Je vois le croc

Nous arrivâmes enfin au château.

Un château ramassé, noir et cruel.

D’antiques canons traînaient encore sur les remparts. Des plantes grimpantes et des nids obstruaient les créneaux, les meurtrières et les mâchicoulis.

Au nord, le parapet s’élevait de plain-pied sur l’escarpement d’un monstrueux précipice surplombant de deux cents mètres la mer tiède.

Cet édifice soulevait la même question que tous les entassements de pierre analogues : comment des hommes chétifs et souffreteux avaient-ils pu déplacer des pierres aussi grosses ? Et comme tous les entassements de pierre, celui-ci répondait de lui-même à la question. Seule une terreur aveugle avait pu déplacer d’aussi grosses pierres.

Le château avait été construit pour répondre au vœu de Tum-bumwa, le fou, l’esclave évadé qui avait été empereur de San Lorenzo. On disait que Tum-bumwa en avait trouvé le modèle dans un livre d’images pour enfants.

Un livre d’images sanguinaires, sans aucun doute.

Juste avant la porte, les ornières de la route nous firent passer sous un arc rustique fait de deux poteaux téléphoniques enjambés par une poutre.

Un énorme croc en fer pendait de la poutre, sa pointe empalant une pancarte.

« Ce croc, lisait-on sur celle-ci, est réservé à Bokonon lui-même. »

Je me retournai pour regarder de nouveau le croc, et la vue de cette chose de fer acéré me fit comprendre que j’allais vraiment régner. J’allais faire abattre ce gibet !

Et je me promis d’être un souverain ferme, juste et bon, et que mon peuple prospérerait.

Fée Morgane !

Mirage !

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