CHAPITRE QUATORZE

Je trouvai Heenkus déjà debout. Il était au milieu de la chambre, bretelles abaissées, et il s’essuyait le visage avec une serviette de bain.

« Bonjour, dis-je. Alors, ce matin, comment vous sentez-vous ? »

Il me regarda par en dessous, avec des yeux soupçonneux ; son visage était quelque peu enflé, mais dans l’ensemble il avait repris un aspect assez potable. En particulier, il avait complètement perdu son air de putois affolé, poursuivi par une meute, air qui avait élu domicile sur ses traits lors de nos entrevues de cette nuit.

« Plus ou moins bien, grommela-t-il. Pourquoi m’avait-on enfermé à clé ?

— Vous avez eu une attaque de nerfs », expliquai-je. Sa figure se contracta. « Mais rien de bien grave. Le directeur de l’hôtel vous a fait une piqûre et a fermé votre porte à clé, afin que personne ne vienne vous déranger. Vous allez prendre votre petit déjeuner ?

— Oui, j’y vais, dit-il. Je vais déjeuner et me tirer d’ici, nom de Dieu ! Et pour commencer, je vais récupérer mes arrhes. Tu parles de vacances à la montagne !…» Il froissa la serviette et la jeta sans regarder où elle atterrissait. « Nom de Dieu ! Des vacances pareilles, c’est des coups à perdre la boule ! La tuberculose, c’est rien, à côté… Et mon manteau, vous l’auriez pas vu ?… Et ma chapka…

— Ils doivent être restés sur le toit, dis-je.

— Sur le toit…» grogna-t-il en enfilant ses bretelles. « Sur le toit…

— Oui, dis-je. Vous n’avez pas de chance. Heureusement qu’il y a des gens compatissants. Enfin, nous en reparlerons. »

Je fis demi-tour et allai en direction de la porte.

« Espérez tout de même pas que je vais en discuter ! » me lança-t-il rageusement.

Personne n’était encore venu s’asseoir à la table de la salle à manger. Kaïssa disposait les assiettes où s’empilaient des sandwiches. Je lui dis bonjour et me choisis une nouvelle place : dos tourné au buffet, visage orienté vers la porte, à gauche de la chaise de du Barnstokr. À peine m’étais-je installé que Simonet fit son apparition, vêtu d’un vaste chandail multicolore. Il était rasé de frais, ses yeux étaient rouges et légèrement gonflés.

« Quelle nuit, inspecteur, hein ? dit-il. J’étais tellement énervé que je n’ai même pas dormi cinq heures. J’ai passé mon temps à avoir l’impression que dans l’air flottait une odeur de charogne. Et aussi une odeur de produit pharmaceutique.

Vous savez, dans le genre formol…» Il s’assit, se sélectionna un sandwich puis me fixa. « Alors ? Vous avez trouvé ? demanda-t-il.

— Tout dépend de quoi il est question, répondis-je.

— Ah ! ah ! » dit-il, et il rit bruyamment, mais sans conviction. « Vous n’avez pas l’air en grande forme.

— Chacun a la tête qu’il mérite », philosophai-je, et à la même seconde entrèrent les du Barnstokr. En voilà deux qui étaient frais comme des gardons. L’oncle avait eu l’élégance de placer un aster à sa boutonnière, ses boucles argentées entouraient sa calvitie d’une couronne bien fournie, à la noblesse incontestable ; quant à la nièce, elle faisait sa réapparition en lunettes noires et avec le nez levé dans une attitude aussi insolente que les jours précédents. Le cher oncle rejoignit sa chaise en frottant ses paumes l’une contre l’autre ; il me jetait de petits regards assez insistants.

« Bonjour, inspecteur, articula-t-il d’une voix chantante, plutôt tendre. Quelle nuit de cauchemar ! Bonjour, monsieur Simonet. N’est-il pas vrai ?

— Salut, marmonna l’enfant.

— Je boirais volontiers un petit cognac », annonça Simonet avec une sorte de nostalgie. « Seulement, cela pourrait paraître déplacé, hein ? Ou peut-être pas ?

— Je ne sais trop, à vrai dire, soupira du Barnstokr. Je ne m’y risquerais pas, pour ma part.

— Et l’inspecteur ? » dit Simonet.

Je secouai négativement la tête et bus d’une traite le café que Kaïssa venait de poser en face de moi.

« Dommage, dit Simonet. Autrement, j’en aurais avalé un.

— Et où en sont nos affaires, mon cher inspecteur ? s’informa du Barnstokr.

— L’enquête s’est engagée sur une piste, communiquai-je. La police a entre les mains la clé du mystère. Une quantité de clés du mystère. Tout un trousseau. »

Simonet démarra à nouveau un rire fracassant qu’il interrompit dans la seconde, pour reprendre aussitôt un masque sérieux.

« Je suppose qu’il nous faudra passer toute cette journée bloqués entre quatre murs, dit du Barnstokr. Je suppose qu’il sera interdit de quitter l’hôtel ?…

— Pourquoi donc ? rétorquai-je. Autant que vous en aurez envie. Plus vous sortirez et mieux ce sera, au contraire.

— De toute façon, on ne pourra pas prendre la poudre d’escampette, ajouta Simonet. À cause de l’éboulement. Nous sommes coincés comme dans une souricière. Pour la police, c’est la situation idéale. Bien sûr, moi, je pourrais m’enfuir par les rochers, mais…

— Mais ? demandai-je.

— Mais, pour commencer, il y a une telle masse de neige que je ne pourrais pas atteindre la paroi rocheuse. Et ensuite, qu’est-ce que je ferais une fois de l’autre côté ?… Écoutez, messieurs, proposa-t-il. Et si nous entreprenions une promenade par la route ? Histoire d’aller voir à quoi ressemble le Goulot de Bouteillé ?…

— Pas d’objection, inspecteur ? se renseigna du Barnstokr.

— Aucune », dis-je. Sur ces entrefaites rappliquèrent les Moses. Eux aussi étaient frais comme des gardons. Mme Moses, surtout ; fraîche comme un gardon, euh… comme une rose… comme une somptueuse rose. Moses, lui, n’avait pas modifié d’un poil son apparence de vieux cactus, pour ne pas dire de sale vieux rutabaga. En marchant, il pompait le contenu de son éternelle chope. Sans saluer, il se dirigea vers sa chaise, s’y écroula avec une distinction d’hippopotame et se mit aussitôt à considérer d’un air revêche les sandwiches empilés en face de lui.

« Bonjour, messieurs ! » articula Mme Moses en faisant jouer sa petite voix cristalline.

Je jetai un regard oblique à Simonet. Simonet jetait un regard oblique sur Mme Moses. Ses yeux exprimaient un sentiment intermédiaire entre le scepticisme et l’incrédulité. Puis il fut ébranlé par un haussement d’épaules spasmodique et se précipita sur sa tasse de café.

« Quelle charmante matinée, poursuivait Mme Moses. Il fait si bon, quel temps ensoleillé, magnifique ! Pauvre Olaf ! Il n’aura pas vécu jusque-là !

— Nous en serons tous là un jour ou l’autre », proclama soudain Moses, la gorge enrouée.

« Amen », compléta poliment du Barnstokr.

Je dirigeai mes yeux sur Brunn. La petite fille était renfrognée et plongeait obstinément son nez dans sa tasse. La porte s’ouvrit à nouveau, et Luarwick L. Luarwick entra, en compagnie du patron de l’hôtel. Celui-ci avait sur la figure son sourire affligé.

« Bonjour, messieurs, dit-il. Permettez-moi de vous présenter M. Luarwick Luarwick, qui est arrivé chez nous pendant la nuit. Il a eu le malheur d’être victime d’un accident alors qu’il faisait route vers notre auberge. Bien entendu, nous lui offrirons de tout cœur notre hospitalité. »

À en juger par l’aspect du sieur Luarwick Luarwick, l’accident avait dû être monstrueux, et il avait le plus grand besoin de notre hospitalité. Snevar fut obligé de le prendre sous le coude et littéralement de le pousser à mon ancienne place, à côté de Simonet.

« Enchanté, Luarwick ! » prononça M. Moses, d’une voix on ne peut plus rauque. « Faites comme chez vous, Luarwick, vous êtes ici entouré d’amis.

— Oui », dit Luarwick, un œil dirigé sur moi, l’autre sur Simonet. « Le temps est superbe. Tout à fait l’hiver…

— Billevesées que tout cela, Luarwick, l’interrompit Moses. Parlez moins, et mangez plus. Vous avez l’air épuisé… Simonet, rappelez-nous donc cette histoire de maître d’hôtel. Qu’est-ce qui lui était arrivé, déjà ? Je ne me rappelle plus comment il avait mangé son tournedos…»

Et alors enfin apparut Heenkus. Il se pétrifia dès qu’il eut franchi le seuil. Simonet s’était à nouveau lancé dans l’exposé des aventures du maître d’hôtel, et tandis qu’il expliquait que le maître d’hôtel en question n’avait pas mangé le moindre tournedos, et que c’était tout le contraire, Heenkus était figé à l’entrée de la salle et je l’observais, en m’efforçant en même temps de ne pas perdre de vue les Moses. Je l’observais, je les observais tous, et je ne comprenais rien à la scène. Mme Moses croquait des biscottes arrosées de crème fraîche et elle manifestait tout son enthousiasme pour les explications du farceur mélancolique. M. Moses avait bien posé son regard sur Heenkus, mais avec une indifférence absolue, et aussitôt il s’était remis à boire dans sa chope. Heenkus, en revanche, n’avait pas réussi à dominer les jeux de sa physionomie.

Tout d’abord, son expression avait paru totalement abasourdie, comme si quelqu’un s’était avisé de lui cogner le crâne avec une bûche. Puis son visage s’était éclairé d’une joie évidente, proche de l’extase, et il s’était même oublié jusqu’à sourire soudain comme un enfant. Puis un rictus débordant de rage avait tordu ses lèvres, il avait serré les poings et avait fait un brusque pas en avant. Seulement, à mon intime stupéfaction, ce n’étaient pas les Moses qui avaient suscité tant d’émotions diverses. Mais les du Barnstokr. Il avait commencé par les fixer avec une profonde hébétude, puis avec soulagement, puis avec allégresse, puis avec une fureur qui avait tourné à la satisfaction sadique. Il s’aperçut alors que mon regard interceptait le sien, et il se radoucit un peu, ou du moins baissa la tête. Puis il avança jusqu’à sa chaise.

« Comment vous sentez-vous, monsieur Heenkus ? » se renseigna du Barnstokr, en s’inclinant en avant afin de mieux témoigner de sa sympathie. « L’air des montagnes a sans doute…»

Heenkus leva sur lui de petits yeux jaunes fous furieux.

« Je ne me sens pas trop mal, dommage pour vous », répondit-il, et il s’assit. « Mais vous, vous vous sentez bien, vous ? »

Du Barnstokr marqua son ahurissement en se renversant sur le dossier de son siège.

« Moi ? Euh… je vous remercie…» Il m’interrogea du regard, puis se tourna vers Brunn. « Peut-être ai-je, par inadvertance, blessé… heurté… En ce cas, je vous présente…

— C’est raté sur toute la ligne ! » continua Heenkus, et il fourra une serviette devant son plastron avec une exaspération brutale. « T’as manqué ton coup, hein, vieux bonhomme ? »

L’embarras de du Barnstokr était à son comble. Les conversations s’étaient interrompues, et tous essayaient de comprendre ce qui se passait entre Heenkus et le vieil illusionniste.

« À vrai dire, je crains…» Du Barnstokr ne savait manifestement pas quelle attitude adopter. « Vous savez, j’ai dit cela par pure politesse, et je n’avais aucunement l’intention…

— C’est ça, c’est ça, changeons de sujet, comme ça personne pigera rien », fit Heenkus.

Il avança les deux mains, s’empara d’un gros sandwich, en enfila un coin dans sa bouche, mordit dedans et, sans plus regarder alentour, se mit à mastiquer à coups de mâchoires voraces.

« Monsieur aurait intérêt à mettre fin à ses goujateries ! » s’exclama soudain Brunn.

Heenkus lui décocha un bref coup d’œil et aussitôt détourna le regard.

« Brunn, mon enfant…», dit du Barnstokr.

Brunn tapotait du couteau dans son assiette. « Ah ! monsieur monte sur ses grands chevaux ! Monsieur ferait mieux d’arrêter de s’imbiber comme une éponge !…

— Messieurs ! Messieurs ! intervint le patron. Tout cela ne vaut pas la peine de se fâcher !

— Ne vous mettez pas en souci, Snevar, plaça en hâte du Barnstokr. Il ne s’agit que d’un malentendu négligeable… Les nerfs sont à vif… Les événements de cette nuit…

— Monsieur a entendu ce que j’ai dit ? » demanda Brunn, menaçant, fusillant Heenkus depuis ses oculaires noirs.

« Messieurs ! » intervint à nouveau le patron, avec une autorité indéniable. « Messieurs ! Je vous prie de m’accorder votre attention ! Je ne vais pas discourir sur les tragiques événements de cette nuit. Il ne m’échappe pas que les nerfs sont à vif. Mais, d’un côté, l’enquête sur le sort du malheureux Olaf Andvaravors repose à présent entre des mains expertes, celles de l’inspecteur Glebski, qu’un heureux concours de circonstances a permis de compter parmi nous. Et d’un autre côté, il est inutile d’accueillir avec une nervosité excessive le fait que nous soyons coupés du monde extérieur de manière temporaire…»

Heenkus interrompit sa mastication et leva la tête.

« Car nos caves sont pleines, messieurs ! » continua le patron, pris d’une ardeur solennelle. « Toutes les victuailles possibles et imaginables seront mises à votre disposition, sans même parler de quelques victuailles inimaginables. Et je suis persuadé que dans quelques jours, lorsque l’équipe de secours aura réussi à franchir l’éboulement, elle nous trouvera tous…

— Hein ? Quel éboulement ? » s’exclama Heenkus d’une voix forte, en enveloppant d’un regard stupéfait l’ensemble des convives. « Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle invention ?

— Ah oui ! Excusez-moi ! » dit le patron, en appliquant sur son front sa paume d’ours. « Il m’était sorti de l’esprit que plusieurs de nos hôtes pouvaient encore tout ignorer de cet incident. Eh bien, voilà : hier, à dix heures du soir, une avalanche a obstrué le Goulot de Bouteille, et du même coup a coupé notre liaison téléphonique avec le reste du monde. »

Le silence se mit à régner autour de la table. Chacun mangeait en s’absorbant dans la contemplation de son assiette. Heenkus avait la lippe pendante et son aspect avait retrouvé celui d’un homme qui cherche sa respiration après un direct à l’estomac. Luarwick L. Luarwick mâchonnait mélancoliquement un citron ; il mordait au hasard de la chair et de la peau sans établir de différence entre les deux. Le long de son menton étroit coulait un jus jaunâtre, et ce jus gouttait ensuite sur sa veste. Je serrai les maxillaires, avalai mon café et déclarai :

« J’ai à ajouter les précisions suivantes. Deux bandes de malfrats ont choisi cet établissement pour y régler leurs comptes. En tant que personne non officielle, je ne peux prendre que des mesures à caractère limité. Par exemple, accumuler des matériaux qu’exploiteront plus tard les représentants officiels de la police de Mursbruck. Ces matériaux sont dans l’ensemble déjà collectés, mais je serais très reconnaissant à tout citoyen qui verserait spontanément au dossier de nouvelles informations. Je tiens aussi à rassurer toutes les personnes honnêtes de cette assemblée : elles peuvent se considérer en sécurité absolue et sont libres de se conduire comme bon leur semble. Quant aux autres individus, qui donc constituent les groupes criminels que j’ai mentionnés, je les invite à cesser toute activité délictueuse, afin de ne pas faire empirer leur situation personnelle. Celle-ci est déjà sans espoir. Je signale également que notre séparation d’avec le monde extérieur est très relative. Plusieurs membres de cette assemblée savent déjà que j’ai eu recours, il y a deux heures, à l’amabilité de M. Snevar, qui a bien voulu envoyer à Mursbruck un pigeon voyageur muni de mon rapport. J’attends d’un moment à l’autre l’arrivée d’un avion de la police et c’est pourquoi je me permets de rappeler aux personnes impliquées dans l’assassinat que des aveux et un repentir sincères, exprimés à temps, peuvent grandement améliorer leur sort futur. Messieurs, je vous remercie de votre attention.

— Comme c’est passionnant ! » s’exclama Mme Moses en manifestant une excitation radieuse. « Si je comprends bien, des bandits se cachent parmi nous ? Ah ! inspecteur, donnez-nous plus de détails ! Même si vous ne parlez qu’à demi-mot ! Nous saisirons les allusions ! »

Je louchai vers le patron de l’hôtel. Alek Snevar montrait à ses clients toute la largeur de ses omoplates, et il s’était lancé dans un essuyage en règle des verres à liqueur rangés sur le buffet.

La conversation ne reprenait pas. Les cuillères tintaient discrètement dans les verres. M. Moses reniflait avec bruit au-dessus de sa chope, et il vrillait les yeux successivement sur chacun des convives. Personne ne s’était démasqué, mais ceux pour qui il était temps de réfléchir à leur destin, tous ceux-là étaient en train de méditer dur. J’avais lâché un bon furet dans le poulailler et il ne me restait plus qu’à me tenir dans les parages pour attendre la suite des événements.

Du Barnstokr fut le premier à quitter la table.

« Mesdames et messieurs ! dit-il. J’appelle toutes les honnêtes gens ici présentes à chausser leurs skis et à entreprendre une petite promenade. Que le soleil, l’air frais, la neige et notre conscience sans tache nous soutiennent et nous apaisent. Brunn, mon enfant, venez. »

Les chaises raclèrent le plancher ; les convives se levèrent les uns après les autres et abandonnèrent la grande salle. Simonet avait proposé son bras à Mme Moses. Il faut croire que ses fortes impressions nocturnes s’étaient dissipées notablement sous l’action conjuguée du soleil matinal et d’une soif de satisfactions sensuelles qui demandait toujours à être étanchée. M. Moses venait de convaincre Luarwick L. Luarwick de sortir de table, ou plutôt il l’avait hissé de force en position verticale, et ledit Luarwick finissait de ruminer son citron d’un air nostalgique, tout en se traînant lentement à la suite de Moses, non sans s’emmêler les jambes et les chaussures.

En face de son petit déjeuner s’obstinait Heenkus, à présent seul à table. Il mangeait avec une application concentrée, comme si son objectif était de faire des réserves avant la famine. Aidée par Snevar, Kaïssa empilait la vaisselle sale.

« Eh bien, Heenkus ? dis-je. On discute ?

— De quoi ? » bougonna-t-il, maussade, en mordillant un œuf abondamment poivré.

« Mais de tout, Heenkus, dis-je. Comme vous le constatez, impossible maintenant de mettre les voiles. Et plus de raison d’aller s’aérer sur le toit. Je me trompe ?

— On n’a rien à se dire, grogna Heenkus sombrement. Je ne sais rien sur cette affaire. Rien du tout.

— Sur quelle affaire ? demandai-je.

— Le meurtre, évidemment ! Quelle autre affaire encore vous voudriez…

— Il y a encore l’affaire Heenkus, dis-je. Vous avez terminé ? Alors, venez avec moi. Par ici, si vous voulez bien, au billard. Le soleil entre par les fenêtres, et nous ne serons dérangés par personne. »

Il ne répondit rien. Finit d’avaler son œuf, déglutit, s’essuya avec sa serviette et se leva.

« Alek, dis-je au patron. Soyez assez gentil, pour descendre dans le hall et vous y installer comme hier soir, comprenez-vous ?

— Oui, acquiesça Snevar. Ce sera fait. »

Il se sécha les mains dans un torchon et sortit sur-le-champ. Je poussai la porte de la salle de billard et m’écartai afin que Heenkus rentre en premier. Il pénétra dans la pièce et s’immobilisa, les mains dans les poches, tout en mâchouillant une allumette. J’allai chercher une des chaises alignées le long du mur, la plaçai en plein soleil et dis : « Asseyez-vous. » Au bout d’une seconde de réflexion, Heenkus s’assit. Il s’assit et aussitôt plissa les paupières : le soleil lui tapait dans les yeux.

« Toujours ces mêmes vieux trucs de la police…, bougonna-t-il, sans pouvoir cacher son amertume.

— C’est mon métier », dis-je en m’appuyant en face de lui sur le rebord du billard. À l’ombre. « Eh bien, Heenkus, qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure avec du Barnstokr ?

— Pourquoi ce Barnstokr, maintenant ? Qu’est-ce que je lui ai fait, à celui-là ? Il ne s’est rien passé de spécial…

— Vous lui avez bien écrit une lettre de menaces, non ?

— Non, je ne lui ai rien envoyé. Mais ce que je vais écrire, je vous préviens, c’est une plainte. Pour mauvais traitement infligés à un malade…

— Écoutez, Heenkus. Dans une heure ou deux la police sera ici. Dans l’avion il y aura des experts. Votre petite lettre est dans ma poche. Ce sera un jeu d’enfant que d’établir que vous en êtes l’auteur. À quoi bon s’obstiner à nier les évidences ? »

D’un geste brusque, il fit rouler l’allumette qu’il mordillait vers l’autre côté de sa bouche. Dans la salle les assiettes manipulées par Kaïssa tintaient fort, et à ce bruit s’ajoutait le fredonnement de Kaïssa, une mélodie qu’elle interprétait d’une voix ténue et particulièrement fausse.

« Je ne sais rien à propos de cette lettre, dit enfin Heenkus.

— Assez de mensonges, la Fouine ! hurlai-je. Je sais tout à ton sujet ! Tu es fait, la Fouine ! Et si tu veux t’en sortir avec l’article soixante-douze, tu as intérêt à bien viser le paragraphe S ! Aveux sincères avant le début de l’enquête officielle !… Eh bien ? »

Il recracha l’allumette écrabouillée, fouilla dans ses poches et en retira un paquet de cigarettes dans un état comparable. Puis il approcha le paquet de sa bouche, sortit une cigarette en la prenant entre ses lèvres, resta pensif.

« Eh bien ? répétai-je.

— Vous devez confondre, dit Heenkus. Vous parlez de la Fouine. Je ne suis pas la Fouine, je suis Heenkus. »

Je quittai d’un bond l’appui du billard et lui fourrai le pistolet sous le nez.

« Et ça, tu reconnais ? Hein ? C’est à toi, ce joujou ? J’attends tes explications !

— J’ignore tout, dit-il avec une grimace morose. Qu’est-ce que vous me voulez ? Pourquoi que vous continuez à m’asticoter ? »

Je revins à la table de billard, posai le pistolet à côté de moi sur le drap vert et allumai une cigarette.

« Réfléchis bien, dis-je. Dépêche-toi de réfléchir pendant qu’il en est encore temps. Tu as refilé à du Barnstokr une lettre de menaces, et lui, il me l’a donnée. Tu ne t’y attendais pas, bien sûr. On t’a désarmé, et moi j’ai trouvé ton pistolet. Tu as envoyé un télégramme à tes copains, et eux n’ont pas pu venir, parce qu’ils ont été bloqués par l’avalanche. Et la police sera là dans deux heures au maximum. Tu saisis le tableau ? » La tête de Kaïssa apparut dans l’embrasure de la porte et piailla : « Faut apporter quelque chose ?

— Non, non, Kaïssa, dis-je. Allez-vous-en. »

Heenkus observa un moment de silence. Il fouillait consciencieusement dans sa poche droite, d’un air absorbé. Puis il en retira une petite boîte d’allumettes et alluma sa cigarette. Le soleil tapait. Sur son visage commençaient à se former des gouttes de sueur.

« Tu t’es fichu dedans d’un bout à l’autre, la Fouine, dis-je. Tu as passé ton temps à confondre les vessies et les lanternes. Qu’est-ce qui t’est passé par la tête de t’en prendre à du Barnstokr ? Flanquer comme ça une terrible frousse à un pauvre vieil homme… Pour rien… Tu crois que c’était lui qu’on t’avait ordonné d’avoir à l’œil ? Moses ! C’était Moses qu’il fallait avoir dans le collimateur ! Tu es un imbécile de première, Heenkus, le roi des andouilles ! Je ne t’engagerais même pas si j’avais besoin d’un concierge, tu penses comme je te confierais une mission importante… Et ne te fais pas d’illusions, ta troupe de sinistres confrères n’a pas fini de te le rappeler. Alors, maintenant, la Fouine…»

Mais il ne me laissa pas poursuivre ma leçon de morale. J’étais appuyé contre le billard, une jambe plantée au sol et l’autre croisée devant le genou, je tirais de bonnes bouffées et, comme un vrai crétin, j’observais avec une certaine fatuité les volutes de fumée qui se perdaient dans le rayon de soleil. Et Heenkus était assis à deux pas de moi. Il se pencha soudain en avant, m’attrapa par la jambe libre, l’amena à lui de toutes ses forces et la tordit d’un coup sec. J’avais sous-évalué ce Heenkus, disons-le franchement, je l’avais sous-évalué. Je quittai brusquement l’appui du billard, et de tout le poids de mes quatre-vingt-dix kilos je m’abattis sur le sol, comme une crêpe, avec pour amortir la chute uniquement mes rotules, mon ventre et ma gueule d’inspecteur de police.

Sur ce qui se produisit ensuite, je ne peux que me livrer à des conjectures. Au bout d’une minute j’étais revenu à moi, et c’est là que je procédai aux premières constatations : j’étais assis par terre, adossé à un pied du billard, j’avais le menton en compote, deux dents branlantes, du sang qui me dégoulinait dans les yeux depuis le sommet du front, et une épaule, la droite, qui m’élançait de manière à peu près insoutenable. Heenkus était étendu non loin de là, recroquevillé, les bras en collier autour de la tête, et au-dessus de lui, tel saint Georges venant de terrasser le dragon, se dressait l’héroïque Simonet ; celui-ci souriait de toutes ses dents et brandissait un fragment de la queue de billard la plus longue et la plus lourde. J’essuyai le sang qui me tachait le front et me relevai. Je titubais. J’avais envie de m’asseoir à l’ombre et de m’évanouir tranquillement. Simonet se baissa, ramassa le pistolet qui tramait sur le sol et me le tendit.

« Vous avez de la chance, inspecteur », dit-il. Il rayonnait. « Une seconde plus tard, et il vous aurait fendu le crâne. Où avez-vous reçu le coup ? Sur l’épaule ? »

Je le confirmai d’un geste du menton. Je n’avais pas retrouvé mon souffle et j’étais encore incapable de prononcer le moindre son.

« Attendez une seconde », dit Simonet. Il jeta sur la table de billard sa lance improvisée et partit en courant vers la grande salle.

Je contournai la table et m’accroupis dans l’ombre afin de pouvoir examiner Heenkus tout à mon aise. Heenkus était toujours allongé par terre, inanimé. Un démon, quand il s’y était mis, et pourtant, à première vue, on le prenait pour une larve qu’une chiquenaude aurait suffi à renverser… Eh oui, mesdames et messieurs, nous avions là un véritable gangster dans les meilleures traditions de Chicago. Comment de pareilles crapules pouvaient-elles se développer sur le sol d’une nation aussi amoureuse de l’ordre que la nôtre ? Et quand on pensait que Zgoot ne gagnait pas plus que moi ! Mais il fallait couvrir d’or des gens tels que Zgoot !… Je sortis mon mouchoir de ma poche et en tamponnai avec précaution l’écorchure qui me balafrait le front.

Heenkus poussa un gémissement, commença à s’agiter, se tourna sur le flanc et tenta de se relever. Il continuait à se protéger la tête au creux des bras. Simonet revint, il tenait une carafe d’eau. Je lui pris la carafe des mains, chancelai jusqu’à Heenkus et lui en renversai le contenu sur la figure. Heenkus rugit comme si l’eau avait été bouillante, et désolidarisa son bras gauche du sommet de sa noble personne. Sa physionomie évoluait à nouveau dans les tons verdâtres, ce qui maintenant s’expliquait mieux, dans la mesure où des conditions naturelles étaient réunies pour l’apparenter aux légumineuses. Simonet s’accroupit tout contre lui et s’adressa à moi avec une grimace préoccupée :

« J’espère que je n’y ai pas été trop fort ? Vous comprenez, je n’ai pas eu le temps de réfléchir, il fallait que je cogne tout de suite.

— Ne vous faites pas de souci, mon vieux. Il va s’en remettre…» Je levai le bras, avec l’intention de lui donner sur l’épaule une tape amicale, et la douleur m’arracha un cri. « Je vais m’occuper de ce petit monsieur, vous allez voir, il ne pensera plus à ses petits bobos…

— Je dois peut-être m’en aller ? suggéra Simonet.

— Pas du tout, mon vieux. Je préférerais que vous restiez, au contraire. Des fois que ce soit lui qui se mette dans l’idée de s’occuper de moi. Apportez-nous encore de l’eau… au cas où il y aurait de nouveaux évanouissements…

— Et du brandy ! proposa Simonet, très enthousiaste.

— Tout à fait d’accord, dis-je. Nous allons le guérir en deux temps, trois mouvements. Mais ne racontez à personne ce qui vient de se passer. »

Simonet partit et revint aussitôt avec une nouvelle carafe et une bouteille de cognac. Je desserrai les dents de Heenkus et fis couler sur sa langue la valeur d’un demi-verre d’alcool. Puis je me versai dans un verre une dose équivalente que je m’envoyai au fond du gosier sans autre forme de procès. Simonet dénicha un troisième verre et s’empressa de trinquer en notre compagnie. Nous transportâmes ensuite Heenkus jusqu’à un mur. Il était à présent calé, assis, le dos appuyé contre le papier peint. Je lui administrai une seconde douche glacée, puis le giflai à deux reprises. Il ouvrit les yeux et se mit à haleter. On avait l’impression qu’il y avait un phoque dans la pièce.

« Une goutte de cognac ? proposai-je.

— Oui…», accepta-t-il, et il poussa un long soupir rauque.

Je lui offris un deuxième verre de cognac. Il le but, se promena la langue sur les lèvres, puis articula d’un ton décidé :

« Qu’est-ce que vous avez dit tout à l’heure à propos d’un certain article soixante-douze S ?

— On en parlera plus tard », dis-je.

Il secoua la tête et fronça les sourcils.

« Non, pas d’accord. Parce que, de toute façon, je suis bon pour la perpétuité.

Wanted and listed

7

? dis-je.

— Je vous le fais pas dire. Et j’ai plus rien à sauver, maintenant. Sinon ma peau. Je voudrais éviter la cravate de chanvre. Remarquez que j’ai toutes mes chances : j’ai pas touché un cheveu à Olaf, cela vous le savez. Alors, qu’est-ce qu’on retiendra contre moi ? Port d’arme prohibée ? Ça me ferait mal ! Faudrait encore prouver que le pétard m’appartenait et que je le trimbalais sur moi…

— Et les voies de fait sur un inspecteur de police ?

— Justement, voilà où je voulais en venir ! » s’exclama Heenkus, tout en se palpant le crâne d’une main prudente. « À mon avis, personne a vu d’agression. Voies de fait ? Connais pas. Ce qu’il y a eu ici, c’est rien d’autre qu’une séance d’aveux complets, détaillés et sincères, avant le début de l’enquête officielle. Qu’est-ce que vous en pensez, chef ?

— Je n’ai pas encore entendu d’aveux, rappelai-je.

— Ça va venir, dit Heenkus. Bon, alors, vous me donnez votre parole, chef ? Devant le physicien-chimiste ? Vous me promettez qu’on m’appliquera le soixante-douze S ?

— Affaire conclue, dis-je. Pour commencer, on considérera qu’il ne s’est produit ici qu’une bagarre d’ivrognes, ayant pour motif des questions d’ordre privé. Enfin, mettons-nous bien d’accord sur la version officielle : l’ivrogne, c’était toi, évidemment ; moi, j’ai essayé de te ramener à la raison. »

Un hennissement de Simonet résonna à proximité.

« Et moi ? s’enquit-il.

— Eh bien… vous m’avez aidé à le maîtriser. Allez, allez ! Assez papoté. C’est l’heure de passer à table, la Fouine. Mais je te préviens : au moindre mensonge, tu écopes. N’oublie pas, espèce de salaud, que tu m’as presque cassé deux incisives !…

— Bon, dit Heenkus. Je commence par le commencement. C’est le Champion qui m’a envoyé ici. Le Champion, ça vous dit quelque chose ? Ça m’étonnerait que non… Bon, donc, il y a deux mois, le Champion a recruté un type. Où il l’a dégoté, comment il l’a pris à l’hameçon pour qu’il travaille avec la bande, aucune idée. Pareil pour son vrai nom, au type : aucune idée. Dans la bande on l’a surnommé Belzébuth. Ça lui allait comme un gant. Impossible d’imaginer un mec plus sinistre… On a fait deux casses avec ce monsieur, pas plus, mais des casses comme ça, un être normal peut pas s’y frotter. Je vous dis pas le travail : net et sans bavures… du joli boulot… d’ailleurs, vous en avez entendu parler. Le premier, c’est la succursale n° 2 de la Banque nationale. Vu ? Le deuxième, c’est le fourgon blindé aux lingots d’or. Vu ? Alors, chef, vous voyez bien que vous connaissiez déjà ? Vous avez pas chopé les coupables, et ceux que vous avez fourrés en tôle y sont pour rien, pas la peine de dire le contraire. Pour rien de rien. Voilà. Il a travaillé avec nous sur les deux trucs et tout d’un coup le voilà qui décide de décrocher. Pourquoi, ça, c’est une question à part. Mais bref, le Belzébuth se tire, et tout le monde est envoyé dans tous les sens pour le retrouver. Objectif : repérer Belzébuth, le tenir en joue et faire signe au Champion… On avait même reçu la consigne, au cas que les choses tourneraient mal, de l’abattre sur place. Ça s’est goupillé que ça a été moi le premier à l’avoir repéré. Voilà, j’ai terminé mes aveux complets et sincères.

— Hum, dis-je. Et finalement, dans cet hôtel, qui est ton Belzébuth ?

— Ah… Vous avez bien résumé les choses tout à l’heure, chef. Je m’étais fichu dedans à cent pour cent. C’est vous qui m’avez mis la puce à l’oreille. Parce que moi, j’avais passé mon temps à avoir l’illusionniste dans le collimateur. Ce du Barnstokr. Au début, j’ai vu tous ces trucs de magie, ces tours de passe-passe à n’en plus finir. Ça m’a aiguillé sur la mauvaise piste : si Belzébuth voulait se déguiser, qu’est-ce qu’il choisirait ? Pour moins attirer l’attention… Ben évidemment, que j’ai pensé : prestidigitateur ! Le rôle idéal !

— C’est plutôt embrouillé, ton explication, estimai-je. Admettons, pour les tours de passe-passe. Mais comment as-tu pu confondre du Barnstokr et Moses ! C’est le jour et la nuit, non ? L’un est maigre, très grand, l’autre est un petit gros…»

Heenkus agita la main en signe de dénégation.

« Je l’ai connu sous plusieurs aspects, je l’ai vu grassouillet, je l’ai vu comme un clou. Personne peut savoir quelle est son apparence naturelle… Faudrait que vous vous mettiez ça dans le ciboulot, chef. Belzébuth, c’est pas un être humain comme vous et moi. C’est un sorcier, une espèce de loup-garou ! Il a des pouvoirs… il est lié aux forces du mal…

— Du calme, du calme, dis-je. Ne t’emballe pas, la Fouine. »

Heenkus accepta la remarque. « Vous avez raison, fit-il. Bien sûr, personne peut croire l’incroyable sans l’avoir vu en face, de ses propres yeux. Tiens, je vais prendre pour exemple cette bonne femme, cette espèce de bonne femme avec laquelle il voyage. Qui c’est, celle-là, hein, chef ? À votre avis ? Moi, je l’ai vue retourner comme une crêpe un coffre qui pesait dans les deux tonnes, et l’emporter en marchant en équilibre sur une gouttière. De ces yeux qui vous parlent, je l’ai vue, chef. Elle se l’était coincé sous le bras. Et à cette époque c’était un petit bout de femme de rien du tout, une gamine fluette, on l’aurait prise pour une gosse, le genre de la mioche que promène le Barnstokr… mais avec des bras… des bras énormes ! Deux mètres de long… Qu’est-ce que je raconte… Trois, ouais, trois bons mètres de long…

— La Fouine, intervins-je d’une voix sévère. Arrête de me mener en bateau. »

Heenkus agita la main à nouveau et se mit à geindre, puis s’interrompit presque aussitôt et s’anima.

« C’est pourtant pas des mensonges, dit-il. Je vous mène en bateau, que vous dites ? Seulement, mille excuses, faut que vous admettiez que je vous ai fait culbuter sur le plancher, à main nue, et pourtant vous êtes un homme de taille respectable, et vous avez du métier, non ?… Bon, alors, comment vous imaginez que quelqu’un ait pu me maîtriser comme si j’avais été un gamin de deux ans, et me ficeler, et me jeter sous la table, hein ?

— Qui était-ce ? demandai-je.

— C’était elle ! Maintenant, je commence à voir clair. Il a dû me reconnaître, il m’avait pas oublié. Et quand il a pigé que je montais la garde sur le toit et que j’allais pas le laisser s’enfuir vivant, il a envoyé contre moi son espèce de bonne femme. Et il lui a ordonné de prendre ma propre apparence…» Dans les yeux de Heenkus reparut une ombre brusque, qui correspondait à la terreur de la veille au soir. « Sainte Mère de Dieu ! Je suis assis là-haut, et devant moi voilà cette chose qui s’approche et s’immobilise… c’est-à-dire, ma propre forme, moi-même… nu, comme un cadavre, les yeux crevés… Je me demande comment je suis pas mort de peur, comment en tout cas j’ai pu échapper à la folie. Quand je bois, je tiens l’alcool, je suis jamais ivre, c’est comme si on versait de l’eau dans un pot de fleurs… Il a dû remarquer ça, il a dû piger que j’avais quelque chose qui tournait pas rond dans la cafetière. C’est un truc héréditaire, je tiens ça de mon père. Mon petit papa, ouais, il avait des sortes de visions, à tout bout de champ… quand ça le prenait, il se précipitait sur son fusil, fallait le voir tirer dans tous les sens… À mon avis le Belzébuth a dû décider comme ça : soit il allait me rendre dingue, soit il allait me flanquer une telle frousse que je prendrais mes jambes à mon cou sans demander mon reste. Et quand il s’est rendu compte que ça donnait rien, que ça marchait pas, eh bien, en désespoir de cause… il a utilisé la violence…

— Et pourquoi ne t’a-t-il pas zigouillé, tout simplement ? » demandai-je.

Heenkus hocha la tête.

« Non, il en est incapable. C’est vrai, oui, pourquoi est-ce qu’il m’aurait juste ligoté ? Quand on a attaqué le fourgon blindé, comme vous savez, on a dû négocier les gardes. On a eu des gars qui se sont un peu échauffés, c’est des choses qu’arrivent… et dans le feu de l’action, je crois bien que Belzébuth a été éclaboussé de sang… Eh bien, toute sa force magique peut s’évanouir si jamais il touche à la vie humaine. C’est le Champion qui nous a expliqué ça. Autrement, vous croyez qu’il y aurait des cinglés assez cinglés pour se mettre à ses trousses ? Dieu du ciel !

— Admettons », fis-je, d’un ton qui était pour le moins mal assuré.

À nouveau, j’étais en train de ne plus rien comprendre. Heenkus était un malade mental, il l’avait lui-même reconnu. Mais sa folie fonctionnait de manière logique. Dans le cadre de son délire, tous les éléments étaient solides, inattaquables, bien en place, et même les balles en argent avaient leur raison d’être au milieu du paysage. Et (ce qui n’arrangeait rien) ce paysage, malgré son évidente bizarrerie, coïncidait sans problème avec la réalité. Si l’on prenait le coffre de la succursale de la Banque nationale, par exemple : eh bien, il avait effectivement disparu de la façon la plus mystérieuse, il s’était « dissous dans l’atmosphère », pour reprendre les termes utilisés par les experts qui avouaient leur impuissance ; et les seules traces que l’on avait relevées menaient bel et bien sur la corniche du toit. Quant au fourgon, blindé, les témoins du hold-up, comme s’ils s’étaient donné le mot, persistaient à déclarer sous serment qu’au début de l’action un homme avait pris le fourgon par-dessous, puis l’avait renversé sur le côté… Bon sang de bon sang de bon sang de bonsoir, c’était à devenir fou !

« Et les balles en argent, alors ? dis-je, à tout hasard. Pourquoi ce pistolet chargé avec des balles en argent ?

— Parce que…», dit Heenkus, sur un ton qui rendait son explication condescendante. « On ne peut pas abattre un loup-garou avec des balles en plomb, ordinaires. Le Champion avait fondu des balles en argent dès le premier jour, au cas où. Il les avait fondues, et il les avait montrées à Belzébuth : tiens, qu’il lui a dit, t’as vu ? Ça c’est ta mort, compris ? qu’il lui a dit.

— Mais pourquoi sont-ils restés à l’hôtel ? demandai-je. Ils t’ont ligoté, mais eux, pourquoi n’ont-ils pas filé ?

— Ça, j’ignore, reconnut Heenkus. J’ai du mal à saisir le truc. Ce matin, quand j’ai aperçu le Barnstokr, j’avoue que j’en suis resté comme deux ronds de flan. J’étais persuadé qu’ils s’étaient débinés depuis belle lurette… Pff ! Je parle pas du magicien, évidemment… Mais à ce moment-là, je pensais que ce Barnstokr… Enfin, toujours est-il que Belzébuth continue à traîner ses guêtres par ici, et pourquoi il a pas fichu le camp, j’en ai pas la moindre idée. Peut-être qu’il peut pas franchir l’éboulement, lui non plus ?… Il est sorcier, mais il est pas Dieu le père en personne… Par exemple, il arrive pas à voler, ça, on le sait. Pareil pour les murs : il les traverse pas. Pourtant, quand on y pense, sa bonne femme — enfin, cette chose qui est avec lui — pourrait vous creuser un passage dans n’importe quelle avalanche, en deux temps, trois mouvements. Suffirait qu’il lui colle des pelles de bulldozer à la place des bras…»

Je pivotai vers Simonet.

« Eh bien, dis-je. La science a-t-elle un verdict à prononcer ? »

Le visage de Simonet m’étonna. Le physicien semblait avoir perdu toute trace d’humour.

« Dans les considérations de M. Heenkus, dit-il, je relève au moins un détail qui me paraît extrêmement intéressant. Son Belzébuth n’est pas tout-puissant. Vous saisissez la nuance, inspecteur ? C’est une donnée qui me semble essentielle. Et très étrange. Cela contredit ce que j’aurais eu tendance à croire : que dans des fantasmes nés de cervelles ignorantes, chez des gens aussi peu éclairés que ces bandits, il n’y aurait place pour aucune loi, aucune limite. Or il se trouve que c’est tout le contraire… Et Olaf, à propos, comment a-t-il été tué ?

— Ça j’ignore aussi », répondit aussitôt Heenkus d’une voix ferme. « Sur Olaf, je peux pas vous donner de tuyau, chef. Je vous le jure, chef. Je vous parle comme à confesse. » Il se mit la main sur le cœur. « Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’Olaf fait pas partie des nôtres, et si Belzébuth l’a effectivement bousillé, c’est incompréhensible… Je vois pas la raison… Ou alors, faudrait en conclure qu’Olaf était pas humain. Que c’était une saloperie de la race de Belzébuth, lui aussi. Puisque le Belzébuth peut pas se permettre de tuer des êtres humains. Qu’est-ce qu’il a voulu faire ? Ou alors, ça serait qu’ils se battent entre eux ?

— Très, très intéressant…, intervint Simonet. Mais dites-moi, inspecteur, finalement, comment Olaf a-t-il été assassiné ? »

Je lui exposai les faits en trois mots : la porte fermée à clé de l’intérieur, le cou tordu à cent quatre-vingts degrés, les taches sur la figure, l’odeur de produit pharmaceutique. Pendant tout le temps que dura mon récit, je ne détachai pas les yeux de Heenkus. Heenkus subissait l’énoncé de ces détails et se ratatinait devant moi, tandis que son regard cherchait à fuir de côté et d’autre ; à la fin, il demanda une nouvelle gorgée de cognac, d’une voix suppliante. Il était manifeste qu’il découvrait cette histoire pour la première fois et qu’il en frissonnait d’épouvante. Simonet, lui, s’était complètement assombri. Son regard paraissait absent et ses dents chevalines prenaient l’air, jaunes et larges comme des lames de pioche. Lorsque je me tus, je l’entendis soudain jurer à voix basse. Il ne fit plus d’autre commentaire.

Je me versai un peu de cognac et en offris à Heenkus ; nous ne nous sentions pas au meilleur de notre forme, tous les deux. J’ignore quel était mon aspect, mais en ce qui concerne Heenkus, il était tout à fait vert, et de temps en temps promenait sur son crâne des doigts méfiants, comme s’il mettait en doute l’existence d’os protégeant encore sa cervelle. Je reposai mon verre, abandonnai le grand physicien à ses réflexions et me remis à travailler Heenkus.

« Au fait, la Fouine, comment as-tu réussi à le pister ? Parce que, si je comprends bien, tu ne pouvais pas savoir à l’avance sous quelle forme il se cacherait, hein ?…»

Malgré son teint verdâtre, Heenkus sourit, et son expression s’imprégna d’autosatisfaction.

« Nous aussi, nous avons de la technique, dit-il. Aussi bonne que la vôtre, chef. Premier point, Belzébuth a beau être un sorcier, il se conduit comme un pur et simple idiot. Il trimbale partout derrière lui une malle cerclée de fer. Une malle pareille, il y en a pas deux au monde. C’était pas très difficile d’interroger les gens autour de moi et d’apprendre dans quelle direction la malle avait disparu. Deuxième point, ce mec sait pas compter son fric… Quand il doit payer, il pêche une poignée de billets dans sa poche, et il attend pas la monnaie, il donne tout. Des gens comme ça, je vous ferai pas un dessin que ça court pas les rues. Il suffit qu’il passe quelque part pour que toute une ville se mette à parler que de lui pendant des jours. Alors, j’ai pas fait de miracle. Bref, j’ai retrouvé sa trace, je connais mon métier… Et que je me sois gourré en prenant pour cible le Barnstokr, je vais pas dire le contraire. C’est de sa faute, aussi, à ce maudit vioque. Il a vraiment tout fait pour que je m’aveugle sur lui. Avec ses sucres d’orge à la manque… Et ensuite je traverse le hall, et je le vois, tout seul, il devait penser que personne le regardait, et il manipulait une petite statuette de bois, enfin, quelque chose dans le genre. Seigneur, qu’est-ce qu’il pouvait pas faire avec cette statuette ! Bon, voilà pourquoi je me suis gourré. J’ai mes excuses…

— Autre élément de confusion, dis-je pensivement, le fait qu’il soit toujours en compagnie de cette femme.

— Non, dit Heenkus. La femme, pas toujours, chef. Non, elle l’accompagne pas toujours. C’est seulement quand il en a besoin. Il l’extrait de je ne sais quel placard… Faut dire qu’elle est pas plus femme que lui est homme. Elle aussi, c’est une espèce de loup-garou. Personne sait où elle se planque quand elle est pas là…»

À ce moment de la conversation, j’eus soudain une vision objective de la situation : moi, policier expérimenté et sérieux, j’étais dans une salle de billard, les fesses sur ma chaise, et sans la moindre envie de m’esclaffer ou de hausser les épaules j’étais en train de discuter avec un bandit fou à lier, et d’analyser une suite incroyable d’histoires délirantes où entraient en scène loups-garous, enchanteurs et sorciers. Accablé de honte, je me tournai vers Simonet et m’aperçus que le savant avait disparu. Le patron avait pris sa place. Il s’appuyait au chambranle de la porte, sa winchester calée aux creux du bras. Et me revinrent en tête toutes ses allusions, toutes ses petites conférences au sujet des zombis, et son index pointé en l’air, massif, cet index qui traçait dans l’espace des courbes lourdes de signification et d’intelligence. La bouffée de honte qui m’avait assailli s’épaissit, et je m’affairai à allumer une cigarette. Puis je laissai tomber, avec une sévérité délibérée :

« Bien. Changeons de sujet. Le manchot, tu l’avais déjà rencontré auparavant ?

— Quel manchot ?

— Tu étais à côté de lui ce matin pendant le petit déjeuner.

— Ah ! le type qui se jetait sur les citrons ? Non, jamais vu. Pourquoi ?

— Pour rien, dis-je. Quand le Champion doit-il se pointer par ici ?

— Je l’attendais pour hier soir. Mais il est pas venu. Je sais pourquoi, maintenant : c’est à cause de l’avalanche.

— Et qu’est-ce que tu avais dans l’idée, imbécile, quand tu m’as agressé ?

— Et comment que vous auriez fait à ma place pour vous en tirer ? dit Heenkus, désolé. Jugez vous-même, chef. J’avais pas tellement intérêt à attendre sans bouger que les poulets rappliquent. Je suis connu dans la maison, c’est la prison à vie si on m’arrête. J’avais décidé de récupérer le pistolet, de descendre tous ceux qui s’opposeraient à ma fuite et de partir le plus vite possible en direction de l’éboulis… je me serais débrouillé, je m’en serais dépatouillé, ou alors sur ma route j’aurais trouvé le Champion pour me donner un coup de main. Parce que le Champion, faudrait pas croire qu’il roupille en ce moment. D’accord que les policiers ont des avions, mais ils sont pas les seuls…

— Combien d’hommes risquent d’arriver avec le Champion ?

— Je sais pas. Au moins trois. Évidemment, comme durs de durs, ça sera soigné.

— Bon. Debout », ordonnai-je. J’avais moi-même du mal à me remettre en position verticale. « On va aller t’enfermer. Là où tu mérites de l’être. »

Heenkus se leva à son tour ; il gémissait, il soupirait et il geignait. Le patron de l’hôtel m’aida à le conduire au rez-de-chaussée ; nous empruntâmes l’escalier de service, afin de ne rencontrer personne. Néanmoins, à la cuisine, nous tombâmes sur Kaïssa. À peine m’eut-elle aperçu qu’elle poussa un cri strident et partit se cacher derrière le poêle.

« Ne bêle pas comme ça, imbécile », la tança vertement Snevar. « Prépare de l’eau chaude, des bandes, de la teinture d’iode… Par ici, Peter. On va l’emmener dans le débarras. »

J’inspectai le débarras, qui me parut convenir à merveille. La porte se fermait de l’extérieur, au cadenas, et elle était solide, résistante. C’était la seule issue ; il n’y avait même pas de fenêtre dans la pièce.

« Tu vas rester là, dis-je à Heenkus en guise d’adieu. Et tu vas y rester jusqu’à l’arrivée de la police. Et ne te mets pas en tête d’organiser quoi que ce soit, ou même de bouger. Je te préviens : je t’abats sans autre forme de procès.

— C’est ça, voilà ! se plaignit Heenkus d’une voix lugubre. On flanque la Fouine au cachot, mais l’autre peut se promener en liberté, rien ne le touche, celui-là… C’est pas correct, chef, des choses pareilles. C’est pas juste… En plus que je suis blessé… Avec la caboche qui me fait des élancements…»

Je le laissai protester entre ses quatre murs, refermai la porte et mis dans ma poche la clé du cadenas. Je commençais à avoir sur moi une collection de clés impressionnante. Encore deux ou trois heures à ce rythme, et j’aurais hérité de la totalité des clés de l’hôtel. Pour cliqueter sur moi au long des corridors et des escaliers.

Nous allâmes ensuite dans le bureau, Kaïssa entra avec l’eau et les pansements, et le patron s’occupa de ma blessure.

« De quel armement dispose-t-on dans l’hôtel ? lui demandai-je.

— Une winchester, deux carabines à plombs. Un pistolet. Donc, on a des armes. Mais qui va s’en servir ?

— Mmm… oui, dis-je. Problème. »

Chevrotines contre mitrailleuses. Du Barnstokr pour affronter des tueurs à gages triés sur le volet. Et d’ailleurs, pourquoi prévoir un échange nourri de coups de feu ? Compte tenu de la réputation de ce Champion, on pouvait prévoir qu’il entamerait plutôt les hostilités en nous balançant un quelconque engin incendiaire, afin de nous obliger à sortir à découvert, ce qui lui faciliterait la tâche pour nous tirer comme des perdrix depuis son avion…

« Pendant que vous étiez au premier étage », m’informa Snevar, qui tamponnait avec une dextérité d’infirmier les abords de ma blessure au front, « Moses est venu me trouver. Il a posé sur le bureau un sac rempli de billets — un sac, Peter, un gros sac, je n’exagère pas — et il a exigé de moi que j’enferme cette énorme somme dans mon armoire blindée, en sa présence et séance tenante. Voyez-vous, il estime que dans les circonstances actuelles, son bien est menacé.

— Et alors ? demandai-je. Vous…

— J’ai commis une légère bévue, avoua Snevar. Je n’ai pas réfléchi et je lui ai dit que les clés du coffre étaient en votre possession.

— Merci bien, Alek, dis-je amèrement. Comme cela, la chasse à l’inspecteur de police est ouverte…»

Nous conservâmes le silence pendant les minutes qui suivirent. Le patron m’enveloppait la tête de bandages, j’avais mal, la douleur me provoquait des nausées. Selon toute vraisemblance, cet enfant de salaud avait réussi à me casser une clavicule. Le poste de radio chuintait et crachait en transmettant les nouvelles de la région. Pas un mot sur l’avalanche au Goulot de Bouteille. Le patron s’écarta d’un pas et observa son œuvre d’un œil critique.

« Eh bien, finalement, ça ne manque pas d’élégance, dit-il.

— Merci », dis-je.

Il récupéra la cuvette et se renseigna, prêt à rendre à nouveau service : « Je vous envoie quelqu’un ?

— Non, non ! m’exclamai-je. Je veux dormir. Empoignez votre winchester, installez-vous dans le hall et transformez en passoire tous ceux qui s’approcheront de cette foutue porte. J’ai besoin d’au moins une heure de sommeil, sans quoi je vais m’écrouler par terre. Maudits vampires ! Loups-garous puants !

— C’est que… je n’ai pas de balles en argent ! fit Snevar, avec une douceur presque timide.

— Bon Dieu, Snevar ! Tirez avec des plombs, comme tout le monde ! Et cessez de propager vos superstitions dans cette maison ! Toute cette racaille essaie de me mener par le bout du nez, et on dirait que vous prenez un malin plaisir à lui donner des conseils… Y a-t-il des volets à cette fenêtre ? »

Le patron posa la cuvette, s’approcha de la fenêtre sans mot dire et abaissa le store métallique.

« Parfait, dis-je. Très, très bien… Non, pas la peine d’allumer la lampe… Et ceci encore, Alek… Placez quelqu’un… Simonet, par exemple, ou cette gamine… Brunn… avec pour mission de repérer si quelque chose vient du ciel. Expliquez-leur qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. Dès qu’ils verront apparaître un avion, qu’ils donnent l’alarme…»

Le patron fit « oui » de la tête, reprit la cuvette et se dirigea vers le couloir. Une fois parvenu sur le seuil, il s’arrêta.

« Est-ce que vous m’autorisez à vous donner un conseil, Peter ? dit-il. Le dernier.

— Oui ?

— Rendez-leur cette valise et laissez-les retourner chez eux, dans cet enfer dont ils sont issus. Est-ce que vraiment vous n’avez pas perçu que la seule chose qui les retienne ici est justement la mallette que vous gardez sous clé ?…

— Et comment, que je le perçois ! dis-je. Je ne perçois même que cela ! Et c’est la raison pour laquelle je vais m’installer pour dormir sur des chaises horriblement inconfortables, avec pour oreiller votre coffre-fort de malheur. Et c’est pour cette même raison que je ferai un carton avec des balles en argent sur le premier fumier qui essaiera de récupérer cette sale valise sans ma permission. Si vous rencontrez Moses, transmettez-lui cela de ma part. Et vous pouvez reprendre mes expressions sans les adoucir. Et dites-lui aussi qu’en tir de compétition j’ai obtenu par mal de médailles. Et que mon arme de prédilection était justement un pistolet Lüger calibre 0.45. C’est tout. Maintenant, partez et laissez-moi tranquille. »

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