ÉPISODE 5

21 h 45

On reprend tout depuis le début.

— Les obus, explique Jean, je les ai ramassés sur la route de Souain-Perthes, en direction de Sommepy.

Et à Monthois.

C’est dans l’Est, du côté de Châlons, dans la Marne, il paraît qu’on y déterre chaque année des dizaines d’obus de 14–18, les agriculteurs les stockent le long des routes en attendant le passage des services de déminage. On a confisqué le sac de sport que Jean portait lorsqu’il s’est constitué prisonnier. Le contenu est étalé sur le bureau de Camille. Marsan montre un appareil numérique qui fait réveil et calendrier.

— C’est avec ça que j’ai programmé toutes les bombes. 3,99 euros sur le web.

Pour preuve, il montre la facture puis désigne une boîte remplie de détonateurs, des petits tubes qui tiennent dans la main.

— Volés dans un dépôt de matériel de travaux publics en Haute-Savoie. (Il donne l’adresse, trouvée sur le net). Il y a juste un gardien à mi-temps. C’était vraiment pas difficile.

On va vérifier bien sûr, mais Camille est certain que ça n’est pas la peine. Pour le reste, relais électriques, câbles…

— J’ai tout acheté chez Leroy-Merlin, dit Jean.

Il ajoute :

— Chez moi, vous ne trouverez pas d’ordinateur, je l’ai jeté. Je sais que vous pouvez fouiller dedans même si les données ont été effacées, alors…

Pas de téléphone non plus, il a résilié son abonnement depuis plusieurs mois. Camille a du mal à réaliser.

— Merde alors, dit-il en sortant du bureau. On peut terroriser une ville en ramassant des obus le long des routes, en achetant des réveils sur le net et des relais chez Leroy-Merlin ?

Basin a levé les épaules.

— Oui, très facilement. En 14–18, un obus sur quatre n’a pas explosé, il n’y a qu’à se baisser. Et pour le système de déclenchement, il a utilisé un radio-réveil mais tout ce qui produit une impulsion peut servir : une sonnette de porte, un téléphone portable… On pense toujours que le terrorisme, c’est très sophistiqué mais en fait, pas vraiment.


22 h 30

Ministère de l’Intérieur. Réunion de crise. La Section antiterroriste, à qui revient l’affaire, est formelle : pas d’islamiste dans ce coup-là. On va recevoir des revendications de fantaisie mais ce n’est ni la technique, ni le lieu, ni le moment, aucun signalement ni de la part des indics, ni des agents infiltrés, aucune source, non, le terrorisme politique ou religieux, c’est exclu. Le nommé Marsan dit la vérité. C’est bien lui.

— Bordel, dit le ministre, des obus de la Première Guerre ? Ça marche encore, ces trucs-là ?

— Pas toujours, répond l’expert de la Sécurité civile, il y a beaucoup de déchet. Mais visiblement, celui de la rue Fréret était en bon état…

— Sept ? Une explosion tous les deux jours, c’est ça ? (Décidément, l’information ne passe pas). Et il veut sa mère.

— C’est ça, monsieur le ministre. Sa mère.

— Il croit qu’on va l’envoyer en Australie et attendre une carte postale avec l’adresse de ses bombes, il est con ou quoi ?

Alors d’un coup : le black-out. Personne ne sait si c’est la bonne décision mais de toute manière, on n’a le choix qu’entre des mauvaises solutions.

— Officiellement, dit le ministre, c’est une conduite de gaz ou quelque chose comme ça, débrouillez-vous. Gagnez du temps et vous (il s’adresse au type de l’Antiterrorisme), enquêtez et… euh… faites ce que vous avez à faire.

Le ministre se lève.

— Arrêtez-moi cette connerie.

Il sort. Traduction libre du chef de cabinet : « Mettez-lui les couilles dans l’étau, à votre type. Et serrez bien fort. »


23 h 15

Le bilan de la rue Fréret est un vrai miracle. Vingt-huit blessés, pas de mort. Bras et jambes cassés, luxations, hématomes, fractures, brûlures, ça va laisser des traces mais plus dans les esprits que dans les corps.

— La présence de l’échafaudage, énumère Basin, la traversée en bois, la retenue due à la façade du bâtiment, le niveau d’enfouissement de la bombe… plusieurs facteurs convergents ont limité l’onde de choc et l’effet de souffle.

Camille regarde les photos prises quelques minutes après l’explosion. Il est arrêté par le visage hébété d’un petit garçon assis sur le trottoir, le visage en sang, on le dirait sorti vivant d’une catastrophe, il tient à la main un étui de clarinette béant et vide. Les petits garçons, ça le bouleverse souvent, Camille, il se sent toujours proche d’eux, à cause de la taille. En même temps, il est le genre de flic à s’émouvoir facilement.

La larme facile. Pour un flic… enfin, passons.

— Sans ces obstacles, dit Basin, et si votre gars pose les mêmes bombes dans le même genre d’endroit, vous aurez vingt morts.

Il semble douter, se ravise.

— Plutôt trente.

Загрузка...