Chapitre neuf

Fidèles à leur habitude, les cargos s’éparpillaient dans toutes les directions en quête de leur sécurité personnelle, même si, dans la plupart des circonstances, leur seule manière de s’en tirer indemnes était encore de rester groupés là où des vaisseaux amis pouvaient les protéger.

Mais les circonstances n’étaient pas normales.

Le cuirassé syndic s’était légèrement écarté de la trajectoire qui aurait conduit sa flottille à la planète habitée et il fondait désormais sur les cargos en fuite. Les cuirassés sont lents et balourds pour des vaisseaux de guerre, ce qui signifie qu’ils sont beaucoup plus agiles et véloces que des cargos. Ceux-ci sont conçus pour réduire les coûts et transporter le plus efficacement possible de lourds chargements sur de très longues distances. Les bâtiments de guerre, eux, sont faits pour les rattraper et les détruire aussi vite et efficacement que possible. Toutes les déficiences dans la conception d’un astronef – équipage élargi, propulsion supplémentaire, armement – finissent, en se cumulant, par le handicaper.

La kommodore Marphissa fixait son écran d’un œil furibond, comme si son mécontentement pouvait infléchir les lois gouvernant l’accélération, la masse et l’élan. « Il ne peut pas s’échapper.

— Non, fit le kapitan Diaz. Sa seule chance de s’en sortir, ce serait si nous détournions la flottille syndic de sa route.

— Pouvons-nous lui offrir un appât ? Croyez-vous que la CECH Boucher s’y laisserait prendre ? Un croiseur à la propulsion principale en rade ?

— Jua a déjà connu ça à Midway. Le Manticore est véritablement tombé en panne pendant ce combat et nous avons réussi malgré tout à lui échapper. Elle ne renoncera pas à détruire ce cargo pour nous poursuivre. Elle va l’anéantir puis virera probablement sur bâbord pour s’attaquer à cet autre avant de fondre sur ce troisième, là…

— Je visualise parfaitement sa trajectoire ! aboya Marphissa. Seuls les cargos qui filent vers le point de saut pour Kiribati ont une chance de s’en tirer, et il suffirait qu’un petit vaisseau syndic les y attende pour qu’ils soient détruits à leur tour. »

Diaz détourna les yeux. « Vos ordres, kommodore ? »

Au lieu de lui répondre directement, Marphissa pressa ses touches de com. « Guetteur, Sentinelle, Éclaireur, Défenseur, restez en surplomb des forces terrestres pour leur apporter tout le soutien dont vous êtes capables, mais procédez à toute manœuvre évasive nécessaire pour éviter les vaisseaux ennemis. Votre priorité… (elle eut le plus grand mal à s’arracher ces mots de la gorge, comme si quelque chose leur bloquait le passage) votre priorité sera d’esquiver les attaques. S’il vous faut abandonner pour cela vos positions défensives au-dessus des forces terrestres, n’hésitez pas. » Les petits avisos n’auraient aucune chance contre les croiseurs de Haris ou la flottille syndic, et l’Éclaireur avait d’ores et déjà encaissé des dommages à l’occasion de son héroïque mais bien imprudente plongée dans l’atmosphère, quand il avait cherché à apporter son renfort aux forces terrestres.

« Kommodore, si nous abandonnons les forces terrestres… »

Marphissa coupa la parole au Guetteur : « Détruits, vous ne pourrez plus appuyer personne. Ne campez pas sur vos positions si ça doit se solder par votre destruction. » Elle aurait aimé cracher après avoir prononcé ces paroles. N’importe quoi pour chasser ce goût amer dans la bouche.

« Nous comprenons, kommodore. Nous obéirons. » C’était dit bien à contrecœur. Le Guetteur ne semblait pas plus heureux que Marphissa, mais il ne pouvait guère s’inscrire en faux contre l’affreuse logique qui guidait son ordre.

« Faucon et Aigle, vous serez la Flottille 2, annonça-t-elle aux croiseurs légers. Votre mission sera de marquer le croiseur léger de Haris et de chercher à engager le combat avec lui. Il s’efforcera probablement de frapper un des cargos que le cuirassé ne pourra pas rattraper. Le Faucon sera le vaisseau pivot de votre formation. Griffon et Manticore forment à présent la Flottille 1. Nous marquerons le croiseur lourd et tenterons d’en découdre avec lui. Que chacun fasse de son mieux. Au nom du peuple, Marphissa, terminé. »

Elle mit fin à la communication et s’affala dans son fauteuil pour fixer son écran d’un œil désespéré. À rien. C’était à cela que se réduisaient toutes ces paroles bravaches. Ses vaisseaux pouvaient tout juste empêcher les deux croiseurs de Haris d’infliger des dommages aux cargos, tandis que le cuirassé syndic et sa flottille iraient où ils voudraient et en feraient à leur guise.

Elle garderait ses vaisseaux sur place le plus longtemps possible et s’efforcerait de son mieux de soutenir les forces terrestres, mais elle se rendait compte que sa capacité à influer sur le dénouement de la bataille d’Ulindi était voisine de zéro. L’amertume de la défaite s’empara d’elle alors même qu’elle ordonnait au Griffon et au Manticore de mener une nouvelle charge désespérée contre le croiseur lourd ennemi pour le contraindre à virer de bord.

Debout dans son bureau, les bras croisés sur la poitrine, la présidente Iceni fixait fermement l’homme qui se tenait à deux pas d’elle. « Colonel Rogero, vous avez eu de nombreuses occasions de m’éliminer dans des circonstances où ce meurtre aurait pu passer pour un accident. Mais vous avez préféré les employer à me sauver la vie. »

Rogero fronça les sourcils. « Madame la présidente…

— Je n’ai pas fini. » Elle le scrutait tout en parlant. « Vous avez noué une relation affective avec un officier de l’Alliance et placé votre loyauté envers elle au-dessus de votre propre sécurité. Et, depuis son arrivée à Midway, vous n’avez rien fait pour tenter de dissimuler cette liaison. Ce n’est pas là le comportement d’un serpent.

— J’espère bien que non.

— Et le capitaine Bradamont, qui semble avoir la tête sur les épaules, vous fait confiance. » Iceni leva la main et pointa sur lui son index. « Tout comme le général Drakon, au demeurant. Ce que je vais vous dire, colonel, aucun CECH syndic dans son bon sens ne daignerait en faire part à quelqu’un de votre acabit. Je ne me fie même pas entièrement à mon personnel le plus proche. Mais je me fie à vous. Je me fie aussi au général Drakon, même s’il m’arrive souvent de le trouver exaspérant. »

Rogero la fixa une longue minute sans mot dire avant de répondre : « Je vous remercie de votre confiance, madame la présidente. Croyez-vous votre sécurité menacée en ce moment ?

— Je ne sais pas trop que répondre à cela, colonel, mais je tenais à vous faire savoir que vous avez toute ma confiance. Si pour quelque raison nous n’arrivions plus à communiquer, j’aurai au moins la certitude que vous agissez dans mon intérêt et dans celui du général Drakon. N’hésitez pas à prendre des mesures que vous regarderez comme vitales, même si vous êtes dans l’incapacité d’obtenir mon autorisation. Vous comprenez sans doute pour quelle raison je dois vous donner ces instructions en tête à tête.

— Merci, madame la présidente », dit Rogero, ébranlé par l’énormité de cet ordre. De la part d’une personne élevée et formée sous le régime syndic, c’était à la fois un terrifiant témoignage de confiance et le rejet d’une bonne partie de l’entraînement qu’elle avait reçu et de l’expérience qu’elle avait vécue. Bien sûr, Iceni n’avait pas d’autre choix que de donner de tels ordres en personne. S’ils lui étaient parvenus par quelque autre moyen de communication, il aurait sans doute (lui ou tout autre) cru à une falsification. Et, si d’aventure des gens avaient intercepté la transmission, ils auraient disposé de précieux renseignements sur l’étendue de la liberté d’action dont il jouissait. « Je ne vous décevrai pas.

— Je tiens à ce que vous sachiez que je vous crois en l’occurrence, lâcha Iceni en le congédiant d’un signe pour se tourner vers sa fenêtre virtuelle, où les vagues continuaient de se drosser et de refluer, indifférentes aux problèmes des hommes. Alors qu’elle lui tournait encore le dos, elle posa malgré tout une dernière question. « Quelles sont les chances du général Drakon, selon vous ?

— Je suis… soucieux. Le Syndicat joue en sous-main une partie qu’il connaît par cœur. Mais, ce qui me rassure, c’est que celui qu’ils veulent piéger est le général Drakon. Si quelqu’un peut déjouer leurs manœuvres, c’est lui.

— Chercheriez-vous à vous cacher la vérité, colonel Rogero ?

— Non, madame la présidente. Le général Drakon doit son exil au fait qu’il était soupçonné par les serpents de saboter une de leurs opérations, mais aussi au désir du Syndicat de le voir rester en vie. On tenait à le garder sous la main en cas de besoin. On le savait très doué. »

Iceni baissa la tête et s’exprima à voix plus basse. « Si les Syndics le savaient, alors ils ont dû préparer leur piège en fonction de cela, colonel. Regagnez vos quartiers et préparez-vous au pire. »

Quinze minutes plus tard, Rogero regardait défiler la rue d’un œil maussade par la vitre de la limousine gouvernementale réservée aux VIP qui le ramenait au QG des forces terrestres après son entrevue privée avec Iceni. Il était mécontent. Que Honore Bradamont eût été choisie pour participer à une mission de sauvetage désespérée était déjà assez pénible en soi. En outre, en l’absence du général Drakon, il se retrouvait le plus haut gradé de tous les officiers des forces terrestres du système de Midway. Sans compter que la présidente Iceni n’avait pas fait mystère des inquiétudes qui la rongeaient quant aux très sérieux problèmes que Drakon risquait d’affronter à Ulindi, alors que les gens formatés pour devenir des CECH syndics ne s’ouvraient de leurs appréhensions que lorsqu’elles prenaient un tour particulièrement grave.

Par-dessus le marché, ses dernières instructions avaient été singulièrement perturbantes. Quelles craintes pouvaient bien contraindre une ex-CECH à accorder une telle latitude à un subalterne ?

Il s’adossa mieux à son siège, en regrettant que son véhicule ne puisse pas le ramener plus vite au QG. Conforme aux normes syndics, la limousine pour VIP offrait à parts égales confort luxueux et protections discrètement dissimulées. Beaucoup de blindés militaires étaient moins bien protégés. Mais elle ne pouvait pas survoler la circulation qui, tout en se rangeant pour laisser passer la voiture officielle, n’y parvenait qu’avec une lenteur exaspérante dans ces rues encombrées.

Devant et derrière, deux autres limousines escortaient la sienne sur l’insistance d’Iceni. Compte tenu de ce qu’avait finalement reconnu le CECH Boyens, on pouvait comprendre qu’Iceni s’inquiétât pour la sécurité du général Drakon, mais pourquoi se souciait-elle aussi de sa propre sécurité à Midway ? Les rumeurs qui circulaient parmi les citoyens restaient certes préoccupantes, et on ne pouvait pas non plus négliger les dangers que représentaient des spadassins isolés, mais qu’elle déployât pour lui de telles protections après les ordres qu’elle lui avait donnés signifiait qu’elle savait ou soupçonnait l’existence d’une menace plus sérieuse dans les rues de cette cité.

Rogero réprima son agacement contre ces mesures de prudence excessives, refoula la colère que lui inspirait Iceni en refusant de lui faire part de ce qu’elle savait sur les dangers en puissance et préféra se concentrer sur la situation présente. Il était un soldat, après tout. Il devait plutôt analyser cette situation pour évaluer si ces mesures étaient appliquées à bon escient, et le meilleur moyen d’y parvenir était encore de se placer du point de vue de l’agresseur. S’il cherchait à tuer quelqu’un, et que cette personne se trouvât dans une limousine officielle escortée par deux limousines de protection, comment s’y prendrait-il ?

« Chauffeur ! appela-t-il par l’intercom.

— Oui, monsieur ? » lui répondit-on instantanément. Deux épaisses couches de blindage interne séparaient la place du chauffeur du compartiment des passagers et le dérobaient à la vue de Rogero, mais la fenêtre virtuelle qui recouvrait ce blindage lui permettait de le voir comme si rien ne s’interposait entre eux.

« Quel itinéraire empruntons-nous pour regagner le QG ? Affichez-le pour moi.

— Tout de suite, monsieur. »

Un plan apparut comme en suspension devant Rogero, montrant une image en trois dimensions de ce secteur de la ville ; la limousine qui les transportait y figurait distinctement, ainsi qu’un itinéraire serpentant entre les pâtés de maisons, depuis la voiture jusqu’au complexe des forces terrestres.

La cité avait été construite de telle manière que les rues conduisant au QG comme celles menant à d’autres bâtiments officiels, tels que l’ancien quartier général du SSI et les bureaux de la présidente Iceni, formaient une manière d’entonnoir constitué de quatre larges boulevards qu’on pouvait aisément sécuriser par des barrages. Ce qui était parfaitement rationnel quand on se trouvait à l’intérieur du complexe et qu’on s’inquiétait de ce qui risquait de vous tomber dessus, mais qui, si l’on venait de l’extérieur et qu’on cherchait à y entrer, ne vous permettait d’emprunter, dans la dernière partie du trajet, que quelques voies peu nombreuses. Même si les convois de VIP changeaient régulièrement d’itinéraire pour éviter d’offrir des cibles trop prévisibles, le nombre des variantes possibles restait singulièrement restreint dans la mesure où les voies d’accès disponibles fusionnaient avant d’atteindre le complexe.

En étudiant le plan, Rogero se rendit compte de ce qui le mécontentait réellement. Si quelqu’un d’assez dangereux pour susciter l’accroissement des mesures de sécurité à l’égard du convoi de limousines était à ses trousses, il le serait assez aussi pour trouver le moyen de l’atteindre en dépit des protections fournies par le véhicule. « Changez d’itinéraire, chauffeur. Prenez à droite juste devant, continuez sur un demi-kilomètre puis empruntez l’itinéraire que je vous montrerai. Signalez-le aux véhicules de l’escorte.

— Colonel, cela nous ferait contourner le complexe au lieu de nous y donner accès. La présidente Iceni m’a ordonné de vous reconduire à votre QG. Je n’ai pas la permission de…

— Je vous ai donné un ordre. Exécutez-le ! »

Le formatage syndic mettait l’accent sur l’obéissance et accompagnait cette insistance de punitions cruelles en cas de manquement ; mais Rogero, comme tous les cadres et CECH syndics, était depuis longtemps au fait des difficultés qu’entraînent ordres et contrordres concomitants. N’étant pas formés à résoudre les problèmes par eux-mêmes, en même temps que peu habitués à prendre des décisions et craignant par-dessus tout d’exécuter l’ordre qu’il ne fallait pas, les travailleurs se bloquaient souvent comme un mécanisme auquel on aurait demandé simultanément d’ouvrir et de fermer une porte.

Ces atermoiements pouvaient être fatals.

« Obéissez ! » hurla de nouveau Rogero. La limousine venait de dépasser la bifurcation qu’il avait indiquée et s’engouffrait à présent dans le carrefour à voies multiples donnant sur la plus proche des principales voies d’accès au QG des forces terrestres.

Le chauffeur finit par obtempérer et arrêter brusquement la limousine en une futile tentative pour rebrousser chemin vers le tournant qu’il avait manqué. Celle qui suivait freina frénétiquement, dérapa et faillit heurter le véhicule de Rogero, tandis que la voiture de tête poursuivait encore son chemin avant de se rendre compte de ce qui se passait.

Rogero tendit la main vers le bitoniau de déblocage de la portière.

Il ne l’avait pas touché que la limousine de tête ripait en s’efforçant de freiner et heurtait un senseur caché dans le pavage. Les violentes explosions de charges creuses défoncèrent la chaussée, tandis que d’autres, en provenance des façades des immeubles, leur faisaient écho de chaque côté de la rue.

Il lui avait fallu beaucoup trop de temps pour arriver jusque-là. En premier lieu, Morgan avait été contrainte de s’infiltrer dans les zones extérieures du poste de commandement supplétif des serpents en suivant l’itinéraire qu’elle avait emprunté précédemment, jusqu’au moment où elle avait pu activer les boucles requises sur les contrôleurs de port d’accès de certains canaux de commande du centre. Une fois neutralisée la capacité des serpents à déclencher leurs engins nucléaires enfouis, elle s’était frayé un chemin à travers leur sécurité, d’autres postes de contrôle et colonnes de véhicules ennemis, puis elle avait assommé un traînard pour s’emparer de son matériel et se brancher sur l’écran tactique ennemi.

Le colonel Morgan voyait enfin ce qui se passait.

Le général Drakon était piégé ; une entière division des forces terrestres syndics consolidait sa position et encerclait fermement son périmètre ; la brigade ennemie qui occupait la base le harcelait, bien équipée ; on mettait en position des éléments d’artillerie récemment arrivés de manière à réduire à l’état de décombres les immeubles non fortifiés où se réfugiaient ses soldats avant que les forces terrestres ennemies ne fassent une sortie.

Elle lui avait fait faux bond. Aucun moyen d’empêcher ça. Impossible pour elle, isolée comme elle l’était, de causer en si peu de temps assez de tort à une entière division de soldats ennemis et d’infliger assez de dommages à son armement d’appui pour interdire l’issue fatale. Même sans son bras blessé et en possession de tous ses moyens physiques, c’était tout bonnement irréalisable. Elle avait neutralisé les engins nucléaires, mais ça n’avait plus d’importance. L’ennemi n’en aurait pas besoin.

Morgan refoula ses larmes et secoua la tête, en proie à une colère croissante. Non. Non. Même s’il meurt ici, même si je dois mourir ici, notre fille vivra. Elle nous vengera.

Mais la vengeance n’attendra pas.

Un autre serpent doit mourir aujourd’hui, celui qui a monté ce traquenard, celui qui m’a leurrée et qui ne vivra pas assez longtemps pour jouir de sa victoire. Ne vous bilez pas, mon général. Je vous ai failli dans toutes mes entreprises à Ulindi, mais je n’échouerai pas dans celle-là. Je vais m’assurer que cette vipère crève.

Elle confisqua l’arme de poing du soldat mort et se faufila par la rue la plus proche vers le centre de commande supplétif du SSI.

L’écho des explosions survenues près du QG des forces terrestres de Midway résonnait encore à travers toute la cité quand des meutes de citoyens agités se déversèrent dans les rues, bloquèrent la circulation et remplirent toutes les places publiques.

Le regard d’Iceni se reporta de la fenêtre virtuelle ouverte devant son bureau sur la voisine, qui montrait une mosaïque de douzaines de scènes d’émeutes encore à l’état embryonnaire. Elle vouait malgré tout une sorte d’admiration à ceux qui avaient organisé cela en abreuvant les citoyens de craintes et d’angoisses qui, quand s’allumerait la mèche de ces explosions, déboucheraient sur la plus hasardeuse des réactions.

Mais ce n’était qu’en surimpression, car son cerveau s’activait déjà.

« Faites-moi savoir dans quel état se trouve le colonel Rogero ! ordonna-t-elle au chef de la police appelé sur le site des explosions. Je veux l’apprendre dès que vous l’aurez découvert, et je veux que vous le découvriez tout de suite ! »

Une autre fenêtre virtuelle affichait les messages qui affluaient par les réseaux sociaux, les JT et autres moyens de communication citoyens.

Le général Drakon éliminé par Iceni.

La présidente Iceni gravement blessée dans un attentat organisé par le général Drakon.

Les forces terrestres contraintes de prêter un nouveau serment de fidélité au syndicat.

Iceni invite le Syndicat à revenir à Midway pour rétablir l’ordre.

Drakon aurait infiltré clandestinement de nombreux serpents dans notre système stellaire et leur aurait restitué le contrôle de leur QG.

Batailles rangées en ville ; les forces d’iceni et de drakon luttent pour le pouvoir.

Iceni se déclare seule CECH de Midway.

Drakon projetterait des arrestations en masse.

Iceni envisagerait de rouvrir les camps de travail.

Toutes les élections seraient annulées et tous les élus sous les verrous.

Les forces mobiles auraient reçu l’ordre de bombarder la planète.

Mutinerie des forces mobiles.

Mutinerie des forces terrestres.

Iceni vend Midway à l’Alliance.

Selon les forces terrestres, Drakon serait un traître qui aurait délibérément perdu des batailles contre l’Alliance.

Midway cerné par les Énigmas.

Attaque Énigma imminente. La plupart des défenseurs auraient été envoyés au loin sur l’ordre d’Iceni.

Attaque Énigma imminente. La plupart des défenseurs envoyés au loin par Drakon.

Elle frappa une touche de contrôle assez violemment pour se demander s’il était possible d’endommager une commande virtuelle. « Pourquoi ne met-on pas fin à ces messages ? Pourquoi les diffuse-t-on sur toute la planète ? »

Un chef assistant secoua la tête, terrifié. « Nous l’ignorons, madame la présidente. Vous avez radouci les restrictions sur le contenu…

— Et nous avons repris pleinement le contrôle des mécanismes chargés de diffuser de tels messages. Pourquoi ne les avons-nous pas coupés ? »

Une femme au visage lugubre se chargea de répondre : « On a dû saboter le logiciel de commande. Nous ne pouvons activer aucun des contrôles du censeur permettant de les outrepasser. Nos techniciens informatiques…

— Au diable vos techniciens informatiques ! Coupez tout ! Coupez le courant ! »

La femme battit des paupières de stupeur. « Oh ! mais c’est une solution matérielle ! Je dois contacter…

Faites-le ! Arrachez les prises !

— À vos ordres, madame la présidente.

— Débranchez tout à part les canaux de com sécurisés, commanda Iceni. Puis rebranchez chaque élément un par un avec des logiciels rechargés. Commencez tout de suite ! Il faut réactiver ces canaux publics pour nous permettre de diffuser nos propres messages et calmer ce foutoir ! »

Elle voyait les foules réagir aux messages, des ondes de colère et de peur parcourir les masses, chaque vague successive exacerbant la précédente. Peu importait que les craintes se contredisent l’une l’autre. Ni même qu’elles paraissent fondées. Les citoyens avaient dépassé le stade de la logique, de la raison et du sens commun, et même leur sauvegarde et leur propre sécurité n’avaient plus sur eux qu’une influence restreinte.

Dans toutes les cités de la planète, les foules étaient sur le point de virer à la populace émeutière.

Iceni frappa une autre touche. « Mobilisez tous les officiers de police et ordonnez-leur de se rassembler dans les commissariats locaux. Rappelez tous les employés du gouvernement dans leurs bureaux, avec l’ordre de se présenter sur-le-champ au rapport. Verrouillez tous les bâtiments gouvernementaux, cote d’alerte Un alpha. Envoyez-moi quelqu’un au QG des forces terrestres. Qui est le responsable là-bas en l’absence du colonel Rogero et jusqu’à ce que nous l’ayons retrouvé ? »

Une femme aux yeux écarquillés fixait Iceni. « Nous… allons faire intervenir les forces terrestres, madame la présidente. »

Tous ceux qui avaient grandi sous la tutelle du Syndicat savaient ce que cela signifiait. Mesures coercitives, munitions réelles, massacre d’autant de citoyens que nécessaire jusqu’à ce que les survivants se soumettent. Si jamais la nouvelle s’ébruitait qu’Iceni envisageait de prendre cette mesure, toutes les manifestations sombreraient dans la violence. « Non ! Nous n’avons besoin des soldats que pour protéger les citoyens ! Faites-le savoir à tout le monde ! On cherche à soulever la population, à lui faire semer le chaos, la mort et la destruction ! Les soldats protégeront les gens et leurs biens ! Maintenant, mettez-moi en relation avec quelqu’un du QG des forces terrestres ! »

Propos bravaches. Idéalistes. Mais, si les rassemblements se changeaient en émeutes à grande échelle, saurait-elle s’y conformer ? Ou bien devrait-elle ordonner qu’on prît les mesures requises pour y mettre fin ?

Iceni fit une pause ; toutes les lignes de communication étaient coupées, de sorte que nul ne pourrait plus la voir, du moins pendant un moment. Elle se pencha pesamment sur son bureau, les bras croisés et la tête baissée, cherchant en elle la force ne pas s’abandonner au désespoir. Elle devait avoir l’air forte, être forte et, surtout, se montrer perspicace. Ses ennemis avaient manifestement un trait d’avance sur elle, et d’ailleurs sur Artur Drakon : une longue partie, mûrement réfléchie, avait atteint le stade où le roi et la reine menaçaient d’être tous deux mis en échec.

Mais la reine restait la pièce la plus forte de l’échiquier.

Elle frappa haineusement une nouvelle touche. « Togo ! Où diable es-tu passé ? »

Pas de réponse. Elle essaya deux autres canaux, dont celui d’urgence, puis frappa une touche différente. « Où est Mehmet Togo ? demanda-t-elle à son directeur de cabinet.

— Je… Je ne sais pas, madame la présidente. » L’homme ne chercha même pas à dissimuler son étonnement, car les allées et venues de Togo relevaient toujours, tout bonnement, des ordres d’Iceni. Nul n’était censé s’interroger sur les activités de Togo ni chercher à les entraver.

« Quand l’a-t-on vu pour la dernière fois ? »

Le directeur de cabinet aboya un ordre à l’intention d’un sous-fifre puis attendit anxieusement la réponse. « On l’a aperçu il y a environ treize heures sur une caméra de sécurité.

— Treize heures ? Minute ! Personne ne l’a vu directement ? Juste un enregistrement vidéo ?

— Oui, madame la présidente. »

Iceni mit fin à la communication et fixa longuement le dessus de son bureau. Togo dispose de tout le matériel qu’il faut pour aveugler les caméras de sécurité et il sait où elles se trouvent. Il ne se laisse jamais pister par l’équipement standard. Pourquoi aurait-il permis à celle-là de le filmer ?

À demi oubliée depuis qu’elle se concentrait sur la situation qui régnait sur la planète, la carte céleste proche de sa table de travail afficha brusquement un brillant symbole d’avertissement à proximité du portail de l’hypernet, en même temps qu’une alarme claironnait pour retenir son attention.

Iceni releva la tête pour étudier l’écran.

De nombreux vaisseaux avaient émergé du portail quelque quatre heures plus tôt. De très gros vaisseaux. Les senseurs de Midway s’affairaient à évaluer les nouveaux arrivants et cherchaient à les identifier.

Iceni se surprit à sourire, les lèvres crispées en un rictus de défi. Vous croyiez déjà à un échec et mat, n’est-ce pas ? demanda-t-elle silencieusement à ses ennemis sans visage.

Vous vous trompiez.

« Quelle est votre opinion ? » demanda Drakon. L’immeuble où il se trouvait vibra sourdement ; une bonne partie venait de s’en effondrer.

« Comme disent les travailleurs, c’est “Fouis ou crève, cochon{Root hog or die. On-dit attesté avant 1823 dans le sud des États-Unis, quand la misère était telle qu’on lâchait les cochons dans la nature pour qu’ils se nourrissent eux-mêmes. (N. d. T.).}”. » Gaiene avait l’air tout content, comme s’il venait d’annoncer une bonne nouvelle. L’origine de l’expression se perdait dans la nuit des temps, mais chacun savait qu’elle signifiait : C’est à toi de faire le boulot, d’échouer ou de réussir. T’es tout seul sur ce coup et, si t’échoues, t’es cuit.

« Le colonel Gaiene a raison, renchérit Kaï, impassible. Ils ne cherchent pas à opérer des percées en différents points du périmètre extérieur pour tenter de nous isoler les uns des autres. Je constate que la même pression s’exerce sur tout le pourtour, du moins sur la portion que mes troupes défendent.

— Ils cherchent à nous anéantir en nous repoussant vers les forces syndics qui tiennent la base, affirma Malin. Pour l’instant, ils se contentent de maintenir cette pression jusqu’à l’arrivée de toutes leurs forces. Là, nous pourrons nous attendre à un tir de barrage écrasant de toute leur artillerie et de leurs missiles sol-sol, suivi par un assaut général. Il crève les yeux que les forces du Syndicat disposent de bien plus d’artillerie que prévu.

— De bien plus de tout que prévu, corrigea Gaiene.

— Vos recommandations ? demanda Drakon.

— Nous ne tiendrons pas très longtemps, fit laconiquement remarquer Gaiene. Même si nous survivons aux bombardements et que nous nous terrons assez bien dans les décombres pour repousser leurs attaques, notre énergie et nos munitions seront épuisées dans deux jours tout au plus. Impossible désormais de nous faire exfiltrer. Les seules zones d’atterrissage possibles sont couvertes par les armes de la base ou celles des troupes ennemies qui occupent les immeubles d’en face. Nos navettes ne tiendraient pas trente secondes contre la puissance de feu que peuvent aligner ces gens.

— Sans compter que, même si c’était possible, regagner les cargos reviendrait à tomber de Charybde en Scylla quand le cuirassé arrivera, ajouta Kaï.

— Les cargos ne sont plus en orbite, dit Malin. Les navettes ne pourraient que déplacer quelques-uns de nos soldats en restant à la surface avant que les autres ne soient submergés, mais, comme l’a dit le colonel Gaiene, elles ne survivraient pas à une tentative d’atterrissage.

— D’un autre côté, reprit le susnommé, si nous tentions de nous replier au sol, nous ne pourrions battre en retraite que vers l’intérieur. Et nous nous heurterions pile aux défenses de la base. »

Drakon se surprit à sourire, bien qu’il ne ressentît aucune gaieté. « Je vois où vous voulez en venir, Conner. Nous ne pouvons ni tenir ni nous replier. Ça ne nous laisse qu’une seule option.

— Oui, mon général, acquiesça le colonel. En effet. L’attaque.

— L’attaque ? s’étonna Kaï. Une percée ?

— Jamais de la vie, protesta Conner. Ils sont deux fois plus nombreux que nous sur le périmètre extérieur. Je préfère toujours le chemin de moindre résistance.

— Vers l’intérieur, alors ? lâcha Malin. Il est certain que les troupes les moins fiables de Haris sont celles qui tiennent la base, et nous leur sommes supérieurs en nombre. Mais elles se tapissent derrière leurs fortifications et leurs armes fixes.

— Nous ne pouvons pas abandonner le périmètre extérieur, laissa tomber Kaï comme si l’on débattait d’une situation difficile dont les retombées n’auraient aucune incidence personnelle sur lui. Et, dès que les troupes qui nous cernent se rendront compte que nous attaquons la base, elles redoubleront d’assauts contre nous. »

Drakon étudia son écran en ruminant ses choix. « Si nous prenons le contrôle de la base, nous nous retrouverons à notre tour derrière ses fortifications et nous aurons accès à ses fournitures. Nous y serons aussi protégés contre les tirs d’artillerie. Mais il n’y a pas moyen de tenir le périmètre extérieur et d’attaquer vers l’intérieur avec des forces suffisantes pour enfoncer les défenses de la base. Ces demi-mesures nous laisseraient avec trop peu de troupes dans les deux cas.

— Jetons tout dans la balance, suggéra subitement Malin. Lançons tous nos soldats à l’assaut. Renonçons complètement à défendre le périmètre et consacrons toutes nos forces à une attaque de la base. »

Gaiene sourit jusqu’aux oreilles. « Je savais que vous promettiez, jeune homme.

— C’est tout risquer sur un coup de dés, objecta Kaï. Pouvons-nous nous le permettre ?

— Pouvons-nous nous permettre de nous en abstenir ? demanda Malin.

— Il faut agir vite, affirma Drakon. Nos pertes sont de plus en plus lourdes chaque minute qui passe et nous n’avons aucune idée du temps qui nous reste avant qu’ils ne donnent l’assaut du périmètre extérieur. Nous lancerons le nôtre de toutes parts en même temps, en balançant simultanément tous les paquets de paillettes dont nous disposons pour nous couvrir. Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer ou d’hésiter, de sorte que nous devrons mener personnellement nos hommes à l’assaut et les obliger à s’activer. » Il déplaça l’index sur l’écran virtuel de sa visière, sachant que tous les hommes, où qu’ils se trouvent le long du périmètre, percevraient les mouvements de son doigt. « Je le conduirai depuis ce quartier ; vous, Conner, de celui-ci ; Bran et vous, Hector, depuis celui-là. Laissez quelques armes automatisées le long de notre ligne défensive extérieure afin qu’elles continuent de tirer de manière autonome pour laisser croire que le périmètre est toujours défendu. Dès que je donnerai le signal de l’attaque, nous l’abandonnerons complètement. Tout le monde devra charger la base.

— La victoire ou la mort, laissa tomber Kaï avec résignation. Mieux vaut ça que se planquer dans un trou à attendre qu’on vienne nous achever, j’imagine. »

Malin interpella Drakon sur un canal privé que ni Kaï ni Gaiene ne captaient. « C’est démentiel, mon général. Je suis sûr que le colonel Morgan approuverait.

— Elle serait assurément surprise que l’idée vienne de vous, répliqua Drakon sur le même canal. Mais, ouais, en effet, ce serait bien d’elle. Morgan est probablement morte, vous savez.

— Oui, mon général, j’en suis conscient. » Impossible de dire ce qu’éprouvait Malin à cet égard. Il mit fin à la conversation sans rien ajouter.

Mais Gaiene intervint tout de suite après. « Ça va sacrément secouer, mon général.

— On survivra, répondit Drakon. Vous avez toujours été mon trio invincible, Kaï, Rogero et toi, dans d’innombrables batailles. Ce n’est jamais qu’un combat de plus, pas vrai ?

— Invincible et indestructible ne sont pas synonymes, fit remarquer Gaiene, l’air mélancolique. Dans la mesure où nous n’aurons vraisemblablement pas l’occasion de reparler, je tiens à vous faire savoir que je recommande chaudement la nomination du lieutenant-colonel Safir à la tête de ma brigade si d’aventure le poste se trouvait vacant dans un avenir proche. Elle est extrêmement compétente, respectée par ses troupes pour tout un tas d’excellentes raisons, et, au demeurant, elle a déjà plus ou moins dirigé la brigade.

— Je m’en souviendrai, répondit Drakon. Mais nous devons absolument nous en tirer, toi et moi, d’accord ? Sans nous, ces gamins ne sauraient plus où donner de la tête.

— Ah oui ! Ces gamins… » Gaiene garda un instant le silence. « J’aurais dû avoir des gosses. Mais je leur aurais fait honte ces dernières années. Mieux vaut qu’il en soit ainsi.

— Conner…

— Ne vous bilez pas, mon général. Je ne vous laisserai pas tomber. Ni moi ni mes hommes. On va prendre cette foutue base.

— Je n’en ai jamais douté, Conner. »

Gaiene le fixa un instant, l’œil sombre, et sa bouche esquissa son sempiternel rictus amer. « À tout à l’heure, mon général.

— Ouais. À plus tard. »

« C’est Black Jack ? Vous en êtes sûr ?

— Ce sont des croiseurs de combat et des escorteurs de l’Alliance, madame la présidente, répondit le superviseur du centre de commandes. Nous avons jusque-là identifié positivement plusieurs coques, dont celle de l’Indomptable, son vaisseau amiral. Ils sont accompagnés par des Danseurs, mais leurs bâtiments ont gagné le point de saut pour Pelé à très haute vélocité alors que la formation de l’Alliance stationnait près du portail. »

Black Jack. Pas le Syndicat. Pas une attaque coordonnée mais un possible soutien. Iceni prit une longue inspiration pour se calmer puis, voyant le superviseur couler un regard en biais, l’air sidéré, elle se pétrifia de nouveau. « Qu’est-ce qu’il y a ?

— Le colonel Rogero, madame la présidente. Il est vivant. Il cherche à vous joindre. »

Elle recommençait à respirer. » Passez-le-moi. Sur un canal privé. »

Iceni avait été élevée dans la négation de l’existence de puissances supérieures qui veilleraient sur ceux qui se conduisent bien et châtieraient les pécheurs. Rien de ce que lui avait appris le Syndicat, où les pires malfaiteurs obtenaient les meilleures promotions et les plus hauts salaires, et où les justes se retrouvaient souvent dans la peau d’une victime, n’avait infirmé ce point de vue.

Mais, pour l’heure, elle envisageait très sérieusement d’offrir un sacrifice à la puissance qui veillait sur elle.

L’homme dont l’image se matérialisa sous ses yeux portait un uniforme déchiré et noirci par la fumée, mais son visage restait ferme et assuré. « Madame la présidente. Si je n’avais pas réussi à vous contacter, j’aurais obéi à vos instructions. Mais j’y suis parvenu et j’attends donc vos ordres. »

De soulagement, Iceni resta un moment bouche bée avant de répondre. « Colonel, j’espère que le capitaine Bradamont me pardonnera mon audace, mais, là, vous êtes sans doute le plus beau spectacle qu’il m’ait été donné de voir. »

Rogero sourit en dépit des macules qui souillaient son visage. « Je suis bien sûr que le capitaine comprendra.

— Comment avez-vous survécu ?

— Mon véhicule s’est arrêté juste devant les explosifs enfouis sous la chaussée, de sorte qu’aucune des charges à explosion ascendante ne l’a touché. Une des limousines qui m’escortaient a encaissé le choc d’une première explosion latérale. La deuxième a détruit l’avant de la mienne, tuant le chauffeur et m’encastrant un moment dans l’épave. Les médecins appelés sur place voulaient me faire admettre à l’hôpital, mais, avec l’aide de quelques-uns de mes soldats arrivés entre-temps, je les ai convaincus que j’avais du pain sur la planche. Vous avez un plan ?

— Je suis en train d’en échafauder un, répondit Iceni, derechef reconnaissante à Drakon d’avoir permis à Rogero de rester. J’ai besoin de vos forces terrestres. De toutes vos forces terrestres. Les citoyens sont à deux doigts de s’abandonner à la violence partout sur la planète.

— Oui, madame la présidente. Je suis d’accord. Demande permission de parler franchement.

— Ne vous embarrassez pas de formalités en ce moment, colonel. Nous n’avons pas le temps. Dites-moi ce que je dois savoir.

— Très bien. » Rogero embrassa son environnement d’un geste. « J’ai déjà donné l’ordre à mes forces terrestres de se mobiliser. Elles se rassemblent en ce moment même sur les sites prévus à cet effet, mais je dois vous mettre en garde : il faudra les gérer prudemment. Les hommes sont à bout. Mes propres soldats me font confiance, mais les forces terrestres locales sont moins fiables.

— Qu’est-ce qui les rend si nerveuses ? demanda Iceni. Quelque chose de précis ou les rumeurs qui circulent parmi les citoyens, selon lesquelles tout pourrait partir à vau l’eau ?

— Leur inquiétude est bien spécifique, répondit Rogero, la voix et le visage sévères. Elles craignent qu’on ne leur ordonne de prendre des mesures de rétorsion contre la population.

— Et, d’après vous, elles refuseraient d’obéir à de tels ordres ?

— Oui. J’ai la certitude qu’elles s’y refuseraient et que mes soldats eux-mêmes choisiraient l’insubordination.

— Il me faut des solutions alternatives, colonel, déclara Iceni. Toute ma formation me souffle d’envoyer les soldats ouvrir le feu sur les citoyens qui rechigneraient à se disperser et rentrer chez eux. Mon instinct, en revanche, me dit que de telles mesures réduiraient à néant, peut-être irrémédiablement, tous mes efforts pour établir un régime différent de celui du Syndicat.

— J’en conviens, madame la présidente. Si nous envoyions des troupes armées mater les émeutiers, certains soldats ouvriraient sans doute le feu par pure discipline ou bien poussés par la crainte d’une populace déchaînée.

— Et il y a encore autre chose, colonel, ajouta Iceni. Ceux qui ont semé la zizanie et qui tentent d’amener notre planète au bord du chaos veulent m’inciter à prendre des mesures coercitives et à massacrer mes concitoyens. En convenez-vous aussi ?

— Oui.

— Alors trouvez-moi des solutions n’impliquant pas des meurtres collectifs. »

Rogero inspira profondément et réfléchit en fixant le lointain. « Il y en a une qui pourrait marcher. Mais c’est un choix périlleux, car, si elle échoue, nous nous retrouverions désarmés.

— Annoncez la couleur. »

« Écoutez-moi tous, déclara Drakon sur le canal de commande général. On vous a expliqué le plan. Quand je donnerai le signal de balancer les paillettes, tous les paquets devront être projetés dans la zone dégagée qui s’ouvre devant la base ennemie. Dix secondes plus tard, je donnerai l’ordre de lancer l’assaut et, à ce stade, tout le monde devra gicler vers la base. N’attendez pas, ne tergiversez pas, n’hésitez pas. Vos colonels et moi-même mènerons la charge. Une fois à l’intérieur, certains d’entre vous seront désignés pour occuper les défenses ennemies et les retourner contre les agresseurs venus d’au-delà du périmètre, qui se lanceront à nos trousses dès qu’ils auront compris nos intentions. »

Il n’avait pas besoin de leur exposer les conséquences d’un échec. Le Syndicat, surtout dans un système stellaire où les serpents exerçaient une telle pression, n’aurait aucune pitié pour des soldats rebelles. Les troupes de Drakon savaient que, si elles voulaient survivre, il leur faudrait remporter cet assaut.

Drakon était conscient qu’il n’avait aucune chance à travers le brouillage de contacter les vaisseaux qui, peut-être, les surplombaient encore, mais il ne risquait rien à essayer. « Ici le général Drakon. Je veux que vous entrepreniez sur-le-champ le bombardement des immeubles qui cernent notre périmètre extérieur de l’autre côté de la rue. Je répète : commencez à bombarder les immeubles qui entourent notre position avec tout ce que vous avez dans le ventre. Infligez-leur le plus de dommages possibles. » Même si les lances de l’enfer ne provoquaient que des dégâts minimes, elles feraient croire aux forces terrestres syndics que Drakon s’apprêtait à tenter une percée vers l’extérieur.

Selon lui, elles ne s’attendraient pas à ce qu’il s’attaquât à la base.

Plus que deux minutes. Il s’agenouilla près d’une ouverture démantelée marquant l’emplacement d’une fenêtre détruite et en laissa suffisamment dépasser la sonde de reconnaissance de sa cuirasse pour obtenir une vue du camp ennemi. Les tirs défensifs en provenance de la base n’étaient pas soutenus mais malgré tout assez nourris pour lui faire comprendre que l’ennemi ne restait pas les bras croisés. Pour la première fois, il se demanda si les défenseurs étaient informés du traquenard. Connaissaient-ils seulement les effectifs des renforts qui harcelaient ses troupes sur le périmètre extérieur ? Ou bien croyaient-ils encore livrer un combat désespéré ?

Eh bien, oui : ils livraient effectivement un combat perdu d’avance. Dans quelques minutes, les défenseurs de la base allaient découvrir ce dont étaient capables des soldats désespérés.

« Préparez-vous, ordonna-t-il.

— Adieu, mon général, répondit Gaiene sur le canal privé. Et encore merci. Je n’aurais pu trouver la mort dans de meilleures conditions et vous me les avez offertes.

— Conner, que diantre…

— Je saluerai Lara de votre part. Prenez soin de mes hommes, mon général. »

Puis le moment T arriva et il n’eut plus le loisir de demander à Gaiene de cesser de se conduire en condamné. « Envoyez les paillettes ! »

Des dizaines de paquets se mirent à pleuvoir en arc de cercle devant la base pour exploser ensuite, à leur atterrissage, en nappes de fumée, menus éclats métalliques, leurres thermiques, nuisances sonores et autres dispositifs destinés à aveugler ou confondre les sens, les senseurs et les instruments de visée.

« Giclez ! ordonna Drakon. Ralliez-vous à moi ! »

Sur cette antique exhortation, il bondit sur ses pieds, s’engouffra dans la plus proche ouverture béante de l’immeuble et traversa au pas de course l’esplanade qui s’ouvrait devant la base ennemie. Il vit s’accumuler sur son écran des masses de symboles brusquement en mouvement qui, comme lui, piquaient tous de l’avant. Puis il pénétra dans le nuage de paillettes et tous les leurres et brouillages qui bloquaient la vue à l’ennemi et aux senseurs bloquèrent aussi la sienne. Sur ses flancs et dans son dos, il pressentait les mouvements des soldats les plus proches, mais son écran de visière ne pouvait lui fournir qu’une estimation du progrès de l’assaut en partant du principe qu’il continuait de se dérouler au même rythme.

La base mit quelques secondes à réagir à sa soudaineté puis toutes ses armes défensives se déclenchèrent dans un rugissement de tonnerre. Nombreuses étaient celles qui tiraient à l’aveuglette, en comptant sur des coups heureux, à travers la bouillasse créée par les paillettes. D’autres explosaient en nuages de shrapnels qui n’avaient nullement besoin d’être téléguidés pour trouver, sur leur chemin, des cibles assez infortunées pour s’en être trop rapprochées.

Les assaillants qui convergeaient sur la base ne formaient pas un carré parfait mais plutôt quatre coins émoussés dont la pointe visait la fortification adverse. Drakon et ses trois colonels tenaient la tête de chacune de ces pointes.

Dans sa charge, le général ne ressentait qu’une sorte de détachement, de dissociation, comme s’il était un observateur extérieur se regardant lui-même cavaler vers le feu ennemi. Il voyait les alertes s’allumer sur son écran et lui hurler des mises en garde à mesure qu’il s’en rapprochait assez pour que ses senseurs repèrent les tirs à travers les paillettes, sentait la violence des explosions voisines, distinguait les trajectoires des tirs qui le frôlaient d’un cheveu, entendait son souffle s’érailler, mais tout cela lui semblait irréel, comme légèrement décalé dans l’espace et le temps. Comment aurait-ce pu être réel ? Qui, dans son bon sens, ferait une chose pareille ?

Alors même que les premiers attaquants, dont lui-même, traversaient les dernières couches de paillettes et entraient dans la zone plus dégagée entourant la base, un tir de barrage défensif les accueillit. Au même moment, leurs écrans de visière se réactualisaient tandis que se rétablissaient les connexions du réseau reliant entre elles leurs cuirasses intégrales. Des marqueurs s’y affichèrent brusquement, s’estompant parfois aussitôt pour signaler des soldats touchés par les tirs ennemis.

Une décharge d’énergie frappa Drakon au bas-ventre et la couche extérieure de sa cuirasse s’écailla pour absorber et dissiper la chaleur. Puis un projectile solide lui égratigna l’épaule, ricocha sur sa cuirasse et le fit tituber dans sa course.

Il vit scintiller un marqueur en particulier, annonçant qu’un soldat avait reçu un coup de plein fouet, et il l’entendit pousser un grognement de douleur : Gaiene. Il afficha la fenêtre montrant ce que voyait le colonel et constata que la vue était inclinée d’une manière trahissant qu’il était tombé sur un genou et chancelait légèrement, tandis que des marqueurs rougeoyaient sur sa visière. « En avant ! hurla le colonel, la voix rauque, aux soldats qui le dépassaient. Dégommez-les, les gars et les filles ! Rendez-moi fier de vous ! »

Les senseurs ennemis pouvaient repérer des nœuds de communication quand ils s’en trouvaient assez proches, et ils concentraient à présent leurs tirs sur Gaiene tout en réduisant leur fréquence sur ses voisins. La vue fournie par la visière du colonel tangua quand un nouveau tir le toucha et d’autres symboles de danger se mirent à clignoter sur sa visière.

Sa seconde blessure le fit hoqueter de douleur, puis il éclata de rire et balaya lentement l’espace devant lui de son fusil, en tirant sans discontinuer sur les fortifications ennemies quand ses hommes les atteignaient. « C’est ça ! En avant ! En avant ! »

La fenêtre de sa visière s’éteignit.

Drakon, sans cesser pour autant de courir sus à l’ennemi, constata que le symbole désignant le colonel Conner Gaiene avait disparu de son écran.

Et, subitement, il redescendit sur terre, pleinement présent, en train de foncer bille en tête aux trousses de ses soldats qui venaient d’opérer une percée à travers les défenses ennemies, vers la position où une équipe de l’ingénierie venait de poser une charge directionnelle, tant et si bien que l’explosion et sa propre irruption ne firent pratiquement qu’un. Il vit les défenseurs se retourner frénétiquement vers lui, vêtus de la cuirasse de combat du Syndicat dont il connaissait toutes les failles et faiblesses, et il en abattit six sans prendre le temps de ralentir ni de réfléchir, à peine conscient de ce qui l’environnait sauf de l’absence du symbole de Conner Gaiene sur son écran.

Mais un déclic se produisit en lui quand les défenseurs survivants levèrent les mains ou se jetèrent au sol après avoir balancé leurs armes. La pression exercée par ses mains sur son arme les avait endolories, mais il les contrôlait encore, tout comme il se maîtrisait lui-même. Parce que Conner Gaiene n’était pas mort pour permettre à Artur Drakon de massacrer des soldats ennemis qui cherchaient à se rendre, pour qu’Artur Drakon néglige son devoir et ses responsabilités envers tous les autres soldats de ses deux brigades.

Il entreprit aussitôt de dispatcher les soldats qui se déversaient par la brèche derrière lui. Certains poursuivraient de l’avant pour éliminer toute résistance dans la base. D’autres s’empareraient de ses défenses et surveilleraient l’avancée des troupes du Syndicat qui devaient désormais arriver sur eux de l’extérieur.

Entre deux ordres, il consultait les réactualisations de son écran, mais celui-ci était désormais entrecoupé de blancs dus à l’incapacité de la base de capter les signaux à travers le brouillage ennemi. Cela étant, ces blancs se raréfiaient très vite et il voyait à présent les symboles représentant ses propres unités se répandre à l’intérieur comme de l’eau dans un bassin, pratiquement sans s’arrêter, pour réduire les poches de résistance clairsemées.

« Mon général.

— Oui, colonel Malin.

— Je suis près du centre de commandement. Ses occupants proposent de se rendre.

— Dites-leur qu’il ne leur sera fait aucun mal s’ils le restituent intact.

— À vos ordres, mon général. »

Nouvel appel, celui-ci d’une femme dont la voix trahissait à la fois colère et chagrin. « Général Drakon, ici le lieutenant-colonel Safir, commandant par intérim de la deuxième brigade. Nous avons investi toutes les positions ennemies à l’exception de celles déjà tenues par les unités de la troisième brigade. Je renforce les défenses du périmètre de la base.

— Merci, répondit Drakon en s’efforçant de se faire à l’idée qu’il ne reverrait plus Conner Gaiene. Vous êtes promue colonel sur le terrain et affectée au commandement de la deuxième brigade, sur les chaudes recommandations du colonel Gaiene.

— Je… Merci, mon général. Je… Qu’il soit maudit !

— Je sais. Mais il est mort comme il l’avait souhaité. Il faudra vous y habituer.

— J’essaierai, promit Safir. Mon général, mes troupes ont repéré du mouvement dans nos anciennes positions. »

La poursuite avait pris plus longtemps que prévu. Le commandant de la division syndic avait dû craindre que l’assaut de Drakon ne fût une feinte, une ruse pour attirer les soldats du périmètre extérieur à découvert, et il avait donc avancé avec prudence.

Le colonel Kaï semblait un tantinet hors d’haleine mais autrement imperturbable. « On tire des paquets de paillettes en face du secteur 3 », annonça-t-il.

Malin avait opéré sa magie habituelle sur les systèmes opérationnels du centre de commandement. De nouveaux voyants s’allumaient sur l’écran du général à mesure que la besogne entreprise par le colonel permettait à tous les soldats de Drakon d’accéder aux senseurs, systèmes d’armement et plans de la base. Les secteurs qui la divisaient servaient désormais de références aux forces du général comme un peu plus tôt à l’ennemi.

« Contacts au secteur 5 !

— Les toubibs sont arrosés !

— Couvrez-les ! »

Drakon afficha une vue des zones extérieures à la base, où son personnel médical s’activait encore à découvert pour soigner les blessés là où ils étaient tombés et transférer à l’intérieur ceux qu’on pouvait transporter. Des tirs syndics commençaient à provenir des immeubles récemment abandonnés par les forces de Midway, menaçant les médecins qui, avec leur ténacité habituelle, s’entêtaient à sauver tous les blessés qu’ils pouvaient. « Faites sortir des troufions, ordonna Drakon. Pilonnez-moi ces immeubles pour obliger les soldats syndics à rentrer la tête et aidez à transporter les blessés à l’intérieur.

— Mon général, les toubibs disent qu’ils ne sont pas tous transportables…

— Faites rentrer tous les médecins et tous les blessés ! Tous ceux qui resteront dehors mourront sur place ! Exécution !

— Attaque en cours sur le secteur 1. Demandons des renforts.

— Gérez-moi ça ! » ordonna-t-il à Safir. En dépit des pertes endurées pendant l’assaut, il lui restait encore deux fois plus de soldats qu’à la brigade ennemie, en sous-effectif, qui tenait la base avant lui. Mais on continuait de ramener des blessés, quelques médecins s’activaient encore dehors au mépris de leur propre sécurité et il devait maintenant s’inquiéter de plus de mille prisonniers détenus à l’intérieur de la base, ainsi que de la probable présence de serpents planqués quelque part dans ses entrailles. « Malin, assurez-vous que les hommes qui patrouillent en quête de serpents inspectent toutes les cachettes possibles.

— À vos ordres, mon général », réagit aussitôt Malin, dont la voix laissait quelque peu percer l’enjouement que lui inspirait une victoire à tout le moins temporaire, ce qui ne lui ressemblait guère. « Quelques-uns des soldats qui se sont rendus demandent à se joindre aux patrouilles pour débusquer les serpents.

— Négatif. Certains de ces volontaires pourraient être eux-mêmes des agents du SSI. Tant que nous n’aurons pas filtré les prisonniers, tous restent des serpents potentiels. Compris ?

— Oui, mon général. Les senseurs de la base repèrent un attroupement massif de forces ennemies en face du secteur 3. »

Drakon se déplaçait aussi vite qu’il le pouvait dans les tunnels souterrains de l’ex-base ennemie, tandis que les soldats qu’il croisait sur sa route se plaquaient aux parois pour le laisser passer. « Je serai au centre de commandement dans deux minutes. Colonel Kaï, avez-vous de quoi renforcer le secteur 3 ?

— Strictement rien. Tous mes gens sont occupés à surveiller les prisonniers ou à fouiller la base. On est en train d’apporter les derniers blessés. Je me déplacerai ponctuellement chaque fois que ce sera nécessaire pour soulager la pression. »

Cela suffirait, du moins fallait-il l’espérer. « Colonel Safir, si les troupes syndics suivent le manuel, elles devraient se préparer à frapper le secteur 6, de l’autre côté de la base, dans les quelques minutes qui suivront le début de l’attaque du secteur 3. Tenez-vous prête.

— Oui, mon général. Nous finissons de récupérer toubibs et blessés. Ils seront à l’abri dans une minute, mais nous allons perdre quelques-uns des blessés. »

Malédiction ! « Les ramener à l’intérieur était leur seule chance de survivre, lâcha Drakon.

— Je n’en disconviens pas, mon général. Oh-ho ! Arrivée imminente d’un tir de missiles.

— Je le vois. » Des diodes d’avertissement s’allumaient sur la visière de Drakon. « De quelle importance, ce tir de barrage, colonel Malin ?

— On dirait qu’ils ont mis le paquet, rapporta Malin. On va bientôt savoir si cette base a été solidement construite, mon général.

— Espérons que c’est du bon boulot, répondit Drakon en suivant des yeux le tir d’artillerie massif qui n’était plus qu’à quelques secondes de frapper. L’attaque au sol se déclenchera aussitôt après la fin du tir de barrage. Que tous ceux des fortifications extérieures gagnent sans tarder le plus proche bunker anti-explosions ! » Si d’aventure des serpents se terraient encore dans les bâtiments de surface, ils n’allaient pas tarder à comprendre leur erreur.

Il s’engouffra dans le centre de commandement au moment où les missiles frappaient et le monde trembla tout autour de lui.

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