III LA VÉRITÉ VRAIE

« En famille, il n’y a de sacré que le mensonge. »

Alceste

9

J’ai fini ! Ah, le soulagement du point final ! C’est la cloche qu’on retire, le ciel qu’on retrouve ! La lumière ! L’air ! J’ai même trouvé le titre : Leur très grande faute. Ça s’appellera Leur très grande faute. Rendre mon manuscrit à Malaussène et quitter cette forêt. M’arracher à ce silence. Combien de temps aurai-je perdu à trouver ce fichu début ! Par quoi commencer ? Tout est là. Par quel bout attraper le réel ? Vieux débat. Les possibilités de début sont innombrables ! Incalculables, à vrai dire. C’est ce qui distingue la réalité de la fiction. Décider de raconter une histoire, c’est se soumettre à un début. Dire le réel c’est envisager tous les commencements possibles.

Finalement j’ai ouvert sur la tentative d’assassinat à l’enterrement de Tobias. Non sans scrupule. J’ai longtemps trouvé ça trop racoleur. Elle a pourtant eu lieu, cette scène de meurtre ! Après la sortie d’Ils m’ont menti, mes chers frères et sœurs ont bel et bien essayé de me tuer ! Et il faudrait le taire ? Au nom de quoi ? De la famille ? Protection de la fratrie ? Solidarité clanique ? Crainte d’un procès ? Je n’en reviens pas d’avoir tant hésité. Malaussène avait raison sur ce point,Ils m’ont menti les a rendus fous. La simple exposition d’une vérité familiale somme toute assez banale a fait de mes frères et sœurs des assassins en puissance. Mais de là à m’enterrer vivant ! Parce que Mathieu m’a jeté dans la fosse, tout de même ! Pendant que Pascal, Baptiste et les cousins neutralisaient les croque-morts ! Il fallait que je commence par ça. Mathieu m’empoignant par les revers de mon imperméable, son coup de tête, la certitude que mes frères et mes sœurs allaient me tuer. Ou plutôt m’exécuter. S’il vient on l’exécute. Son bouquin a tué papa Tobias, on tue l’auteur. (Après le mensonge, l’assassinat !) On le jette dans la tombe et on rebouche. Pendant que Mathieu me force à reculer vers la fosse où l’on a descendu le cercueil de Tobias, non seulement les autres n’interviennent pas mais ils encerclent les employés des pompes funèbres qui n’ont pas senti la chose venir. À moins qu’ils ne soient restés extérieurs à ce qu’ils ont d’abord pris pour une banale querelle de famille. Ils en ont vu d’autres, les croque-morts. La mort n’arrange rien. La mort n’adoucit pas les mœurs. La mort ne rapproche pas les vivants. La mort exaspère le ressentiment. Rien de moins compassionnel que le deuil. Le deuil arme le monde. Ils savent ça, les croque-morts. Quand Mathieu m’empoigne en grondant — C’est toi qui as tué Tobias et tu viens à son enterrement ? — , les croque-morts pensent à une dispute. Laissons faire, ça va se tasser. Peut-être le maître de cérémonie s’apprête-t-il à dire : Messieurs, je vous en prie, un peu de dignité, par égard pour le défunt. Les pompes funèbres s’expriment comme ça, cérémonieusement, avec pompe justement. Ils comptent beaucoup sur le cérémonial pour contenir les accès de haine familiale. Mais le maître de cérémonie n’a pas le temps de dire un mot parce que le reste de la famille les encercle, lui et les quatre porteurs. La stupeur lui cloue le bec. Personne ne touche jamais un croque-mort. Un croque-mort, c’est l’auxiliaire des fantômes, ça ne se touche pas. Eh bien, cette fois on les prend par le bras, on les écarte de la fosse tout en les empêchant de partir donner l’alerte. Les gars de la famille Fontana*, mes frères, mes cousins… Rugby, tous. (Sauf Baptiste, bien sûr. Foot, Baptiste ! Exclusivement ! Petit génie du ballon rond. S’extasier sur commande.) Cinq croque-morts, si costauds soient-ils, ne font pas le poids devant le pack Fontana. Mathieu continue de me pousser vers la tombe. Puisque tu es venu, va jusqu’au bout ! Parce que c’est tout de même ça, la vérité : Mathieu va me jeter dans la tombe de Tobias ! Mon frère aîné m’a jeté dans la tombe de notre père ! Bon, je ne peux pas dire qu’il me jette à proprement parler. Il ne me soulève pas du sol, il m’oblige à reculer : petits coups secs dans les tibias — la pointe métallique de ses santiags, cette sensation d’os émiettés —, doublés de coups de tête très rapides, la mienne rebondissant contre son front comme si nous étions reliés par un court élastique. En fait il me roue de coups et ça se voit à peine. Mon nez a éclaté, mes arcades sont fendues. Sur son front, c’est mon sang. Tu as tué notre père avec ton bouquin et tu viens l’enterrer ? C’est ça ? Et tu penses qu’on va laisser faire ? On t’avait dit de ne pas venir ! C’est vrai, l’avertissement était clair. D’ailleurs, ils ont fait en sorte que je ne vienne pas. Ils ont changé de cimetière en douce. Je suis d’abord allé à celui de Cagnes, comme prévu, mais ils étaient à Villeneuve. Une idée de Faustine et Mathieu, semble-t-il. Enterrer papa chez les morts de maman, c’est un comble, ça aussi ! Ceux-là ont passé leur vie à se détruire et on leur offre l’éternité en rab ! Au fond, ils ne se seront jamais entendus que sur un point, le mensonge. La nécessité du mensonge. Le mensonge comme ciment de la cohésion familiale. En famille, il n’y a de sacré que le mensonge, ce rempart contre la honte. La mafia n’a pas d’autre doxa. La famille est bel et bien au cœur de la Famiglia. (Éviter le mot « doxa », combattre ma tendance à l’universitarisme satisfait. Ne plus jamais céder au prurit de l’entre-soi. La vérité est un bien public, elle exige des mots compréhensibles par tous.) Donc, Mathieu me roue de coups. Sa violence ne me surprend pas, Mathieu reste Mathieu, à nous taper dessus depuis toujours. Il est le protecteur autoproclamé de la famille, le bras armé du mensonge. Il pourrait donner sa vie pour le mensonge. À plus forte raison la mienne. Me pousser en arrière, m’acculer au bord de la fosse, rendre le futur impossible et me demander : Et maintenant, hein ? Maintenant ? Qu’est-ce que tu dis, maintenant, l’écrivain ? Je dis que tu es le plus fort, Mathieu. Tu l’as toujours été. Grâce à toi le passé ne change pas. Tu l’as dit, bouffi, et je ne veux pas que ça change. Sur quoi, il me pousse une dernière fois, mais en lâchant les revers de mon imperméable. Je trébuche contre le remblai et bascule dans la fosse. De ce point de vue, on ne peut pas dire qu’il m’ait jeté dans la tombe. C’est moi qui y suis tombé. L’avocat plaidera au malheureux accident. La famille et les croque-morts témoigneront dans le même sens, la famille par conviction, les croque-morts par peur. Et les pelletées de terre qui me tombent dessus ? Mathieu, Pascal, Adrien et Baptiste rebouchant la tombe : accidentel, ça aussi ? Non, une plaisanterie. Ce sera la thèse de la défense. Une leçon symbolique. Ils ne seraient pas allés jusqu’au bout. Ils ne m’auraient pas recouvert complètement. Et ça on ne le saura jamais puisque les Chinois de Malaussène sont arrivés à ce moment-là. Eux aussi sont passés par le cimetière de Cagnes. Quand ils sont entrés dans celui de Villeneuve, j’étais déjà dans la tombe, vertèbre cervicale fêlée, jambe cassée, de la terre dans les yeux et son goût dans la bouche. Les mottes rebondissaient contre le cercueil de Tobias. Je me disais tous les cercueils rendent le même son. Je me souviens de m’être dit ça, oui, c’étaient des propos de rêve, une de ces phrases flottantes qui vous paraissent tout expliquer. Je ne sais même pas si je sentais la douleur ; sensations, sentiments, ébauches de raisonnements, tout était ramassé dans cette phrase qui semblait occuper la totalité de mon cerveau : Tous les cercueils rendent le même son, quels que soient l’âge, le sexe, la race, l’importance du mort pour l’endeuillé, père, mère, enfant, ami, collègue de bureau, vague connaissance… le même son. Après, je ne… c’est flou… Bo* (que je vois pour la première fois) saute dans le trou. Une seconde je crois qu’il vient pour m’achever. Il a la tête de l’emploi. En fait, il me soulève par les aisselles, puis par la taille, il me tend à Ju* (première rencontre lui aussi, tête de l’emploi lui aussi). Il semble que Bo et Ju aient à eux seuls neutralisé les frères et les cousins. Ou alors, il y avait d’autres Chinois mais je ne les ai pas vus. Mathieu se tenait le visage. Du sang à travers les doigts. Le sien, cette fois-ci. Une scène d’une grande immobilité. Du coin de l’œil, je vois Loussa de Casamance, en retrait. Baptiste mis à part, c’est le seul Noir de l’assemblée. Dans mon souvenir la scène est absolument figée et parfaitement silencieuse. Là-dessus, Ju me pose sur mes pieds. Ma jambe brisée fait un angle latéral et je m’évanouis. Quand je me réveille, je suis dans la Mercedes, allongé et perfusé. Le vieux Loussa, assis à côté de moi, me fait la morale.

— Inutile de vous dire, bien sûr, que vous n’auriez pas dû aller à cet enterrement. En tout cas pas sans nous prévenir.

Selon Loussa, si Malaussène n’avait pas deviné où j’étais, je serais sous terre à l’heure qu’il est et ma famille pique-niquerait sur ma tombe. Je demande à Loussa si, en cas de procès, il témoignerait dans ce sens. Il répond :

— Je ne pourrai pas témoigner, je n’y étais pas.

Message reçu.

Je lui demande comment Malaussène a deviné où j’étais.

— En apprenant la mort de votre père. Quand il ne vous a pas trouvé chez vous, il a tout de suite compris que vous étiez parti à l’enterrement. Malaussène savait qu’il aurait été inutile de vous en dissuader. On pouvait tout au plus vous protéger. Discrètement. Si vous nous aviez prévenus, Bo et Ju seraient arrivés avant vous, ils auraient calmé le jeu avant le début de la partie, sans même que vous le sachiez ; vos frères auraient été sages comme des images. Maintenant que vous connaissez Bo et Ju, la situation devient plus complexe. Et plus chère.

S’ensuivit un bref échange entre Loussa et les Chinois.

— Za mao zhe xian, hai shi na yi yang de qian ? leur a-t-il demandé.

— Za zhen bu gai lou lian, a répondu Ju.

— Suo yi ma, jiu dei duo dian qian, a expliqué Bo.

— Shi duo hen duo[2], a conclu Ju.

— Considérablement plus cher, a traduit Loussa, ignorant que mes cinq années aux Langues O’ m’ont doté d’une maîtrise suffisante du mandarin pour que je comprenne leur conversation.

Si traduire « un peu beaucoup » par « considérablement » est une erreur du point de vue de la langue, d’un point de vue psychologique, ça se défend.

Pauvre Loussa, toujours soucieux de préserver la cagnotte d’Isabelle ! Ils m’ont menti a tant rapporté aux Éditions du Talion… Ils ne peuvent pas concevoir que le même livre puisse maintenant leur coûter un peu.

Et pauvre Malaussène ! Il se pourrait bien qu’il soit obligé de me cacher sur la Lune si sa boîte a le courage de publier la suite. Ils m’ont menti n’était que la mèche du baril. Leur très grande faute, c’est autre chose ! Il n’y a de vérité qu’explosive.

10

Ils m’ont menti

Le matin où la Reine Zabo m’a présenté Alceste (Prenez-en soin, Malaussène, c’est de l’or en barre), je n’y ai pas prêté une attention particulière. Un type au visage aigu et à la voix de prêcheur ; la conviction le faisait psalmodier du nez. Un vévé modèle courant, pensai-je, convaincu d’être le seul porteur de la vérité vraie.

— Cette conviction est le point commun qui les distingue radicalement les uns des autres, Malaussène.

J’ai donc ouvert Ils m’ont menti sans grande curiosité.

Comme tous les auteurs maison, Alceste s’y plaint de sa famille. Mais, là où ses semblables accusent leurs géniteurs de collaboration avec les nazis, de cocufiage, d’ivrognerie, de tortures morales, d’inceste plus ou moins aggravé, d’indifférence absolue, d’hystérie volcanique ou de crapuleries en tout genre, Alceste, lui, se contente de reprocher à ses parents d’avoir été de piètres conteurs ! Qu’un délit si mineur engendre, dès les premières pages, une dénonciation aussi violente m’a sorti de ma torpeur. Il faut dire qu’Alceste n’y va pas avec le dos de la cuiller. Tobias et Mélimé, ses parents, les mauvais conteurs en question, sont décrits comme deux crétins rédhibitoires, « Mélimé aussi conne que Tobias était con », tout juste bons à produire des phrases toutes faites, des personnages stéréotypés, des situations convenues, des dialogues édifiants et des comportements absurdement exemplaires…

Voilà les histoires que Tobias et Mélimé nous imposaient à nous, leurs huit enfants, chaque soir de nos huit enfances ! Chaque soir, imaginez-vous, chaque soir, cette triste tartine de topiques ! Tobias et Mélimé appliquaient chaque soir sur chacun de nous la même et débilitante recette narrative, comme s’ils voulaient cuire nos huit intelligences au bain-marie de leur même connerie. Une fratrie de cons et de connes en bocal, voilà ce que ces deux crétins ont fait de nous. Avec notre complicité active, qui plus est ! Complices, nous l’avons été — au moins les aînés — puisque nous devions les relayer auprès des plus petits quand ils étaient fatigués de les abrutir. Et nous racontions les mêmes histoires en les imitant ! Tandis que j’écris ces lignes, c’est le souvenir de ce mimétisme qui me fait le plus honte. M’être cru obligé de raconter à mes jeunes frères et sœurs les mêmes idioties, et sur le même ton. Ah, ce ton ! Ce mauvais miel ! Cette poix ! Combien me faudra-t-il de pages pour décrire cette glu ? Non seulement ces histoires mensongères que Tobias et Mélimé prétendaient vraies ne pouvaient être contestées par les petits (les enfants gobent les mensonges comme les oiselets les vermisseaux), mais il fallait les leur raconter comme Tobias et Mélimé, exactement ! Je t’entends encore, Baptiste, me demander : Non, ne raconte pas comme toi, ça fait pas vrai, raconte comme papa Tobias ! Et je me revois empruntant le vocabulaire famélique de Tobias, adoptant cette espèce de maniérisme commercialo-administratif auquel Mélimé et lui nous ont habitués dès nos premiers jours (des histoires où l’on ne « tombe » pas mais où l’on « chute », où l’on ne « fait » pas mais où l’on « effectue », où l’on ne « meurt » pas mais où l’on « décède », où les « occasions » sont des « opportunités », où les événements ne vous « touchent » pas mais vous « impactent… », où l’on ne vous « répond » pas mais où l’on « revient vers vous »). Maintenant qu’on a inventé le GPS, frères et sœurs, je vous le dis, nous avons été élevés par deux versions prétendument sexuées du même GPS. Pas plus de chances d’entendre aujourd’hui Tobias ou Mélimé changer de ton avec leurs petits-enfants (qui sont vos enfants, je vous le rappelle) que d’entendre un GPS s’exclamer : Merde, les gars, je me suis gouré, c’est à gauche qu’il fallait tourner !

Baptiste, mon grand Baptiste, toi qui me hais tant maintenant que je te veux du bien, après m’avoir tant aimé quand je t’abrutissais, la seule chose que tu puisses sérieusement me reprocher c’est de m’être assis à ton chevet d’enfant pour te raconter les mensonges de Tobias et Mélimé. Seulement, cela, tu n’as aucun moyen de l’admettre puisque, précisément, la connerie lénifiante desdits mensonges t’a proprement décervelé. Éviscéré de tout esprit critique, tu es ! Une tête sans tripes. Papa Tobias et maman Mélimé t’ont vidé comme une huître, mon Baptiste. Tu sonnes creux. Tes frères et tes sœurs aussi. Moi le premier ! Et si j’écris ce livre, c’est pour faire résonner un peu de sens dans ce vide abyssal et nacré, pour vous faire entendre enfin le son de la vérité, pour vous dire le Réel. Voilà, Baptiste, ce que je t’offre en m’asseyant tous les jours à ma table de travail, autrement dit au chevet de ta vie d’adulte. C’est toujours une histoire, mon petit frère, mais c’est moi qui raconte et cette fois l’histoire est vraie.

Soit dit en passant, à ce stade du récit, on ne sait toujours pas ce que Tobias et Mélimé pouvaient bien raconter à leurs enfants pour mettre Alceste dans un pareil état de fureur critique. On n’a aucune idée de ce que contenaient ces fameuses histoires du soir. Le procédé aiguise bien sûr l’appétit du lecteur, qui tourne maintenant les pages avec curiosité. (Alceste n’est pas un mauvais conteur, lui, les caisses du Talion en témoignent.) Pendant quelques chapitres, il s’en prend encore à Tobias et à Mélimé, passant au crible toutes les manifestations de leur idiotie : leur façon guindée de s’habiller, de marcher, de manger, de ne laisser aller que des propos convenus, d’afficher en toute circonstance une bonté de catéchisme fondée sur une parfaite indifférence du cœur, tout y passe, y compris leur pseudo-sens de l’hospitalité :

Ah ! ces petits copains de classe qui débarquaient à tout bout de champ pour écouter eux aussi les histoires de Tobias et Mélimé — ça les flattait, ces deux cons ! — et qui restaient dormir finalement, avec l’accord de leurs parents (Mais bien sûr, je vais téléphoner à ta maman), matelas supplémentaires sous le lit des petits, pagaille du matin que les grands devaient ranger avant d’aller au lycée… Par parenthèse, Baptiste, tes camarades étaient les plus nombreux ; tu devais leur faire une pub d’enfer à Tobias et à Mélimé ! Et d’ailleurs, tiens, comment t’y prenais-tu, tu instaurais un tour de rôle ? Tu les faisais payer ? Hein, Baptiste, avoue ! Maintenant que tu es grand tu peux bien me le dire, tes copains, tu les faisais raquer pour écouter les conneries de Tobias et Mélimé ?

*

C’est ici, précisément à cette page de ma lecture, quand Alceste ironise sur les petits invités de Baptiste, que je me suis souvenu !

Il y a une douzaine d’années de ça, Monsieur Malaussène, retour de classe (il devait être en CE1 à l’époque, peut-être encore au CP), nous demandait assez souvent, à Julie et à moi, l’autorisation d’aller dormir chez un certain Baptiste. Il était encore à l’âge des histoires du soir, domaine où, selon lui, les parents dudit Baptiste excellaient. Moi, cette excellence me convenait, vu qu’en matière d’histoires dormitives mes frères et sœurs m’avaient essoré. Toute leur enfance, Louna, Clara, Thérèse, Jérémy et Le Petit ont eu droit à leur histoire. J’ai même prolongé le rituel jusqu’à la fin de leur adolescence en leur racontant mes propres aventures — un peu enjolivées pour les besoins du rêve et qui sont devenues les romans que l’on sait. Mais, à l’arrivée de la fournée suivante (Verdun, C’Est Un Ange, Monsieur Malaussène et Maracuja), ma lanterne magique s’est mise à vaciller. Les générations sont à l’homme vieillissant ce que les vagues sont aux falaises : usantes. Bon, j’y suis quand même allé de mes « Il était une fois » mais le souffle n’y était plus et j’ai vite été mis sur la touche par l’avalanche des jeux électroniques.

— Faut pas nous en vouloir, tonton, expliquait Mara en pianotant sur des touches musicales, l’œil rivé à un écran épileptique, c’est juste plus marrant !

— Viens jouer avec nous, proposait Sept, tu crois que c’est pour tout seul mais tu te trompes, on peut jouer en équipe !

Au fond, Monsieur Malaussène était le dernier à désirer encore son histoire du soir. C’est donc avec un lâche soulagement que je l’autorisai à passer des nuits chez son copain Baptiste. Pourtant, ça me coûtait. Mosma revenait toujours de chez Baptiste au comble de l’enthousiasme : Baptiste était extra, il jouait au foot fallait voir comme, ses frères et sœurs étaient super, ses parents géniaux, la maison était top et le petit déj’ assurait grave…

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Mais le plus de tout, c’est les histoires ! Alors là, les histoires elles sont juste trop !

MOI : Trop quoi, Mosma ?

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Elles sont vraies.

MOI : Comment ça, vraies ?

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Vraies de vrai, vieux père, c’est pas des histoires pour rire, c’est des histoires pour de bon !

MOI : Bon, et qu’est-ce qu’elles ont de si bon, ces histoires pour de bon ?

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Elles sont vraies, je te dis ! En fait, Baptiste est un orphelin. En fait, c’est un orphelin d’Afrique. En fait, ses parents lui racontent les histoires de ses parents. En fait…

(C’est vers ces années-là que tous les enfants de France et de Navarre se sont mis à commencer leurs phrases par « en fait », comme s’ils s’adressaient à un public a priori débile ou suspicieux.)

MOI : Ses parents lui racontent les histoires de ses parents ? Comment ça ?

Il fallut l’intervention de Julie pour me faire comprendre que les parents adoptifs de Baptiste lui racontaient la vie de ses parents naturels.

MOI : Et qu’est-ce qu’ils faisaient, dans la vie, les vrais parents de Baptiste ?

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Ils chassaient les chasseurs !

Et Mosma de nous raconter qu’ « en fait » Yao et Rama Tassouit, les vrais parents de Baptiste, combattaient les trafiquants d’ivoire et autres tueurs de zèbres. (Ça se passait en Côte d’Ivoire.) Leur renommée s’étendait jusqu’à Abengourou, « la cité royale de la paix », où on leur avait élevé un monument après qu’ils eurent « trouvé une mort héroïque (je place entre guillemets les expressions de Tobias et de Mélimé scrupuleusement rapportées par Mosma) en tombant dans une lâche embuscade ».

Tous les soirs, Baptiste posait à ses parents adoptifs une question nouvelle sur les aventures de ses vrais parents et tous les soirs Tobias ou Mélimé ajoutait un chapitre à la saga exemplaire.

MOI : Tobias ? Mélimé ?

MONSIEUR MALAUSSÈNE : Les parents de Baptiste ! Ceux qui l’ont adopté ! C’est comme ça qu’ils s’appellent ! Tobias et Mélimé ! Papa, tu suis ? En fait, un jour, Yao…

*

Tobias et Mélimé…

Tobias et Mélimé…

Baptiste, Tobias et Mélimé…

Une douzaine d’années plus tard donc, lisant Ils m’ont menti dans mon bureau du Talion, je réalise que, par Mosma interposé, je connais en partie la saga familiale d’Alceste.

« En fait », comme disait Mosma, tous les enfants de Tobias et Mélimé étaient des enfants adoptés. Des orphelins, tous les huit ! Et Tobias et Mélimé leurs parents adoptifs. Ce qui émerveillait tant Mosma, c’est que, tous les soirs, lesdits adoptifs contaient auxdits adoptés la vie de leurs parents réels et que tous les soirs, huit orphelins s’endormaient dans l’évocation de leurs vrais parents, tous magnifiques, tous héroïques, « chérissant leurs enfants plus que tout au monde », mais tous, hélas ! « victimes de la méchanceté des hommes ou de la cruauté d’un sort aveugle ».

Ce qui alimente la fureur d’Alceste (et je dois dire que dans ce domaine il est assez convaincant), c’est d’avoir cru à ces fadaises, au point, certains soirs, d’avoir vu ses vrais parents (un couple de vulcanologues prénommés Arielle et Félix) quitter sa chambre sur la pointe des pieds :

C’est que je les désirais, mes parents héroïques ! Je les voulais vrais ! De toutes mes forces je les voulais réels, ces géniteurs de rêve ! Et ils le devenaient, tous les soirs, en dépit de la nullité des conteurs. Tous les soirs Arielle et Félix — ainsi se prénommaient-ils selon Tobias et Mélimé — devenaient mes vrais parents ! Quel orphelin résiste à cela ? C’étaient Tobias et Mélimé qui me racontaient leur histoire mais c’est sous le regard d’Arielle et de Félix que je m’endormais. Quand Tobias et Mélimé quittaient ma chambre, c’est Arielle et Félix qui refermaient doucement la porte sur moi, et je m’endormais avec des volcans dans les yeux, qui projetaient aux cieux les feux d’artifice les plus réels que je verrais jamais ! Ce qui fait de moi, frères et sœurs, un abruti du même acabit que vous, peut-être plus con que vous tous réunis.

Selon Tobias et Mélimé, Arielle et Félix Blinneboëke, vulcanologues d’origine flamande, étaient réputés pour avoir sauvé la population d’une île du Pacifique en annonçant à l’heure près l’explosion d’un « volcan puissant comme toutes les bombes atomiques existantes ». Une fois l’île vidée de ses habitants, le couple héroïque avait gravi une dernière fois « les flancs palpitants du monstre » poussés par « l’irrépressible appel de l’exigence scientifique », mais « la plateforme sur laquelle ils effectuaient leurs ultimes mesures s’effondra, précipitant nos héros dans les entrailles de la terre en fusion ».

*

Bon, les années passent, Alceste grandit, il n’est plus un enfant, il collabore innocemment avec ses parents adoptifs en racontant — sur le même ton — les mêmes sottises aux plus petits…

Jusqu’au jour où son univers bascule.

On change d’ère.

En moins de temps qu’il n’en faut pour s’endormir et se réveiller, Internet est là. La planète entière est prise dans un filet à papillons. Tout ce qui est né, tout ce qui est mort, tout ce qui fut, tout ce qui est, tout est capturé, et ce dans tous les domaines. Si serrées, les mailles du filet, que rien n’y échappe.

Tout est là, vraiment là.

À portée de curiosité.

« Clic », fait l’index d’Alceste après avoir tapé les noms d’Arielle et Félix Blinneboëke.

« Néant », répond la Toile.

Arielle et Félix Blinneboëke n’ont jamais existé. C’est Google qui l’affirme. Dans un style un peu comparable à celui de Tobias et Mélimé : « Aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés. »

11

Le capitaine Adrien Titus et le divisionnaire Joseph Silistri roulaient vers la Grande Maison*. Enfin, ils roulaient… Quai de la Mégisserie, ils se laissaient porter par le lent glacier de l’embouteillage. Silistri, au volant, semblait ailleurs.

Titus, lui, était bien là.

— Demain non plus j’y vais pas, Joseph, je prends mon jeudi. Tu peux m’arranger ça ?

— Qu’est-ce que c’est, cette fois ?

— J’ai embauché le petit Manin, on se tape les pharmacies.

— Le petit Manin ?

— Un nouveau-né. C’est lui qui nous a conduits chez Lapietà, hier, Menotier et moi. Il faisait le chauffeur. Il m’a bien plu. Je lui donne des cours de rattrapage.

— Qu’est-ce que vous leur voulez, aux pharmacies ?

Titus leva un œil surpris.

— Ho ! Joseph ? Tu suis ou quoi ? Lapietà a besoin de sondes pour pisser, tu te rappelles ? Je viens de te le dire.

— Tu as même donné la marque : Pioralem. Et alors ?

Silistri était vraiment dans une autre assiette.

— Et alors sa femme se goure quand elle dit qu’il crèvera plutôt que d’avouer son infirmité à ses ravisseurs. Un globe vésical n’est pas un truc qu’on peut cacher longtemps. On ne planque pas un volcan dans sa braguette, on craque. Même un Lapietà. Alors voilà ce que je vois, Joseph : au bout de six heures de détention Lapietà s’est roulé par terre. Ses rapteurs ont dû penser qu’il se foutait de leur gueule, ils l’ont peut-être laissé se tordre au début, mais quand il a viré couleur plomb ils se sont dit qu’il allait bel et bien leur claquer dans les pattes. Lapietà a craché le morceau et ils ont aussitôt envoyé quelqu’un acheter des sondes. Avec un peu de chance, ce quelqu’un se sera précipité dans la pharmacie la plus proche. C’est lui qu’on cherche, Manin et moi : un client qui se pointe sans ordonnance, qui évoque l’urgence des urgences, à qui le pharmacien cède, qui offre sa jolie gueule à la caméra de surveillance et qui sort avec les sondes aussi vite qu’il est entré. On interroge les apothicaires, on visionne les films, une fois le mec repéré, on fouille sérieusement le coin et on lui met la main dessus. En vingt-quatre heures l’affaire est pliée.

— Pendant que le reste de notre armée cuisine tous les lourdés de Lapietà… Bien vu. Seulement, c’est pas les pharmacies qui manquent à Paris.

— Presque aussi nombreuses que les restaurants, c’est vrai. En contrepartie il n’y a pas long à visionner. Vu la résistance moyenne d’une vessie, la chose s’est passée avant-hier entre dix-sept et dix-neuf heures. Ça limite la durée de nos recherches.

Feu rouge.

— Et s’ils ont planqué Lapietà hors de Paris ?

— On élargira.

— La bagnole du fils, tu l’as retrouvée ?

Titus éluda.

— Profits et pertes. Au besoin, j’en fais cramer une dans une carrière et je la fourgue à Menotier, ça l’occupera.

Silence.

Un peu long.

Feu vert.

Qui ne change rien à la circulation.

— Qu’est-ce qui se passe, Joseph ? Tu médites ?

Léger sursaut de Silistri, comme on sort d’une rêverie :

— Je suis passé chez Coudrier à la fin des vacances.

Le divisionnaire Coudrier, leur patron vénéré… Eux qui ne sont guère portés à la vénération.

— T’es allé honorer l’ancêtre ? Comment va ? Bon pied bon œil ? Il taquine le goujon ? C’était dans ses projets, non, la pêche à la ligne ?

— Il écrit un bouquin.

— Un sport de retraité, ça aussi. Ne pas quitter le terrain sans y laisser son empreinte. Très flic.

— Non, non, il n’écrit pas ses Mémoires…

Sirène ou pas, l’embouteillage promettait de durer. Titus sortit son tabac et son bout de chocolat népalais :

— Sujet du bouquin ?

— L’erreur judiciaire.

Il pleuvait du tabac turc entre le pouce et l’index du capitaine Adrien Titus.

— Thèse centrale ?

— La faute au roman.

Coup de langue.

Claquement du zippo.

Nuage népalais.

— C’est-à-dire ?

— D’après Coudrier, tout enquêteur bosse comme un romancier. Il cherche la cohérence.

— C’est encore à dire ?

Silistri visite à son tour le Népal. Il expire longuement.

— Coudrier affirme que les erreurs judiciaires procèdent presque toutes d’un excès de cohérence romanesque. À tous les niveaux de l’enquête, gendarmerie, police judiciaire, instruction, expertises psychiatriques, jusque dans le prétoire, chacun s’acharne à bâtir une histoire plausible, à créer une chaîne logique entre de supposés mobiles et de prétendus passages à l’acte. Quand ça cloche un peu, on force, sans trop s’en rendre compte, et on fout en taule le suspect le plus logiquement compatible. On cherche la cohérence, quoi. Selon Coudrier il n’y a pas de meilleure recette pour fabriquer une erreur judiciaire.

Le portable de Titus vibra contre sa poitrine. C’était la voix encore neuve de Manin.

— Excuse-moi, Joseph, c’est la pharmacie. Oui mon p’tit Manin ?

— Capitaine, j’en ai eu vingt-sept et j’ai fait huit vérifications sur le terrain.

— Vingt-sept pharmacies à toi tout seul ? Et huit vérifications ? En trois heures ? Tu carbures à quoi ?

— J’ai mis ma copine sur le coup. On a bossé par téléphone et par mail aussi, avant d’y aller voir.

Titus prit sa respiration :

— Première leçon mon p’tit Manin : en matière d’enquête de police, on ne met pas sa copine sur le coup.

— Elle est clean, capitaine ! C’est Nadège, son petit nom. Y a pas de lézard.

Titus expira :

— Manin, range ta Nadège et envoie les résultats.

— Les résultats ?

— Où tu en es, ce que tu as trouvé.

— Que dalle. Du papy, de la mamie, de l’infirmière, de l’auxiliaire vieillesse, rien d’autre.

Titus chercha la juste formulation :

— Deuxième leçon mon p’tit Manin : n’appeler la hiérarchie que pour lui donner des informations. Ou du moins un peu d’espoir.

Silistri lui rendit le Népal.

— Justement, hésita la voix de Manin, pour parler d’espoir…

Titus plaqua sa main contre le téléphone.

— Excuse-moi, Joseph, il a encore à apprendre. Pour parler d’espoir, mon p’tit Manin ?

— Je voudrais vous poser une question. Mais je sais pas si…

— Si quoi ?

— Si je peux, si ça va pas vous…

— Question de flic ou question personnelle ? Si c’est personnel, tu t’assois dessus.

— Non, ça serait plutôt une question de flic, enfin je crois, je…

— Alors dégaine.

— Pardon de vous demander ça, capitaine, mais…

— Troisième leçon, Manin, si tu dégaines à cette vitesse t’es mort.

— Vous avez vérifié, chez Lapietà, si ses sondes y étaient encore ?

Titus marqua un temps. Il se revit suivre Ariana dans la salle de bains, ouvrir le placard qu’elle lui désignait, y trouver deux paquets de sondes Pioralem, un neuf et un autre fraîchement entamé. Il y manquait les quatre de l’avant-veille, jetées dans une poubelle à clapet qu’on n’avait pas encore vidée. Ariana l’avait ouverte du bout du pied.

Manin s’affolait :

— Pardon de vous demander ça, capitaine, je veux pas que vous croyiez que je voudrais vous apprendre le métier, ce genre de… Y a le respect quand même, vous comprenez… c’est…

— Tu as posé la bonne question, Manin. Mon silence c’était de la surprise. Oui, j’ai vérifié. Elles y sont. Un bon point pour toi.

Il y eut une autre hésitation. Titus en profita pour repasser le joint à Silistri. En le récupérant Silistri demanda :

— Tu ne nous trouves pas un peu démodés, à nos âges, de tirer comme des mômes sur ces… ?

— Traditionnels, plutôt. Des hommes de tradition, je dirais. Qu’est-ce que tu disais à propos du bouquin de Coudrier ?

— Coudrier s’appuie sur Malaussène. L’innocence même, non ? Et pourtant, logiquement le coupable idéal, toujours. Il devrait être en taule à perpète si on s’en tenait à la cohérence. Coudrier a formé des générations de flics grâce à Malaussène. Il dit…

Mais Manin avait retrouvé la parole :

— Excusez-moi, capitaine, j’entends que vous causez avec quelqu’un, je voudrais pas déranger…

— Non, non, je t’écoute.

— J’ai peut-être une idée quand même. Enfin je crois… Une chance sur mille, mais…

— Un soupçon d’idée, alors ? Vas-y, mon p’tit Manin, le soupçon c’est mon gagne-pain.

— Pas au téléphone, capitaine, enfin si ça vous embête pas… Faut que je vous montre un truc. En fait, un type… un mec qui…

— Où es-tu ?

Manin dit où il était.

— Tu comptes une demi-heure et je suis là.

Avant de refermer la portière de la voiture, Titus se pencha sur Silistri :

— La cohérence, Joseph, c’est quand tout est fini. Dis-lui ça au patron, qu’il n’écrive pas pour rien.

Il s’éloigna, puis revint sur ses pas.

— Ah ! Au cas où ça t’intéresserait, notre petite Talvern est au courant pour l’opération pharmacies. De ce côté je suis couvert.

*

Combien de tonnes de béton et de verre ça représente, toute cette légèreté ? En matière d’architecture on ne fait pas plus lourd que le fluide. C’était ce que se disait le capitaine Adrien Titus en émergeant sur l’esplanade de la Défense. EDF, Technip, Égée, Mazars, Alstom, Ariane, Com’Square, Sofitel, Allianz, Opus 12, il débarquait en plein bottin financier et se demandait ce que le petit Manin pouvait bien foutre entre ces tours. Ça clignotait autour de lui : congrès, séminaires, bureaux high-tech, cocktails, réceptions, piscines en altitude, vues imprenables sur les Champs, tout le clinquant du sérieux. Manin, mon p’tit Manin, où ce que t’es allé te fourvoyer ? Le portable vibra dans la poche de Titus.

— Je vous vois, capitaine, je suis là.

L’esplanade était vide et propre. Titus se crut seul au milieu du désert, observé par on ne sait quelle entité.

— Où ça, là ? Joue pas avec ta hiérarchie, Manin, je suis pas ton pote.

— De l’autre côté de l’esplanade, capitaine, la pharmacie du centre commercial.

Titus vit une croix verte clignoter au loin. Sous la croix, ça sautait aussi haut que possible.

— Arrête de te faire remarquer, j’arrive.

Manin l’attendait, engoncé dans un Burberry de l’autre siècle. Il devait se trouver très détective ; ça faisait juste chômeur de longue durée.

— C’est par là, dit-il, on va à la cafétéria.

— Pas à la pharmacie ?

— Non, capitaine, excusez-moi, le mec veut rester discret. Il bosse à la pharmacie mais il préfère causer à la cafète. Il a congé, aujourd’hui.

— Où as-tu acheté ton imper ?

— Aux puces de Montreuil. Il est chouettos, non ?

— …

Le mec de Manin, capuche rabattue, avait la tête entre les mains. On aurait dit qu’il pleurait dans sa bière. Quand il se redressa pour regarder Titus, le capitaine lui ôta délicatement sa capuche et comprit que le gars avait eu affaire à un fin technicien.

— Qui t’a fait ça ?

Les paupières se rejoignaient dans une boursouflure violacée et la lèvre supérieure obstruait les narines.

— Ça le gêne de le dire, intervint Manin.

— J’insiste.

— Gnèhunemeuv, prononça le tuméfié.

— C’est une meuf, traduisit Manin.

— Gnilardrouvgnuigazlegu.

— S’il la retrouve il lui casse le cul, traduisit Manin.

— Il manque pas d’ambition, c’est bien. Et pourquoi la jeune fille t’a fait ça ?

— Bazguegnéhunegone.

— Parce que c’est une conne, traduisit Manin. Mais si vous voulez accélérer je peux vous raconter, il m’a déjà tout dit.

La fille était venue à la pharmacie, une petite bien comme il faut, avec des nattes, un duffel-coat et un charmant accent britannique. Elle venait acheter des sondes pour son grand-père. Des Pioralem. Elle n’avait pas d’ordonnance.

— C’est lui qui l’a servie. L’ordonnance il s’en est foutu. Quand la fille s’est tirée, il a dit qu’il avait un rancard et il l’a suivie.

— Ah bon ? s’étonna Titus. Et pourquoi t’as fait ça ?

— Nlèguivéeénvoulèmlavère.

— Il l’a kiffée, il voulait se la faire.

— Tiens donc. Elle a pas voulu, alors ? Tu l’as suivie jusqu’où ?

— Il m’a montré, intervint Manin. Je vous montrerai.

— Et comment elle t’a fait ça ?

— Les deux pieds dans la gueule, expliqua Manin. Deux fois en trois secondes.

Karaté, conclut Titus. Nidan geri, si je me souviens bien. Nihon geri, peut-être. Une caresse du genre.

— Ses godasses, c’étaient des fers à repasser ?

— Gnluibèdraizarazeazetvigledegiène.

— D’accord, tu lui péteras sa race à cette fille de chienne.

Manin haussa les sourcils :

— Putain, vous apprenez vite, capitaine !

— Plus vite que lui, apparemment. Cette fille, elle a été filmée ?

Manin sortit son portable.

— Par la caméra de la pharmacie, ouais. J’ai shooté son image. Vous voulez voir ?

— Tout à l’heure, dit Titus.

Puis, se penchant sur le boursouflé :

— Toi, pas la peine d’entamer ta bière. Casse-toi avant que je t’aggrave et fais gaffe aux filles. Surtout aux Anglaises.

Titus et Manin le regardèrent s’éloigner.

— Diagnostic, mon p’tit Manin ?

Manin suivit des yeux la capuche rabattue sur les épaules roulantes.

— Un pauvre con.

— Insuffisant.

Manin fronça les sourcils.

— Il croit qu’il peut prendre ce qu’il veut.

Titus fit non de la tête et expliqua sans joie :

— Non. Aucune imagination, voilà son drame, frustration absolue. Un futur mort. À brève échéance. Petit bourrage de crâne et il explose en bombe humaine. Ça me déglingue de savoir qu’il passera pas la trentaine.

Puis, il demanda :

— Comment tu l’as déniché ?

Manin expliqua qu’après avoir visionné la caméra de surveillance, photographié la fille sur l’écran, il avait demandé au pharmacien s’il se souvenait de cette petite British avec les nattes et le duffel-coat. Vaguement, c’est pas moi qui l’ai servie. C’est qui ? C’est Youssef. Youssef ? Un stagiaire, pas le meilleur. D’ailleurs, tenez, maintenant que j’y pense, il est parti tout de suite après. Youssef comment ? Youssef Delage. Je peux le voir ? Congé de maladie. Où ça ? Chez lui. Adresse ? Voilà.

— Qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’aller l’interroger ?

Manin fit une moue dubitative.

— Je sais pas, capitaine. La routine.

— Arrête, Manin, t’as pas l’âge pour la routine.

— Alors, je sais pas.

— L’instinct, mon gars. Sauf ton respect t’es un bon chien de chasse. Et pour qu’il se mette à table, tu t’y es pris comment ?

— J’ai shooté sa gueule avec mon portable, je lui ai montré sa photo et celle de la fille, et je lui ai dit que s’il me pipeautait je balançais leurs deux tronches sur Facebook, avec son nom à lui, en disant qui était le vainqueur.

Long silence. Titus but la moitié de la bière restée vacante. Puis, il tendit le verre à Manin.

— Tu l’aurais fait ?

Manin but le reste et fit non de la tête.

— Pourquoi non ?

— Parce que si je jette un truc comme ça sur la Toile et que la meuf habite le quartier, demain toute la caillera du coin la provoque, juste pour voir. C’est un coup à lui pourrir la life.

Au fond, pensa Titus, je n’ai pas grand-chose à lui apprendre. Un peu d’Histoire, peut-être un peu de cinéma…

Il leva l’index :

— Manin, écoute-moi bien. Mitterrand c’est pas juste après la guerre, c’est en quatre-vingt-un. Mille neuf cent quatre-vingt-un, trente-six ans après l’armistice, précisa-t-il. Il a fait deux mandats. Il est mort en quatre-vingt-seize. La prostate.

Manin le regardait comme on enregistre.

— La prostate ? demanda-t-il.

— Je t’expliquerai plus tard, c’est une autre matière. Tu es né quand, toi ?

— Quatre-vingt-neuf.

Il était une fois dans l’Ouest, tu connais ?

— Ouais, c’est un western ! Mes darons me le passaient pour m’endormir quand j’étais môme.

— Eh bien, c’est Sergio Leone qui l’a tourné. En 68. Et Claudia Cardinale, c’était l’actrice principale. Elle est toujours vivante. La femme de Lapietà lui ressemble beaucoup. Tu te souviens de la musique ?

— L’harmonica ? Ah ouais !

— L’harmonica et le reste. Ennio Morricone. Un Italien, lui aussi.

Manin opinait lentement.

Puis, il demanda :

— Vous voulez voir la photo de la fille ?

— Envoie toujours.

Manin tendit l’écran de son portable.

— Regardez. Rien à dire, hein ? Franchement, s’il y avait pas eu l’histoire du mec je vous aurais pas dérangé.

Titus s’abîma dans la contemplation de la jeune Anglaise au duffel-coat. La sagesse même. Papa devait bosser dans une des tours environnantes. Et pas au sous-sol, aux étages nobles, dans les dividendes. La photo était un peu floue, comme souvent avec les vidéos de surveillance. Titus fit le point mentalement. Il dénoua les nattes de la jeune fille, donna du volume à ses cheveux, puis il lui ôta son duffel-coat… Et il se dit quelque chose comme nom de Dieu… Nom de Dieu de nom de Dieu ! À quoi il ajouta probablement putain de merde ! Et encore non j’y crois pas ! Sans doute aussi mais c’est pas possible ! Et à coup sûr le souk que ça va foutre ! Avant de demander à Manin, sans qu’un trait de son visage ait bougé :

— Tu peux me montrer jusqu’où Delage l’a suivie ?

*

Il fallait traverser l’esplanade qui maintenant grouillait : bureaux qui se vident, RER qui avale. Puis ils descendirent dans le métro (vendeurs de fruits à la sauvette, relais de presse, plainte lointaine d’un dàn-cò vietnamien). Manin prit à gauche avant les tourniquets et ils plongèrent par un escalier en colimaçon vers le centre de la Terre : un puits de béton gris. Luminosité en baisse, parfum d’urine en hausse.

— C’est en bas qu’elle l’a allumé, en arrivant à l’A14, indiqua Manin.

— Il lui avait sauté dessus ?

— Pas eu le temps. Elle était en embuscade.

— Elle a attaqué comme ça ? Sans déclaration de guerre ?

— Comme ça. Elle se l’est fait direct.

— Pauv’ Delage.

Ils étaient arrivés à une sorte d’antichambre de l’autoroute. On entendait la circulation sans voir encore les véhicules.

— Voilà, c’est ici que ça s’est passé.

— La fille était seule, tu es sûr ? Pas de renfort ?

— Toute seule, capitaine. C’est ça qui lui fout les glandes à Youssef ! Au début, il a voulu me faire avaler qu’ils étaient une dizaine de lascars mais j’ai poussé un peu l’interro et il a fini par cracher que non ; elle était seule.

— Pas de spectateurs ?

— S’il y en avait eu, les images seraient sur la Toile.

Une espèce de parking — relents de benzine brûlée passablement imbibés d’ammoniac — propice au viol vite fait bien fait, pensa Titus. J’avais oublié que tout ce bazar financier était monté sur pilotis. Et que ça chlinguait autant, par là-dessous.

— Merci, mon p’tit Manin, t’as pas perdu ma journée.

— De rien, capitaine.

— Ah ! Un dernier truc.

Titus enleva son manteau de pur cachemire.

— Passe-moi ton imper et prends mon pardingue.

Manin s’exécuta sans poser de question. On transféra les papiers, l’argent et les portables.

— Tu y gagnes, Manin. Mais pour une nuit seulement. Demain on refait l’échange. Allez, rentre chez toi, allonge ta Nadège et ne m’appelle pas avant que je t’appelle.

Manin s’en voulut mais il ne put retenir la question qui le travaillait.

— Capitaine…

— Question de flic ou question perso ?

— …

— …

— La petite Rosbif, vous la connaissez ?

Titus hésita une seconde. Mais il avait misé sur Manin.

— J’ai mis sa mère en taule quand tu étais petit.

— Qu’est-ce qu’elle avait fait ?

— Rien. Je m’étais gouré. Un excès de cohérence…

— Un quoi ?

— Laisse tomber. Va te coucher. Dernière leçon de la journée : un bon flic se couche tôt.

12

Fin d’été dans mon Vercors. Robert et moi avons passé la journée à botteler sous le soleil de septembre. Est-ce encore de notre âge ? Le monde agricole a beau s’être automatisé, les travaux des champs restent les travaux des champs, peu reposants. Et la poussière de paille éternuante. Aussi n’étais-je pas d’humeur à encaisser les récriminations d’Alceste quand, en fin d’après-midi, Mick et Dédé nous l’ont amené, à la lisière de la forêt.

— À vous la liberté, Alceste, ai-je dit, en lui montrant le tas de meules sur la remorque de Robert. Il y a une planque pour vous là-dedans. Elle est parfaitement sûre. Robert va vous descendre avec son tracteur par la départementale 76. Dans trois quarts d’heure Bo et Ju vous récupèrent au lieu-dit Chamaloc et vers deux heures du matin vous finissez la nuit chez vous, à Paris, dans votre lit.

Alceste a jeté un regard navré sur l’édifice de paille :

— Vos solutions sont romanesques, Malaussène, c’est-à-dire complètement connes. Je ne monterai pas là-dedans.

J’ai essayé la patience :

— Pendant l’été quarante-quatre ce romanesque a sauvé un certain nombre de personnes moins regardantes que vous.

— Une famille entière en un seul voyage, même, a précisé Mick. Les Frisés n’y ont vu que du feu.

Alceste ne s’est pas laissé émouvoir par l’Histoire.

— Je ne me fourre pas dans le foin. J’ai mes allergies.

— C’est juste un mauvais moment à passer, ai-je dit, la Mercedes des Chinois sera plus confortable.

Robert, Mick et Dédé attendaient la suite. Comment s’expliquent deux Parisiens en cas de litige ? Nous étions promus objet d’étude.

— Combien pèsent ces bottes ? a demandé Alceste.

J’ai levé la tête vers Robert, resté dans sa cabine.

— Deux cents kilos pièce. Avant, avec les anciennes machines, elles faisaient dans les quarante, et c’étaient des cubes.

— Des parallélépipèdes rectangles, a corrigé Mick.

— Dans ma famille, des cubes, a insisté Robert.

— Chacun sa tradition, a convenu Dédé.

— Autrement dit, fit observer Alceste, au moindre cahot, je finis aplati comme une crêpe. Je ne monterai pas là-dedans.

L’heure tournait. Il n’était pas question de rater le rendez-vous avec Bo et Ju. Il fallait conclure. Robert a dû me sentir fatigué parce qu’il est descendu de son perchoir, s’est planté devant Alceste, et a rompu la consigne en lui adressant la parole :

— Hé, Monte-Cristo, tu grimpes dans ta planque vite fait ou à nous quatre on t’y enfonce comme un thermomètre dans le cul d’un épouvantail.

*

Voilà. Mission accomplie. Alceste confié aux Chinois et sa clé USB envoyée à la Reine Zabo, poste restante, pour plus de sécurité. Se méfier des mails, se méfier du papier, se méfier des cyber-nuages. Que la concurrence ne nous pique pas notre gâteau ! Qu’on ne retrouve pas les bonnes pages de Leur très grande faute (c’est son titre, il y tient) dans le supplément littéraire d’un journal trop tôt avant la sortie du bouquin. La bonne vieille clé USB expédiée à la Reine et le fichier d’Alceste effacé quand elle aura récupéré le texte, c’est encore ce qu’il y a de plus sûr. C’est mon métier de penser à ce genre de choses.

Fin de l’été, donc.

Dans deux jours, je remonte à mon tour.

Exercer ledit métier.

Protéger mes vévés, me farcir la énième rentrée littéraire, suivre de près la course aux prix…

Pourquoi ?

Pourquoi ?

C’est la tombée du jour. Julie et moi sommes assis sur notre banc devant les Rochas, Julius le Chien couché à nos pieds, ses babines autour de lui. Julie achève la lecture d’Ils m’ont menti, qu’elle s’est gardé pour l’été… Silence…

Rester ici.

Plus de Paris. Où, par ailleurs, sautent des bombes, où les mitraillettes partent toutes seules.

Regarder tous les soirs le soleil se coucher sur le Grand Veymont.

Oui… Le reste de mes jours ici, à suivre des yeux le drap de nuit qui rampe chaque soir vers le sommet de cette montagne.

— Julie, qu’est-ce que les esprits distingués ont contre les cartes postales représentant des couchers de soleil, tu peux me le dire ?

Silence.

— Regarde ça : l’insaisissable et saisissant endormissement du monde !

— Hou là !

Julie consent à lever un œil vers le Grand Veymont qui s’endort, mille trois cents mètres au-dessus de nos têtes. C’est un éléphant couché sur le flanc. Les derniers rayons lui font un crépuscule de savane.

— Tu veux savoir ce que les esprits distingués reprochent aux cartes postales chromos, Benjamin ? Écoute la réponse de ton copain Alceste.

Elle feuillette Ils m’ont menti, tombe sur le passage ad hoc et me le lit à voix haute :

Les parents idéaux selon Tobias et Mélimé : médecins du monde, violoncellistes, pilotes de formule 1, chercheurs en physique nucléaire, justiciers écologistes, vulcanologues… Tous exerçaient des métiers « de prestige », comme on dit de ces hôtels où les secrétaires médicales vont se faire croire à l’amour du docteur entre midi et deux. Aucun d’eux n’était postier, instituteur, pharmacien, soudeur, garagiste ou secrétaire médicale, justement…

Frères et sœurs, ça ne vous a pas frappés, cette collection de géniteurs exceptionnels ? Comment se fait-il que pas un de nous ne se soit dit qu’il pouvait aussi bien être un enfant de putain ou, à la rigueur, un rejeton de bonne famille laissé pour compte après accouchement sous X ? N’est-ce pas le modèle d’orphelin le plus courant sous nos latitudes ? Eh bien non ! Nous nous sommes tous crus des descendants de demi-dieux ! Tombés de l’olympe social dans le nid de Tobias et Mélimé ! Ces deux cons nous ont dotés de parents archi chromos — cartes postales à coucher de soleil ! Notez que sur ce point je ne les incrimine pas, ils font partie de ces abrutis innombrables qui croient que le soleil ne se couche que pour le plaisir des yeux.

Julie referme le livre, l’œil sur le Grand Veymont qui s’empourpre :

— Bienvenue au club, Benjamin.

J’avais oublié ce passage.

Mais j’ai bien retenu le reste ; la lutte vaine d’Alceste pour rallier ses frères et ses sœurs à la thèse de la vérité vraie.

Nos parents mythiques n’ont jamais existé, voilà la vérité ! Si vous ne me croyez pas, consultez n’importe quel moteur de recherche. Je l’ai fait pour vous. « Aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés. » Preuve par le néant ! Nos parents n’étaient pas ces étoiles mortes dont la lumière continuait à nous éclairer par le truchement des histoires de Tobias et Mélimé. Jamais nés ! Point final. Par conséquent, pas d’ascendants ni de descendants ni de collatéraux ! Ni même de nom ! Et c’est peut-être le plus douloureux à admettre. Comme nous les aimions nos « vrais » noms, vous souvenez-vous, frères et sœurs ? Avec quel délice nous les prononcions ! Si pleins de sens ! Si pleins d’être ! Si pleins de vie ! Si pleins de chair ! Si pleins de nous ! Ah ! cette joie de nous appeler par nos vrais noms ! De clamer notre identité ! De ressusciter nos parents en nous appelant ! « Viens ici, mon petit Tassouit. Hein, mon Blinneboëke ? Qu’est-ce que tu dis de ça, Gorbelius ? Attends que je t’attrape Tsirouet ! Gabelin, bougre de mange-tout, finis ton assiette, tu vois bien qu’on débarrasse ! »

Or, personne, jamais, sur cette Terre, ne s’est appelé Blinneboëke, Tassouit, Gabelin, Tsirouet ou Gorbelius.

Cette découverte ne vous frappe pas d’inexistence ? Aucun des attributs attachés à ces noms n’a eu la moindre réalité ! Ni les corps, ni les âges, ni les traits de caractère, ni les métiers. Profession des parents : Violoncellistes, répondais-tu fièrement, Faustine, sur les fiches que les professeurs font remplir en début d’année, tu te souviens ? Vulcanologues, écrivais-je de mon côté. Pilote de course, répondait Mathieu. Et quand certains professeurs s’étonnaient de certaines réponses auprès de Tobias ou de Mélimé, « Chasseurs de chasseurs, qu’est-ce à dire ? », l’explication tombait, toute naturelle :

Baptiste est un enfant adopté, chère madame, ses parents étaient gardes-chasse en Côte d’Ivoire, dans la réserve d’Abengourou, et nous tenons beaucoup à en préserver la mémoire dans le cœur de l’enfant.

Que répondre à ça ? Aucun professeur n’allait y voir, bien sûr, ce n’est pas le genre de propos qui suscite le doute. Tobias et Mélimé sortaient de l’école sanctifiés. Tout juste si les profs ne leur faisaient pas une haie d’honneur. Je vois encore leurs auréoles ! Très nettement ! Resplendissantes sur leurs deux têtes de cons. Qui pouvait se douter que ces deux images pieuses passaient leur vie à néantiser les enfants qui leur étaient confiés ? Pas à les anéantir (nous étions bien nourris, c’était sans goût comme le reste, mais copieux), à les néantiser, à les remplir de néant ! Des sacs à néant, voilà ce que Tobias et Mélimé ont fait de nous. Délibérément ! Car pour créer ces noms de famille sans famille il a bien fallu qu’ils s’assurent de leur inexistence ! Personne ne devait avoir porté ces noms. Jamais ! Aucun homonyme ! Nulle part ! Or, ce n’était pas une mince affaire, ce genre de vérification, avant l’ère Internet. Tobias et Mélimé ont fait sur nous de la généalogie à rebours. Ils ont assuré notre vide ontologique. En sorte que si la fantaisie prend à l’un de nous d’aller chercher d’où il vient, la seule réponse que nos parents adoptifs aient mise à notre disposition est celle-ci : de nulle part.

*

Et alors ?

Répondit le chœur des frères et des sœurs d’Alceste.

Et alors ?

MARGUERITE : Quel mal y a-t-il à inventer des histoires et des noms ?

FAUSTINE : Nos vrais néanti… néantiseurs, comme tu dis, sont les salopes qui ont accouché de nous sous X.

MATHIEU : Tobias et Mélimé nous ont fait une enfance de rêve que tu présentes comme une enfance de merde.

ADRIEN : Tu t’acharnes tout simplement à détruire l’harmonie familiale.

PASCAL : Écrivain sans imagination, tu nous utilises comme matière première de tes délires mégalomanes.

FAUSTINE : Et paranoïaques.

GENEVIÈVE : Tu es désormais indigne de l’amour que nous te portions.

FAUSTINE : Un des grands bonheurs de ma vie sera de ne plus entendre ton perpétuel prêchi-prêcha.

BAPTISTE : Le seul fils de pute c’est toi. Va te chier.

Propos dûment rapportés par Alceste dans ses interviews, bien entendu.

QUESTION : Ces anathèmes vous touchent ?

ALCESTE : C’est le prix à payer, je l’assume.

QUESTION : Le prix de quoi ?

ALCESTE : Le prix d’une littérature digne de ce nom. En m’injuriant, ils voudraient m’empêcher d’écrire. Or, personne ne peut m’empêcher de rendre compte de ce qui est. C’est cela, écrire. Ça ne doit être que cela. Quel que soit le prix ! Y compris celui de la solitude.

QUESTION : Comment ont réagi vos parents à la sortie de votre livre ?

ALCESTE : À ma connaissance, je n’ai pas de parents.

— Vos parents adoptifs.

— Le couple de menteurs qui m’a abruti ? Comme toujours, par la politique du néant. En faisant comme si ce livre n’existait pas.

— Ils ne l’ont pas lu ?

— Ils ne me l’ont pas fait savoir. Ils se vivent comme des victimes, vous comprenez. Ils se croient attaqués. Ils laissent mes frères et mes sœurs monter au créneau à leur place.

— Eux, du moins, vous ont lu.

— Oui… enfin… ils ont dû chercher leurs noms dans le livre et lire les passages qui les concernaient personnellement. Ce ne sont pas de grands lecteurs, vous savez. Voilà un effet secondaire de la cécité où les a plongés le mensonge : ils ne lisent pas. Ils n’ont pas besoin de lumière.

— N’est-ce pas un peu facile d’utiliser le roman pour décider de la vérité des uns et des autres ?

— La facilité, monsieur, c’est de se taire ! La facilité, c’est de ne pas écrire ! La facilité c’est de faire comme si nous n’avions pas vécu ce que nous avons vécu ! La facilité c’est de laisser les aveugles ne pas voir quand nous avons les moyens de leur rendre la vue ! Dans mon cas, ne pas écrire équivaudrait à un délit de non-assistance à fratrie en danger.

*

Et ainsi de suite, de journaux en journaux, de radios en télés, de blogs en sites Web, pendant toute la promotion d’Ils m’ont menti.

Jusqu’au jour où la « fratrie en danger » a réagi. Où les aveugles ont accepté la confrontation avec Alceste dans un débat télévisé. La famille envoie trois représentants : Adrien l’aîné, Faustine la plus entreprenante, et Baptiste le plus jeune, star montante du football. La Reine Zabo et moi déconseillons à Alceste ce genre d’exhibition, Ils m’ont menti marche très bien, pas besoin de cette publicité. Alceste nous envoie paître. Nous ne sommes que des mercantis, lui, il a une cause à défendre.

Titre de l’émission : C pas un drame. On est censé y réconcilier des parties inconciliables.

Public automatique, préchauffé comme un four avant cuisson :

— Lumière rouge, on applaudit, d’accord ?

— D’accooooord !

— Lumière jaune on proteste, d’accord ?

— D’accooooord !

— Lumière verte on rigole, d’accord ?

— D’accooooord !

Essais concluants.

Au premier rang des spectateurs, la Reine Zabo et Loussa de Casamance, qui ont tenu à accompagner leur auteur. Ils sont flanqués de Simon le Kabyle* et de Mo le Mossi*, prêtés par Hadouch* en cas de grabuge. L’escorte, qui s’est pommadée pour la circonstance, fait profil bas. Elle aimerait être ailleurs. Hadouch et moi restons debout au fond du studio, derrière les caméras. Dialogue adjacent et chuchoté :

— Tu fais chier, Ben, tu sais bien que la télé c’est pas notre truc !

— C’est la dernière fois, Hadouch, parole.

— C’est pas parce que j’ai passé une licence de lettres à l’époque où on lisait que tu dois nous embarquer dans ces querelles pseudo-littéraires…

— Ça va, Hadouch, c’est la dernière fois, je te dis ! Pour la protection d’Alceste on est en pourparlers avec les Chinois.

— Les Chinois ? Les Chinois de Belleville ? Bo et Ju ?

— Bo, Ju et leur bande, oui.

— Putain, elle a les moyens, ta patronne !

Fin du dialogue.

Début de l’émission.

Entrée des invités.

L’animateur, dynamique et souriant, hurle joyeusement le nom des participants, qui, applaudis par la claque mécanique, viennent s’asseoir face à un fauteuil vide.

Cela fait, apparaît Alceste, qu’on installe dans ledit fauteuil (applaudissements plus fournis).

L’animateur se fend d’un préambule tonique et joyeux, comme quoi « Vous verrez, C pas un drame », avant de poser les premières questions.

Elles visent à tracer les frontières entre littérature et vie privée. Ça ne donne pas grand-chose : pour la famille tout est intimité, pour Alceste tout est littérature.

Un partout.

J’en profite pour faire la connaissance de ladite famille. Des « culs propres », aurait dit Jérémy dans son adolescence. (Le concept englobait une tenue vestimentaire irréprochable, une certaine ostentation grammaticale et une forte propension à la sagesse majoritaire.) Impossible d’imaginer que, trois mois plus tard, ces consciences limpides précipiteraient Alceste dans la tombe de leur père avec le projet de l’y enterrer vivant.

L’animateur change de sujet. Il demande joyeusement à Alceste ce qu’il a contre les contes.

ALCESTE : Rien.

ANIMATEUR : Ce n’est pas ce qui ressort de la lecture de votre ouvrage !

ALCESTE : Je n’ai pas le souvenir qu’on nous ait dit des contes, dans notre enfance.

ANIMATEUR (bouche ouverte, yeux écarquillés) : Enfin, quoi, je veux dire, ces histoires que vous racontaient vos parents avant de vous endormir, c’étaient des contes !

ALCESTE : Ce n’étaient pas mes parents et ce n’étaient pas des contes. C’étaient des mensonges qui tendaient à nous faire prendre notre vie familiale pour ce qu’elle n’était pas.

Première réaction de Faustine :

— Absolument pas ! C’était leur façon de nous enchanter !

ALCESTE : Les mensonges ne m’enchantent pas.

Applaudissements de la salle.

Intervention d’Adrien, quadragénaire à la voix posée, aux traits fins, aux doigts longs et transparents :

— Si Tobias et Mélimé avaient voulu nous mentir, ils nous auraient dit que nous étions leurs propres enfants. Ils ne se seraient pas donné la peine de nous imaginer des parents de rêve.

ANIMATEUR (hilare tout à coup, son regard écarquillé prenant ostensiblement le public à témoin) : D’un autre côté, il aurait été difficile à madame votre mère de cacher tant de grossesses à ses aînés !

La salle éclate de rire.

Faustine sort de ses gonds :

— Il n’y a pas de quoi rire ! Nous ne sommes pas venus nous donner en spectacle ! Nous sommes ici pour défendre l’honneur d’un couple qui a consacré sa vie à élever dans la joie et l’abnégation des enfants qui n’étaient pas les siens !

Fin des rires.

ALCESTE (à son frère Adrien) : Si Tobias et Mélimé avaient voulu nous dire la vérité, ils nous auraient appris qui étaient nos vrais parents, tout simplement. (Un temps.) Ce que moi, je vais faire, je vous le promets, mon œuvre est loin d’être achevée.

ADRIEN (calmement) : Qui te le demande ? Ceux qui nous ont abandonnés à la naissance et qui n’ont jamais fait le moindre effort pour nous retrouver ? Ou nous, qui ne voulons pas entendre parler d’eux ?

ALCESTE : Ni vous, ni eux, ni moi, ni même la loi : la vérité, tout simplement. La réalité, si tu préfères. Mon œuvre n’a partie liée qu’avec la vie telle qu’elle est. Et vous devriez m’en remercier.

BAPTISTE (ironique) : Ton œuvre… T’en remercier… Non mais on rêve, là !

ALCESTE (presque tendrement) : Mon œuvre qui fait de vous des personnages de roman, Baptiste, mais des personnages réels, quand dans la vie vous continuez à vous comporter comme les êtres de fiction imaginés par Tobias et Mélimé.

ADRIEN : Tout de même, tout de même, des êtres de fiction qui se sont mariés, qui ont fait des enfants, qui exercent des métiers, qui paient des impôts…

ALCESTE : Et qui racontent à leur progéniture les mêmes mensonges sur leurs grands-parents, et qui exercent des métiers qui ont tous à voir avec le mensonge ou le néant.

Interruption outrée de Faustine :

— Avec le mensonge ?

L’animateur saute sur l’occasion, il relance, comme au poker, pour voir :

— Avec le néant ?

ALCESTE : Peux-tu nous dire ce que tu fais dans la vie, Faustine ?

FAUSTINE : Directrice de casting, pourquoi ?

ALCESTE : Pour quel genre de films ?

FAUSTINE : Je ne travaille pas pour le cinéma, je travaille pour la télévision.

ALCESTE : C’est vrai. Directrice de casting pour quel genre d’émissions, alors ?

Ici, léger flottement, puis Faustine — blonde musclée, beau visage à la coupe carrée, regard direct, jeune femme d’autorité, voix précise et déterminée :

— Pour des émissions de télé-réalité.

Ici, le meneur de jeu (au demeurant parfaitement au courant du métier de Faustine) bondit. Il fait appel à l’ensemble du public.

ANIMATEUR : Télé-réalité ? Voilà qui doit diablement vous intéresser, non ?

Réponse unanime :

— Siiiiiiiiiiiiiii !

ANIMATEUR : Dans ce cas on vous fera passer un petit casting à la fin de l’émission, d’accord ?

— D’accooooord !

Dénégation souriante de Faustine :

— Pas ce soir, il est trop tard. Demain, s’il vous plaît, et sur rendez-vous.

Son autorité en impose. Personne ne proteste.

ALCESTE : Et peux-tu expliquer à la salle en quoi consiste l’entraînement des candidats retenus pour tes émissions ?

FAUSTINE : C’est assez technique, c’est…

ALCESTE : Ça n’a rien de technique. Ça consiste à vider le candidat de lui-même pour le gaver d’une personnalité fictive qu’il devra incarner dans le show comme si c’était la sienne. Ça consiste à supprimer la réalité au profit d’une fiction qui se prétend réelle ! À faire passer ce qui n’existe pas pour ce qui existe ! Exactement ce que Tobias et Mélimé ont fait avec nous.

ADRIEN (volant au secours de sa sœur) : Mais c’est un spectacle ! Tout le monde sait que c’est un spectacle ! Comme le catch ! Le catch n’est pas un sport, c’est un spectacle sportif. Personne n’est dupe. La réalité produit aussi du spectacle ! Le spectacle est réel ! Et sur mon métier de médecin, tu as quelque chose à dire, sur mon métier ?

ALCESTE : Médecin légiste ? Se pencher sur l’autre quand il n’y est plus, Tobias et Mélimé doivent adorer ! Aucune chance de rencontrer du vivant.

ADRIEN (conciliant) : C’est surtout faire progresser la médecine, chercher à préserver les vivants de ce qui a tué les morts.

ALCESTE : Est-ce toi qui as autopsié le corps de Françoise Delbac après son suicide ? Tu as trouvé de quoi elle était morte ? (Il montre le public.) Ça pourrait aider à protéger les vivants ici présents.

Faustine bondit, tout en restant assise :

— Tu es ignoble ! Je t’interdis de…

ALCESTE : Tu m’interdis quoi ? De dire que cette jeune femme s’est tuée après une de tes émissions ? Qu’elle est morte d’avoir été vidée d’elle-même et gavée comme une oie d’une personnalité inconsistante et ridicule ? Qu’il n’y avait rien d’autre à trouver dans son cadavre que le néant dont tu l’as remplie et la honte qu’elle a finalement ressentie ? Qu’elle n’est pas la première à s’être tuée dans ces circonstances ? Que pour échapper aux procès ta chaîne négocie des dédommagements ? Que ton service juridique achète la douleur au prix fort ? Ce dont tu te fiches éperdument parce que Tobias et Mélimé ne t’ont pas appris la différence entre personne et personnage, entre produit industriel et singularité humaine ! Et que tu prends ton indifférence pour de la force de caractère, une sorte de virilité sociale !

Silence funèbre de la salle. Des larmes de fureur viennent aux yeux de Faustine. L’animateur doit se dire que si ce n’est pas un drame ça pourrait bien le devenir. Il botte puissamment en touche :

ANIMATEUR : Et le foot pratiqué avec brio par votre jeune frère Baptiste ? Nous ne sommes pas dans la fiction, là ! C’est du réel, et du lourd !

ALCESTE (évasif) : Oh le foot… Des têtes vides tapant dans des ballons pleins d’air pour que leurs maillots, taillés dans le tissu de la publicité, finissent punaisés dans des chambres d’adolescents… Je vois assez peu de réel, là-dedans… Beaucoup d’hystérie… Donc beaucoup d’argent… C’est ce que vous appelez le lourd, j’imagine… Non, ce qui me chagrine c’est qu’à son âge Baptiste continue de jouer à la balle… Vous savez, nous avons assez peu mûri dans cette fausse famille. Mon livre n’est après tout qu’une tentative de maturation et je…

Mais Faustine contre-attaque :

— Ton livre est une entreprise de torture mentale, domaine où tu excelles, comme tu viens de le démontrer ! Ton « œuvre », comme tu dis modestement, relève moins de la littérature que du harcèlement moral. Mais nous ne nous laisserons pas amoindrir, nous réagirons, s’il le faut nous irons jusqu’au procès, nous…

Est-ce l’évocation de la justice sous la forme d’un tribunal ? Une houle de désapprobation soulève la salle dont les protestations couvrent la colère de Faustine, houle que la main levée d’Alceste apaise instantanément.

ALCESTE (très calme) : Je n’ai jamais douté que vous iriez jusqu’au procès. Tobias et Mélimé vous le demanderont — vous l’ont peut-être déjà demandé — et vous suivrez comme un seul pantin. Et qu’avancerai-je, moi, pour ma défense ? Ceci, que je répète.

Suit un long monologue à la gloire de la vérité vraie pendant lequel Faustine arrache son micro et quitte vigoureusement le plateau, suivie d’Adrien et de Baptiste, lequel fait un doigt d’honneur aux spectateurs déchaînés et brandit son poing fermé en direction d’Alceste.

L’animateur tente mollement d’endiguer la fuite de ses invités, déplore que « ça finisse comme ça », affirme qu’« on ne peut pas réussir à tous les coups », et, tout sourire, annonce le thème de l’émission suivante en rassemblant ses papiers.

Hadouch et moi soufflons un bon coup, le grabuge a été évité. La Reine Zabo et Loussa de Casamance se lèvent pour partir, celui-ci soutenant celle-là. Fugitivement, leur grand âge me frappe, ce qui n’arrive jamais entre les murs du Talion où, depuis que je les connais, leur fonction me les rend immuables.

Pendant que l’animateur tapote sur la tranche ses documents rassemblés, Alceste réclame une dernière fois la parole.

— Je vous en prie, dit spirituellement l’animateur, je crois avoir compris qu’il est difficile de vous en priver.

Alors, Alceste s’adresse directement au public. Il lui demande s’il n’a pas honte d’applaudir ou de protester à la commande.

ALCESTE : Où se cache le meneur de jeu qui vous a transformés en chiens de Pavlov ? (Il pointe du doigt l’animateur toujours occupé à tasser ses papiers.) C’est lui ? Il appuie sur un bouton, une lumière s’allume et vous riez ! C’est ça ? Ou vous protestez ? C’est ça ? Tous ensemble ? Comme un seul homme ? Vous n’êtes pas effrayés d’être si nombreux à n’être personne ? Vous savez ce qu’on peut faire faire à des foules comme la vôtre ? Vous êtes prêts pour le lynchage ? Et vous venez toutes les semaines ? Vous faites des heures de queue pour être sélectionnés ? Pour participer à ces séances de torture publique ?

La première chaussure rate Alceste d’un cheveu. La deuxième le touche à la tempe. La troisième est bloquée par Mo le Mossi qui s’est précipité sur le plateau. Simon le Kabyle l’a suivi et tente d’éviter l’invasion du public pendant que Mo pousse en coulisse un Alceste vociférant :

ALCESTE : Ah ! Quand même ! Enfin un peu de spontanéité !

*

Remonter à Paris pour retrouver ce cirque…

Pourquoi ?

Pourquoi ne pas prendre ma retraite, tout bonnement.

Hein ?

Zabo m’en doit au moins deux : retraite d’employé et retraite de personnage. Ça devrait chiffrer un peu.

Allez, restons ici. Laissons la Reine se démerder avec ses plumes suicidaires.

Le soleil est tout à fait couché à présent. Le Grand Veymont n’est plus que sa masse nocturne et l’hiver alpin s’insinue, aiguisé déjà, dans l’automne à peine entamé.

Frisquet, frisquet.

— Julie, on rentre ?

Bien entendu, Julius le Chien nous précède.

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