Au bout du tunnel

Tu distingues une fente de lumière.

Elle s'élargit pour devenir un grand losange blanc.

La lumière est de plus en plus forte.

Tu veux faire demi-tour.

Mais deux mains ont surgi qui t'attrapent.

Tu es tiré en avant.

Tu perçois une voix assourdissante.

«Continuez, ça vient!»

Le losange est bien trop étroit pour te laisser passer.

Ton crâne mou se comprime à l'extrême.

Tu as envie de crier, mais tes poumons sont remplis de liquide.

Tu es dehors, à présent.

La lumière est aveuglante.

Court instant de panique.

Il fait froid.

Des voix crient.

Des gens masqués te regardent.

Tu veux leur hurler de se taire.

De te ficher la paix.

D'éteindre la lumière.

Qu'on te remette là où tu étais.

Dans l'eau.

Avec les dauphins et l'être complémentaire.

Bon sang! Tu commences déjà à oublier son visage.

Le reconnaîtras-tu quand tu seras grand?

Mais tu n'arrives toujours pas à respirer.

Tu es comme un poisson sorti de l'eau qui s'asphyxie.

Tu me demandes pourquoi je ne viens pas à ton secours.

Désolé, là, je ne peux rien faire pour toi.

Comme le dit mon ami,

le roman La Machine à explorer le temps, on ne sait toujours pas jouer avec le passé.

C'est un instant qui s'est déjà produit.

Je ne peux que t'inviter à y assister.

Tu ne pourras pas changer ta naissance mais tu pourras la voir différemment.

Des mains gantées de caoutchouc te mettent à l'envers,

pendu la tête en bas.

C'est assez désagréable.

On te tape fort dans le dos.

Ah, les brutes!

Moi-même, j'ignorais que vous vous infligiez dès le début de tels désagréments.

Je comprends mieux maintenant que certains d'entre vous deviennent agressifs par la suite…

Tu n'arrives toujours pas à crier.

Tu sens qu'autour de toi la tension monte.

Aujourd'hui, tu connais ton premier stress.

Tu connais aussi ton premier public impatient.

Qu'attend l'artiste pour se mettre à chanter?

C'est vrai, pourquoi tu n'as pas pleuré tout de suite?

C'était si pénible que ça cette naissance?

Quoi? Trop de lumière? Trop de bruit?

Tu sais, à bien y réfléchir, on est tous passés par là.

Tu crois qu'à ma naissance, sur les rotatives offset, il n'y avait pas de lumière et de bruit?

Vas-y. Qu'est-ce que tu attends? Crie!

Pleure!

Crie!

Il faut que ce cri parte du ventre et qu'il sorte comme un geyser.

Aahh!

Mieux que ça. Plus fort!

AAAAAAAAHHHHHHHHH!

Ouf! ça y est, tu as réussi.

D'un coup le liquide que tu avais emmagasiné dans tes poumons est expulsé.

C'était ta première ex-pression.

Bienvenue parmi les humains.

Ton père est là qui te tend les bras.

Moment d'émotion.

On t'attrape et on te pose sur le ventre de ta mère qui t'embrasse.

Tu es couvert de baisers gluants.

Ça t'aide à supporter le passage du stade de poisson à celui de petit mammifère.

Ça t'aide à supporter de ne pas être un dauphin.

Tu respires à nouveau.

Tu bats des paupières.

Quelqu'un tranche ton cordon ombilical avec des ciseaux de métal glacé.

On y fait un nœud.

Tu as envie qu'on te raccroche à ta mère.

Mais ils ne t'écoutent pas.

Tu pleures aussi pour ça.

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