurs de Rione n’avaient pas réussi à percer. « Faute de mettre Bloch aux arrêts, on aurait pu au moins le mettre à la retraite, affirma Geary.

— Voilà que ça vous reprend : vous vous attendez encore à ce que le gouvernement se conduise rationnellement ? » Desjani s’interrompit puis reprit la parole sur un ton plus léger, façon main de fer dans un gant de velours : « Oh, ça me rappelle. Quand nous discutions d’un moyen d’empêcher la mutinerie qui menaçait, j’aurais juré que vous avez parlé pour me répondre sur un ton de commandement, un peu comme un sergent-chef engueulant un matelot qui vient de faire une grosse bêtise.

— Je… ne… Je n’oserais… bafouilla Geary.

— Et il me semble également me rappeler que vous l’avez fait devant cette femme. »

Sauvez-moi, je vous en conjure, ô mes ancêtres.

Le regard de Tanya était braqué sur lui. « Eh bien ?

— Je… »

Une alerte retentit, pressante. Geary plongea vers le panneau des trans comme si c’était la dernière réserve d’oxygène d’un vaisseau spatial en pleine décompression.

« Amiral, une délégation du Grand Conseil de l’Alliance vient d’arriver à Varandal et tient à vous retrouver le plus tôt possible à Ambaru.

— Très bien. Merci. » Il coupa la communication et se leva. « Un important…

— J’aimerais connaître votre réponse, amiral. » Desjani restait courtoise mais inflexible.

Il pinça les lèvres puis opina. « Je me suis montré irrespectueux et bien peu professionnel, admit-il. Veuillez m’en excuser. »

Tanya lui retourna son hochement de tête. « Oui. Irrespectueux. Si vous tenez absolument à me rembarrer, faites-le en privé. En public, traitez-moi avec le respect que je mérite. Vous savez déjà que c’est vrai, tant pour moi que pour chacun de vos subordonnés.

— Oui. On ne devrait pas avoir à me le rappeler.

— Alors nous nous comprenons. » Desjani désigna l’écoutille d’un coup de menton.

Geary la gagna puis se retourna vers Tanya. « Vous me laissez m’en tirer sans trop de mal.

— Oh ? Croyez-vous ? Nous n’avons abordé votre geste que dans le cadre de nos relations professionnelles, amiral. La prochaine fois que nous serons seuls, hors de mon vaisseau et dans des circonstances plus privées, nous en discuterons dans le cadre de nos relations personnelles. »

Peut-être ne devrais-je pas me montrer trop pressé de me retrouver avec Tanya hors de l’Indomptable.

Oh, et puis zut ! Tu as déconné. Affronte ça en homme. « Après vous, commandant. Nous avons du pain sur la planche.

— Et comment ! acquiesça-t-elle alors qu’ils quittaient la passerelle. Comptez-vous dire aux représentants du Grand Conseil qu’un groupe de vaisseaux va bientôt quitter la flotte pour gagner le portail de l’hypernet et rentrer chez eux ? »

Geary y réfléchit un instant avant de secouer la tête. « S’ils l’apprenaient, ils risqueraient de s’y opposer. Gardons la surprise pour plus tard. »

Le Grand Conseil lui envoyait de nouveau une délégation au lieu de le convoquer à Unité. Était-ce de bon ou de mauvais augure ?

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