Chapitre quinze

Au lieu de lui répondre, Gozen le fixa longuement avant de poser elle-même une question. « Vous connaissiez réellement ce type de Chandrahas ?

— Ouais. » Drakon eut un sourire torve. « Il a un peu vieilli depuis, mais moi aussi.

— Mais vous vous souveniez de son visage ? Au bout de dix ans. »

Le général secoua la tête et contempla le revêtement écorché de la place. « Il aurait dû y trouver la mort. Tous autant qu’ils sont. Mais six ont survécu et ont tenu jusqu’à notre arrivée. On n’oublie pas la physionomie d’un homme capable d’un tel exploit. » Il soutint son regard. « Vous aussi, vous avez de bons éléments. Ils sont un peu abattus pour l’instant, mais donnez-leur une semaine et je n’aimerais pas en découdre de nouveau avec eux. »

Un coin de la bouche de Gozen se releva. « Merci.

— Ouais. De bons soldats. Cela dit – ne le prenez pas mal –, je m’attendais à ce que le Syndicat nous envoie des forces terrestres qu’il regardait comme parfaitement fiables. »

Gozen eut un sourire dépourvu de toute trace d’humour. « Nous l’étions. Autant que peuvent l’être des forces terrestres. À l’exception des vipères, je veux dire, rectifia-t-elle en citant ces forces spéciales fanatisées. Beaucoup parmi nous croyaient au Syndicat et voulaient contribuer à son sauvetage.

— Vous n’en faisiez pas partie. » C’était un constat, pas une question.

« Non, mon général. » Gozen détourna les yeux, le visage sombre. « Non, répéta-t-elle. Je n’étais pas de ces loyalistes purs et durs. Il y en avait malgré tout un bon nombre dans nos rangs. Mais on nous a envoyés attaquer vos positions bille en tête, assaut sur assaut. Les tirs et le shrapnel se moquent des opinions politiques des uns et des autres, mais les cadres et les travailleurs zélés, les vrais croyants, ceux qui tenaient réellement à ajouter une nouvelle victoire au tableau de chasse du Syndicat, poussaient de plus en plus vers les premières lignes à chaque assaut et mettaient plus longtemps à battre en retraite. Ç’aurait été super pour eux si vous aviez flanché. Ils auraient formé le coin qui vous avait enfoncés et nous aurions fourni la masse derrière eux. Mais vous n’avez cédé nulle part. Vous aviez trop de monde partout et une trop grande puissance de feu, vous étiez terrés dans la base et tout bonnement trop coriaces. De sorte que les plus enthousiastes sont morts plus vite que les plus tièdes d’entre nous. »

Gozen porta le regard sur les cratères qui émaillaient l’esplanade. « Naturellement, les cailloux qu’ont fait pleuvoir vos forces mobiles se fichaient bien, eux aussi, de qui ils tuaient, et ils ont coupé les jambes aux unités qui livraient cette attaque. Ne restaient plus face à vos positions que les fanatiques, et leur groupe a vite été balayé. Tout bien pesé, ceux qui étaient encore en vie au bout d’un certain nombre d’assauts n’appartenaient pas au noyau dur. »

Elle embrassa l’esplanade d’un geste. « Les vrais croyants, les durs à cuire, les vraiment loyaux, gisent là-dehors. Ils ont tout donné. Et, eux partis, nous nous sommes demandé pourquoi nous obéissions.

— Je vois. » Drakon tourna à son tour le regard vers les cadavres qui s’entassaient encore sur le terrain à ciel ouvert en dépit des équipes qui l’arpentaient méthodiquement pour ramasser les corps. « Le Syndicat disposait d’une très bonne arme, votre unité, mais il l’a cassée.

— Ouais. Comme toutes les autres unités du Syndicat, nous étions démoralisés. Au-delà, nos gens n’obéissaient que poussés par la peur ou parce qu’ils se refusaient à laisser tomber leurs camarades, mais abrités derrière une sorte de carapace qui nous faisait passer pour forts. » Elle désigna les piles de cadavres d’un coup de menton. « C’était ça, notre coquille. Les autres n’auraient jamais cédé devant l’Alliance, quoi qu’il arrivât. Nous aurions tenu jusqu’au bout pour nos familles et nos foyers. Mais nous savions que vous ne faisiez que ce à quoi tout un tas d’entre nous avaient déjà songé, et que vous ne menaciez pas nos foyers. Seuls le Syndicat et les serpents en sont encore capables.

— Pas tout à fait, la détrompa Drakon. Il y a d’autres menaces extérieures. Il reste encore beaucoup de rudes batailles à livrer.

— Vous êtes toujours aussi encourageant ? »

Il lui sourit. « Dites-moi une chose. Comment avez-vous survécu jusque-là. Pourquoi étiez-vous encore un cadre exécutif de troisième classe plutôt que la détenue d’un camp de travail ?

— Pourquoi cette question ? s’enquit Gozen en feignant la surprise.

— À cause de votre indocilité, répondit-il sèchement.

— D’accord. À la vérité, je n’allais plus durer très longtemps. Je suis douée pour ce que je fais. Je suis un fichtrement bon soldat, je fais mon boulot et mes travailleurs me respectaient. Ils ne cherchaient pas à saper mon autorité parce qu’ils savaient que je m’efforçais de les protéger. Mais je n’ai réussi à survivre jusque-là que parce que j’avais un patron puissant, le sous-CECH responsable de ma brigade. C’était mon oncle. Et il avait un dossier sur son chef de corps, le CECH de la division. J’ignore de quoi il retournait, mais c’était sûrement un moyen de pression, de quoi le faire chanter. »

Drakon ne put s’empêcher de reporter le regard sur le champ de morts.

« Non, dit Gozen. Il n’est pas là. » Elle inspira pesamment puis soupira. « Juste avant que nous ne venions ici, il y a eu un dérapage. J’ignore quelle forme il a prise. On nous a dit qu’on avait un nouveau CECH de division et, quand j’ai cherché à me renseigner auprès de mon oncle, j’ai découvert que notre sous-CECH, lui aussi, avait été remplacé du jour au lendemain. On m’a convoquée avant la fin de la journée pour m’apprendre que mon oncle avait été arrêté pour crimes contre le Syndicat et que les serpents me tenaient à l’œil. J’avais le choix entre accomplir héroïquement cette mission, ce qui m’aurait sauvé la peau pendant encore un certain temps, mourir héroïquement, ce qui aurait pu se faire relativement sans douleur, et aller rejoindre mon oncle dans la mort ou dans un camp de travail, ce qui n’était pas explicitement spécifié.

— Un laïus de motivation typiquement syndic !

— Exactement. Ajouté à quelques bouleversements brutaux de la chaîne de commandement et à l’arrivée d’un tas de nouveaux serpents chargés de surveiller tout le monde, c’était censément destiné à nous placer dans les meilleures conditions possibles pour vous éliminer. » Elle eut un rire amer. « Bien évidemment, ç’a eu l’effet contraire. Nous nous sommes battus plus languissamment contre vous que si nos anciens chefs étaient restés et que si les serpents n’avaient pas mis toutes nos décisions en cause avant de les approuver. Sans tous ces changements qui ont nui à notre efficacité, vous auriez été balayés avant même d’attaquer et de prendre la base.

— Le Syndicat s’est coupé lui-même l’herbe sous le pied, conclut Drakon. Rien de nouveau là-dedans. Alors, qu’allez-vous faire à présent, cadre exécutif Gozen ? » redemanda-t-il.

Elle embrassa ses positions d’un geste. « M’assurer que mes gars vont bien.

— Vous pourriez être dans la course pour la direction des forces terrestres d’Ulindi, fit-il remarquer.

— Pas envie, mon général. Je ne suis pas prête pour ça. Je sais très bien gérer de petites unités, mais on m’a tenue à l’écart du plus clair du travail d’état-major. Mon oncle veillait à ce que je fasse profil bas et les autres sous-CECH auraient préféré me voir dégager.

— Avec moi, vous pourriez acquérir cette expérience. Pourvu que vous passiez le filtrage de sécurité.

— Hmm. » Elle le dévisagea. « Soyons au moins clairs sur un point. Je ne crois pas être un trophée de grande valeur, mon général, et je n’ai jamais vraiment compris les préférences des mâles en matière de femmes, mais, si vous voyez en moi une petite protégée qui saura satisfaire vos besoins physiques et caresser votre ego dans le sens du poil, ce n’est pas ma tasse de thé. »

Drakon secoua la tête. « La mienne non plus. Je n’inflige pas ce genre de pression à mes subordonnées, et je fais d’ailleurs observer une très ferme politique à cet égard. Je sais, le Syndicat aussi. Mais je parle sérieusement. » Raison, entre autres, pour laquelle son incapacité à se contrôler lors de cette unique nuit avec Morgan continuait de l’aiguillonner de manière aussi cinglante. Si ivre qu’il ait été sur le moment, il aurait dû réussir à maîtriser, à résister à ses avances. « Vous pouvez poser la question à mes gens. Ils vous le diront.

— D’accord, mon général. » Gozen tourna de nouveau la tête vers ses positions. « Mais ces hommes et ces femmes passent en premier. Je ne peux pas partir ni accepter un autre emploi tant que je ne serai pas sûre qu’ils vont bien. » Elle refoula ses larmes d’un battement de cils. « Et je dois vous le dire, mon général : je n’en sais trop rien… Nous avons perdu beaucoup de monde. Beaucoup trop.

— Nous aussi. Un seul homme serait déjà trop.

— Ouais. » Elle se frotta les yeux d’une main exaspérée. « Je ne sais pas si je peux continuer à faire ça.

— J’aimerais connaître un autre moyen, déclara Drakon d’une voix sourde. Je ne persiste que parce que je ne connais que cette méthode pour arrêter ceux qui vous ont envoyée à Ulindi, qui ont tué votre oncle, rempli de cadavres ces fosses communes, bombardé la population inoffensive de Kane et accompli tant de forfaits par goût du lucre et du pouvoir. »

Elle lui retourna son regard, les yeux rougis. « Si j’arrêtais, eux ne cesseraient pas. Toujours la même histoire. Et je dois au moins cela à l’oncle Jurgen, qui m’a gardée si longtemps en vie quand il n’a pas pu se sauver lui-même. Mais je vais avoir besoin de pilules du bonheur pour continuer, je crois, ajouta-t-elle en se servant du terme des soldats qui désignait les drogues et médicaments qu’on leur prescrivait pour lutter contre le stress post-traumatique.

— Bienvenue au club.

— J’en suis déjà membre. » Elle hocha la tête à son intention. « Si je me fie à ma grossière estimation, la moitié au moins des soldats survivants de ma division préféreraient rester à Ulindi pour contribuer à la défense de ce système stellaire et repartir du bon pied, surtout s’ils trouvent le moyen de rapatrier leur famille. Un quart environ voudra rejoindre le Syndicat. Et le dernier quart devrait accepter votre proposition et se rallier à vous.

— Où vous situez-vous ?

— Je me suis toujours demandé quel effet ça ferait de travailler pour quelqu’un qui prend soin de ses travailleurs, répondit-elle. Et de se battre pour une cause qu’on a envie de voir triompher au lieu de ne chercher à vaincre que par crainte de voir l’autre bord l’emporter. Mais, s’agissant de mon “indocilité”, je crains de ne pas pouvoir y remédier.

— Êtes-vous toujours aussi encourageante ? »

Elle lui sourit. « Ne seriez-vous pas vous aussi légèrement “insolent”, mon général ?

— C’est ce qu’on m’a dit.

— Très bien. Vous vouliez d’une casse-pieds, vous l’avez. »

« Je reste ici avec les autres croiseurs et avisos pour escorter les transports de troupes, mais il me faut renvoyer le Midway… à Midway », déclara Marphissa à Drakon. Ses vaisseaux orbitaient de nouveau autour de la planète. « On en aura besoin chez nous si d’aventure l’envie prenait le Syndicat de livrer une nouvelle attaque.

— Ou les Énigmas, renchérit Drakon. Je comprends, kommodore. Veuillez, je vous prie, informer le kapitan Mercia que les forces terrestres lui sont infiniment reconnaissantes du soutien que leur a apporté son vaisseau. Bien entendu, notre gratitude va aussi à vos autres unités. Il ne serait pas outrancier de dire que, sans ce bombardement déclenché au moment voulu, nous aurions sans doute été submergés. »

Marphissa sourit. « Nous sommes heureux d’avoir pu vous fournir notre appui, mon général. Je me félicite que la présidente Iceni ait partagé avec vous cette phrase codée. Si vous ne l’aviez pas ajoutée à la fin de votre texte demandant de l’aide, je n’aurais pas su qui bombarder.

— Cette phrase codée ? » Drakon la dévisagea d’un œil soudain cauteleux. « Celle de la présidente Iceni ?

— Oui, répondit Marphissa, s’étonnant de sa réaction.

— Je suis content qu’elle ait eu cet effet. »

Indécise, Marphissa changea de sujet. « Avez-vous une estimation réévaluée du moment où nous pourrons commencer à embarquer vos forces terrestres sur nos nouveaux transports de troupes ?

— Ils ne sont pas franchement nouveaux, répondit Drakon, qui semblait s’être détendu. Plutôt empruntés à leurs anciens propriétaires. Cela étant, je ne suis pas mécontent de les avoir sous la main.

— Compte tenu de la destruction de quatre des cargos qui vous ont amenés ici et des six autres qui ont continué leur course jusqu’à sauter vers un autre système stellaire, je vois mal comment nous aurions pu rapatrier vos soldats sans ces transports. Nous pouvons charger autant de gens sur ces six unités que sur vingt cargos réaménagés.

— Jusqu’à quel point vous fiez-vous à leurs équipages ?

— Nous en avons débarqué une partie pour la remplacer par des gens à nous. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter, mon général. Eh bien, cette évaluation ? » insista Marphissa, non sans se demander pourquoi Drakon avait éludé la question.

Le général fit la grimace. « Nous avons promis d’embarquer ceux des soldats des forces terrestres qui se sont rendus à nous et qui aimeraient gagner un système stellaire où ils pourraient trouver un passage vers l’espace syndic. »

Ah, c’était donc ça. « Combien sont-ils ? s’enquit-elle.

— Quatre cent soixante-deux. Bien moins nombreux que prévu, en fait.

— Un seul transport pourra s’en charger. » Marphissa réfléchit au problème. « Je ne tiens pas à envoyer des vaisseaux à Kiribati. Il y a de trop fortes chances pour qu’une embuscade y guette ceux d’entre nous qui auraient fui dans cette direction pour échapper à la flottille syndic. Mais, si nous ramenions jusqu’à Midway ce ramassis de loyalistes, nous pourrions demander à leur transport de poursuivre sa route vers Iwa. Ils y trouveront un passage vers l’espace syndic. Pas forcément aisément, mais ils y arriveront, ce qui honorerait votre promesse sans faire courir à nos vaisseaux le risque d’un nouveau transit à travers l’espace contrôlé par le Syndicat, par des systèmes stellaires plus éloignés qu’Iwa et que nous connaissons moins bien. Je n’ai aucune envie d’engluer mes bâtiments dans le nid de frelons de l’espace syndic, mon général.

— Iwa. » Drakon réfléchit un instant en se massant le menton puis hocha la tête. « Ça me paraît raisonnable. Nous embarquerons ces gens dès que vous serez prête.

— Nous avons gagné plusieurs navettes supplémentaires en même temps que les transports, fit-elle observer.

— Le major Barnes m’en a déjà informé, ainsi que de son intention d’en réquisitionner quelques-unes pour remplacer celles que nous avons perdues durant l’assaut. Je vais ordonner la finalisation du plan d’embarquement et commencer à envoyer les loyalistes en orbite. Dans quel transport ? »

Marphissa consulta son écran en plissant le front. « L’ULTT 458.

— La 458, répéta Drakon. Comptez-vous aussi leur donner un nom ?

— Ce sera à la présidente Iceni d’en décider, mon général.

— J’ai quelques idées, voyez-vous. » La voix de Drakon s’était de nouveau faite quelque peu cassante.

« Je n’en doute pas, mon général », répondit Marphissa. Elle n’allait certainement pas s’immiscer dans un débat entre le général et la présidente. D’autant qu’elle avait la conviction que Drakon, en dépit de toutes les faveurs qu’elle lui avait accordées, n’était pas l’égal d’Iceni mais le plus haut gradé de ses subalternes. Point tant d’ailleurs qu’elle eût elle-même des problèmes avec le général. Pas après la manière dont il avait géré les crises qui s’étaient déclarées à Ulindi, tant dans l’espace qu’à la surface de la planète. Mais ça ne faisait pas de lui l’autre moitié de la présidente Iceni, nonobstant les rumeurs qui circulaient à propos de leurs relations intimes.

Neuf jours plus tard, debout sur la passerelle de l’ULTT 322, Drakon regardait la flottille quitter son orbite autour du monde habité d’Ulindi et accélérer vers le point de saut pour Midway. Ce n’est pas sans un pincement de culpabilité au cœur qu’il vit la planète rétrécir derrière lui. Ulindi disposait à présent d’un embryon de forces terrestres, en l’espèce une unité concoctée à partir d’hommes et de femmes fiables ayant appartenu à la brigade de Haris ou à la division du Syndicat. Mais pas de vaisseaux de guerre ni d’un gouvernement. Le Syndicat n’était plus là, Haris et ses serpents non plus, mais ce qui aurait dû les remplacer restait toujours éthéré, impalpable, tandis qu’à tous les coins de rue on menait de vigoureuses discussions quant à la façon dont devait être géré le système. Drakon avait l’impression de n’avoir fait que la moitié du travail.

Mais la brutalité des serpents durant les dernières semaines du règne de Haris et les massacres qu’ils avaient perpétrés avaient refroidi les esprits les plus enfiévrés. Rien dans ces débats ne suggérait que les diverses factions fussent prêtes à prendre les armes. Assez semblait être ces jours-ci la devise d’Ulindi, et peut-être n’était-ce pas la plus mauvaise base à la formation d’un gouvernement.

Drakon continuait de fixer la planète en regrettant que ni Malin ni lui n’aient été capables de retrouver la trace de Morgan. Ils avaient consulté de nombreux rapports sur ses activités, assortis de la longue liste des pertes humaines qu’elle avait provoquées, liste qui aurait été impressionnante s’il ne s’était pas agi de Morgan. En l’état, Drakon s’étonnait même de sa pusillanimité.

Et il se demandait si elle avait vraiment trouvé la mort dans le centre de commandement supplétif. Obtenir la réponse à cette question aurait exigé bien plus de fouilles des décombres et d’échantillonnages d’ADN, et il n’avait tout bonnement pas le loisir de s’attarder si longtemps à Ulindi.

Morgan n’était d’ailleurs pas le seul soldat qu’il eût perdu dans ce système. Sans doute les nouvelles recrues de l’ex-division syndic avaient-elles comblé les vides dans ses effectifs, mais, entre ajouter du personnel et remplacer celui qu’on a perdu, il y a une marge.

Ils ramenaient peut-être la dépouille de Conner Gaiene, mais jamais plus on ne reverrait son sourire.

La flottille semblait un peu plus grosse maintenant que s’y étaient ajoutés les huit transports de troupes. La kommodore en avait dit qu’ils évoquaient à ses yeux des baleines, ce qui, effectivement, correspondait assez exactement à leur forme et à leur taille. Alors que Drakon observait la représentation de la flottille sur son écran, il lui sembla que les vaisseaux de guerre de leur escorte ressemblaient à de très gros requins prédateurs nageant autour d’un troupeau de cétacés.

Le commandant de l’ULTT 322, un énervé du nom de Mack, lui décocha un regard approbateur. « Comment trouvez-vous votre hébergement, honorable… euh… général ?

— Confortable », répondit Drakon. Les cadres des transports de troupes avaient la réputation de regarder de haut les forces terrestres qu’ils convoyaient d’étoile en étoile, mais, dès que Drakon avait atteint l’échelon de sous-CECH puis de CECH, il avait constaté une spectaculaire amélioration dans le traitement qu’on lui réservait. Les équipages de ces transports, qui avaient récemment rejeté le joug du Syndicat, ne s’en conformaient pas moins aux vieilles habitudes et, pour eux, Drakon restait en tout et pour tout un CECH, sauf par le nom.

Mack se renversa dans son siège pour embrasser du regard la passerelle, petite pour la taille du vaisseau. « Sans eux, ça fait une grosse différence. Les serpents, je veux dire. L’unité, toutes celles où j’ai servi, m’a toujours fait l’effet d’une prison dont ils étaient les matons. » Il coula un regard vers Drakon comme pour juger de sa réaction. « J’ai encore de la famille dans l’espace syndic, mais, quand vos forces mobiles se sont pointées, je me suis dit qu’il fallait agir ou mourir et que, mort, je ne lui servais plus à rien.

— Il y a de très nombreux trous ces temps-ci dans le périmètre de sécurité du Syndicat, déclara Drakon. Des trous par où les familles peuvent se faufiler. Et plus de place qu’il n’en faut dans les systèmes stellaires du voisinage. »

Un cadre supérieur de quart sur la passerelle, femme dont le visage figé n’exprimait perpétuellement qu’une sorte d’insatisfaction morose, se tourna vers Drakon, une lueur d’espoir dans les yeux. « J’ai appris pour Kane. Comment est ce système ?

— Il possède une très bonne planète, répondit Drakon. Et il y a de la place. Beaucoup. » Il prit une profonde inspiration. « Surtout depuis que le Syndicat l’a bombardée. La plupart des gens qui y vivaient sont morts. Le plus clair des constructions a été détruit. Mais la planète reste très vivable et Kane a besoin de gens disposés à rebâtir.

— Mais… si le Syndicat revient… »

Le général secoua la tête. « Vous avez vu le cuirassé syndic qui se trouvait à Ulindi, non ? Celui qui a été détruit. C’est ce bâtiment et le CECH qui le commandait qui ont bombardé Kane. Ni l’un ni l’autre ne bombarderont plus de planètes.

— Qui êtes-vous exactement ? demanda Mack. Les serpents nous ont dit que vous étiez des CECH félons qui ne pensaient qu’à leur intérêt personnel. J’en ai assez vu et entendu pour en douter, mais je cherche encore à comprendre qui vous êtes.

— Nous sommes ceux qui vont se dresser contre le Syndicat et y mettre fin, répondit Drakon. Exactement comme nous l’avons fait ici. » Il eut un dernier regard pour la planète. « Je serai dans le lazaret. »

Les ULTT disposent d’installations médicales relativement convenables. Rien d’équivalent à celles d’un cuirassé ou d’un établissement de surface bien équipé, mais suffisantes pour soigner les blessés des forces terrestres que chaque unité amène sur le champ de bataille. Drakon atteignit l’entrée de la première infirmerie et s’arrêta devant la porte pour contempler, à l’intérieur du compartiment brillamment éclairé, les rangées de couchettes surmontées d’un long appareil cylindrique évoquant les sarcophages antiques. La plupart de ces coffres étaient ouverts à une extrémité et montraient le visage détendu d’hommes et de femmes plongés dans un profond sommeil. Quelques-uns restaient pourtant hermétiquement scellés, et seules leurs diodes vertes témoignaient de la présence du soldat grièvement blessé qu’ils abritaient.

Deux membres du personnel médical étaient assis de part et d’autre d’un bureau et bavardaient à voix basse. L’un d’eux remarqua l’entrée de Drakon et tous deux se levèrent d’un mouvement pesant qui trahissait leur fatigue.

« Comment ça se passe ? demanda le général.

— Rien qu’on ne puisse réparer », répondit une femme aux yeux fatigués. Il reconnut en elle un médecin de l’équipe attachée à la brigade de Kaï. « Tous sont en sommeil de récupération, mon général », ajouta-t-elle en se servant de l’expression courante pour désigner une forme profonde de sédation accélérant la guérison.

« Merci, doc. Je sais que les toubibs n’ont pas beaucoup eu l’occasion de se reposer. » Drakon dévisagea l’homme qui l’accompagnait. « Je ne vous connais pas. »

L’interpellé hocha la tête avec nervosité avant de répondre. « Travailleur Gundar Castillon, technicien médical, médecine de campagne… euh… » Se rendant compte qu’il ne pouvait citer une unité d’affectation, il se mit à bredouiller.

Drakon le rassura d’un sourire. Du moins espérait-il qu’il s’agissait d’un sourire rassurant. On lui avait souvent dit que, lorsqu’il était fatigué, son rictus avait quelque chose de démoniaque. « Aide-soignant, donc. Apparteniez-vous à la division du Syndicat ?

— Oui, honorable… mon général, je veux dire.

— Il nous le faut dans l’équipe, mon général, déclara le médecin. Il s’est tout de suite impliqué à la surface. Parce qu’il se trouvait sur place, il a spontanément entrepris de faire ce qu’il pouvait et de soigner les soldats qui avaient besoin d’assistance.

— En ce cas, je ne vois pas pourquoi il ne ferait pas partie de votre équipe médicale, docteur. Asseyez-vous », ajouta Drakon en montrant les chaises qu’ils venaient de quitter. Ils se rassirent tous deux, le toubib avec une gratitude visible et le nouvel aide-soignant une légère raideur, comme s’il s’attendait à ce que Drakon lui ordonne d’un instant à l’autre de se remettre au garde-à-vous. « Considérez comme approuvée votre affectation à cette unité. Combien de temps encore êtes-vous de garde ? »

Le médecin bâilla. « Merci, mon général. Plus qu’une heure. Ensuite huit heures de repos.

— Parfait. » Drakon s’adossa à la cloison. Il mourait d’envie de s’asseoir aussi, mais craignait d’avoir trop de mal à se relever. Il inspecta de nouveau des yeux les rangées de soldats endormis. « Vous faites des miracles. »

La femme eut un sourire pincé. « Mon général, si j’étais capable de faire des miracles, je serais à quarante années-lumière d’ici, dans un lit moelleux, avec quelqu’un pour me tenir chaud.

— Vraiment ? Ne seriez-vous pas plutôt là où l’on a besoin de vous ?

— C’est une question injuste, mon général, protesta le médecin en se frottant les yeux. J’avoue qu’un peu de repos me fera le plus grand bien. La journée a été rude.

— Elles le sont toutes pour les blessés. Merci d’avoir soigné tous les soldats rescapés.

— Vous savez quoi, mon général ? Si vous ne les cassiez pas, nous n’aurions pas à les réparer. »

Le nouvel aide-soignant eut l’air horrifié. Sans doute s’attendait-il à ce que Drakon abatte le médecin sur place.

Mais le général se contenta de la regarder en hochant la tête. « Si je connaissais le moyen de ne pas les casser, je sauterais dessus. Mais la vie est un peu plus compliquée.

— Oui. En effet, j’imagine. Mais je me demande parfois pourquoi j’insiste. » Elle indiqua d’un geste les rangées de couchettes. « Je les répare, ils ressortent et, quand il leur arrive de revenir, leurs blessures sont souvent si graves que rien ne peut plus les sauver. C’est un peu comme de pelleter du sable. On s’échine à vouloir les guérir, mais qu’est-ce que ça change ? »

Drakon chercha ses yeux. « Laissez-moi vous dire quelque chose. Je me pose parfois des questions sur l’espèce humaine, sur la capacité apparemment illimitée des hommes à semer la mort et la destruction parmi leurs semblables. Je me demande s’il y a vraiment une raison de chercher à améliorer nos conditions d’existence, de tenter de sauver les meubles quand un autre va se pointer dans la foulée pour anéantir tout ce qu’on a construit. »

Il hocha de nouveau la tête, cette fois en direction des blessés assoupis. « Et puis je rencontre des gens comme vous, qui donnent tout ce qu’ils ont pour en sauver d’autres. Les aides-soignants qui, comme vous, technicien Castillon, bravent les balles ennemies pour tirer les blessés d’affaire. Et je prends conscience que l’espèce humaine n’est pas si mauvaise, qu’il y a du bon en elle. Que certains s’acharnent autant à sauver des vies que d’autres à les détruire. Et c’est pour cela que je persiste. »

Le médecin eut un sourire las. « Vous faites bien. »

Drakon se tourna vers l’aide-soignant. « Vous avez tout ce qu’il vous faut ? Couchage, réfectoire ?

— Pas encore, mon général, répondit Castillon.

— Si vous rencontrez des problèmes, demandez à votre chef d’équipe… (il désigna le médecin) de me contacter à cet effet. »

Le médecin sourit derechef, tout en étudiant attentivement Drakon. « Si je peux me permettre, mon général, vous êtes presque aussi éreinté que moi. C’est du moins mon diagnostic. Vos genoux flageolent alors même que vous vous appuyez au mur.

— Inutile de me prescrire une nuit de sommeil, j’y vais de ce pas. » Drakon se redressa, jeta un dernier regard aux blessés et songea à tous ceux qui n’avaient pas survécu. « Pourquoi ne pouvons-nous pas les sauver tous ? Ne pourrions-nous pas remplacer tout ce qui leur manque ?

— Jusqu’à un certain point, rectifia le toubib. Il y a plusieurs siècles, on est tombé sur un truc bizarre. » Elle soupira puis ferma les yeux comme si elle refusait de porter un regard sur le passé. « La science médicale avait à tel point progressé qu’il nous était possible de remplacer tous les organes défaillants par quelque chose d’artificiel. Les organes clonés fonctionnaient à merveille. Mais ce que nous fabriquions, les parties mécaniques, entraînait des problèmes, comme si leur cumul chez un individu donné finissait par devenir nuisible. Nous pouvons créer des cyborgs, mais ils sont instables, surtout si nous les fabriquons à partir d’un individu qui a été démembré au combat et qu’on a reconstitué. Les théories sont nombreuses et tournent presque toutes autour de l’hypothèse que les prothèses ont sur le système nerveux une sorte d’effet cumulatif pernicieux, de sorte que, si l’on dépasse un certain seuil, que la part artificielle de l’organisme est supérieure à sa part naturelle, le cyborg est atteint d’une psychose incurable, sombre dans le coma ou se change en berserker.

— Ne serait-ce pas une légende ? s’enquit Drakon. J’ai vu de nombreuses vidéos d’horreur basées sur cette trame, et j’ignorais qu’elle avait un fondement réel.

— C’est tout à fait réel », affirma le médecin. Elle rouvrit les yeux et fixa Drakon. « Vous savez ce qui l’est tout autant ? On a découvert que, lorsque quelqu’un a été très grièvement blessé et est resté cliniquement mort assez longtemps avant d’être ranimé, il lui manque quelque chose à son réveil. Comme si ces cyborgs n’étaient plus que des robots au programme humain. Ce qui faisait d’eux des hommes n’est plus là. Nous n’avons jamais pu déterminer ce que c’était. C’est bien pourquoi nous ne les ranimons plus. Même le Syndicat en avait peur. »

Il fallut à Drakon plusieurs secondes pour répondre : « À très juste titre. » Après ce que venait de dire le médecin, l’ancien « Repose en paix » prenait soudain tout son sens à ses yeux. Quelqu’un comme Conner Gaiene n’avait-il pas mérité le droit de se reposer même s’il était possible de ressusciter sa dépouille ? Ou, plutôt, de lui rendre une forme de vie qui n’aurait été qu’une bien misérable façon de remercier un homme resté si longtemps un ami et un camarade. « Merci de nourrir mes cauchemars.

— C’est ce qui arrive à ceux qui nous écoutent parler boutique.

— Je m’en souviendrai. » Drakon les salua de la main puis prit la direction de sa cabine. Il n’arrivait pas à se rappeler la dernière fois où il s’était reposé convenablement, mais c’était assurément avant le débarquement à Ulindi.

Malgré tout, il eut encore besoin d’un patch de calmant pour s’apaiser et trouver le sommeil, et il finit par sombrer, hanté par des visions de bataille.

« Contente de vous voir de retour. » Iceni s’était efforcée de donner autant de sincérité que possible à ces derniers mots, mais elle n’eut droit qu’à un regard tendu de la part de Drakon.

« Je vous ai manqué à ce point ? demanda-t-il.

— C’était un tantinet agité par ici, répondit-elle en lui montrant une chaise. Pas autant que pour vous à Ulindi, bien sûr.

— Le colonel Rogero m’en a informé, fit Drakon en se posant. Nous avons tous évité la balle de peu ce coup-ci.

— Nos ennemis ont tissé un réseau plus vaste et plus subtil que nous ne l’imaginions, dit Iceni en croisant les mains devant elle sur son bureau, le temps de sonder l’humeur de son interlocuteur. Et nous nous sommes peut-être aussi crus plus malins que nous ne le sommes.

— Difficile de déjouer les manœuvres d’un adversaire qui sait quelles cartes vous avez en main, déclara Drakon d’une voix plate. Comme la kommodore vous l’aura certainement dit, le Syndicat en sait long sur nos plans. »

C’était donc là la raison de la crispation de Drakon. Allait-il l’accuser de trahison ? Croyait-il qu’elle l’avait doublé ? « Oui, lâcha Iceni, la voix grave mais détendue. Il disposait apparemment de nombreuses informations, dont des renseignements très précis sur le timing de l’opération.

— Non seulement il disposait de ces informations, mais il a encore basé son plan sur elles. Le traquenard des Syndics tout entier était échafaudé en partant du principe qu’ils sauraient synchroniser l’arrivée de leurs renforts en lui faisant précéder la nôtre de peu, de manière à ce que la flottille de la CECH Boucher ait le temps de se cacher derrière une géante gazeuse. Quelqu’un qui aurait assisté à notre départ n’aurait pas pu leur livrer cette information. Elle ne serait pas arrivée à temps à Ulindi. »

Drakon s’était penché pour tapoter le dessus du bureau de l’index afin de souligner ses paroles. « L’informateur du Syndicat a dû apprendre la date de notre départ dès que vous et moi l’avons fixée. Quelqu’un a peut-être assisté à nos préparatifs, mais nul n’aurait pu savoir à quel moment précis nous décollerions vers le point de saut pour Ulindi, parce qu’il dépendait de nombreux facteurs et de notre décision commune. Compte tenu du temps exigé pour transmettre le renseignement au Syndicat, tant à Ulindi que là où attendaient ses réserves, et de celui nécessaire à débarquer ces soldats syndics et à poster sa flottille, ils n’auraient tout bonnement pas eu le loisir de le faire assez tôt, à moins qu’on ne lui ait transmis cette date la veille du jour où nous avons pris la décision définitive. »

La voix d’Iceni se glaça légèrement. « M’accuseriez-vous de quelque chose ? »

Drakon se renfrogna, brièvement interloqué. « Vous ? Non. Ça… ne m’a même pas traversé l’esprit. »

Soit Drakon était un bien meilleur comédien qu’il n’avait paru jusque-là, soit il parlait sincèrement. « Alors qu’essayez-vous de me dire ?

— Que quelqu’un de très proche de vous ou de moi a livré cette information au Syndicat.

— Qui exactement dans votre équipe a connu assez prématurément la date exacte du départ ? demanda Iceni en s’efforçant de maintenir le général sur la défensive.

— Le colonel Malin, le colonel Kaï, le colonel Gaiene.

— Pas le colonel Morgan ?

— Comment l’aurait-elle apprise ? Elle était déjà à Ulindi quand nous avons arrêté la décision, et ce depuis des semaines. »

Iceni réussit à réprimer sa déception. Son espoir fugace de voir Morgan regardée comme le principal suspect venait de capoter, pour une simple question de temps et d’espace qui la blanchissait complètement. « Mais les informations qu’elle nous a envoyées étaient cruellement incomplètes, fit-elle remarquer.

— C’est vrai, convint Drakon, toujours quelque peu sur la défensive. Les dossiers que nous avons saisis quand l’état-major du Syndicat a abandonné le QG de la division ont confirmé que le CECH Haris lui-même n’était pas au courant du traquenard. Ulindi et lui servaient à nous appâter. Nous ignorions que le Syndicat allait l’évincer de ses projets, mais il faut dire aussi que nous n’avions pas compris non plus qu’en réalité il travaillait encore pour le Syndicat.

— Ç’aurait dû nous crever les yeux, déclara Iceni, tranchante, en voyant Drakon s’assombrir davantage. Oh, je ne vous le reproche pas, général. Je partage largement cette responsabilité. Haris s’était censément affranchi du Syndicat, mais il aurait entraîné derrière lui tout l’appareil du SSI d’Ulindi ? Entièrement intact ?

— Un leader assez charismatique en aurait été capable, rétorqua Drakon. Voulez-vous savoir ce que disaient ces dossiers sur leur informateur à Midway ? »

Iceni s’efforça de ne pas se raidir. Quelle bombe Drakon allait-il encore lâcher ? « Que disaient-ils ?

— Rien. »

À son tour de prendre la mouche. « Teniez-vous sérieusement à voir comment je réagirais à la suggestion que ces dossiers contenaient d’importants renseignements ? »

Drakon ferma les yeux pour répondre d’une voix lente mais véhémente. « Je me trouvais à Ulindi, coincé entre deux forces ennemies, conscient que mes chances de vaincre étaient en train d’être balayées et que c’était moi qui avais conduit mes gens dans ce piège. »

Iceni se pencha à son tour pour marteler chacune de ses paroles. « Croyez-vous vraiment que j’aurais pu vous tendre un tel piège ? Que j’aurais pu comploter pour vous anéantir, non seulement vous mais encore les deux tiers des forces terrestres dont dispose Midway ? Vous me croyez stupide à ce point ? » Parce que c’était là, en vérité, que le bât blessait. Elle pouvait être impitoyable. Jouer double jeu. Mais réduire à néant ses propres espérances par un tel massacre ? « Si j’avais voulu votre mort, je vous aurais fait assassiner et j’aurais gardé ces précieux atouts par-devers moi. Me prenez-vous pour une incapable ? »

Drakon avait rouvert les yeux pour la fixer et il éclata soudain de rire. « Oh, bon sang, vous croyez que je vous soupçonne ? Vous personnellement ? Pourquoi diable auriez-vous envoyé un cuirassé pour nous sauver la mise si le traquenard avait été de votre fait ? Non, je ne vous crois ni stupide ni incompétente, mais je crois en revanche qu’un de nos proches se joue de nous deux et qu’il voulait effectivement ma mort. »

Elle le dévisagea sans cesser de réfléchir. « Oui. Ce plan aurait débouché sur votre mort. Comme sur celle des colonels Kaï, Gaiene et Malin. Seul aurait survécu le colonel de votre état-major, Rogero. » À mesure qu’elle envisageait d’autres scénarios plausibles, son cerveau empruntait de nouvelles voies. « Il vous aurait remplacé, général. Le colonel Rogero serait devenu le plus haut gradé des forces terrestres et le commandant des seuls soldats professionnels qui me restaient loyaux. Il aurait très bien pu mettre en scène l’attentat contre sa personne. »

Au lieu de se retrouver de nouveau sur la défensive, Drakon se borna à secouer la tête. « Je n’ai pas donné à Rogero la date de notre départ par mesure de sécurité. Il n’avait pas besoin de la connaître.

— Il aurait pu l’apprendre par ailleurs. Il doit avoir des informateurs. Ou tout bonnement en bavardant avec Gaiene quand celui-ci était ivre.

— C’est vrai. » Drakon finit par se redresser pour l’observer. « Mais je ne peux pas y croire. Donal Rogero. S’il a comploté de sang-froid mon assassinat, celui des deux tiers de la division et celui de Gaiene qui était son ami, alors il fait un serpent si doué que je me demande comment je peux être encore vivant. »

Iceni fit la grimace puis hocha la tête. « Vous avez raison. D’autant qu’il aurait parfaitement pu trouver la mort, lui aussi, quand il s’est montré à la populace en compagnie de ses soldats. S’il entendait vous survivre et vous succéder, ce geste eût été absurde. » Elle inspira profondément. « Ce qui nous ramène à mon propre bord.

— Je suis certain de la loyauté de la kommodore Marphissa.

— Moi aussi. Les officiers de l’ex-flottille de réserve n’ont pas tous été scrupuleusement filtrés, mais aucun n’a eu accès aux renseignements concernant le départ assez tôt pour alerter le Syndicat.

— Que nous reste-t-il ? » demanda Drakon.

Iceni pianota sur le dessus de son bureau pour masquer le trouble qui l’agitait. « Mon assistant personnel.

— Aucun autre ?

— Pas de mon côté. Jusqu’au décollage, nous n’avons divulgué cette information qu’à ceux qui avaient besoin de la connaître.

— Où est votre assistant ? » Drakon regarda autour de lui. Ses mains s’activaient de telle manière qu’Iceni comprit qu’il devait préparer les armes et défenses incorporées à son uniforme.

« Je ne sais pas. » Elle soutint sans ciller son regard étonné. « Mehmet Togo a disparu peu avant que la foule n’envahisse les rues. Je n’ai rien découvert depuis le concernant. »

Drakon fixa le lointain en faisant la moue. « Votre Togo me fait l’impression d’un homme très difficile à liquider.

— Extrêmement difficile. Si quelqu’un s’en chargeait, ce serait une sérieuse menace.

— Si ? interrogea Drakon. Vous croyez qu’il a opté pour se mettre au vert ?

— Je n’en sais rien. » Elle montra son bureau. « J’ai pris la précaution de réinitialiser tous les mots de passe et accès qu’il connaissait. Ainsi que tous ceux qu’il n’était pas censé connaître.

— S’il a livré ces informations au Syndicat…

— Je sais ! » Iceni se calma. « Mais il ne peut pas être loyal au Syndicat. S’il l’était, il l’aurait prévenu avant notre rébellion. Aucun de nous n’aurait survécu. Et, s’il ne voulait que votre mort, il lui aurait suffi de faire passer le mot de vos plans à feu le peu regretté CECH Haris assez tôt pour me laisser le temps de dissimuler ma propre implication. » Elle se mâchouilla la lèvre et fixa Drakon d’un œil soucieux. « Togo sait beaucoup de choses. Il existe des moyens très accessibles d’extorquer des informations même à ceux qui résistent aux méthodes d’interrogatoire traditionnelles.

— S’il décide de ne pas les donner spontanément, ajouta Drakon. Mais, après leur passage, ces moyens dont vous parliez ne laissent pas de l’homme grand-chose de reconnaissable.

— Je sais cela. Et aussi qu’ils ne sont pas infaillibles, qu’ils peuvent parfois détruire l’information qu’ils cherchent à obtenir et que le Syndicat lui-même n’y recourt que très rarement. Mais je ne peux pas non plus négliger cette éventualité. Togo m’a trahie pour des raisons que j’ignore. À moins, peut-être, qu’on ait recueilli l’information qu’il détenait. Je fais tout mon possible pour le localiser.

— Le colonel Rogero n’a pas mentionné son intervention.

— Je n’ai pas demandé l’assistance des forces terrestres, répondit Iceni en éludant le problème d’un geste tranchant. Ça m’a paru une affaire purement interne.

— Elle l’était peut-être jusqu’à ce que nous apprenions qu’on avait divulgué cette information au Syndicat, dit Drakon. J’aimerais en faire part à mon état-major. Votre assistant connaît aussi beaucoup de mes propres secrets, secrets que j’ai partagés avec vos services.

— Zut ! » Iceni se frappa le front. « Les codes ! Togo aura sans doute réussi aussi à accéder à certains des vôtres. Oui. Oui. Dites à vos travailleurs de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger vos données et vos réseaux. »

Drakon fixa le sol, rembruni, puis releva les yeux. « Si votre assistant a bien passé un marché avec le Syndicat, celui-ci entendait certainement le doubler. Le plan des Syndics prévoyait un suivi rapide à notre débâcle d’Ulindi sous la forme d’une attaque immédiate de Midway. D’abord nous balayer à Ulindi, puis convoyer tous leurs soldats jusqu’ici avec la flottille de la CECH Boucher pour vous frapper sans aucun avertissement. »

Iceni prit une profonde inspiration pour digérer l’information. « Boucher ne m’aurait pas fait de quartier, à moi ni à personne, quel qu’ait été le marché qu’aurait passé Togo. Mehmet a été impliqué dans assez d’opérations décisives pour savoir que le Syndicat a un lourd passé de promesses non tenues à ceux qui ont retourné une première fois leur veste, en faisant publiquement leur éloge puis en les éliminant secrètement pour leur interdire tout nouveau revirement. Mais nous ne sommes toujours pas certains qu’il nous a trahis. Pourquoi s’éclipser s’il avait l’assurance que vous trouveriez la mort à Ulindi ?

— J’espère que vous ne prendrez pas en mauvaise part mes soupçons qui subsistent, déclara Drakon, ouvertement sarcastique. À propos de secrets dévoilés, comment avez-vous appris pour ce traquenard à Ulindi ? Tout ce qu’en savaient Freya et Bradamont, c’était que vous aviez reçu une information d’une source très crédible.

— Le CECH Boyens. » Elle flaira aussitôt son scepticisme. « Par pur intérêt personnel. »

Drakon grogna. « Ça rend la chose plus plausible, en effet. Dommage que le CECH Boyens n’ait pas craché ce renseignement avant mon départ.

— Je lui ai clairement fait part de mon désappointement.

— Est-il mort ? Ou regrette-t-il de ne pas encore l’être ?

— Ni l’un ni l’autre. Pour l’instant.

— J’aimerais m’entretenir personnellement avec lui, dit Drakon. Son petit jeu de dissimulation a failli nous coûter le maximum.

— Vous n’avez nullement besoin de le souligner. » Iceni fixait ses mains. « Jusqu’à ce que le Midway revienne avec la nouvelle de votre victoire et de votre survie, j’ai passé de longs moments à imaginer des moyens de lui faire regretter de n’avoir pas parlé plus tôt. Mais vous êtes là. En un seul morceau. Avec plus de soldats que vous n’en aviez embarqués, et de plus nombreux vaisseaux. Vous êtes franchement sidérant, vous savez. »

Drakon se radossa à son siège et lui décocha un regard énigmatique. « Si vous le croyez vraiment, alors peut-être pourrez-vous aussi m’expliquer une autre chose qui m’intrigue.

— Oh ? Quoi donc ?

— J’ai eu le loisir de m’entretenir un peu avec votre kommodore. » Le général inclina la tête de côté sans cesser de scruter la présidente. « Elle m’a dit avoir reçu de mon commandement un message-texte lui apprenant que nous avions pris la base et que nous avions besoin de son assistance contre les troupes syndics qui nous attaquaient du dehors. Mais il y a dans ce message quelque chose que je ne comprends pas. La kommodore Marphissa m’a aussi déclaré qu’elle a su aussitôt qu’il était authentique et qu’il ne pouvait s’agir d’une ruse du Syndicat puisqu’il contenait une phrase codée. Phrase codée dont elle a affirmé que la présidente Iceni l’avait confiée aux rares personnes auxquelles elle faisait confiance pour ne s’en servir qu’en cas d’urgence. » Drakon se pencha de nouveau vers Iceni, les coudes en appui sur ses cuisses. « Votre kommodore croyait que c’était moi qui avais envoyé ce message contenant cette phrase particulière. Sauf que ce n’est pas moi. »

Iceni réussit à ne pas trahir ses sentiments. Malédiction ! Ça va être coton. Et cela juste après lui avoir reproché de me soupçonner. « Vraiment ? Qui, alors ?

— Je n’en sais rien. Mais j’aimerais bien le savoir. »

Elle soupira puis leva les mains en feignant la reddition. « Le colonel Malin. Ça ne peut être que lui. Je lui ai donné une de ces phrases codées. Pure mesure de précaution en cas d’urgence.

— Pourquoi au colonel Malin et pas à moi ? » demanda Drakon. Tant sa voix que son expression trahissaient plutôt la curiosité que le courroux, mais ça ne voulait rien dire. Quand il le voulait, cet homme pouvait dissimuler ses sentiments aussi bien qu’un CECH.

« Je pourrais mentir…

— J’aimerais mieux pas », la coupa-t-il.

Ces derniers mots lui avaient échappé avec une violence qui dépassait certainement son intention. « … mais je vais vous dire la vérité, poursuivit-elle calmement. Je voulais une assurance. Je savais que la kommodore Marphissa accepterait d’obéir aux instructions pourvu qu’elle sache avec certitude qu’elles venaient de moi. Mais vous alliez livrer bataille. Il pouvait vous arriver malheur. Je tenais à ce que le colonel dispose d’un moyen de faire savoir à la kommodore qu’elle pouvait se fier à lui. »

Drakon la scruta encore, l’air perplexe. « Vous faites confiance au colonel Malin ? Depuis quand ?

— Un bon moment, répondit-elle en haussant les épaules.

— Même après avoir découvert qu’il était le fils de Morgan et m’avait caché cette information ?

— Oui.

— Je vais être franc avec vous. Je ne sais vraiment pas ce que je dois en penser. »

Iceni croisa son regard. Elle n’avait plus à feindre la sincérité : « Artur, j’ai la conviction que jamais le colonel Malin ne vous trahirait. Si Rogero était parti, c’est à lui que j’aurais confié cette phrase codée, mais il est resté à Midway. Il s’agissait avant tout de m’assurer que la kommodore Marphissa saurait que tel ou tel message crucial serait authentique, et ça a marché comme prévu. Sans cette phrase de reconnaissance, elle n’aurait pas été informée de la situation à la surface à temps pour intervenir. »

Drakon exhala longuement puis se redressa de nouveau, les yeux durs. « J’aurais préféré être au courant. Telle quelle, même si elle a réellement eu d’heureuses conséquences, cette mesure me fait davantage l’effet d’une assurance prise contre moi qu’en ma faveur.

— Ce n’est pas vrai. » Sa véhémence surprit Iceni elle-même. « Elle n’était fondée ni sur la crainte ni sur un manque de confiance. Mais je m’étais dit que, si vous aviez su, vous vous seriez méfié du colonel Malin, comme d’ailleurs de tout autre qui aurait connu cette phrase de code. »

Drakon opina. « C’est probablement exact. Je sais que vous ne vous fiiez pas à Conner Gaiene. »

Iceni détourna les yeux, en proie au désarroi. « Sa mort m’attriste réellement, Artur. Ce n’était sans doute pas l’homme que je préférais au monde, mais il s’en trouve anobli.

— Conner a toujours eu le cœur noble, répondit Drakon d’une voix pesante. C’est seulement qu’il était devenu très doué pour le cacher. Le colonel Kaï et vous n’avez jamais beaucoup eu affaire l’un à l’autre, autant que je sache…

— Jamais.

— Il est donc logique que vous ayez confié cette phrase codée à Malin. » Il la fixa de nouveau droit dans les yeux. « Mais je tiens énormément à ce qu’une telle démarche ne se reproduise plus à mon insu. »

Iceni pressentit que Malin serait assailli de questions insidieuses au retour de Drakon à son QG. Si d’aventure l’informateur d’Iceni qu’il était perdait la confiance du général, son efficacité en serait aussi réduite de beaucoup. « Je devrais peut-être ajouter que le colonel Malin vous croyait déjà informé de cette disposition. »

Drakon marqua un temps. Il chercha ses yeux. « Vous l’aviez induit en erreur, lui aussi ?

— N’est-ce pas ce que nous faisons sans cesse ? » Elle avait aspiré à une plus grande ouverture d’esprit de la part de Drakon, à voir s’abattre les barrières, mais il crevait les yeux qu’il avait la garde haute, de sorte qu’elle pouvait difficilement se permettre d’abaisser la sienne. « Mais je m’en abstiendrai désormais. »

Le général s’accorda plusieurs secondes avant de répondre en pesant ses mots : « Certaines forces s’acharnent à exacerber notre méfiance mutuelle. Nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser gagner.

— Certaines forces ? Le Syndicat, voulez-vous dire ?

— Le Syndicat, assurément. Diviser pour régner est une vieille tactique des CECH. Mais peut-être aussi Togo, votre assistant. Voire… » Le regard qu’il lui lança était l’aveu implicite de son propre échec. « C’est sans doute aussi ce que visait en partie le colonel Morgan. »

Le sourire d’Iceni fut aussi dur que glacial. « Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je déteste qu’on me tire à hue et à dia comme une marionnette.

— Ça ne me plaît pas non plus.

— Alors tournons la page, proposa-t-elle. Ne perdons pas de vue que nous l’avons emporté ici comme à Ulindi. »

Il lui adressa un signe de tête. « Ni que nous n’avions gagné là-bas que parce que vous nous avez envoyé un cuirassé.

— Oh, enfer, Artur, si vous ne vous étiez pas sortis d’affaire vous-même, vos soldats et vous, ce cuirassé n’aurait pu que vous venger ! » Elle reporta le regard sur la carte stellaire. « À propos de manipulation de marionnettes, vous a-t-on rapporté la teneur du message que nous ont envoyé les Danseurs ?

— Le colonel Rogero me l’a transmis. Observez les étoiles différentes. Avez-vous une idée de ce que ça signifie ?

— J’ai discuté avec nos astrophysiciens et, selon eux, toutes les étoiles sont différentes. Il n’y en a pas deux d’identiques.

— Pourquoi les Danseurs nous demanderaient-ils d’observer les étoiles ? Et, s’ils y tiennent absolument, pourquoi pas toutes les étoiles ? Qu’attendent-ils de nous ? »

Iceni se radossa à son siège ; son sourire était dépourvu de tout humour. « Ou bien ne chercheraient-ils pas à nous manipuler en nous y incitant ? J’ai l’impression que l’Alliance prend au mot tout ce que disent les Danseurs, comme s’ils étaient toujours parfaitement sincères, candides et dignes de confiance. »

Drakon haussa les sourcils. « Vraiment ?

— Oui. Alors que nous savons, vous et moi, que, quelles que soient les apparences, nul n’est jamais entièrement sincère, candide et digne de confiance. Les Danseurs poursuivent un but. Ils tiennent à nous voir prendre certaines mesures, peut-être dans notre propre intérêt mais peut-être aussi à leur avantage.

— Ils ont sauvé notre planète, fit remarquer Drakon.

— J’en conviens. Ce qui leur donne le droit d’exprimer ouvertement leurs désidératas puisque nous leur sommes redevables. Au lieu de cela, ils se contentent de nous fournir de vagues mises en garde. »

Drakon secoua la tête d’un air borné. « Ça n’a pas de sens. Il est déjà affreusement difficile d’obtenir des gens qu’ils fassent ce qu’on veut quand on leur demande directement. Tenter de les manipuler avec de vagues considérations devrait plutôt les inciter à faire exactement le contraire.

— Les Danseurs ne s’en rendent peut-être pas compte. Le procédé marche sans doute avec eux.

— Peut-être. » Drakon fixa la carte stellaire en se massant le menton, l’air concentré. « Supposons que, pour une raison qui nous reste encore inconnue, les Danseurs croient leur message utile. Des étoiles différentes ? D’accord. J’ai passé beaucoup de temps dans les forces terrestres du Syndicat plutôt que dans le gouvernement ou l’industrie. Pour moi, le mot “observer” contient un avertissement. Méfiez-vous d’un danger ou gardez-vous de quelque chose. »

Iceni se pencha. « Ils nous préviendraient donc de nous méfier d’un secteur du ciel ou de le surveiller ? Ça ne nous apprend rien de nouveau.

— Un secteur du ciel différent, souligna Drakon. Pas ceux que nous surveillons déjà. »

Iceni pointa la carte du doigt. « Au cours de votre absence, deux vaisseaux Énigmas sont apparus au point de saut pour Pelé. Ils se sont montrés, ont fait volte-face et sauté de nouveau vers Pelé.

— Des éclaireurs, conclut Drakon. Nous en avons aperçu un juste après notre retour.

— Oui. Ils continuent de nous tenir à l’œil. Le premier a émergé alors qu’il ne restait plus à Midway que quelques croiseurs et avisos, plus le croiseur de combat Pelé. J’ai craint qu’ils ne lancent une attaque au plus tôt, après avoir constaté notre relative faiblesse. Mais le second s’est pointé après le retour du Midway et le vôtre.

— Il a donc pu se rendre compte qu’il nous restait des crocs. Mais les Danseurs devaient savoir que nous surveillions déjà le point de saut pour Pelé. Ce n’est sûrement pas de cela qu’ils voulaient parler. » Il s’interrompit une seconde. « Un avertissement nous conseillant d’observer des étoiles différentes ? Ça concerne sûrement les Énigmas plutôt que le Syndicat. À notre connaissance, leur seul accès à l’espace humain passe par Pelé et Midway. Les Danseurs nous préviendraient-ils de la capacité des Énigmas à atteindre d’autres étoiles ? Différentes de Midway ? »

Iceni lui décocha un regard atterré. « Ce serait plausible. Black Jack nous a laissé des cartes stellaires du territoire Énigma. » Maudissant en son for intérieur l’absence de Togo, qui la contraignait à s’appuyer cette corvée à sa place, elle manipula les commandes de son écran jusqu’à ce que celui-ci grossisse et encadre une vaste région de l’espace. « Là. C’est l’image qu’a reconstituée la flotte de Black Jack en se basant sur sa propre traversée de cette partie du territoire Énigma et les données qu’elle a pu obtenir des Danseurs. »

Drakon étudia la carte stellaire en secouant la tête. « Si cette carte est complète, les Énigmas ne peuvent gagner que Pelé en procédant par bonds successifs. Ils pourraient filer sur des dizaines d’années-lumière vers le haut, le bas, la gauche ou la droite pour tomber sur d’autres points d’accès à l’espace humain, du moins si rien ne leur bloquait le passage dans ces directions, mais aucun d’aussi proche. Et ça correspond à notre propre expérience depuis que les frontières du Syndicat ont été repoussées au-delà de Pelé : Midway est le seul système où l’on ait constaté ensuite des signes d’une activité des Énigmas. »

Iceni fronça les sourcils. Que lui avait-on dit déjà à propos des sauts ? Elle réfléchit un instant puis hocha la tête. « Le capitaine Bradamont m’a appris quelque chose qui confirmait ce que j’avais déjà pu lire dans un rapport du renseignement du Syndicat. Vous rappelez-vous à quel moment la flotte de Black Jack a frappé Sancerre ?

— Pas vraiment. Ce système stellaire était un important chantier spatial syndic, n’est-ce pas ?

— Oui. Le hic, c’est que sa flotte ne pouvait pas gagner Sancerre depuis le système où elle était entrée dans l’espace du saut. Mais Black Jack connaissait quelques trucs de son époque qui permettaient de rallonger la portée des sauts. Le Syndicat l’avait deviné et Bradamont me l’a confirmé. »

Drakon étudia de nouveau la carte stellaire ; il se livrait visiblement à une réévaluation de sa dernière affirmation. « Si les Énigmas peuvent sauter plus loin que nous ne le croyons et accéder ainsi à l’espace humain par d’autres étoiles, pourquoi ne l’ont-ils pas déjà fait ?

— Peut-être en cherchent-ils encore le moyen ? Mais comment les Danseurs l’auraient-ils appris ? » Elle fixait d’un œil noir les étoiles scintillantes, dépitée. « Toutes nos questions débouchent sur d’autres questions.

— Je sais au moins une chose, déclara Drakon. En termes purement militaires, chaque fois qu’on rencontre un obstacle, il y a deux manières de l’aborder. Soit on s’acharne dessus pour passer au travers. C’est souvent le cas. Soit on le contourne en cherchant une voie d’évitement. La façon dont raisonnent les Danseurs et les Énigmas m’est indifférente. Ce sont là des réalités immuables. Les Énigmas ont tenté à deux reprises de traverser Midway et ils ont été repoussés chaque fois. C’est encore une dure réalité. Alors, soit ils persistent à pénétrer dans le territoire humain en se frayant un chemin par Midway, soit ils cherchent un moyen de nous contourner.

— Une étoile différente ? » Iceni étudia encore la carte en se mordillant la lèvre. « Ça ne nous avance pas beaucoup, n’est-ce pas ? Tant que nous ne disposerons pas d’une portée précise pour travailler, toute étoile de l’espace humain pourrait être accessible aux Énigmas procédant par sauts successifs. Quelles sont les étoiles différentes qu’il nous faudrait observer ?

— Les astrophysiciens pourraient nous donner quelques indices, suggéra Drakon.

— Peut-être. Je vais leur demander de se réunir avec nos meilleurs techniciens de la progression par sauts. » Iceni sourit. « Ça va les rendre fous. Les théoriciens des sciences pures détestent avoir affaire aux ingénieurs.

— Et vice versa », ajouta Drakon.

Iceni soupira. « Il y a bien une question que j’ai évité de vous poser jusque-là, mais puisque nous avons abordé le sujet de la folie… »

Il n’eut pas à lui demander de préciser. « Je ne sais pas si le colonel Morgan est morte ou vivante, laissa-t-il tomber d’une voix âpre. Mais, quand j’ai quitté Ulindi, elle n’avait encore contacté personne de chez nous et on ne l’avait toujours pas repérée. Elle aurait pu trouver la mort de mille façons. Il y a de fortes chances pour qu’elle soit ensevelie sous les décombres du centre de commandement supplétif du SSI. » Il haussa les épaules avant de poursuivre. « Si ce n’est pas là qu’elle est morte, eh bien, les planètes sont vastes et celle-là présente désormais de nombreux bâtiments effondrés, cratères et autres amas de ruines. On y trouvera encore des restes humains dans un siècle. »

Autant Iceni n’éprouvait aucune compassion pour Drakon à cet égard, autant elle se rendait compte que son haussement d’épaules n’était qu’une bien vaine tentative pour dissimuler sa détresse. « Je sais qu’elle vous servait bien, mais elle vous a aussi trahi. Si elle est morte en faisant son devoir, c’est peut-être le plus heureux dénouement.

— Oui, convint Drakon en hochant pesamment la tête. Si elle est morte…

— Vous croyez qu’elle pourrait être encore en vie ?

— Tant que je n’aurai pas vu son cadavre, je ne serai sûr de rien. Morgan pouvait parfois se montrer quasiment surhumaine.

— Et vous n’auriez plus à vous soucier de l’enfant, qui peut-être a vu le jour entre-temps ? »

Drakon fixa le néant quelques secondes avant de répondre. « Soit le plan B de Morgan a pris effet et la mère porteuse est morte aussi, soit ce qu’elle m’a dit des précautions qu’elle avait prises était vrai, auquel cas elle aurait survécu à son décès. Ce qui me laisserait le temps de la retrouver. »

Il accommoda le regard sur Iceni. « Ça nous fait une personne de plus à rechercher, mais il me semble plus urgent de remettre la main sur votre ex-aide de camp.

— Nous ignorons encore s’il a agi contre nous, insista Iceni. Peut-être est-il en train de traquer celui qui a transmis l’information au Syndicat. »

Drakon laissa transparaître son scepticisme. « C’est sûrement la justification qu’il nous servira. Du moins s’il franchit jamais cette porte. Vous avez changé tous vos codes, si bien qu’il ne devrait plus en passer le seuil. »

Iceni secoua la tête. « Si Togo tient à se rendre quelque part, il finit toujours par y arriver. Plus les défenses seront coriaces, plus il lui faudra de temps, mais il en triomphera. » Elle tapota celle des manches de son blouson d’où Drakon avait vu un certain jour jaillir une arme avec une sidérante promptitude. « Si besoin, je peux me défendre et je tirerai pour tuer, mais, contre lui, si jamais il a été retourné, mes chances ne sont pas aussi bonnes que je le voudrais, loin de là.

— Vous faut-il davantage de surveillance ? s’enquit Drakon. Je peux vous envoyer des gens et du matériel.

— Moi ? » Iceni s’esclaffa. « Une protection supplémentaire ? Je suis invulnérable, général Drakon. On m’idolâtre.

— J’ai vu les vidéos. Vous aviez effectivement l’air invincible. » Pas moyen de décider ce que ça lui inspirait.

« Vous ne m’avez pas vue à mon retour dans mes bureaux », lâcha Iceni. Elle baissait sa garde. Il n’y avait littéralement personne d’autre à qui elle pouvait se confier. « Je suis morte de peur, Artur. »

Drakon se redressa. Sa visible inquiétude était gratifiante. « De quoi ?

— D’eux. Des gens. Pas comme des Syndics. J’ai peur de ce qu’ils seraient capables de faire pour moi, de ce que je pourrais exiger d’eux. Vous n’étiez pas là, Artur. Vous ne l’avez pas senti comme moi. » Elle se passa les mains dans les cheveux. « Je suis revenue ici juste après, et je vous jure que j’ai entendu les dieux me rire au nez. Avez-vous jamais tenu en main une arme si dangereuse que vous redoutiez de vous en servir ?

— Ça vous a vraiment fait cet effet ?

— Oui. Je sais maintenant que je peux faire de très grandes choses, Artur, mais ça signifie aussi que je peux commettre de très grosses erreurs. » Elle ferma les yeux et revit les foules innombrables. « Nous nous disions qu’en leur octroyant davantage de liberté et de droits ils ne risquaient pas de se révolter contre nous.

— Oui. Après les dernières élections, ils auraient dû se tenir tranquilles plus longtemps.

— Non ! » Elle rouvrit les yeux et le foudroya du regard. « Ils ne voulaient pas que je leur accorde plus de liberté. Ils voulaient un chef. Une protection, la sécurité et l’assurance de la sécurité. J’aurais pu rétablir toutes sortes de lois du Syndicat sur le moment et ils m’auraient encore ovationnée. »

Drakon se contenta de la dévisager puis : « Vous en êtes sûre ?

— Je suis positive. Ils feront tout ce que je leur demande, mais je ne peux toujours pas les y forcer. Ça paraît absurde, non ? Mais c’est la réalité. Jouons cartes sur table. Le colonel Rogero a dû vous apprendre que nous ne pouvions plus compter sur les forces terrestres pour faire appliquer la loi.

— Oui, reconnut-il. Ce qui veut dire que je peux déclencher un coup d’État contre vous. »

Elle baissa les mains et son regard s’assombrit encore. « Ce n’était pas mon propos. Pour moi, ça reste un partenariat.

— Même si vous n’avez plus besoin de le regarder comme tel ? » Drakon eut un mince sourire. « Merci bien. Ça en prenait le chemin depuis un bon moment. Je m’en suis rendu compte. Aux yeux des citoyens et des forces mobiles, c’est vous la dirigeante. Je ne suis que votre officier supérieur.

— Vous êtes mon associé, insista Iceni.

— Pas pour eux. Et vous venez à l’instant de parler du pouvoir qu’ils vous ont conféré.

— Ce n’est pas comme si je pouvais ordonner à mes vaisseaux de bombarder la planète ! Je ne parle pas de coercition ! Vous comprenez cela, au moins ?

— Très bien. » Drakon haussa les épaules. « Ça s’appelle le charisme. Le vrai. C’est ce qui a incité ma division à me suivre à Midway et à marcher derrière moi quand nous nous sommes insurgés contre le Syndicat. Avec les citoyens, vous avez construit quelque chose d’encore plus fort. Et, poursuivit-il, vous l’avez bien mérité. Affronter la populace sans que rien ne s’interpose entre elle et vous, c’était un geste incroyablement audacieux, quelles que soient les défenses que recèle votre costume.

— Contre autant de gens, ces défenses n’auraient eu d’autre résultat que d’exacerber leur colère. Merci. Au moins êtes-vous conscient de ce qu’il m’en a coûté.

— Et, de votre côté, vous devez comprendre l’effet que ça fait de savoir son codirigeant en mesure de se débarrasser de vous sans craindre un retour de bâton ni des troubles civiques. »

Consciente de la tournure qu’elle risquait de prendre, Iceni s’efforça de tempérer sa fureur. « Si vous croyez que je peux vous éliminer impunément en me moquant des éventuelles réactions de Rogero et de ses pareils, vous vous trompez grossièrement. Je le reconnais volontiers parce que, ayant comme vous gravi les échelons sous le système syndic, j’ai été forcée de me rendre compte que j’avais la possibilité de simplifier les dispositions juridiques de ce système stellaire. Mais, ajouta-t-elle, la voix soudain plus dure, vous comprenez sans doute, j’espère, que je vois très bien où peut nous mener cette prise de risque : nous ramener tout droit au régime du Syndicat, par exemple, quel que soit le nom que je lui donnerais. Je refuse cet héritage, Artur Drakon. Je ne veux pas non plus passer le temps qu’il me reste à vivre à réprimer tous ceux qui menaceraient mon contrôle sur Midway.

— Je n’ai nullement envie de me retrouver évincé, mais je ne menacerai pas non plus votre autorité, déclara Drakon. Je ne décrocherai pas les étoiles pour tenter de l’affaiblir. »

Elle ne répondit pas sur le coup car elle cherchait les mots justes. « Êtes-vous seulement conscient que je ne cherche pas non plus à affaiblir la vôtre ? »

Au tour de Drakon de tergiverser. « En réalité, vous l’avez fait. Cet affrontement avec la populace. Ces foules qui vous vénéraient. Il ne s’agissait que de vous seule. » Voyant qu’elle s’apprêtait à riposter vertement, il brandit une main comminatoire. « Mais… vous n’aviez pas le choix. Vous deviez faire en sorte que ça tourne autour de vous. J’en ai conscience. Ça me désole, mais je ne peux rien vous reprocher. Vous avez fait ce qu’il fallait et je crois que vous comprenez aussi bien que moi que nous pourrions mener ce système droit à l’abîme, vous et moi, si nous commencions à nous tirer mutuellement le tapis sous les pieds.

— Oui », répondit Iceni le plus laconiquement possible afin de s’interdire des paroles plus dures ou entachées d’erreur. Elle aurait aimé en disconvenir, mais aucune contradiction ne lui venait à l’esprit.

« Parlons plutôt de ce qui a agité le peuple, suggéra Drakon. Les agents du SSI en sont sûrement partie prenante, mais je ne peux pas me défaire de l’impression que d’autres cliques jouent le même jeu.

— J’ai la même impression. Si… Si Mehmet Togo œuvre en son propre nom, il pourrait être l’un de ces joueurs.

— Peut-être, admit Drakon. Mais pas le seul.

— Loin de là. Vous l’avez dit, nous devons rester unis. Toute division pourrait fournir une ouverture à ceux qui cherchent à détruire ce système stellaire. »

Drakon eut un sourire torve. « Mais pas nous montrer trop proches l’un de l’autre. Il circule déjà des rumeurs sur nous deux. » Il enchaîna avant qu’elle pût réagir. « Votre kommodore et moi, nous avons ramené du sang neuf. Beaucoup de gens. Nous en avons besoin, mais, manifestement, ils représentent aussi un danger potentiel. Ainsi qu’on me l’a rappelé récemment de façon répétée, les serpents sont prêts à payer n’importe quel prix pour placer un agent dans notre entourage proche.

— J’en suis d’accord, déclara-t-elle, reconnaissante à Drakon de ce coq-à-l’âne qui lui évitait de s’appesantir devant l’impétrant sur les bruits qui couraient à leur sujet. Nous avons enfin de quoi garnir tous nos vaisseaux de guerre. Mais les services de sélection sont surchargés de travail. Jusqu’à quel point vous fiez-vous à la loyauté des soldats que vous avez recrutés à Ulindi ?

— J’ai pleinement confiance en eux. Et même une confiance illimitée en certains. Mais tous seront filtrés. »

Elle poussa un soupir excédé. « Tôt ou tard, sans doute. Tant les nouvelles recrues que les matelots des transports et les survivants des vaisseaux de guerre syndics détruits à Ulindi.

— Votre kommodore ne voulait d’aucun personnel de l’équipage du cuirassé de la CECH Boucher. Je suis tombé d’accord avec elle.

— Moi aussi. Même s’ils étaient fiables, ils ont par trop collaboré à la destruction de Kane. Nous n’avons pas besoin d’un tel héritage dans nos équipages.

— S’il se trouvait malgré tout des agents des serpents parmi nos nouvelles recrues, ils ne pourraient pas saboter nos défenses contre les Énigmas, au cas où se montrerait une force plus importante, suite aux rapports de leurs éclaireurs. Et nous avons passablement étêté la puissance du Syndicat à Ulindi : forces mobiles, serpents, tous supprimés, et jusqu’au système lui-même, qui ne pourra plus lui servir de base tant qu’il ne l’aura pas reconquis.

— Seriez-vous en train de dire que les Énigmas sont désormais notre principale menace extérieure ? » Iceni se renversa dans son siège et fixa le plafond. « Nous ne devons pas négliger ni sous-estimer le Syndicat. Cela a failli nous coûter un désastre à Ulindi. Et il y a d’autres sujets d’inquiétude. Nous avons reçu des rapports à propos de seigneurs de la guerre sévissant dans différents secteurs.

— Nous nous sommes inquiétés pendant un bon moment de seigneurs de la guerre voisins. Ces rapports concernent-ils des menaces proches ? » demanda Drakon.

Iceni baissa les yeux. « Bien assez. Moorea pourrait être sur la liste des systèmes menacés. Voire se trouver déjà dans la sphère d’influence d’un de ces forbans.

— Moorea ? Aurions-nous dû vraiment envoyer le Pelé et les transports à Iwa ?

— S’il y a effectivement des troubles à Moorea, si le système est passé de sous la domination du Syndicat à celle d’un seigneur de la guerre, le Pelé devrait pouvoir obtenir à Iwa des informations à cet égard, affirma Iceni. J’ai demandé au kapitan Kontos de chercher à en apprendre le plus possible. S’il n’y réussit pas, j’envisagerai peut-être d’envoyer un croiseur lourd à Moorea en mission de reconnaissance. »

Drakon opina d’un air contrit. « Chercher à prévenir des troubles à Ulindi a failli se traduire par notre élimination, mais je persiste à croire qu’il est de bonne politique de repérer et régler les problèmes avant qu’ils ne nous tombent dessus. »

Iceni se redressa, le regard fiévreux. « Alors il nous faut aussi repérer et régler nos problèmes domestiques. Quoi que complotent nos ennemis à Midway, ils ne croiront jamais que nous travaillons la main dans la main, vous et moi.

— Je suis du même avis. Mais en sommes-nous capables, Gwen ? Deux individus élevés et formés pour devenir des CECH syndics peuvent-ils réellement travailler de conserve sans constamment surveiller leurs arrières ? Surtout quand ils doivent s’inquiéter d’embûches comme ce traquenard d’Ulindi. Si ce n’est pas votre assistant Togo qui a tuyauté le Syndicat, alors quelqu’un de notre entourage travaille toujours contre nous.

— Et, si c’est Togo, il restera une menace difficile à éliminer. Croyez-vous que j’œuvre contre vous ? »

Il soutint son regard. « Non. »

Était-il sincère ? « Quoi que trafiquent nos subordonnés, si vous et moi ne trouvons pas le moyen de travailler ensemble sans nous soupçonner l’un l’autre, le prochain traquenard qu’on nous tendra n’échouera pas, Artur Drakon. »

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