Son père est français, du Massif central, sa mère allemande, de la Saxe. À travers les propos de son père, ancien combattant de la Grande Guerre, il imagine les Allemands comme des monstres : ils tranchent les poings des enfants. Le premier soldat allemand qu’il voit – il a quatorze ans ; c’est en juin 1940, dans le Loiret, où la Wehrmacht vient de rattraper le flot des réfugiés – lui apparaît comme un guerrier splendide, un géant. Il est ébloui. Il admire et il tremble : on va lui couper la main. On ne lui coupe pas la main : on lui donne à manger et à boire. Avec les siens, il regagne Wissembourg, en Alsace, où sa famille s’est établie depuis quelques années.
L’Alsace est rattachée au Grand Reich allemand. D’un camp de jeunesse à Strasbourg, il passe à un camp de Jeunesse à Kehl.
L’Arbeitsdienst, ce n’est pas très glorieux : ses copains et lui envient les petits Allemands de leur âge qui, tout l’uniforme de la Hitlerjugend, se préparent au grand jeu de la guerre ; ils donneraient n’importe quoi pour en faire autant, pour te sentir leurs égaux.
Par un enchaînement naturel – la machine allemande fonctionne bien – il se retrouve convoyeur dans le Train. Ce n’est pas la Luftwaffe ou l’unité combattante dont il avait rêvé et où il se serait, lui aussi, couvert de gloire. Mais, enfin, c’est la Wehrmacht. Et, dès l’automne 1942, la Russie, où se joue la grande aventure – il lui restera, en mai 1943 (à dix-sept ans), à entrer dans la division d’élite Gross-Deutschland pour la vivre jusqu’au bout, jusqu’au bout de l’horreur.
Il en est revenu. Marqué à jamais. Par tant de souffrances, par tant de morts.
Surtout : il avait cru se battre pour quelque chose, pour de grandes choses, et on lui apprenait qu’il s’était battu pour rien, que ses camarades étaient morts pour rien – pire : pour une entreprise que la conscience mondiale condamnait. Lui, il ne comprenait pas. Et il voyait que personne ne pouvait le comprendre, ni même l’entendre. Il était seul avec son histoire.
En 1952, au cours d’une maladie, sur un cahier d’écolier, il a commencé d’écrire l’histoire vraie de ce garçon, qui… Jour après jour, remettant les pas dans ses pas, revivant tout. Au bout de cinq ans, cela a fait dix-sept cahiers, écrits au crayon, illustrés de dessins précis comme des planches d’anatomie – pour ne rien oublier. Dix-sept cahiers qu’il traînait partout avec lui, avec, parfois, une furieuse envie de les détruire. Des amis les ont lus, en ont fait paraître des fragments dans un magazine belge. Un jour, ils nous sont parvenus. Les voici.
L’écriture pourra surprendre. Assurément, elle n’est pas celle d’un écrivain de métier ; simplement celle d’un homme qui, avec ses mots à lui, ses images à lui, parfois maladroitement, souvent avec éclat et toujours avec force, essaie de dire ce qui, jamais encore, n’avait été dit.