Chapitre 25

Durant ces longues années passées à étudier les êtres humains, j’ai découvert que malgré tous leurs efforts ils n’ont encore trouvé aucun moyen d’empêcher l’arrivée du lundi matin. Ce n’est pas faute d’essayer, mais le lundi revient toujours, et les pauvres tâcherons doivent reprendre leur misérable vie de labeur dépourvue de sens.

Cette pensée me réjouit toujours, et comme j’aime répandre la joie autour de moi, je fis ce que je pus ce jour-là pour amortir le choc de l’inévitable en apportant au travail une boîte de doughnuts, qui se vida dans une sorte de frénésie grincheuse avant même que j’atteigne mon bureau. Je doutais sérieusement que mes collègues eussent de meilleures raisons que moi d’être d’humeur maussade, mais on ne l’aurait pas cru à les voir tous s’emparer des beignets en grognant.

Vince Masuoka semblait partager l’angoisse générale. Il surgit dans mon box en trébuchant, le visage déformé par l’horreur et la stupéfaction, expression qui devait indiquer quelque chose de très émouvant parce qu’elle semblait presque crédible.

— Nom de Dieu, Dexter ! s’exclama-t-il. Oh, nom de Dieu !

— J’ai essayé de t’en sauver un, m’excusai-je, m’imaginant qu’une telle crise ne pouvait provenir que de la découverte d’une boîte de doughnuts vide.

— Oh, mon Dieu, j’arrive pas à y croire. Il est mort !

— Je suis sûr que les doughnuts n’y sont pour rien.

— Et tu devais aller le voir. Tu y es allé ?

Il y a un point dans toutes les conversations où au moins l’un des interlocuteurs doit savoir de quoi l’on parle ; je décidai qu’on l’avait atteint.

— Vince, dis-je. Je te conseille de prendre une profonde inspiration et de recommencer depuis le début.

— Merde ! lâcha-t-il. T’es pas encore au courant, hein ? Il est mort, Dexter. Ils ont retrouvé son corps hier.

— Eh bien, je suis sûr qu’il va le rester suffisamment longtemps pour que tu puisses m’expliquer de qui tu parles, à la fin.

— Manny Borque, souffla-t-il. Il a été assassiné.

J’avoue que cette nouvelle provoqua en moi des sentiments mitigés. D’un côté, je n’étais pas mécontent que quelqu’un ait éliminé le petit troll, puisque je ne pouvais le faire pour des raisons éthiques. Mais d’un autre côté, il allait falloir à présent que je cherche un autre traiteur – et puis, oui, il faudrait que je fasse une déclaration à l’enquêteur en charge de l’affaire. La contrariété le disputait au soulagement, mais la réaction qui l’emporta finalement fut l’irritation à la pensée de tous les tracas à venir. Je savais néanmoins que ce n’était pas une attitude acceptable à afficher lorsqu’on apprend la mort d’une connaissance. Alors je fis de mon mieux pour inscrire sur mon visage une expression combinant l’effroi, l’inquiétude et l’affliction.

— Quoi ! dis-je. Quel choc ! On sait qui c’est ?

— Il n’avait pas d’ennemis, répondit-il sans se rendre compte à quel point cette phrase pouvait sonner faux pour quiconque connaissait Manny. Enfin, tout le monde le respectait tellement

— Je sais. Il était dans les magazines et tout.

— Je ne peux pas croire que quelqu’un ait voulu lui faire ça.

Personnellement, j’avais du mal à croire que quelqu’un ne l’ait pas fait plus tôt.

— Je suis sûr qu’on va découvrir le coupable. Qui est chargé de l’affaire ?

Vince me regarda comme si je lui avais demandé si, d’après lui, le soleil se lèverait le lendemain.

— Dexter, dit-il d’un air étonné, il a été décapité. Pareil que pour les autres cas.

Plus jeune, lorsque j’essayais à tout prix de m’intégrer, j’avais joué au football pendant un temps ; un jour, j’avais reçu un énorme coup dans le ventre et j’en avais eu la respiration coupée pendant quelques minutes. Là, c’était pareil.

— Oh… fis-je.

— Alors forcément, ils ont confié le dossier à ta sœur.

— Forcément.

Soudain, une pensée me traversa, et étant un fervent adepte de l’ironie, je ne pus m’empêcher de lui demander :

— Il a été cuit, lui aussi ?

— Non, répondit Vince.

— Bon, je ferais mieux d’aller trouver Deborah.


Celle-ci n’était pas d’humeur à parler lorsque je parvins à l’appartement de Manny. Elle était penchée au-dessus de Camilla Figg, occupée à relever les empreintes autour des pieds de la table près de la fenêtre. Elle ne leva pas la tête et j’allai jeter un coup d’œil dans la cuisine, où Angel examinait le corps.

— Angel, appelai-je. C’est bien une tête de femme que je vois là ?

Il fit signe que oui et pointa son stylo vers la tête.

— Ta frangine dit que c’est sans doute celle de la fille du musée. Ils l’ont mise là parce que ce type était une vraie tarlouze.

J’observai la façon dont la chair avait été tranchée sur les deux parties, l’une au-dessus des épaules, l’autre juste en dessous du menton. L’incision de la tête reproduisait ce que nous avions vu auparavant ; c’était un travail très soigné. Mais celle du corps qui devait être Manny était beaucoup plus grossière, comme faite dans la précipitation. Les bords des deux plaies avaient été poussés l’un contre l’autre, mais bien entendu ils ne coïncidaient pas. Même tout seul, sans les marmonnements intérieurs du Passager, j’étais capable de voir que ce cas était différent, et un mince doigt glacé parcourant furtivement ma nuque me suggéra que cette différence pouvait être capitale, mais en dehors de cette vague intuition très insuffisante, je ne ressentais qu’un gros malaise.

— Il y a un autre corps ? demandai-je à Angel, me souvenant du pauvre Franky martyrisé.

Angel haussa les épaules sans lever les yeux.

— Dans la chambre, répondit-il. Il a juste été poignardé avec un couteau de boucher. On lui a laissé la tête.

Il semblait un peu offusqué que l’on se soit donné toute cette peine et qu’on laisse la tête, mais à part ça il n’avait pas l’air d’avoir grand-chose à me dire, alors je m’éloignai, rejoignant ma sœur, à présent accroupie à côté de Camilla.

— Salut, sœurette ! lançai-je avec une gaieté que je ne ressentais pas, et je ne devais pas être le seul car elle ne leva même pas les yeux vers moi.

— Bon sang, Dexter ! A moins que tu aies de bonnes nouvelles pour moi, fous le camp d’ici.

— Elles ne sont pas exactement bonnes, répondis-je. Mais le type dans la chambre s’appelle Franky. L’autre, c’est Manny Borque, dont on a parlé dans de nombreux magazines.

— Comment tu sais tout ça, bordel ?

— Eh bien, c’est un peu gênant, mais je suis peut-être une des dernières personnes à les avoir vus vivants.

Elle se redressa.

— Quand ça ?

— Samedi matin. Vers 10 h 30. Ici même.

Et j’indiquai du doigt la tasse de café qui était toujours posée sur la table :

— Ce sont mes empreintes, là.

Deborah me dévisageait, interloquée.

— Tu connaissais ce type ? C’était un ami à toi ?

— Je l’ai embauché comme traiteur pour mon mariage. Il était censé faire un excellent boulot.

— Mmm. Alors qu’est-ce que tu faisais là un samedi matin ?

— Il avait augmenté le prix, expliquai-je. Je voulais l’en dissuader.

Elle jeta un coup d’œil circulaire à l’appartement et embrassa la vue sur l’Océan, qui devait valoir un million de dollars.

— Combien il te demandait ?

— Cinq cents dollars l’assiette.

Sa tête se tourna brusquement vers moi.

— Cinq cents dollars l’assiette ?

— C’est un peu excessif, non ? Enfin, c’était.

Deborah se mordilla la lèvre un long moment sans ciller, puis elle m’attrapa par le bras et m’entraîna à l’écart. J’apercevais un petit pied dépassant de la cuisine où le cher défunt avait expiré, mais Deborah m’emmena plus loin, à l’autre bout de la pièce.

— Dexter, jure-moi que tu n’as pas tué ce type.

Je l’ai déjà signalé maintes fois : je n’ai pas de véritables sentiments. Je me suis longtemps entraîné pour réagir comme les êtres humains dans toutes les situations imaginables, mais là je fus pris de court. Quelle est l’expression faciale adéquate lorsqu’on est accusé de meurtre par sa sœur ? Le choc ? La colère ? L’incrédulité ? Ce cas, autant que je sache, n’était pas abordé dans les manuels.

— Deborah… dis-je.

Piètre réponse, mais rien d’autre ne me vint à l’esprit.

— Parce que tu ne t’en tireras pas comme ça avec moi. Pas pour un truc aussi grave.

— Jamais je ne… balbutiai-je. Ce n’est pas…

C’était vraiment trop injuste. D’abord le Passager noir m’abandonnait, et maintenant ma sœur et mon bel esprit me lâchaient en même temps. Tous les rats quittaient le navire Dexter tandis qu’il sombrait lentement.

Je pris une profonde inspiration et tentai d’inciter mon équipage à écoper. Deborah était la seule personne sur Terre à savoir exactement ce que j’étais ; et bien qu’elle eût encore un peu de mal à se faire à l’idée, je pensais qu’elle avait saisi les limites très strictes établies par Harry, son père, et compris aussi que je ne les franchirais jamais. Apparemment je me trompais.

— Deborah. Pourquoi je…?

— Arrête tes conneries. On sait tous les deux que tu aurais très bien pu le tuer. Tu étais là au bon moment. Et tu as un excellent mobile : ne pas payer près de 50 000 dollars. C’est ça, ou alors je suis obligée de croire que c’est un type incarcéré qui l’a tué.

Étant un humain artificiel, je suis extrêmement lucide la plupart du temps, libre de toute émotion. J’avais l’impression, cependant, de me retrouver dans des sables mouvants. J’étais surpris et déçu qu’elle m’imagine faisant un aussi sale boulot ; j’aurais voulu lui signifier que si j’avais été le tueur, elle n’en aurait jamais rien su, mais c’était sans doute un peu déplacé. De toute façon, je souhaitais surtout lui assurer que ce n’était pas moi, alors je pris une nouvelle inspiration et choisis plutôt de répondre :

— Je te le jure.

Ma sœur me fixa longuement du regard.

— Crois-moi, insistai-je.

— D’accord, dit-elle. Tu as intérêt à dire la vérité.

— C’est la vérité. Ce n’est pas moi qui l’ai tué.

— Alors c’est qui ?

— Je ne sais pas. Et je ne… Je n’ai aucune idée sur le sujet.

— Et pourquoi je te croirais ?

Était-ce le moment de lui parler du Passager noir et de son absence actuelle ? Plusieurs impressions contradictoires et désagréables me traversaient. S’agissait-il d’émotions, qui venaient battre la côte sans défense de Dexter, comme d’immenses vagues de boue toxique ? Si c’était le cas, je comprenais enfin pourquoi les humains étaient des créatures aussi misérables. C’était une expérience atroce.

— C’est pas facile à dire. Je n’en ai jamais parlé.

— C’est le moment idéal pour commencer.

— Je, euh… J’ai un truc à l’intérieur de moi, bredouillai-je, conscient d’avoir l’air idiot et sentant une étrange chaleur me monter aux joues.

— Comment ça ? Tu as un cancer ?

— Non, non, c’est… J’entends, euh… Il me dit des trucs, lui expliquai-je.

Je ne sais pourquoi, il fallait que je détourne les yeux. Il y avait la photographie d’un torse d’homme nu au mur ; je regardai de nouveau Deborah.

— Nom de Dieu ! s’exclama-t-elle. Tu veux dire que tu entends des voix ? Nom de Dieu, Dex.

— Non. Ce n’est pas comme entendre des voix. Pas exactement.

— Alors c’est quoi, bordel ?

Je dus me concentrer sur le torse nu puis expirer un grand coup avant de pouvoir affronter le regard de Deborah.

— Lorsque j’ai mes fameuses intuitions à propos de… tu sais… sur un lieu de crime, c’est parce que… ce truc me les souffle.

Le visage de Deborah était figé, pétrifié, comme si elle était en train d’écouter la confession d’actes terribles – ce qui était le cas.

— Alors, qu’est-ce qu’il te dit ? Eh, attention, c’est quelqu’un qui se prend pour Batman qui a fait ça !

— À peu près. Juste, tu sais, les petites intuitions que j’avais avant.

— Que tu avais avant ?

Je n’arrivais pas à la fixer du regard.

— Il est parti, Deborah. Quelque chose par rapport à toute cette histoire de Moloch l’a fait fuir. Ce n’est jamais arrivé.

Elle garda le silence un long moment, et je ne voyais pas de raisons de le rompre.

— Tu avais parlé à papa de cette voix ?

— Jamais eu besoin. Il savait.

— Et les voix sont parties maintenant ?

— Il n’y en a qu’une.

— Et c’est pour ça que tu ne me dis rien sur toute cette affaire ?

— Oui.

Deborah grinça des dents si fort que je les entendis crisser. Puis elle souffla bruyamment, sans desserrer les mâchoires.

— Soit tu me mens parce que tu as tué ce type, siffla-t-elle, soit tu me dis la vérité et tu es un putain de psychopathe.

— Deb…

— Qu’est-ce que je préfère croire, d’après toi, Dexter ? Hein ? Qu’est-ce qui est mieux ?

Je ne crois pas avoir ressenti de véritable colère depuis mon adolescence, et encore à l’époque ce n’était peut-être pas ça. Mais avec la disparition du Passager noir et ma descente progressive dans les affres de l’humanité, toutes les vieilles barrières qui existaient entre moi et la vie normale étaient en train de s’effondrer, et ce que j’éprouvais à présent devait être très proche du sentiment authentique.

— Deborah, si tu ne me fais pas confiance et si tu penses que c’est moi le coupable, je me fous de ce que tu préfères croire.

Elle me dévisagea méchamment, et pour la toute première fois je soutins son regard.

— Il faut quand même que je signale ta visite. Officiellement, tu n’as plus le droit d’être mêlé à cette affaire.

— Rien ne pourrait me combler davantage, rétorquai-je.

Elle me fixa encore un instant, puis elle me tourna le dos pour rejoindre Camilla Figg. Je continuai à l’observer un moment avant de me diriger vers la porte.

Il n’y avait plus de raison de rester là, surtout dans la mesure où l’on m’avait signifié, de manière officielle autant qu’officieuse, que ma présence n’était pas la bienvenue. J’aurais aimé pouvoir dire que j’étais froissé, mais j’étais encore trop en colère pour ressentir autre chose. Et, j’avoue, j’avais toujours trouvé assez choquant que l’on puisse m’aimer : c’était presque un soulagement de voir Deborah se comporter de façon raisonnable pour une fois.

Dexter était donc en vacances, mais bizarrement je ne vivais pas cela comme une victoire, tandis que je me dirigeais vers la porte et l’exil.

J’étais en train d’attendre l’ascenseur lorsque je fus assailli par un cri rauque :

— Hé !

Je me tournai et vis un vieil homme furieux foncer vers moi, en sandales et chaussettes noires qui arrivaient presque au niveau de ses genoux noueux. Il portait également un short bouffant ainsi qu’une chemise en soie, et il affichait un air outragé.

— Vous êtes la police ? aboya-t-il.

— Pas la force entière.

— Et mon journal, alors ?

Je fais mon possible pour être poli quand il n’y a pas d’autre solution, je souris donc de façon rassurante à ce vieux cinglé.

— Vous n’avez pas apprécié votre journal ? demandai-je.

— Je n’ai pas eu mon foutu journal ! hurla-t-il, virant au mauve sous l’effort. J’ai appelé la police et la fille noire au téléphone m’a dit d’appeler le journal ! J’ai vu le gamin le voler, et elle me raccroche au nez.

— Un gamin vous a volé votre journal ? répétai-je.

— Qu’est-ce que je viens juste de vous dire ? cria-t-il, et il commençait à avoir une voix perçante. Pourquoi je paie ces fichus impôts si c’est pour m’entendre dire ça ? Et elle s’est moquée de moi, par-dessus le marché !

— Vous auriez pu vous procurer un autre journal, lui dis-je d’un ton apaisant.

Il ne sembla pas s’apaiser.

— Comment ça, me procurer un autre journal ? C’est samedi matin, je suis en pyjama, et il faudrait que j’aille acheter un autre journal ? C’est à vous d’attraper les criminels !

L’ascenseur émit un ding assourdi pour annoncer enfin son arrivée, mais je n’étais plus intéressé parce qu’une pensée m’était venue. De temps à autre, en effet, il m’arrive d’en avoir. La plupart d’entre elles ne parviennent jamais à la surface, sans doute à cause de ces longues années à essayer d’avoir l’air humain ; mais celle-ci remonta lentement et, telle une bulle de gaz, éclata gaiement dans mon cerveau.

— Samedi matin ? Vous vous souvenez de l’heure ?

— Bien sûr que je me souviens de l’heure ! Je leur ai dit quand j’ai appelé, 10 h 30, un samedi matin, et le gamin est en train de me voler mon journal !

— Comment savez-vous qu’il s’agissait d’un gamin ?

— J’ai regardé à travers mon judas, voilà comment ! brailla-t-il. Je devrais sortir dans le couloir sans vérifier peut-être, avec le boulot que vous faites, vous autres ? Pas question !

— Quand vous dites « gamin », quel âge voulez-vous dire exactement ?

— Écoutez, monsieur. Pour moi, toutes les personnes de moins de soixante-dix ans sont des gamins. Mais celui-là avait peut-être vingt ans, et il avait un sac sur le dos comme ils ont tous.

— Vous pouvez me décrire ce garçon ?

— Je ne suis pas aveugle, rétorqua-t-il. Il s’est redressé avec mon journal à la main ; il avait un de ces foutus tatouages qu’ils portent tous maintenant, juste là sur le cou !

Je sentis de légers doigts métalliques effleurer ma colonne vertébrale, et même si je connaissais la réponse je posai malgré tout la question :

— Quel genre de tatouage ?

— Une imbécillité, un de ces symboles japonais. On n’a pas battu ces diables de Jap pour acheter leurs voitures et tatouer leurs gribouillis sur nos gamins, que je sache !

Il avait l’air tout juste de s’échauffer, et si j’admirais réellement son incroyable vigueur à son âge, je sentis qu’il était temps de l’adresser aux autorités compétentes, représentées en l’occurrence par ma sœur ; cela fit naître en moi une petite lueur de satisfaction, car non seulement je lui offrais un meilleur suspect que Dexter le détraqué, mais je lui infligeais par la même occasion ce vieux croûton comme légère punition pour m’avoir suspecté.

— Venez avec moi, dis-je au vieil homme.

— Je ne vais nulle part.

— Vous ne voulez pas parler à un enquêteur ? demandai-je, et toutes les heures à pratiquer mon sourire durent payer parce qu’il fronça les sourcils, regarda autour de lui, puis finit par dire « Bon, d’accord » avant de me suivre dans l’appartement, où Deborah parlait d’un ton hargneux à Camilla Figg.

— Je t’ai dit de ne pas approcher, déclara-t-elle avec toute la chaleur et le charme que j’attendais d’elle.

— Bon, alors je ne te présente pas le témoin ?

Deborah ouvrit la bouche, puis la ferma et l’ouvrit plusieurs fois d’affilée, à croire qu’elle s’efforçait de respirer comme un poisson.

— Tu ne peux pas… Ce n’est pas… Nom de Dieu, Dexter, bredouilla-t-elle enfin.

— Si, je peux… Et si, ça l’est… Lui seul jugera, répliquai-je. Mais en attendant, ce gentil vieux monsieur a quelque chose d’intéressant à te dire.

— Non, mais de quel droit m’appelez-vous « vieux »? pro-testa-t-il.

— Voilà le brigadier-chef Morgan, lui dis-je. C’est elle la responsable.

— Une fille ? grogna-t-il. C’est pas étonnant qu’ils attrapent plus personne. Une femme chef…

— N’oubliez pas de lui parler du sac à dos, lui rappelai-je. Et du tatouage.

— Quel tatouage ? s’écria-t-elle. De quoi tu parles, bordel ?

— Non, mais quel langage ! s’exclama le vieil homme. Vous n’avez pas honte ?…

Je souris à ma sœur.

— Bonne discussion ! lui lançai-je.

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