Quinze

Même seize jours peuvent paraître longs.

On avait déterré des archives les règlements et procédures relatifs à l’entrée d’un vaisseau dans le Système solaire afin que tous les officiers s’en imprègnent. Alors qu’il les parcourait dans sa cabine, Geary éprouva deux sensations singulières : la première, ce fut une impression d’épousseter de vieux dossiers alors même que les archives numérisées n’accumulent jamais de poussière ; et la seconde, le souvenir d’avoir déjà consulté ces dossiers.

Quand donc était-ce, déjà ? J’étais encore enseigne, me semble-t-il. À un moment donné, je les ai affichés à l’écran et je les ai lus, en rêvant tout debout que mon vaisseau serait un jour choisi pour cette visite décennale à la Vieille Terre. Ça semble si loin.

Combien d’enseignes la flotte a-t-elle connus depuis ? Et combien sont-ils morts au cours de ce siècle de guerre ? Je ne jurerais pas qu’ils aient eu envie de visiter la Vieille Terre. Ils espéraient tout juste survivre et, peut-être, devenir les héros dont tout jeune homme ou toute jeune femme rêve avant de mûrir et d’acquérir suffisamment d’expérience pour comprendre que la gloire ne vient jamais à ceux qui la recherchent.

Ils rêvaient d’être Black Jack. Je n’y suis pour rien. Le gouvernement et la flotte avaient besoin d’un héros et j’en faisais un assez plausible pour qu’ils me fassent passer pour tel, j’imagine, même si je ne ressemble en rien à la légende qu’ils ont forgée. Mais ces jeunes gens sont morts en rêvant de m’imiter.

Je vois mal ce que pourrait faire Black Jack pour sortir l’Alliance du pétrin où elle s’est fourrée. Ni comment je pourrais moi-même l’en tirer. Mais je dois continuer de m’y efforcer parce que les gens ont cru en moi, ou, du moins, en celui pour qui ils me prenaient. Ce voyage ne résoudra rien, mais, à notre retour, il faudra que je réfléchisse à une solution. Ce que je verrai à Sol me donnera peut-être des idées.

Un document lié aux procédures d’entrée dans le Système solaire lui titillait aussi la mémoire. Il l’ouvrit et le lut en souriant de plus en plus largement. Encore une chose oubliée depuis belle lurette, mais que rien n’interdisait de ranimer.

L’alarme de son écoutille sonna. Au lieu de Tanya, de Rione ou de tout autre visiteur auquel il aurait pu s’attendre, ce fut le sénateur Sakaï qui se présenta.

L’homme resta plus d’une minute assis sans mot dire dans le fauteuil que Geary venait de lui offrir, en se bornant à le dévisager, comme à son habitude, d’un air énigmatique. Il finit pourtant par prendre la parole, d’une voix sourde qui n’en captait pas moins l’attention. « Vous êtes un curieux spécimen, amiral. Un anachronisme.

— Inutile de le souligner, répondit Geary en se demandant où il voulait en venir.

— Vous arrivez d’un passé vieux d’un siècle, insista Sakaï comme s’il n’avait pas entendu. Ce qui vous a bien servi pour commander la flotte. Et a été tout aussi bénéfique à l’Alliance. Jusque-là du moins. Mais le passé est révolu. Nous ne sommes plus les gens que vous avez connus. Ce n’est plus non plus l’Alliance que vous connaissiez. » Le sénateur ne semblait en tirer ni regret ni satisfaction. Il se contentait d’énoncer un constat, comme s’il parlait d’un événement survenu dans un lointain passé, ce qui d’ailleurs était le cas. « À qui va ma loyauté selon vous, amiral ?

— À l’Alliance, me semble-t-il, sénateur, répondit Geary en choisissant de nouveau soigneusement ses mots.

— Intéressant. Croyez-vous que cela fasse de moi un personnage inhabituel parmi les politiciens qui la dirigent ces temps-ci ou bien quelqu’un de relativement typique ? »

C’était une question minée, et à laquelle il aurait eu le plus grand mal à répondre s’il n’avait pas si longtemps côtoyé Rione. « Je pense que la plupart sinon l’ensemble des politiciens qui ont cette charge se croient fidèles à l’Alliance.

— Encore une fois, le choix des mots est intéressant, amiral.

— Vous n’êtes pas de mon avis ?

— Votre réponse était incomplète, biaisa Sakaï en fronçant légèrement les sourcils comme s’il fixait un point dans le lointain. Ceux d’entre nous qui sont loyaux à l’Alliance ou qui se l’imaginent ne croient pas tous en l’Alliance. Certains, quand ils y réfléchissent, ne se demandent pas si elle va s’éteindre mais quand elle s’éteindra. » Il scrutait Geary, l’œil brillant. « Et nous nous demandons aussi si vous, avec vos conceptions désuètes d’un autre temps, vous réussirez à maintenir un peu plus longtemps la cohésion de ce qui est en train de s’effriter, ou si votre présence et vos idéaux caducs n’en précipiteront pas au contraire l’effondrement. »

Geary mit quelques instants à répondre. « Je ne ferai rien qui puisse nuire à l’Alliance. J’ai agi de mon mieux jusque-là pour la servir et la protéger.

— Vous vous croyez incapable de rien faire qui puisse lui nuire, amiral. Et vous êtes persuadé que chacun de vos gestes lui a été profitable. » Sakaï secoua la tête. « Peut-être suis-je devenu trop blasé, trop amer à force de voir le chaos et la destruction se parer de toutes les vertus. Peut-être êtes-vous le héros dont l’Alliance a besoin. Mais je ne le crois pas.

— Pourquoi venir me le dire ?

— Sans doute parce que vous restez un des rares individus qui ne chercheront pas à retourner mes propos contre moi. Peut-être aussi parce qu’on ne dit pas souvent la vérité de nos jours et que j’avais envie de m’entendre l’exprimer une dernière fois. » Cette fois, le coin de la bouche de Sakaï se retroussa légèrement, ébauchant le plus fantomatique des sourires. « Je suis un politicien, amiral. Savez-vous ce qu’il advient des politiciens qui disent la vérité ? Ils sont déboulonnés par un vote majoritaire. Nous devons mentir aux électeurs. Parlons vrai et ils nous châtient. Mentons et ils nous récompensent. Comme le chien de l’antique expérience, nous apprenons à faire ce qui nous vaut une récompense. Le système se perpétue on ne sait comment, chancelant, l’Alliance perdure, mais la pression qui pèse sur elle s’accentue un peu plus à chacun des refus qu’opposent ses dirigeants et sa population aux vérités qui leur déplaisent. »

Sakaï se tut encore quelques secondes, le regard voilé, profondément plongé dans ses pensées. « Nous autres politiques mentons pour les meilleures raisons et la meilleure des causes, reprit-il d’une voix monocorde. Pour le bien de l’Alliance. Le bien de sa population. Nous ne pouvons les servir qu’en leur mentant. Me croyez-vous ?

— Je vous crois, répondit Geary, allumant comme un éclair de surprise dans les yeux du sénateur. N’est-ce pas justement le problème ? Tout le monde ou presque croit bien faire. Ou s’est persuadé qu’il agit au mieux et que ce sont les autres qui se trompent ou se conduisent de manière intéressée. »

Sakaï dévisagea de nouveau Geary. « Je vois que vous avez parlé avec Victoria Rione. Êtes-vous au moins conscient de ce qu’il en a coûté à certains politiciens pour s’assurer qu’elle voyagerait à bord de votre vaisseau amiral lors de cette expédition dans l’espace Énigma ?

— Je l’ai pressenti.

— Je fais partie de ceux qui ont soutenu cette initiative. » Un petit sourire retroussa de nouveau les lèvres de Sakaï. « Mais peut-être pas pour les mêmes raisons que les autres. »

Que recouvrait cet aveu ? « Me ferez-vous part de vos raisons personnelles ?

— De quelques-unes. L’émissaire Rione… pardon, l’envoyée Rione n’est pas de ces flèches qui se plient à une trajectoire imposée par d’autres. Elle fait plutôt partie des armes qu’un militaire qualifierait d’“intelligentes”, en ce qu’elle réfléchit par elle-même. Une telle flèche ne se comporte pas toujours comme s’y attendent ceux qui l’ont décochée. » Sakaï secoua encore la tête. « L’envoyée Rione croit en l’Alliance, elle aussi. Pour la préserver, elle est prête à faire tout et n’importe quoi, y compris ce à quoi nos ancêtres n’auraient jamais consenti.

— Mais vous, qu’attendiez-vous d’elle ?

— Amiral… » Sakaï s’interrompit encore puis fixa Geary d’un œil inquisiteur. « La légende qui s’est formée autour de Black Jack affirmait qu’il reviendrait sauver l’Alliance. Tout le monde en a déduit qu’il allait triompher des Syndics. Mais il ne suffit pas de mettre fin à la guerre pour la sauver. C’est devenu douloureusement évident pour nous tous. Et, maintenant, la population de l’Alliance se demande de plus en plus si l’ultime expédition de Black Jack n’était pas une mission militaire, non pas dirigée contre un ennemi extérieur mais destinée plutôt à sauver l’Alliance des querelles intestines qui menacent de la détruire. »

Geary dut ravaler le démenti instinctif qu’il s’apprêtait à opposer. Il préféra secouer la tête et s’exprimer de nouveau avec la plus grande prudence. « Je ne saurais pas comment m’y prendre. Je n’ai jamais cru en cette légende. Je ne crois pas être élu, choisi ou destiné… quel que soit le terme que vous voulez employer. J’essaie simplement de faire mon travail – mon devoir – de mon mieux.

— Ce que vous croyez ou ne croyez pas compte-t-il ? s’enquit Sakaï à voix basse. La foi est une force très puissante, amiral, en bien comme en mal, et elle peut accomplir des exploits dont notre raison nous dicte qu’ils sont impossibles. Je ne peux pas sauver l’Alliance, amiral. Si je croyais pouvoir le faire, je serais pareil à ces imbéciles qui s’imaginent avoir la science infuse et être les seuls à savoir ce qui est juste et bon. Quand les gens vous regardent, amiral, ils ne voient pas en vous un être humain faillible mais Black Jack. Ne le niez pas. J’ai accompagné la flotte lors de votre dernière campagne contre les Syndics pour observer comment vous vous comportiez et comment d’autres se conduisaient avec vous. Même ceux qui vous honnissent et applaudiraient à votre échec ne voient en vous que Black Jack. Et Black Jack peut faire tout ce dont on le croit capable. Y compris, peut-être, ce qui me paraît impossible.

— À moins que cette “foi” ne soit la dernière goutte qui fasse déborder le vase de l’Alliance, déclara Geary sans chercher à dissimuler son amertume.

— En effet. » Sakaï inclina légèrement la tête. « Intéressant dilemme.

— Me direz-vous si vous consentez à m’aider à maintenir sa cohésion ? demanda Geary. Pas quelque mythique Black Jack, mais John Geary, le mortel qui fait ce qu’il peut. M’assisterez-vous ?

— Pourquoi cette requête ? s’enquit Sakaï en souriant plus ouvertement. Je viens de vous dire que je mentais. C’est mon métier. Ce qu’on exige de moi. Quelle que soit ma réponse, vous seriez bien avisé de ne pas la prendre au mot. »

Geary se rejeta en arrière pour scruter le sénateur. Les paroles lui vinrent spontanément à la bouche. « Un bon moyen de s’épargner un mensonge serait d’éviter de répondre, n’est-ce pas ? Fournir une réponse évasive et laisser son interlocuteur l’interpréter à sa guise. »

Le sourire de Sakaï s’effaça, remplacé par une mimique intriguée. « Vous avez réellement passé beaucoup de temps avec l’envoyée Rione. Et vous avez beaucoup appris d’elle. J’aurais dû m’en douter. Je vais donc répondre finalement à la question que vous m’avez posée. Qu’attendais-je d’elle à bord de votre vaisseau amiral ? Eh bien, je m’étais persuadé qu’elle trouverait d’ingénieuses méthodes pour déjouer tout plan dirigé contre vous. C’est pour cela que j’ai soutenu la décision de la placer à bord de l’Indomptable. Ce qui, en retour, m’a donné accès à certaines autres… délibérations qui, autrement, m’auraient été interdites.

— C’est à croire que vous avez cherché à m’aider, sénateur.

— Pas vous. L’Alliance. Parce que, quoi que vous fassiez, si erronées ou judicieuses que soient les décisions que vous prenez en vous basant sur vos conceptions d’avant-guerre du bien et du mal, vous n’êtes pas un imbécile. Contrairement à d’aucuns qui cherchent à la sauver par d’autres méthodes. » Sakaï brandit un index péremptoire pour interdire à Geary de l’interrompre. « On vous a dit, amiral, qu’on avait arrêté les chantiers d’autres vaisseaux de guerre. En réalité, on est en train de construire une nouvelle flotte, assez puissante pour rivaliser avec la vôtre. Et, si je dis “rivaliser”, c’est que ça correspond en grande partie à son objectif. »

Geary feignit de son mieux la surprise puis l’indignation. « Pourquoi le gouvernement a-t-il ainsi cherché à me fourvoyer ? » Un grand nombre de bonnes raisons lui venaient à l’esprit, mais il tenait à connaître celles qu’avancerait Sakaï.

« Ce n’est pas le gouvernement qui cherche à vous leurrer, mais quelques puissants individus qui en font partie. Certains ne posent pas les questions auxquelles on aurait peine à répondre. D’autres s’illusionnent en se persuadant que des méthodes destructrices pourraient servir à des fins positives. Voilà ce qu’il vous faut savoir. On a pris la décision de confier le commandement de cette flotte à un officier qui devra sauvegarder l’Alliance, soit en contrecarrant activement, soit en contrebalançant passivement – selon ceux que l’on interrogera – la menace que pose certain héros à qui la flotte actuelle reste extrêmement loyale. » Sakaï s’interrompit de nouveau. « Les raisons confluent toutes vers une stratégie élargie. On a convaincu une majorité du Grand Conseil qu’il fallait combattre le feu par le feu. S’ils redoutent certain haut gradé ambitieux fermement soutenu par une flotte, la seule solution est de créer un contre-feu, ergo une seconde flotte.

— C’est démentiel. Tiennent-ils à déclencher une guerre civile ?

— Ils croient sauver l’Alliance, affirma Sakaï. Que cela exige de créer les moyens de la détruire pour les confier à un homme dont les visées la mèneront à sa perte. Vous trouvez cela démentiel ? Vous avez raison. Ils ne voient que ce qu’ils veulent bien voir. »

Incapable de rester immobile plus longtemps, Geary se leva et entreprit de faire les cent pas devant le sénateur. « Si le gouvernement persiste à prendre des décisions susceptibles de détruire l’Alliance, que puis-je y faire, par l’enfer ?

— Je ne sais pas. Rien peut-être. Toute réaction de votre part risquerait de précipiter cette guerre civile que vous venez d’évoquer.

— Alors à quoi bon chercher à m’épauler en venant me rapporter ce que le gouvernement a entrepris et pourquoi ? »

Sakaï poussa un profond soupir. « Parce que votre arme la plus puissante, amiral – cette foi que les gens ont en vous –, pourrait bien vous permettre de sauver une Alliance que je crois pour ma part vouée à sa perte. Pourrait, ai-je dit. C’est déjà ça. Pas grand-chose sans doute, mais mieux que de désespérer en assistant passivement à la si brillante, si subtile mise à mort, par des tiers, de tout ce que nous chérissons et à quoi eux aussi croient tenir.

— Qui commandera cette nouvelle flotte ?

— L’amiral Block. »

La réponse était venue spontanément, sans hésitation ni détour. Pourquoi ? « Quand bien même le Grand Conseil saurait qu’en cas de victoire lors de son attaque sur Prime, le système stellaire principal des Syndics, il comptait renverser le pouvoir par un coup d’État militaire ?

— Exactement. » Le regard de Sakaï se perdit de nouveau dans le lointain, comme s’il voyait quelque chose qui restait invisible à Geary. « Je me demande pourquoi je persévère. Puis je pense à mes enfants et aux enfants de mes enfants. À ce qu’ils deviendraient si l’Alliance se désagrégeait. Je songe à mes ancêtres, à ce que je leur dirai le jour où il me faudra les affronter et leur expliquer ce que j’ai fait de ce que m’a offert la vie. Au jugement qu’ils porteront sur moi et mes actes. » Il haussa les épaules. « Je tiens à les regarder en face et à leur dire que je n’ai jamais baissé les bras. Peut-être mes efforts sont-ils voués à l’échec, mais pas parce que j’aurai renoncé.

— Vous ne croyez pas vous-même que c’est désespéré », avança Geary.

Le sénateur Sakaï se leva pour partir. Son visage était de nouveau indéchiffrable. « Disons plutôt que je crains de me l’avouer, amiral. »

Après son départ, Geary se surprit à reporter le regard sur le lien, qu’il avait ouvert un peu plus tôt, relatif à l’entrée dans le Système solaire. Suis-je vraiment un anachronisme ? Très bien. Les traditions maintiennent notre cohésion mais beaucoup sont tombées en désuétude sous la pression de la guerre. Peut-être serait-il temps que l’amiral anachronique que je suis réintroduise quelques autres anachronismes.

« Nous allons franchir la ligne », déclara Geary.

Il avait convoqué Tanya dans sa cabine. Elle lui adressa un regard intrigué. « Quelle ligne ?

La ligne.

— Ça m’aide beaucoup.

— La frontière du Système solaire, expliqua-t-il patiemment.

— Les systèmes stellaires n’ont pas de frontières. » Elle entra quelques recherches puis attendit que les résultats s’affichent. « Oh, l’héliopause, voulez-vous dire ? La région de l’espace qui, autour de l’étoile, détermine les limites d’un système stellaire. Première nouvelle ! »

Sortant de la bouche du commandant d’un croiseur de combat à qui sa carrière avait fait parcourir des centaines d’années-lumière et visiter des dizaines de systèmes, cette dernière exclamation aurait pu paraître sidérante. Mais elle ne l’était pas. « Sans doute parce que l’héliosphère s’étend bien au-delà des points de saut et des sites de construction des portails de l’hypernet, expliqua Geary. Celle de toute étoile déborde dans le vide interstellaire où ne se rendent jamais les vaisseaux humains. Ou, plutôt, où ils ont depuis longtemps cessé de se rendre.

— Très bien. Pourquoi est-elle soudain si importante ?

— L’héliopause de Sol, c’est la limite de son système stellaire, dit Geary. Ensuite, nous entrons dans son héliosphère où prédominent les vents solaires.

— D’accord, fit Desjani, affectant une patience appuyée en même temps qu’elle consultait les résultats de ses recherches. S’agissant de Sol, l’héliosphère s’étend sur environ douze heures-lumière, cita-t-elle. Soit sur une centaine d’unités astronomiques. Qu’est-ce qu’une unité astronomique ?

— Une ancienne mesure de distance. Tu sais, comme le parsec.

— Le quoi ?

— Peu importe.

— Très bien. C’est de cette ligne que tu parlais ? Le ménisque de la bulle qui englobe l’héliosphère de Sol ? Mais elle est loin de tout. Nul ne s’aventure aussi loin dans l’espace interstellaire. À quoi bon ? On n’y trouve que des cailloux nus à la dérive.

— Il fut un temps, Tanya, où l’on ne pouvait se servir ni des points de saut ni des portails de l’hypernet pour voyager entre les étoiles. Les expéditions jusqu’aux premières étoiles atteintes par nos ancêtres devaient franchir physiquement cette ligne pour entrer dans le vide interstellaire. C’était un moment très important. Ça signifiait que l’humanité avait quitté son berceau pour explorer l’univers.

— Très important pour nos ancêtres ? » Desjani fixait à présent l’écran qui surplombait le bureau de Geary avec un respect renouvelé. « Oui. Évidemment. Ça marquait l’instant précis où un vaisseau et son équipage quittaient Sol.

— Exactement. On faisait la fête à bord. Même après qu’on a découvert la technologie des sauts et qu’on a cessé d’avoir besoin de sortir physiquement de l’héliosphère ni d’y rentrer, les vaisseaux ont gardé l’habitude de marquer le coup dès qu’ils franchissaient cette ligne. L’héliopause des autres étoiles ne comptait pas. Seule celle de Sol avait de l’importance. Pouvoir se dire qu’on est un voyageur, ce n’est pas de la gnognotte.

— Un… voyageur ?

— Une fois qu’on a franchi cette ligne, on peut se vanter d’être un voyageur. C’est la tradition.

— Nos ancêtres la respectaient ?

— Oui. »

Desjani hocha la tête. « Alors nous devrions les imiter. Comment t’en es-tu souvenu ? Je ne me rappelle pas avoir entendu quelqu’un en parler.

— La flotte envoyait un vaisseau vers Sol tous les dix ans, répondit Geary. Pour commémorer le lancement de la première expédition interstellaire depuis l’orbite de la Vieille Terre. Seulement tous les dix ans parce que, sans l’hypernet, le trajet était démesurément long. Je n’y suis jamais allé, mais j’ai parlé à des gens qui avaient fait le voyage et, à l’époque, la cérémonie du passage de la ligne était très importante.

— Mais, pendant la guerre, on ne pouvait plus se permettre d’en envoyer vers Sol. Compris, lâcha-t-elle. Les premières années, on était au bout du rouleau. On n’avait plus les moyens de se priver si longtemps d’un bâtiment. »

Geary acquiesça. « Le suivant devait partir moins d’un an après la première attaque des Syndics. Je me rappelle encore que tout le monde se demandait qui allait être sélectionné. Ça fait bizarre d’y penser maintenant, mais, avant la bataille de Grendel, c’était un des plus fréquents sujets de conversation dans la flotte. »

Tanya le fixa d’un œil atone. « C’était ta plus grande inquiétude ? »

Geary piqua un fard. Comme la plupart des officiers et matelots de la flotte, Tanya avait passé sa carrière et la plus grande partie de sa vie à se soucier de la guerre contre les Syndics, de la vie et de la mort de ceux qu’elle connaissait et aimait. Comment pourrait-elle imaginer un monde où le plus gros souci de la flotte portait sur l’identité du vaisseau qui s’offrirait une croisière jusqu’à Sol ? Comment pourrais-je moi-même me sentir supérieur à ceux dont la vie a été réduite en cendres, anéantie par des problèmes autrement sérieux que les frivolités dont je pouvais me permettre de m’inquiéter jadis ?

« Oui, finit-il par répondre.

— Je… J’imagine que ça pouvait avoir de l’importance à l’époque, admit-elle d’une voix laissant manifestement entendre qu’elle s’efforçait d’appréhender le concept sans réellement y parvenir. Je peux encore comprendre le passage de la ligne, ajouta-t-elle. Et la commémoration d’une première expédition vers les étoiles. C’était énorme. Ils voyageaient dans le vide interstellaire à une vitesse inférieure à celle de la lumière. J’ai lu des trucs là-dessus quand j’étais petite. »

Son regard se fit lointain, comme plongé dans ses souvenirs, et elle sourit. « Le Vaisseau vers les étoiles. Je me souviens encore du livre, tellement je l’ai lu souvent. Ça parlait d’un garçon et d’une fille qui vivaient à bord. Ils y étaient nés puisque le voyage durait plusieurs générations. Le premier équipage mourrait de vieillesse avant d’arriver à destination. On élevait les enfants pour le poursuivre et piloter le vaisseau, mais seuls les petits-enfants atteindraient l’étoile visée. »

Geary sourit, lui aussi, en se souvenant de l’histoire. « J’ai lu le même livre. J’avais envie d’être ce petit garçon. Tout le monde pouvait aller d’une étoile à une autre, mais seuls les gens comme lui traversaient le vide interstellaire. Depuis que nous avons découvert les sauts, plus personne n’est allé dans le Grand Noir.

— J’en ai parlé une fois avec Jaylen Cresida, dit Tanya d’une voix sourde, le visage attristé au souvenir de leur défunte camarade. Les observations faites par ces gens à l’aide de leurs instruments ont été archivées et servent encore. Jaylen en avait étudié quelques-unes. Nous dépendons toujours de ces données sur la nature de l’espace profond car, depuis, nul ne s’y est plus rendu pour en collecter d’autres.

— Vraiment ? » Geary porta le regard sur une cloison comme s’il pouvait voir l’espace au travers, par-delà la bulle de néant dans laquelle l’Indomptable se dirigeait vers Sol. « Les instruments se sont sûrement beaucoup améliorés depuis. Quelqu’un pourrait bien proposer d’envoyer une expédition automatisée pour les recueillir. »

Desjani haussa les épaules. « On était un peu occupés. »

Geary faillit se gifler le front pour se punir de son étourderie. Occupés. Par un siècle de guerre sanglante. « Je sais. Euh… il y avait une cérémonie quand on franchissait la ligne. C’est votre vaisseau et c’est donc à vous d’en décider, mais c’est une coutume.

— Quelle sorte de cérémonie ? » Elle se mit à lire. « Tu es sérieux ? C’est… Très bien, on peut… Non, pas ça. Mais le reste est jouable. Absurde mais faisable. Nos ancêtres avaient davantage d’humour que je ne leur en prêtais, on dirait. Nos très dignes sénateurs et nos plus modestes envoyés vont-ils y participer ?

— C’est à chacun de voir.

— Autrement dit, je dois les inviter.

— Oui. Tu dois les inviter. »

« Qu’une chose soit bien claire, avait annoncé Desjani à ses officiers et sous-officiers de sa voix de commandement profonde et puissante. Ça doit rester de l’ordre de la fête. Nous avons tous traversé de longues et dures années durant lesquelles le plaisir se limitait à de brefs séjours échevelés sur une planète inconnue ou une station orbitale, entre deux campagnes ou deux batailles, et se traduisait souvent pour l’équipage par autant de plaies et bosses que s’il avait livré un combat. Ce sera différent cette fois. Veillez donc, tous autant que vous êtes, à ce que ça reste bon enfant. Si d’aventure ça menace de mal tourner ou de dégénérer, vous devrez intervenir pour mettre le holà. J’arpenterai les coursives de l’Indomptable pendant cette “récréation”, et j’en attends autant de tous ceux qui ne participeront pas à la cérémonie. Y a-t-il des questions ? Non ? Alors disposez. Prenez du bon temps et assurez-vous que tout le monde en prenne. » Elle s’était enfin départie de son visage sévère pour sourire à son auditoire. « C’est un ordre. »

Un certain nombre des coursives principales avaient été converties en chicanes destinées à infliger de fausses blessures et de vraies mais légères humiliations. Dans l’une d’elles, les matelots responsables de la majeure partie de l’entretien et de la maintenance du bâtiment avaient bidouillé des dispositifs chargés de vaporiser des tatouages factices à base de pigments s’effaçant en quelques minutes. Alors que Geary la parcourait, le plastron de son uniforme blasonné d’un large slogan QUE FERAIT BLACK JACK ? au lettrage ornementé, il remarqua que les tatouages, près de lui, étaient beaucoup plus anodins et bien moins suggestifs que ceux qu’il avait remarqués un peu plus tôt en émergeant de la coursive.

Dans une autre, les gars du chiffre avaient installé un labyrinthe dont on ne pouvait s’échapper qu’en en décryptant la disposition.

Ailleurs, les gens des cuisines distribuaient d’antiques barres énergétiques que la flotte avait récupérées dans une installation abandonnée alors qu’elle battait en retraite en combattant pour fuir le système stellaire central syndic. Ceux qui, par le passé, s’étaient plaints le plus fougueusement de la cuisine du bord étaient contraints d’en avaler quelques bouchées avant d’être autorisés à poursuivre leur chemin.

Une autre chicane barrait la coursive menant à la soute des navettes. Les armes brandies par les fusiliers et les matelots qui bordaient cette coursive allaient du lapin en peluche au ballon, en passant par le poulet en caoutchouc et le gros stobor duveteux. Geary les longea le sourire aux lèvres, tandis que les vétérans d’innombrables batailles le flagellaient en rigolant de leurs armes aussi burlesques qu’inoffensives.

Le clou du spectacle se trouvait dans la soute des navettes, le plus large compartiment d’un seul tenant du vaisseau, où les « indignes » cherchant à entrer dans la confrérie des Voyageurs devaient montrer patte blanche aux « dieux » du Système solaire.

Le chef Gioninni, dans le rôle du roi Jupiter, était assis sur un trône impressionnant bricolé à partir d’un siège de survie aux fortes accélérations. Il arborait une longue fausse barbe broussailleuse et s’était d’une façon ou d’une autre procuré un vrai trident, une arme antique à trois pointes barbelées et au manche long de deux mètres. Il portait également une couronne rutilante plaquée or, découpée par un des ateliers d’usinage de l’Indomptable ; l’or, quant à lui, avait dû servir à la réparation d’appareils électroniques. Geary résolut de veiller à ce qu’il retourne dans les réserves du vaisseau et ne soit pas détourné pour un usage personnel, puis il se rendit compte que Desjani avait certainement dû déjà s’en assurer.

La couronne de Gioninni était ornée de neuf pointes représentant chacune une des planètes du Système solaire, dont au centre Jupiter elle-même, la plus grande. Il y avait eu de vifs débats quant au nombre des planètes qui devraient figurer sur la couronne, car, apparemment, les ancêtres étaient incapables de décider combien gravitaient autour du Soleil. Le chiffre avait fluctué au fil des siècles, passant de neuf à huit, puis à neuf, à six, avant de revenir à huit puis de nouveau à neuf dans les plus récentes archives officielles. Geary avait finalement jeté son dévolu sur le dernier, et on en était donc resté à neuf.

La reine Callisto (mieux connue sous le nom de chef Tarrini) était assise à la droite du roi Jupiter, coiffée d’une couronne identique à la sienne. Mais, au lieu d’un trident, Callisto tenait un arc d’un modèle antique. Les flèches qui dépassaient de son carquois semblaient tout aussi réelles et dangereuses que le trident qu’agitait Gioninni avec une négligence en grande partie feinte, mais, à la manière dont le chef Tarrini brandissait son arc, on aurait pu se dire qu’elle s’apprêtait à l’abattre comme une massue sur la tête de son roi ou de tout autre individu qui, selon elle, méritait un léger recadrage.

Davy Jones, représenté en l’espèce par l’officier canonnier Orvis, commandant du détachement de fusiliers de l’Indomptable, était assis à la gauche de Jupiter. Lui aussi tenait comme une arme son marteau de justice.

« Jupiter, je peux encore comprendre, déclara Charban, qui se tenait à côté de Geary avec, tatoué sur la poitrine, un SINGE TERRESTRE assorti de l’illustration appropriée, le tout s’estompant d’ailleurs assez vite. C’est la plus grande planète du Système solaire. Callisto, un des plus gros satellites de Jupiter, était à une certaine époque sa plus importante colonie humaine. Leur présence s’impose donc plus ou moins. Mais qui ou quoi ce Davy Jones est-il donc censé représenter ? J’ai cherché à m’informer, mais aucun commandant de vaisseau spatial n’a jamais porté ce nom.

— Davy Jones est un personnage mythique dont les marins de la Terre croyaient qu’il régnait sur le fond des océans, provoquait les catastrophes maritimes et prenait l’âme des noyés, expliqua Geary.

— Je vois. » Charban coula un regard discret vers les trois sénateurs qui venaient de pénétrer prudemment dans la soute et regardaient autour d’eux en affichant diverses expressions. « Ça fait sens.

— Que non pas, se plaignit Suva. Quel rapport y a-t-il entre les océans de la Terre et l’espace ?

— Nous restons des marins, sénatrice, répondit Geary. Nous naviguons sur un océan beaucoup plus vaste, auquel il manque sans doute l’eau et tout le reste, mais c’est le même métier. »

Costa renifla dédaigneusement. « Autant que je me souvienne de mes leçons d’histoire de l’Antiquité, les marins qui croisaient sur les mers de la Terre passaient la moitié de leur temps ivres morts, ce qui explique sans doute ce cirque. Ça ne pouvait avoir de sens que si l’on dérivait toutes voiles dehors. »

Le sénateur Sakaï ne disait rien. Il semblait fort occupé à étudier les siréniens qui se tenaient de part et d’autre des deux monarques et du juge. Mâle et femelle de l’espèce avaient été élus au scrutin démocratique parmi les matelots et fusiliers engagés. Conformément aux anciennes traditions, tous deux portaient un uniforme modifié de manière à lui conférer davantage de séduction. Geary avait entendu parler de célébrations du passé au cours desquelles les altérations apportées de façon un peu trop enthousiaste à ces tenues s’étaient soldées par un usage de plus en plus réduit du tissu, mais Desjani avait bien fait comprendre que celles des sirènes de son vaisseau avaient tout intérêt à se conformer à la conception officielle du mot « séduction » ainsi qu’à la superficie d’étoffe tolérée, pas un millimètre de moins !

Les deux sirènes portaient à la hanche gauche un de ces outils polyvalents connus sous le nom de couteaux suisses et, à la hanche droite, un rouleau de ruban adhésif. Un symbolisme que les Danseurs eux-mêmes n’auraient aucun mal à appréhender s’ils en étaient témoins, songea Geary. Mais ces extraterrestres, en revanche, seraient sans aucun doute incapables d’expliquer que les sirènes symbolisaient non seulement une aide providentielle lorsque tout autre devait être écartée faute de se trouver assez proche, mais encore les tentations qui pouvaient vous valoir des ennuis quand on était loin de chez soi.

Un malheureux matelot venait tout juste d’expliquer maladroitement comment ces dispositifs légendaires qu’on appelle les balises de courrier étaient censément positionnés pour servir de relais de transmission entre les étoiles. Sur un geste brusque du roi Jupiter, accompagné d’un impérieux moulinet de la reine Callisto, Davy Jones ordonna au matelot d’aller se placer dans un angle éloigné pour psalmodier, à l’intention de ses camarades, un long chant satirique et passablement périlleux intitulé Les Lois de la flotte, avant de revenir faire une nouvelle tentative.

Un rugissement accueillit chaleureusement le capitaine Desjani à son entrée dans la soute. Tanya passa devant les matelots et les fusiliers qui l’acclamaient et se planta devant le chef Gioninni en lui décochant un coup de sabord préventif.

Mais Gioninni se contenta de sourire. « Capitaine Desjani ! Votre réputation vous précède ! »

Le chef Tarrini hocha la tête. « La reine Callisto n’a rien à reprocher au capitaine Desjani.

— Davy Jones la juge apte à pénétrer dans votre royaume », ajouta le sergent Orvis.

Le sourire de Gioninni s’effaça et il toisa Tanya d’un œil sévère. « Capitaine Desjani, vous êtes condamnée par cette cour à commander le croiseur de combat Impitoyable, sans doute le meilleur vaisseau de cette flotte, mais dont l’équipage, hélas, se compose de la plus belle bande de bras cassés, déclassés, débraillés, racailles et fripouilles qui aient jamais navigué entre les étoiles ! Saurez-vous en faire de vrais matelots, commandant ? »

En dépit des rires qui saluèrent la tirade du roi Jupiter, la réponse de Desjani se fit clairement entendre. « C’est chose faite !

— Alors entrez dans mon royaume, le Système solaire, capitaine Desjani. Vous êtes désormais un membre à part entière de l’antique et vénéré ordre des Voyageurs ! »

Au milieu des applaudissements renouvelés, Tanya dépassa Geary en lui adressant un salut et un clin d’œil. Il lui retourna le salut puis se tourna vers Charban et les sénateurs. « Vous pouvez vous aussi vous présenter au roi et à la reine. »

Charban carra théâtralement les épaules puis se dirigea vers la famille royale tandis que Costa et Suva hésitaient. Au bout de quelques secondes, Sakaï secoua la tête. « C’est une cérémonie réservée aux militaires, amiral. Nous ne devrions pas nous en mêler.

— C’est un événement qui intéresse tous ceux qui voyagent dans l’espace, rectifia Geary.

— Nous ne sommes pas… comme vous, déclara la sénatrice Suva d’une voix teintée de regret.

— Vous en êtes sûre ? » demanda Geary.

Les trois sénateurs le dévisagèrent, l’air de ne s’être encore jamais posé la question.

Ils atteignirent Sol le lendemain.

Toute trace des joyeuses festivités s’était dissipée à l’exception du lapin en peluche qu’une batterie de lances de l’enfer avait adopté en guise de mascotte. Mais ces armes, comme toutes celles de l’Indomptable, avaient été débranchées pour l’arrivée. Les boucliers étaient à plein régime, car c’était là une nécessité secondaire, une protection contre les radiations et autres écueils de la navigation, sinon le croiseur de combat était dans une configuration aussi pacifique et peu agressive que possible.

« Ça ne me plaît pas, grommela Desjani pour la centième fois en prenant place sur la passerelle.

— Le règlement relatif à l’entrée dans le Système solaire ne tolère aucune exception, lui rappela Geary, au moins pour la cinquantième fois. Et Sol est démilitarisé. Aucune arme et aucune menace.

— Aucun monde ni artefact occupé par des hommes ne correspond à cette description, grogna-t-elle.

— Deux minutes avant sortie de l’hypernet », annonça le lieutenant Castries.

Près d’elle, les trois sénateurs se disputaient la meilleure place d’observateur sur la passerelle. Rione et Charban étaient également présents pour cet instant historique, mais très en retrait, là où le lieutenant Yuon leur avait ménagé un peu de place.

La dernière minute s’écoula dans le silence général ; chacun était perdu dans ses pensées.

Le néant fut brusquement remplacé par le Grand Tout. Très à l’écart, une lointaine étincelle marquait sur les écrans la position de Sol, le berceau de l’humanité.

Mais Geary n’eut pas le temps d’admirer le paysage. Son regard se porta sur un autre secteur de l’écran, où clignotaient des signaux d’alerte balisant une douzaine de vaisseaux de conception inconnue.

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