Chapitre douze

Tout se passait sans doute très vite, mais on avait pourtant l’impression que le temps s’était figé. Marphissa vit le cuirassé du Syndicat, incapable de refréner son élan à temps, passer en flèche au-dessus de la proue du Midway au lieu de frôler sa poupe. Elle ne vit pas réellement toutes les armes de son bâtiment se déchaîner sur le quart arrière de l’ennemi. Ce fut trop rapide pour que des sens humains l’enregistrent. Pas plus qu’elle ne vit ses croiseurs et ses avisos joindre leurs frappes à ce tir de barrage, ni les armes des vaisseaux syndics riposter. L’angle de tir du cuirassé ennemi était si médiocre que la plupart de ses armes restèrent muettes.

Le Manticore frémit sous plusieurs frappes, mais on n’entendit résonner aucune alarme signalant des dommages sérieux.

Les deux formations se séparèrent plus lentement cette fois. Celle de Midway continua de décrire vers l’extérieur un arc de cercle aplati, tandis que celle du Syndicat s’éloignait à angle aigu.

Marphissa n’attendit pas de recevoir les résultats de l’engagement. « À toutes les unités, virez de cent vingt-cinq degrés vers le haut et accélérez à 0,1 c. Exécution immédiate. » Sa formation incurva de nouveau sa trajectoire dans ce sens, le Midway réactivant complètement sa propulsion principale et tous ses vaisseaux désormais retournés sur le dos par rapport à leur alignement antérieur, ce qui, au demeurant, n’avait aucune incidence sur eux ni sur leur équipage.

Alors qu’ils se retournaient, elle vit s’afficher les premiers rapports sur son écran.

Le cuirassé du Syndicat n’était plus escorté que par un seul aviso. Le croiseur léger s’éloignait en culbutant sur lui-même, tous ses systèmes HS, un des avisos avait explosé et le troisième s’était brisé en trois morceaux qui tournoyaient sur eux-mêmes.

Les quelques escorteurs ennemis rescapés avaient dû concentrer leur feu sur le Manticore. De rares tirs avaient réussi à franchir ses boucliers mais déjà trop affaiblis pour percer son blindage. Aucun autre vaisseau de Marphissa n’avait essuyé de frappes, sauf le Midway, et les tirs que lui avait portés le cuirassé ennemi semblaient n’avoir touché que la zone de sa proue protégée par ses boucliers les plus puissants et son blindage le plus épais.

Marphissa inspira profondément à la vue des résultats des tirs du Midway sur son équivalent syndic. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait retenu sa respiration jusque-là.

Le cuirassé de la CECH Boucher donnait l’impression que sa poupe et son quart arrière avaient été pilonnés par le marteau d’un dieu. Il cherchait encore à récupérer le contrôle de ses manœuvres, mais, avec la moitié de sa propulsion principale et de nombreux propulseurs de manœuvre détruits, il connaissait de graves difficultés.

« J’aurais aimé voir sa tête, lâcha Diaz. Celle qu’elle tirait quand elle a compris que toutes les armes du Midway étaient opérationnelles et lui pinçaient le valseur au passage. »

Marphissa acquiesça. « C’était sûrement hilarant. Kapitan Mercia, quel est le meilleur moyen d’achever le cuirassé syndic ?

— Faites-nous repasser derrière sa poupe, kommodore. S’il n’a toujours pas recouvré le contrôle de ses manœuvres, nous pourrons lui porter l’estocade, et, sinon, il ne pourra pas non plus nous échapper. J’ai le plaisir de vous annoncer que toutes les armes du Midway ont admirablement fonctionné. »

Marphissa ramena sa formation un peu plus bas et l’orienta vers bâbord de manière à épouser les mouvements oscillants du cuirassé syndic. Le seul aviso qui lui restait lui collait toujours au train, mais sans véritablement lui offrir une protection. « Ils sont en train de remettre le bâtiment en état, déclara Diaz, mais ils rencontrent de nombreux problèmes. Les unités de propulsion principale encore intactes poussent d’un côté de son centre de gravité, et ils font tout leur possible pour l’empêcher de partir en spirale.

— Ils auraient moins de mal à le contrôler s’ils coupaient les unités de propulsion encore en activité, kapitan, avança le technicien des manœuvres.

— Vraiment ? Oui. Je m’en rends compte. Mais ils ne le feront pas parce que la CECH Boucher le leur interdira. » Diaz se tourna vers Marphissa. « Je me trompe ?

— Vraisemblablement pas. Persuader un CECH syndic que réduire la propulsion en un pareil moment reste la meilleure solution serait pour le moins ardu. Boucher se dira qu’elle a absolument besoin de maintenir ce qui lui reste de propulsion à plein régime, même si c’est la pire des décisions puisque son fonctionnement empêche le vaisseau de tenir le cap. Nous allons cibler son autre quart arrière et marteler la propulsion principale du cuirassé jusqu’à sa destruction complète. Il ne pourra pas nous présenter sa proue dans la mesure où sa propulsion principale le pousse dans le sens inverse, tant et si bien qu’il lui faudra tenter de nous tourner le dos pour pivoter entièrement.

— Même s’il cherchait à fuir, nous aurions encore sa proue dans notre ligne de mire, affirma Diaz.

— J’y compte bien. »

Le cuirassé syndic remontant vers l’étoile en vacillant tandis que la flottille de Marphissa s’en rapprochait par-derrière et par au-dessous, on avait davantage affaire à une poursuite qu’aux affrontements des contacts précédents, de sorte que la vélocité relative en était grandement réduite.

Le kapitan Mercia appela. « Nous pourrions encore perdre de la vitesse en approchant, de manière à ramener la vélocité relative assez près de zéro pour que le Midway puisse continuer à pilonner ce fumier, quasiment en vol stationnaire, jusqu’à ce qu’il daigne freiner.

— Pas encore, dit Marphissa. Freiner de cette façon prendrait plus de temps et prolongerait notre approche. Si je lui en laisse le loisir, Jua la Joie finira par comprendre qu’il lui suffit de se retourner pour nous présenter sa proue à temps. Mais je tiens à détruire entièrement sa propulsion principale pour lui interdire de s’échapper. Ensuite, à notre retour, nous arriverons assez lentement sur elle pour frapper son cuirassé à mort aussi longtemps qu’il le faudra.

— D’accord, kommodore. Demande permission d’altérer légèrement mon vecteur lors de l’approche finale, autant que nécessaire pour maximiser mes chances de frapper durement sa poupe.

— Permission accordée. Je dirai aux autres vaisseaux de ne pas se conformer à vos manœuvres cette fois, parce que je ne voudrais pas donner à Boucher l’occasion de dégommer mes escorteurs pendant que le Midway s’orientera pour faire mouche. »

Mercia marqua une pause puis hocha sentencieusement la tête. « J’aurais dû y penser, kommodore.

— Soulever de telles questions est mon travail. Le vôtre est d’éliminer ce cuirassé. »

Ils rattrapèrent et dépassèrent en trombe la flottille cruellement diminuée de la CECH Boucher : nouvel instant fulgurant d’extrême violence. Cette fois, le Manticore tressaillit à deux reprises, et des alarmes retentirent à la fin de la passe de tir.

« Jua la Joie nous ciblait ce coup-ci, déclara Diaz, l’air fumace. Elle ne pouvait pas toucher le Midway, alors elle a cherché à nous allumer.

— C’est très moche ? s’enquit Marphissa.

— Une batterie de lances de l’enfer et un lance-missiles HS. Pénétration de la coque en deux endroits. Deux morts et une douzaine de blessés. »

Marphissa tiqua intérieurement à l’énoncé de ces pertes, mais elle ne détacha pas le regard de son écran.

Les tentatives hésitantes du cuirassé syndic pour retourner sa proue ne semblaient pas près d’être couronnées de succès. Le Midway avait rudement secoué sa poupe et éliminé toutes ses unités de propulsion intactes sauf une, et il avait aussi cruellement raboté un autre de ses quarts arrière.

Cela étant, le Manticore n’avait pas été le seul escorteur du Midway malmené par les tirs syndics. Le Griffon avait essuyé une frappe, l’Aigle avait perdu une partie de sa propulsion principale et le Faucon était provisoirement inapte à manœuvrer. Marphissa avait sciemment tenu ses avisos à l’écart du cuirassé ennemi durant cet engagement, et c’était vraisemblablement ce qui leur avait épargné de sévères dommages voire la destruction.

Elle chercha sur son écran ce qu’était devenu le seul rescapé de l’escorte ennemie et repéra l’aviso en train de décrire, au maximum de son accélération, une longue parabole qui le conduirait au point de saut pour Kiribati, à l’autre bout du système stellaire.

Elle vérifia aussitôt le niveau des cellules d’énergie de ses propres avisos et secoua la tête. « Il va falloir le laisser filer, dit-elle à Diaz. Nos avisos n’ont plus assez de réserves de carburant pour le rattraper.

— Dommage.

— En effet. » Elle pressa ses touches de com. « Midway, désolidarisez-vous de la formation et opérez indépendamment afin d’achever de désemparer et détruire le cuirassé syndic. Je garderai le reste de la formation en retrait jusqu’à ce qu’on puisse l’approcher en toute sécurité, afin de lui éviter de souffrir d’autres dommages.

— Ce sera fait, dit le kapitan Mercia en montrant les dents.

Griffon, restez à proximité du Faucon jusqu’à ce qu’il ait recouvré sa capacité de manœuvre puis regagnez tous les deux la formation.

— À vos ordres, kommodore », répondit le kapitan Stein. Elle ne cachait pas son soulagement ; on ne lui avait pas demandé de procéder à une nouvelle passe de tir contre un cuirassé.

Le Midway se retournant pour engager de nouveau le combat avec le cuirassé ennemi, Marphissa entreprit d’inverser la trajectoire de ses autres vaisseaux en les faisant pivoter sur place et en freinant leur élan, avant d’accélérer de nouveau sur le même vecteur mais en direction opposée. Cela étant, contrairement au Midway, elle ne s’approcherait à portée de tir du cuirassé ennemi que lorsqu’on lui aurait arraché les crocs.

Celui-ci n’était plus déséquilibré dans sa course par la poussée latérale de sa propulsion principale, mais il avait perdu nombre de ses propulseurs arrière. Même beaucoup moins massif qu’un cuirassé, un vaisseau peinerait à manœuvrer dans ces conditions, et celui-ci rencontrait de sérieux problèmes. Et, avec une seule unité de propulsion en état de fonctionner, il ne pourrait plus accélérer ni changer de cap assez vite pour s’échapper ni esquiver.

Ne lui restait plus qu’à en découdre avec le Midway et, pendant que Marphissa l’observait, il tenta de nouveau de faire pivoter sa proue à temps pour affronter la dernière charge.

Or les propulseurs de manœuvre et la propulsion principale du kapitan Mercia étaient encore intacts, eux, de sorte que, si le Midway évoquait un poussif pachyderme auprès des vaisseaux plus petits, il n’en restait pas moins un gracieux éléphant au pied léger comparé au cuirassé ennemi blessé.

Le bâtiment de Mercia se servit de sa vitesse acquise pour glisser autour de l’ennemi plus vite que celui-ci ne pouvait se retourner, le ravager sur toute sa longueur, détruire sa dernière unité de propulsion encore fonctionnelle et pulvériser ses senseurs, ses armes et tout ce qui n’était pas protégé par un blindage.

Le cuirassé de la CECH Boucher chancela sous la violence des coups puis se mit à lentement tournoyer sur lui-même sans que ses derniers propulseurs de manœuvre pussent, malgré tous leurs efforts, contrecarrer cette réaction.

Une fois sa vélocité relative réduite à un taux à peu près équivalent à celui du cuirassé du Syndicat, Mercia avait en l’espace de dix minutes remis le Midway en position et entrepris de pilonner systématiquement l’ennemi de la proue à la poupe pour frapper l’une après l’autre toutes ses sections, tout en n’exposant son propre bâtiment qu’à de rares tirs des quelques armes qui lui restaient.

« Je n’ai jamais rien vu de pareil, déclara Diaz, pris d’un effroi quasi religieux à la vue de la destruction méthodique des armes et des propulseurs du cuirassé syndic. On sait pourtant de quel armement et de quelles défenses dispose un cuirassé, mais ce n’est qu’en assistant à un pareil spectacle, quand on voit le nôtre expédier l’une après l’autre des rafales qui déchiquetteraient le Manticore et l’ennemi encaisser tous ces dommages sans broncher qu’on se rend vraiment compte des monstres effroyables qu’ils sont.

— Ce n’est pas jojo, convint Marphissa. Si ce vaisseau n’était pas responsable d’une bonne partie des dommages infligés à Kane, je prendrais presque son équipage en pitié.

— Il doit y avoir à son bord de nombreux serpents qui forcent ces gens à…

— Je m’en fiche, dit la kommodore d’une voix sourde et chargée de colère. Nous aussi, nous avions des serpents à bord, et nous nous sommes rebellés. Eux sont en train de mourir, mais ils pourraient encore réagir. »

Oh, ils réagissaient, certes, mais surtout pour continuer de combattre et de riposter ! Le cuirassé syndic expédiait encore au Midway des salves de missiles, mais à trop courte portée, de sorte que, compte tenu de leur vélocité relative peu élevée, celui-ci pouvait les viser de ses lances de l’enfer et les détruire juste après leur largage. Les rares rescapés échouaient à percer ses boucliers.

Une fois ses missiles épuisés, l’équipage syndic tenta de lâcher des projectiles cinétiques sur le cuirassé de Midway, du moins chaque fois qu’il l’avait dans sa ligne de mire. Mais le Midway recourait à ses propulseurs pour esquiver les cailloux, accompagnant parfois la manœuvre, quand c’était nécessaire, de brusques poussées d’accélération. Aucun lanceur ne réussit à en placer plus d’un avant d’être détruit, puisque, pour pouvoir tirer, il devait s’exposer aux armes du Midway.

Pendant que les escorteurs assistaient au lent démantèlement de l’aptitude au combat du cuirassé ennemi, le Griffon et le Faucon rejoignaient la formation de Marphissa : le croiseur léger avait réussi à remettre assez de ses propulseurs en marche pour manœuvrer.

Le Midway avait déjà méticuleusement canonné les deux tiers de la coque du cuirassé ennemi quand le bâtiment syndic cessa brusquement de tirer.

« Halte au feu ! » commanda Marphissa.

L’ordre parut déplaire à Mercia. « Il reste dangereux.

— Je sais, mais, s’il se remet à tirer, vous pourrez reprendre la destruction systématique de ses défenses. » Marphissa montra sur son écran l’image du vaisseau ennemi pratiquement couverte de marqueurs rouges signalant ses dommages. « S’ils sont disposés à se rendre, nous aurons toujours l’usage de ce cuirassé, ne serait-ce que pour nous approvisionner en pièces détachées.

— Les serpents ne capituleront pas, kommodore, insista Mercia.

— Je sais cela aussi. Les serpents de mes vaisseaux ne se sont pas rendus non plus. Nous nous en sommes débarrassés. Si l’équipage de ce cuirassé en a plein le dos, il les élimine peut-être en ce moment même.

— Combien de temps dois-je attendre, selon vous ?

— Je vous le ferai savoir. » Marphissa mit fin à la communication, un tantinet agacée. Mercia avait sans doute promis d’accepter son autorité, mais, apparemment, c’était seulement quand elle le jugeait bon. Dès que Marphissa donnait des ordres contrevenant à ses vœux, c’était manifestement une cause de friction.

Ils patientèrent en regardant le cuirassé syndic mutilé tanguer et rouler lentement dans l’espace. « Avons-nous des indications sur ce qui se passe à l’intérieur ? demanda-t-elle.

— Rien de visible, kommodore, répondit Czilla. Ni messages ni signes d’activité, rien que nos senseurs puissent détecter. »

Cinq autres minutes s’écoulèrent paresseusement pendant que Marphissa cherchait à déterminer dans quel délai elle pourrait ordonner à Mercia de rouvrir le feu. Elle était en proie à l’envie perverse de le prolonger à loisir pour punir le kapitan d’avoir montré si peu d’enthousiasme à obéir, mais elle la réprima. « Si rien n’arrive dans les cinq minutes qui viennent, vous aurez la permission de reprendre les tirs. »

Mercia réussit à adopter une voix et une expression toutes professionnelles. « À vos ordres, kommodore. Je vais placer le Midway en position. »

Ne restaient plus que deux minutes quand il se produisit enfin quelque chose.

« Le cuirassé ennemi largue un module de survie, rapporta Czilla. Un autre… deux… trois. Ils sortent en pagaille. Très nombreux.

— Contactez une de ces capsules, ordonna Marphissa. Je tiens à savoir qui abandonne le bâtiment et pourquoi. Kapitan Mercia, continuez de retenir vos tirs jusqu’à ce qu’on sache de quoi il retourne.

— Je ne dois pas viser ces modules ? demanda Mercia.

— Non. Nous ne… Ce n’est plus de mise, du moins là où la présidente Iceni fait autorité.

— “Ô glorieux nouveau monde qui héberge de pareils habitants” », déclama Mercia. La citation classique{Miranda dans La Tempête de Shakespeare. (N. d. T.)} prenait d’ordinaire une tournure sarcastique, mais elle avait décoché à Marphissa un regard qui n’avait rien d’acerbe ni de mordant. « Je me demande parfois si ces nouvelles mesures sont bien réelles, ajouta-t-elle. Jusqu’à ce que je voie ce que font les gens de la présidente quand ils ont l’occasion de les contourner.

— J’espère qu’au moins vous les approuvez, lâcha Marphissa d’une voix plus tranchante qu’elle ne l’aurait souhaité.

— Oui, kommodore. Toutes mes excuses s’il m’est arrivé un peu plus tôt de me comporter trop irrespectueusement. »

Elle semblait sincère, de sorte que Marphissa balaya les excuses d’un geste. « Il faut parfois du temps pour s’adapter à une nouvelle situation.

— En effet. »

S’agissant des modules de survie du cuirassé syndic, il fallut également un peu de temps – quelques minutes – pour en contacter un, tandis que la kommodore attendait avec une impatience croissante.

« Nous avons une capsule en ligne, annonça le technicien des coms du Manticore.

— Montrez-moi ça », ordonna Marphissa.

La fenêtre virtuelle qui s’ouvrit devant elle montrait l’intérieur d’un module de survie syndic standard, bourré en l’occurrence de personnel. En examinant les visages qu’elle distinguait, Marphissa estima qu’il s’agissait de travailleurs puisque rien de visible sous les combinaisons de survie n’évoquait le complet traditionnel des cadres ou des sous-CECH du Syndicat. « Je suis la kommodore Marphissa du système stellaire libre et indépendant de Midway. Et vous ? »

Les travailleurs les plus proches échangèrent des regards puis un homme entre deux âges se lécha les lèvres avant de répondre : « Travailleur en ligne Tomas Fidor. Division cinq de la propulsion. Service de maintenance un. Département de l’ingénierie.

— Que se passe-t-il à bord du cuirassé que vous venez de quitter ?

— Nous l’avons quitté… euh… honorab…

— Je suis à la tête des vaisseaux de Midway dans ce système stellaire, aboya Marphissa, consciente elle-même d’avoir adopté le ton sec du commandement. Nous n’appartenons plus au Syndicat. Je sais déjà que vous avez quitté le cuirassé. Vous a-t-on ordonné d’abandonner le vaisseau ? Des combats se déroulent-ils à l’intérieur ? »

Fidor hocha vigoureusement la tête puis la secoua. « Oui. Non, je veux dire. On ne nous en a pas donné l’ordre. L’équipage s’est passé le mot. Il y a des combats. Les serpents sont cinglés. Ils sont très nombreux. Beaucoup sont morts, mais on n’a pas pu les avoir tous.

— Que reste-t-il de l’équipage à bord ? Et combien de serpents ? »

L’image se troubla. Quelque chose avait interféré avec le signal. Puis elle se rétablit, montrant le travailleur qui souriait nerveusement. « Je ne sais pas. Tout le monde essayait de sortir. Sauf les serpents.

— Où est la CECH Boucher ? Est-elle encore en vie ? »

Le visage de Fidor se convulsa de haine. « Oui, toujours. Personne ne peut l’atteindre.

— S’est-elle bouclée dans la citadelle de la passerelle ?

— O-oui. Nul ne peut y entrer. Ni même s’en approcher.

— Qu’en est-il des citadelles qui abritent le centre de contrôle de l’armement et celui de l’ingénierie ?

— On a abandonné les armes. Il n’y a plus personne dedans. Les systèmes d’intégration de l’armement ont lâché, et on ne pouvait plus tirer depuis le centre de contrôle, si bien que tout le monde l’a déserté. Sauf les serpents. Mais ils ne peuvent rien faire non plus. »

Marphissa scruta l’image du travailleur, les yeux plissés. « Et l’ingénierie ? le pressa-t-elle.

— L’ingénierie ? Euh… l’ingénierie…

— J’essaie de décider si je dois aborder ce cuirassé pour en prendre possession, mentit Marphissa. Je serais très mécontente d’y trouver quelque chose dont j’ignorerais l’existence parce que vous ne m’en auriez pas parlé.

— Je… Vous n’allez pas monter à bord de cette unité ? Ne faites pas ça !

— Ils ont fait un truc, intervint Diaz. Avant de quitter le vaisseau. Captons-nous quelque chose du cuirassé ? »

Le technicien, à son poste sur la passerelle du Manticore, répondit aussitôt : « Des fluctuations mineures dans le cœur du réacteur, kapitan. C’est compréhensible, étant donné les dommages dont a souffert le cuirassé. Divers systèmes doivent se désactiver et se réactiver aléatoirement, imprimant ainsi des fluctuations au réacteur lorsqu’il doit répondre à ces variations dans les demandes d’énergie.

— Qu’avez-vous fabriqué ? demanda Marphissa au travailleur d’une voix sourde mais péremptoire.

— Je n’ai rien fait.

— Que va-t-il arriver ? »

L’indécision se lisait clairement sur les traits de l’homme.

« Je peux demander à n’importe qui d’un autre module, reprit Marphissa sur un ton désormais implacable. Si vous voulez vivre, il faudra qu’un de mes vaisseaux vienne vous recueillir. Donnez-moi maintenant une réponse claire et directe, sans autres manœuvres dilatoires.

— O-oui, honorable supérieur. » L’homme déglutit, visiblement frappé d’effroi. « Les serpents ont installé un dispositif pour provoquer une surcharge. Quand tous ceux du centre de contrôle de l’ingénierie sont morts, nous l’avons modifié. » À l’entendre, on aurait pu croire que tous les serpents étaient subitement tombés raides morts.

« Modifié ?

— Il est sur minuterie. Nous pensons qu’il explosera dans… quelle heure est-il ?… dix minutes environ.

Dix minutes ? éclata Marphissa. Si le réacteur du cuirassé surcharge dans dix minutes, beaucoup de vos modules de survie se trouveront encore dans le rayon de l’explosion ! Ils ne pourront pas accélérer assez vite pour s’y soustraire.

— Nous ne tenions pas à laisser aux serpents le temps de s’en rendre compte et de le désamorcer !

— Bande d’imbéciles ! marmonna Diaz, les yeux rivés à son écran. Kommodore, nos vaisseaux pourraient encore récupérer quelques-uns des modules qui se trouvent dans la zone dangereuse…

— Non, trancha Marphissa. Ces gens ont bidouillé un moyen de placer sur minuterie leur dispositif d’autodestruction. Nous ne savons pas avec certitude quand se produira la surcharge. Je ne peux pas prendre le risque de perdre un de mes vaisseaux dans cette explosion. » Elle frappa ses touches de contrôle en vouant aux gémonies les travailleurs vindicatifs qui n’avaient pas pris le temps de réfléchir aux conséquences de leurs représailles. « À tous les vaisseaux, ici la kommodore Marphissa. Le cœur du réacteur du cuirassé syndic a été trafiqué pour entrer en surcharge dans dix minutes environ, peut-être moins. Dégagez tous la zone de danger au maximum de votre accélération ! Restez hors du rayon de l’explosion jusqu’à ce que je vous donne la permission d’y rentrer. Donnez acte et giclez ! »

Le Midway était le plus près du cuirassé syndic et avait donc la plus grande distance à couvrir pour s’éloigner du rayon de l’explosion, mais, heureusement, c’était aussi, de tous les vaisseaux de Marphissa, le plus massivement blindé, le mieux protégé par ses boucliers et, en conséquence, le mieux équipé pour survivre à l’onde de choc si d’aventure l’explosion se produisait prématurément. La kommodore n’avait pas fini sa phrase que ses propulseurs s’activaient à plein régime pour le faire pivoter latéralement, et, dès que sa proue se fut assez écartée du cuirassé ennemi, sa propulsion principale s’alluma.

« Tous les vaisseaux devraient s’en tirer sans dommages, fit observer le kapitan Diaz. Cinq minutes de plus et c’eût été une tout autre histoire.

— Vos senseurs captent-ils déjà les indications fermes d’une instabilité du cœur du réacteur ? s’enquit Marphissa.

— Pas encore, répondit le technicien de l’ingénierie. Juste celles que nous avions déjà. Mais, kommodore, quand nous avons découvert le dispositif dont s’étaient servis les serpents à Midway – vous vous rappelez, le croiseur léger qu’ils ont détruit quand il s’est mutiné ? –, il n’y a eu aucun signe précurseur jusqu’à ce que le réacteur soit entré dans les dernières phases de sa surcharge, et celles-ci sont intervenues à une vitesse inhabituelle.

— C’est exact. » Une idée lui venant, elle se tourna vers Diaz. « D’où tenons-nous que ces crétins de travailleurs ont bel et bien posé un dispositif de surcharge avant de s’enfuir ?

— Vous n’avez pas vu comme ils étaient terrifiés ? À mes yeux, ils crevaient de trouille d’être pris dans le rayon de l’explosion. Ah ! Tous les vaisseaux dégagent la zone dangereuse, kommodore. Le Midway est le dernier et il sera à l’abri dans une minute.

— Très bien. » Marphissa fixait son écran. « Voyez si vos techniciens des trans ne pourraient pas établir le contact avec le cuirassé syndic. J’aimerais parler à son commandant.

— Ce sera forcément la CECH Jua Boucher, kommodore.

— Je sais. J’aimerais lui parler », répéta Marphissa.

Une nouvelle fenêtre s’ouvrit devant elle au bout d’une minute.

La CECH Jua Boucher, la « Jua la Joie » dont l’affabilité et l’allure bonasse de mère-grand avaient leurré d’innombrables victimes en les incitant à lui faire des révélations et des confessions fatales, était assise dans le fauteuil de commandement du bâtiment comme si rien ne pouvait l’en déloger. Sa figure d’ordinaire enjouée était renfrognée. Sinon, ce qu’on voyait de la passerelle du cuirassé donnait une impression discordante d’activité parfaitement routinière. Enfouie profondément sous la coque derrière un énorme blindage et la masse de tous les compartiments intermédiaires, elle semblait s’être sortie matériellement intacte du pilonnage infligé à la coque. « Que voulez-vous ? » demanda Jua Boucher sur le ton de l’adulte déçu.

Marphissa soutint son regard, non sans s’émerveiller du hiatus entre l’apparence de la femme et le personnage qu’elle dissimulait. « Je voulais voir de mes propres yeux à quoi ressemblait la femme qui avait ordonné le bombardement de Kane.

— C’étaient des traîtres. Ils avaient assassiné des serviteurs du Syndicat. Ils ne pouvaient pas s’attendre à connaître un sort différent, expliqua Jua Boucher d’une voix toujours aussi désappointée.

— Vraiment ? » Marphissa s’interrompit pour chercher ses mots. « J’ai grandi sous le Syndicat. Je sais à quel point c’était horrible. Mais il était aussi censé se montrer efficace et pratique. Pourquoi tuer tous ces gens, détruire tout cela ? Vous n’avez réussi qu’à convaincre tout le monde, dans cette région de l’espace, qu’on ne pouvait jamais faire confiance au Syndicat et qu’il fallait se préparer à se défendre contre lui.

— Tous les traîtres seront traités de la même façon », affirma Boucher. Sans doute par la force de l’habitude, ses paroles sonnaient comme une douce mais ferme admonestation.

« Non, reprit la kommodore. Vous ne pouvez pas continuer ainsi. Il faut que vous le sachiez. Le gouvernement central syndic de Prime doit le comprendre. Pourquoi ? Pourquoi ce génocide dont vous saviez pertinemment qu’il retournerait tout le monde contre vous.

— Si une seule mort ne réussit pas à convaincre les traîtres de leur erreur, alors dix devraient y arriver, répondit Jua sans se départir de son ton bienveillant de gentille grand-mère. Si dix n’y suffisent pas, cent devraient faire l’affaire. Si une centaine y échoue… »

L’idéologie des serpents exposée en termes crus, dans toute son horreur. Marphissa détourna les yeux pour reprendre contenance. « Vous allez mourir. Vous ne regrettez rien ?

— Seulement que vous ne soyez pas morte avant. » Jua la Joie sourit. « Mais ça peut encore arriver. Nous ne sommes pas aussi faciles à vaincre que vous le croyez.

— Nous n’aborderons pas votre vaisseau, dit Marphissa.

— Kapitan, nous décelons un pic soudain dans les fluctuations du réacteur du cuirassé, annonça à Diaz le technicien de l’ingénierie.

— Quel délai reste-t-il ? demanda Diaz.

— Je l’estime à trente secondes, kapitan. Une minute tout au plus. »

Jua la Joie fixait encore Marphissa, mais d’un œil où pétillait maintenant une lueur d’amusement intrigué. « Auriez-vous l’intention de nous affamer ?

— Non. » Marphissa vit des gens entrer précipitamment sur la passerelle du cuirassé, à l’arrière-plan, juste derrière la CECH Boucher. Ils n’avaient plus les moyens de contrôler le cœur du réacteur depuis ce compartiment, mais leurs instruments pouvaient encore les informer de ce qui se passait. « Ça ne dépend plus de moi en l’occurrence. Les travailleurs que vous avez terrorisés, torturés et massacrés ont pris leur revanche. Ils vous ont tuée. Emportez cette pensée en enfer avec vous. »

Pour la première fois, Jua la Joie eut l’air ébranlée. Ses yeux s’écarquillèrent. Elle se tourna pour s’adresser à quelqu’un au fond de la passerelle.

Son image disparut.

« Surcharge, kapitan, annonça le technicien de l’ingénierie.

— Nous sommes tous sortis de la zone dangereuse, déclara Czilla. Nous sentirons passer l’onde de choc, mais elle se sera trop dispersée entre-temps pour nous menacer. »

Diaz hocha la tête et enfonça une touche de com pour s’adresser à tout le vaisseau : « Cramponnez-vous pour l’onde de choc. »

Le Manticore tangua comme un navire frappé par une lame de fond.

« Aucun dommage au Manticore, kapitan », rapporta Czilla.

De la main, Diaz lui fit signe qu’il avait compris. « Kane est vengé, tout comme les matelots morts à bord du Harrier, dit-il à Marphissa.

— Et pourtant je ne ressens aucune satisfaction, murmura-t-elle. Seulement le soulagement de savoir qu’elle ne tuera plus. » Elle se redressa pour consulter son écran. Seul rescapé des vaisseaux du Syndicat de ce système stellaire, l’aviso filait toujours vers le point de saut pour Kiribati.

Marphissa enfonça ses touches de com. « Midway, vous êtes détaché de la formation. Mettez le cap sur la principale planète habitée à votre vélocité maximale et allez fournir un appui à nos forces terrestres. Tous les autres vaisseaux opèrent indépendamment pour recueillir les modules de survie. Mettez le personnel du Syndicat sous bonne garde jusqu’à ce que nous ayons trié ces gens et découvert les serpents qui se cachent peut-être encore parmi eux.

» L’espace de ce système est à vous. Vous l’avez bien gagné. Au nom du peuple, Marphissa, terminé. »

Iceni dînait dans son bureau, en quête de solitude pour se remettre du choc des événements de la journée et de la tension que lui avait infligée l’affrontement en tête à tête et sans aucune médiation avec tous ces citoyens. Ça ne l’avait pas tuée à proprement parler, mais ça s’était révélé si différent de tout ce qu’elle avait connu jusque-là qu’elle s’efforçait encore de se rétablir intellectuellement et émotionnellement.

« Madame la présidente, nous avons reçu un message des forces mobiles de l’Alliance. Il y est indiqué que c’est une réponse à celui que vous leur avez adressé antérieurement. »

Iceni but une gorgée de vin avant de répondre. « Envoyez-le-moi. Toujours aucun signe de Mehmet Togo ? » Elle se demandait s’il ne s’était pas retrouvé piégé par la populace et cloîtré quelque part d’où il ne pouvait pas s’échapper sans attirer l’attention. Mais, si ça s’était produit, il aurait dû pouvoir repartir dès que les foules hostiles s’étaient apaisées et que les émeutiers en herbe avaient viré aux joyeux fêtards à l’occasion des célébrations d’envergure planétaire qui se poursuivaient encore un peu partout.

« Aucun, madame la présidente. »

Elle scruta le superviseur du centre de commandement. « Depuis quand êtes-vous de service ? Ne vous ai-je pas déjà parlé ce matin ?

— Si, madame la présidente. Mais nous avons reçu l’ordre de rester en état d’alerte générale jusqu’à la levée de cette consigne et je n’ai donc pas quitté mon poste. »

Iceni réussit tout juste à ne pas lever les yeux au ciel d’exaspération. Un superviseur en chef avait dû décider de jouer autant que possible la carte de la sécurité et de maintenir tous ses subalternes en état d’alerte. « Annulez l’état d’alerte. Revenez à la normale. Prévenez tous les services et allez vous reposer. »

Le superviseur sourit, tout d’un coup soulagé. « Merci, madame la présidente. Vous… Merci. »

Iceni soupira. La fenêtre disparut et une autre s’ouvrit, affichant le message de Black Jack prêt à être activé. Si ses superviseurs commençaient à se conduire comme les citoyens sur l’esplanade, elle ne trouverait bientôt plus un seul endroit où se cacher.

Elle se versa un verre de vin et se radossa à sa chaise, bien décidée à se détendre pour visionner le message de Black Jack. S’il s’agissait de mauvaises nouvelles, sa fébrilité n’arrangerait rien. Elle appuya sur la touche LECTURE.

Black Jack avait dû envoyer sa réponse dès qu’il avait reçu son propre message. Il avait l’air passablement tendu et éreinté, mais, compte tenu de ses responsabilités, c’était compréhensible. Cela étant, peut-être aurait-elle un jour l’occasion de lui donner quelques conseils pour se rendre plus présentable. Et peut-être lui fournirait-il en retour quelques tuyaux sur la manière de gérer les masses idolâtres en délire.

« Présidente Iceni, ici l’amiral Geary. Nous ne sommes venus à Midway que pour y raccompagner les Danseurs. Ils rentrent chez eux par leurs propres moyens. Nous ne pouvons pas nous attarder une minute de plus que nécessaire dans votre système stellaire de crainte de voir le portail de l’hypernet se refermer avant notre départ. J’ignore quand des vaisseaux de l’Alliance pourront repasser par Midway. Pas avant, peut-être, que nous n’ayons trouvé le moyen d’outrepasser ces blocages. Je regrette de ne pouvoir vous apporter aucun secours pour l’heure, ni d’ailleurs vous fournir des suggestions quant à la signification du message que les Danseurs vous ont envoyé. Bonne chance, et puissent les vivantes étoiles vous assister. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Le message visionné, elle y réfléchit un moment. Elle ne pouvait guère reprocher à Black Jack de n’avoir pas envie de se retrouver piégé à Midway si d’aventure le Syndicat recourait à son dispositif de blocage du portail. Jusqu’à ce qu’on apprenne comment celui-ci était en mesure d’y procéder où et quand il le voulait et, plus décisif encore, comment l’annuler ou l’outrepasser, tout le monde devrait regarder l’hypernet comme une probable voie à sens unique, susceptible de laisser son usager échoué loin de chez lui.

Il ne serait pas mauvais de tenir autant que possible sous le boisseau l’ignorance de Black Jack quant à la date de son retour et de celui de sa flotte à Midway. Point tant d’ailleurs qu’il s’y montrât fréquemment, mais cette incertitude, s’ajoutant à la force de frappe dont disposait le dirigeant de l’Alliance, contribuerait assurément à décourager certaines puissances de fomenter une agression du système. Le Syndicat n’était pas le seul problème extérieur.

Puissent les vivantes étoiles vous assister. Qu’est-ce que ça signifiait exactement ? Elle procéda à une recherche dans sa base de données et reçut une longue réponse faisant état d’anciennes croyances religieuses et des liens qu’elles entretenaient avec d’autres convictions encore plus archaïques.

À mesure qu’elle lisait, elle se rendait graduellement compte que Black Jack lui souhaitait sincèrement de réussir dans ses projets et qu’il invoquait à cet effet les influences qu’il croyait les plus bénéfiques.

Bon. Très bien. Et même excellent.

Iceni leva son verre pour porter un toast à cet homme qui, pour l’heure, devait se trouver quelque part dans l’hypernet. Vous faites un très précieux ami, Black Jack. À cette amitié, dont j’espère qu’elle sera belle et durable.

Mais ces réflexions sur l’amitié et le soutien que peuvent vous apporter les amis lui rappelèrent Artur Drakon et l’amenèrent à se demander si le Midway avait atteint Ulindi assez tôt pour peser dans la balance. Ce qui tempéra considérablement sa jubilation.

De là-haut, la cité où avaient débarqué les forces terrestres n’avait pas l’air d’avoir trop souffert, à l’exception du large cratère où s’était dressé le complexe du QG des serpents et d’un vaste champ parsemé de cratères plus petits qui balisaient le site de la base. Celle-ci gisait sous un terrain à la surface irrégulière, elle aussi piquetée de trous marquant l’impact de bombardements massifs.

Le Midway filait en orbite basse avec une grâce pesante et dépêchait sur les positions de l’artillerie syndic des projectiles cinétiques qui y creusaient de nouveaux entonnoirs. Une forêt de lances de l’enfer dansait sous le ventre du cuirassé, déchiquetant tous les appareils de l’aérospatiale qui cherchaient à fuir ou à s’y soustraire.

« Trouvez les sources du plus puissant brouillage, ordonna le kapitan Mercia à son équipage. Et détruisez-les afin que nous puissions enfin communiquer avec nos forces terrestres.

— En les bombardant ? demanda son technicien de l’armement.

— Euh… non. Sauf si elles occupent des positions isolées. Nous ne sommes pas des Syndics. Les populations n’ont rien à craindre de nous. » C’était tout drôle à dire, mais ça faisait aussi du bien. Mercia coula un regard vers Bradamont en se demandant si l’officier de l’Alliance n’était pas en train de la juger, mais elle avait plutôt l’air de ressasser de mauvais souvenirs. Évidemment. L’Alliance aussi avait bombardé des civils. Cette prise de conscience (que Bradamont n’allait pas la sermonner sur la supériorité morale de l’Alliance à cet égard comme à tous les autres) la soulagea mais l’attrista aussi à l’idée qu’elles eussent en partage cette funeste expérience. « Pensez-vous que l’humanité atteindra un jour un stade où ce qui est arrivé à Kane deviendra impossible ? » lui demanda-t-elle.

L’officier de l’Alliance soutint son regard. « Les hommes sont trop doués pour les forfaits de ce genre. Mais j’espère que nous parviendrons un jour à les rendre aussi rares que possible.

— Ça vaut la peine de s’y atteler », convint Mercia.

« Il se passe quelque chose dans les positions syndics. »

Drakon releva la tête et cligna des paupières pour chasser la fatigue. Combien de jours s’étaient-ils écoulés depuis le débarquement de la force d’assaut ? Il se demanda s’il ne devait pas s’appliquer un nouveau patch de remontant puis opta pour le remettre à plus tard. « Que voyez-vous ? »

Le colonel Kaï eut une moue songeuse. « On dirait des combats.

— Des combats ? Sur leurs positions ?

— Oui, mon général. C’est peut-être une feinte, bien sûr, mais, selon toute apparence, les troupes syndics qui nous encerclent se battent entre elles en plusieurs endroits, juste devant ma brigade.

— Mon général, appela le colonel Safir, ce dont le colonel Kaï vient de parler, je le vois se propager à toute la ligne de front syndic qui me fait face.

— Colonel Malin, captons-nous des transmissions à propos des événements auxquels nous assistons dans les positions syndics ? » demanda Drakon.

Malin mit un moment à répondre. « Le brouillage est encore très dense, mon général, de sorte que nous ne captons rigoureusement rien. Sauf que nos senseurs détectent des tirs qui ne nous visent pas. Attendez ! Voilà quelque chose. Regardez cette rediffusion d’un événement auquel nous avons assisté en face du secteur 5. »

Drakon vit s’ouvrir une petite fenêtre virtuelle sur son écran de visière. La caméra zoomait sur une section des positions syndics quand une silhouette cuirassée sortit à découvert en titubant puis se mit à cavaler en diagonale, non pas vers la base, ni même pour regagner les lignes syndics, mais pour traverser l’esplanade. Elle n’avait pas fait dix pas que des armes se déchargeaient sur elle depuis les immeubles du fond. La silhouette s’affala, tenta de se relever puis retomba et resta allongée, inerte.

« Malheureusement, l’absence d’insignes sur les cuirasses ne nous permet pas de dire s’il s’agit d’un travailleur, d’un superviseur ou d’un serpent, ajouta Malin.

— Devons-nous intervenir ? demanda Safir.

— Ce pourrait être une ruse, avança Kaï. Pour nous inciter à envoyer des soldats à découvert. La séquence du soldat descendu sous nos yeux m’a paru un peu trop théâtrale.

— Le colonel Kaï soulève un point important, dit Malin.

— On entend beaucoup de fusillades par là-bas, affirma Safir. Si c’est une ruse, ils y consacrent beaucoup de munitions et d’énergie, et nous avons vu de nombreux autres soldats syndics se faire descendre sur leurs positions. »

Drakon zooma encore sur les images de la première ligne syndic transmises par les senseurs de la base et ceux des soldats. Le réseau de commandement les intégrait toutes automatiquement pour obtenir un tableau général permettant d’observer tout ce qu’il y avait à voir.

L’esplanade à l’air libre séparant la base de la première rangée d’immeubles était auparavant une vaste étendue à la surface plane et régulière, tantôt pavée, tantôt herbue, soigneusement entretenue pour la laisser nette et dégagée afin d’interdire qu’on y trouvât abri ou couvert. Elle était à présent jonchée de débris de paquets de paillettes et d’autres contre-mesures, et piquetée de cratères de taille diverse creusés par les bombardements. Les cadavres des soldats perdus durant l’assaut par les forces de Drakon y gisaient encore, la plupart recouverts de ceux, bien plus nombreux, des Syndics qui avaient trouvé la mort lors de leurs attaques futiles mais réitérées. Une sorte de brume engendrée par les combats, les nuages de paillettes qui se dissipaient lentement et les retombées des bombardements qui s’étaient abattus sur l’esplanade ou non loin, dérivait paresseusement dans le champ de vision du général, l’opacifiant partiellement.

Les étages inférieurs des bâtiments où ses propres soldats s’étaient abrités avant de prendre la base et que les Syndics avaient occupés par la suite étaient criblés de trous plus ou moins larges. Il n’en restait parfois que le squelette, les parois de verre extérieures ou intérieures fracassées n’en laissant plus debout que la charpente. On avait entassé les gravats de ces bâtiments devant les plus gros trous pour fournir un couvert aux soldats ou masquer la vue, et, afin d’occulter les activités des soldats syndics, ils formaient aussi, à présent, des barricades provisoires en travers des larges rues séparant les pâtés de maisons. Drakon entrapercevait fugacement des groupes d’ennemis plus ou moins nombreux qui se ruaient dans les bâtiments, repérait des tirs sporadiques qui n’étaient pas destinés à la base occupée par ses troupes et assistait de temps en temps à de brèves échauffourées au corps à corps. Mais ces images morcelées ne lui donnaient pas accès à ce qui lui restait invisible, ni ne lui fournissaient une vue d’ensemble assez complète pour comprendre avec certitude le peu qu’il en percevait.

Il finit par secouer la tête. « Les chances pour qu’il s’agisse d’une ruse des serpents sont bien minces. Ceux-ci n’hésiteraient pas à faire sauter une douzaine de leurs soldats pour donner le change. Je me dis aussi que, si nous tombions dans le panneau, les deux bords risqueraient de se rabibocher pour nous tirer dessus.

— Ça pourrait arriver, en effet, concéda Safir à contrecœur. Ce n’est pas parce qu’ils descendent leurs officiers et leurs serpents qu’ils tiennent nécessairement à ce que nous les fassions prisonniers.

— Avons-nous d’autres indications sur ce qui se passe ? » demanda Drakon.

Malin fixa son écran en fronçant les sourcils. « J’ai lancé une recherche en ce sens et je crois avoir trouvé quelque chose. Au cours des quinze dernières minutes, nos senseurs ont capté d’importants tremblements de terre dans un rayon d’une centaine de kilomètres, parfois même à une vingtaine seulement. »

Drakon afficha les données. « Les séquelles d’un bombardement, dirait-on. Non pas massif et concentré mais sous la forme de nombreuses frappes localisées visant une cible distincte. Il pourrait y avoir un rapport avec ce à quoi nous assistons en ce moment dans les lignes syndics, mais je vois mal où la kommodore aurait pu se procurer d’autres cailloux. »

Des pulsations sonores attirèrent leur attention sur un nouveau développement. « Toutes les sources de brouillage puissamment alimentées ont cessé d’émettre dans un rayon de trois cents kilomètres, rapporta un technicien des trans. Quelqu’un cherche à nous contacter sur les fréquences autorisées. Il a nos codes de reconnaissance.

— Où est le problème, alors ? s’enquit Drakon. Il s’agit d’un de nos vaisseaux, n’est-ce pas ?

— Il s’identifie comme le Midway, mon général.

— Le Midway ? » Son cerveau fatigué mit quelques secondes à appréhender la signification de cette information. « Notre cuirassé ? D’où diable arrive-t-il ? Passez-le-moi. »

Drakon reconnut la femme qui le dévisageait depuis son fauteuil sur la passerelle du cuirassé. Iceni et lui étaient convenus ensemble de lui en confier le commandement. « Kapitan Freya Mercia, se présenta-t-elle dans les formes. À votre service, général Drakon. La kommodore Marphissa m’a priée de vous informer que les vaisseaux du Syndicat ont tous été détruits dans ce système stellaire, à l’exception d’un seul aviso qui fuit vers Kiribati et, malheureusement, n’a pu être intercepté. Le Midway est là pour vous apporter tout le soutien qu’il pourra fournir. Nous avons aussi éliminé un bon nombre de menaces à longue portée sur vos positions, ainsi que tous les sites de brouillage en activité couvrant votre région du globe.

— Bienvenue à Ulindi, kapitan », déclara Drakon, prenant seulement conscience de la sécheresse de sa gorge. Il avala en toute hâte une gorgée d’eau puis sourit. « J’ignore comment vous avez fait pour arriver jusqu’ici, mais j’ai grand plaisir à vous voir.

— La présidente Iceni nous a envoyés vous rejoindre dès qu’elle a appris qu’Ulindi risquait d’être un piège.

— Vraiment ? » Drakon avait hâte d’aborder le sujet avec Iceni. « Et vos armes sont opérationnelles ?

— Comme le cuirassé du Syndicat l’a découvert à ses dépens. Aimeriez-vous que nous en fassions la démonstration aux forces terrestres qui vous cernent ? »

Drakon consulta de nouveau les images disponibles des positions syndics où, manifestement, la bataille faisait toujours rage. « Pas encore. Je crois que votre apparition, s’ajoutant au fait qu’on les avait déjà poussés à bout, a incité une bonne partie de ces forces terrestres à revoir leur allégeance au Syndicat à la baisse. »

Elle lui décocha un curieux regard. « Néanmoins, celles qui restent constituent toujours une menace.

— Possiblement. Voire le noyau des forces terrestres d’un Ulindi indépendant. Tous les gens de cette planète appartenaient au Syndicat, kapitan.

— Tous ceux d’ici aussi. On s’habitue difficilement à faire quartier à l’ennemi.

— Il reste au moins une composante ennemie à qui nous ne pouvons pas accorder la vie sauve. Connaissez-vous la localisation du poste de commandement supplétif des serpents ? demanda Drakon.

— Oui, du moins si les informations qu’on nous a fournies sont exactes,

— On doit s’assurer de son élimination, kapitan. Notre agente était censée handicaper leur capacité à faire exploser depuis ce poste de commandement leurs engins nucléaires enfouis, mais nous n’avons pas de ses nouvelles et nous ignorons si elle a réussi.

— Vous n’aurez plus à vous en inquiéter dans quelques minutes, mon général. » Mercia se retourna pour en donner l’ordre.

Malin fixa Drakon. « Mon général, si le colonel Morgan se trouve encore dans le complexe ou à proximité…

— Je sais bien, Bran, je sais bien. » Drakon soutint son regard. « Mais nous ne pouvons pas risquer la vie de tous sur l’hypothèse que Morgan serait toujours en vie à l’intérieur ou à côté du poste supplétif. Si les forces terrestres syndics se désintègrent, les serpents pourraient décider à tout instant de déclencher des explosions, ou, à tout le moins, celle des engins enfouis sous la cité. »

Le visage de Malin se referma. Il hocha la tête sans trahir aucune émotion. « C’est exact, mon général. Nous n’avons pas le choix. Il faut le faire le plus tôt possible. Je sais que vous y réfléchiriez à deux fois si vous aviez le choix.

— En effet. » En dépit de tout ce qu’avait fait Morgan et de tout ce qu’elle risquait de faire encore si elle était toujours en vie, elle l’avait bien mérité, ne serait-ce que pour tous les services qu’elle avait rendus.

Le CECH suprême Haris arpentait d’un pas vif les couloirs du centre de commandement supplétif du SSI. Il se dirigeait vers l’entrée du refuge secret qui lui permettrait d’accéder au hangar camouflé où l’attendait une navette équipée du dernier cri du Syndicat en matière de furtivité. Plusieurs gardes du corps lourdement armés le précédaient et le suivaient à trois mètres.

Haris épongea son front ruisselant de sueur. Il cherchait à comprendre ce qui s’était passé et comment ça avait pu se produire, tout en s’efforçant de ne pas piquer un sprint. Après une entière carrière consacrée à son propre avancement, à pomper la cervelle de ses supérieurs, à se faire muter fréquemment afin de toucher à tout, il n’avait pourtant pas réussi à acquérir de très nombreux talents professionnels. Le travail n’était pas son but ultime. Bien au contraire. C’était une entrave à la promotion suivante.

C’était là un plan de carrière qui s’était soldé par des problèmes inattendus quand on l’avait secrètement prié de s’autoproclamer CECH suprême d’Ulindi. Le plus gros, du point de vue du CECH Haris, c’était qu’en le distrayant de la voie d’accès normale du SSI on l’avait privé de l’espérance d’un nouvel avancement. On lui avait coupé l’herbe sous le pied. L’autre problème, qu’il trouvait exaspérant, c’était son manque d’expérience du travail quotidien, travail qu’il lui fallait abattre lui-même puisqu’il ne pouvait plus compter sur un tiers. Sa moisson actuelle de subordonnés avait montré une fâcheuse tendance à saloper le boulot qu’il aurait dû exécuter lui-même, en dépit de tous ses efforts pour les motiver par des mesures coercitives telles que les arrestations ou les exécutions.

En vérité, il commençait à se demander si ses supérieurs ne l’auraient pas précisément nommé à ce poste à cause de ses lacunes dans tous les domaines, à l’exception du seul carriérisme. S’étaient-ils attendus à ce que les préparatifs ultrasecrets du traquenard qu’ils tendaient aux forces de Midway à Ulindi lui échappent ?

Certes, ils lui avaient bel et bien échappé – il n’avait su que ce qu’on lui en avait dit –, mais en quoi était-ce sa faute ? N’avait-il pas fait tout ce qu’on attendait de lui ? Ç’avait toujours marché par le passé.

Mais, cette fois, tout avait marché de travers. Non seulement les forces terrestres rebelles avaient survécu, mais elles avaient liquidé sa propre brigade et investi sa base. La division syndic s’était décimée elle-même en donnant l’assaut, s’il fallait en croire les rapports qu’il recevait, et elle continuait de se désagréger à la faveur de la mutinerie des travailleurs et de certains cadres exécutifs. La flottille de la CECH Boucher avait été anéantie par un cuirassé que les rebelles n’étaient pas censés lui opposer, du moins apte au combat, et maintenant ce cuirassé rebelle était en orbite et transformait ce qui restait de l’infrastructure visible du SSI d’Ulindi en un tas de ferraille.

Parfait ! Ses supérieurs l’avaient laissé sans directives et ses subordonnés avaient échoué. Lui-même filait ; ses subalternes et les travailleurs pouvaient bien se garder le foutoir qu’ils avaient eux-mêmes contribué à créer par leur propre incapacité à le seconder convenablement. Mais ça ne durerait pas bien longtemps. Une fois qu’il aurait atteint le refuge, il entrerait les codes qui déclencheraient le compte à rebours, jusqu’à l’explosion de tous les engins atomiques enfouis sous chaque cité de la planète. Lui-même en aurait décollé et serait loin quand le feu nucléaire consumerait ces incapables en même temps que tous leurs ennemis.

Quant à lui, il envisagerait un transfert dans un autre système stellaire, assorti d’une nouvelle occasion de repérer d’autres ouvertures. Sans doute devrait-il témoigner quelque créativité dans sa manière d’accommoder les événements d’Ulindi et de les faire passer pour un succès justifiant une légitime promotion, mais c’était la seule activité pour laquelle Haris avait quelque talent.

Le bout du couloir leur apparut lorsque ses gardes et lui-même tournèrent un angle et franchirent un poste de contrôle dont les gardes n’étaient sûrement pas conscients qu’ils auraient l’honneur de se sacrifier pour couvrir sa fuite. Encore quelques centaines de mètres et…

Le plafond explosa et un rectangle occupant toute sa longueur, large d’environ quatre mètres, fut brusquement surligné par une bande de feu. Haris le fixa, bouche bée, sans reconnaître dans cette coupe franche la bande adhésive explosive qu’elle était, assez puissante pour défoncer instantanément le blindage du plafond, et qu’on avait disposée sur le plancher de l’étage supérieur. S’il avait eu assez de présence d’esprit, il se serait sans doute demandé ce qui était arrivé aux gardes et aux senseurs de contrôle qui surveillaient la section supérieure du complexe.

La portion de plafond détourée par l’explosion s’abattit sur les gardes du corps qui marchaient devant lui. Une minicaméra en surplomb avait certainement couvert le couloir pour en assurer le bon minutage.

Haris n’avait pas vraiment prêté attention à la femme qui, comme plantée sur le plancher d’un ascenseur, se tenait sur le rectangle découpé dans le plafond alors même qu’il tombait. Il n’avait pas remarqué son grand sourire, ni l’arme qu’elle avait à la main et qu’elle déchargea à trois reprises ; et il ne sut jamais que ces trois tirs l’avaient cueilli à la tête avant même que le plafond blindé n’ait eu le temps de broyer les trois gorilles de tête.

Alors que son corps sans vie s’affalait mollement, il n’eut pas non plus conscience de la fusillade tonitruante qui éclatait dans le couloir : ses serre-files venaient de déverser un déluge de feu sur sa meurtrière.

Le bombardement du Midway visant le poste de commandement supplétif caché du SSI zébrait le ciel ; terrifiés, les citoyens se pressaient les uns contre les autres pour observer les féroces trajectoires des projectiles cinétiques. Mais les cailloux ne pleuvaient pas sur eux. En revanche, les bâtiments et les parkings d’une lugubre zone industrielle étaient réduits en un amas de décombres au fond d’un cratère. Quiconque en aurait examiné le contenu aurait découvert au milieu des débris les vestiges de nombreux objets qui n’avaient rien à faire dans une zone industrielle et, à sa profondeur, aurait conclu qu’il s’était élevé sur de nombreux niveaux. Cela étant, la population d’Ulindi avait d’autres soucis pour le moment. Les gens n’avaient pas le temps de s’intéresser à un nouveau tas de ruines, ni de se demander qui avait bien pu y trouver la mort.

Загрузка...