CHAPITRE XII

Le taxi déposa Malko et Mina sur le port d’Aberdeen, devant l’embarcadère du restaurant flottant Sea-Palace. L’odeur de pourriture aurait fait reculer un putois. Devant eux un enfant chinois sortit son sexe et se mit tranquillement à faire pipi sur un tas d’immondices.

Brusquement, avec ses vêtements bien coupés et cette jolie fille maquillée jusqu’au bout des ongles à son bras, Malko se sentit déplacé.

Aberdeen, c’est le chancre de Hong-Kong. Dans un port minuscule et boueux, au flanc sud de l’île, à l’opposé des lumières de Victoria City, sont venus s’agglomérer petit à petit trois ou quatre mille jonques. Serrées les unes contre les autres, elles forment un magma noirâtre et nauséabond où survit une population misérable de réfugiés ne possédant que les quelques planches pourries qui s’enfoncent peu à peu dans l’eau fangeuse.

Personne n’a jamais vraiment cherché à savoir de quoi vivent les habitants de cette mer des Sargasses en miniature. La prostitution, le vol et la mendicité organisée sont les activités les plus riantes. De temps en temps on repêche un corps lardé de coups de couteau ou étranglé. Ou un fœtus à demi dévoré par les rats. Pour un homme traqué, c’est un refuge pratiquement inviolable : les jonques communiquent toutes les unes avec les autres, et fouiller leurs cales prendrait jusqu’au Jugement dernier. Il y a de tout, depuis l’atelier où on mutile les enfants pour en faire des mendiants inspirant assez de pitié, jusqu’aux bordels pour coolies-pousses, garnis de squelettes pustuleux et édentés.

Peu à peu, le chancre gagne le bord, envahit le petit village d’Aberdeen, étendant ses tentacules jusqu’à l’immense cimetière chinois qui recouvre la colline.

Toujours génialement commerçants, quelques riches Chinois ont planté dans ce port du désespoir et de la misère, deux énormes bateaux-restaurants ruisselants de lumières, de dorures et de victuailles, écrasant de leurs masses les jonques noires et pouilleuses. Ainsi, tout en dégustant des nids d’hirondelle importés clandestinement de Changhaï, les étrangers peuvent admirer sans danger le cloaque humain qui les cerne.

Plongé dans ses pensées, Malko regardait les reflets rouges des milliers d’ampoules du Sea-Palace. On aurait dit du sang. Autour du quai, des miséreux dormaient dans des coins d’ombre, à même le sol. D’autres somnolaient, accroupis, dans l’immuable position de l’Asie.

Une Chinoise sans âge, portant un bébé dans le dos, s’accrocha à lui. En mauvais anglais, elle proposait une jonque pour visiter Aberdeen. Cinq dollars. Des dizaines de petites embarcations, conduites par des femmes, s’agglutinaient autour du ponton, essayant d’attirer l’attention, avec des voix aiguës. Malko choisit celle qui semblait le moins sale et aida Mina à monter dedans. L’arrière était aménagé en banquette. La sampanière, qui n’avait pas quinze ans, godillait avec ardeur. Sous sa crasse et ses haillons, elle avait un visage gracieux. Elle ne portait pas le traditionnel pantalon de soie, mais une minijupe de satinette noire.

Plusieurs fois, elle sourit, cherchant à saisir le regard de Malko. Poliment, il lui rendit son sourire. Elle en profita pour écarter imperceptiblement les genoux. Il put voir ainsi qu’elle ne portait rien sous sa jupe. Le sourire s’était accentué.

Mina eut un rictus méprisant et cracha dans l’eau. La sampanière marmonna quelque chose et serra les jambes. Parfois, les Blancs, même accompagnés, ne dédaignaient pas une fantaisie rapide dans l’ombre des grosses jonques. Toujours le frisson du risque. Mais, philosophe, elle cessa ses avances. D’ailleurs, ils abordaient le Sea-Palace. Le bateau-restaurant comportait trois étages somptueusement décorés. Il régnait un vacarme épouvantable au troisième, où une noce s’était donné rendez-vous.

On les installa dans la salle du bas, croulant sous les dorures et les lambris. Rien que la décoration avait coûté un million de dollars Hong-Kong. De quoi nourrir les ombres qui entouraient le Sea-Palace pendant un an… Avec un mauvais goût délirant les dorures succédaient aux dorures, les dragons innombrables auraient épuisé saint Michel. Il y avait très peu de Chinois. Derrière les vitres sales, des petits mendiants en barque imploraient qu’on leur jetât quelques restes.

Les garçons chinois toléraient ce manège. D’abord, pour le pittoresque, et ensuite, pour éviter de se retrouver flottant entre deux eaux, un couteau dans le dos.

Malko choisit un menu classique, sans illusion sur la qualité des plats. Le Sea-Palace n’était certainement pas un palais de la gastronomie.

On leur apporta un potage aux nids d’hirondelle, graisseux et fade. Puis des langoustines à la sauce trop forte pour faire passer le manque de fraîcheur. Seul le thé était bon. Mina mangeait rapidement et semblait pourtant apprécier ce piètre repas. Malko la surveillait du coin de l’œil. Inexplicablement, il appréciait la présence de cette putain qui ne se cachait pas de l’être. En dépit de ses traits presque parfaits, elle distillait un froid glacial et restait aussi insaisissable qu’un chat.

Malko se demandait s’il avait bien fait de sortir avec Mina. Il aurait pu décommander leur rendez-vous. Toute la journée, il avait attendu dans sa chambre du Hilton le coup de téléphone de Cheng Chang.

En vain. Le Chinois, repris par sa peur, se terrait. Très probablement, il n’appellerait pas. Avec lui s’évanouissait la meilleure chance de savoir ce qui se tramait contre le Coral-Sea. Dick Ryan était nerveux. La tentative de meurtre contre Malko l’inquiétait. Il craignait que les Chinois ne s’attaquent aux hommes de la 7e flotte quand ils seraient à terre. Au fond des alcôves des Suzie Wong Bars, c’étaient des proies faciles. Et si on les consignait à Hong-Kong après deux mois d’opération, ils allaient mettre la crosse en l’air…

C’est un peu pour cela que Malko avait décidé de voir Mina. Elle avait un pied dans cette histoire, et peut-être avait-elle appris quelque chose d’utile.

De toute façon, le standard du Hilton avait des instructions. Toutes les communications pour Malko étaient dérivées sur un numéro où Dick Ryan veillait en personne avec les deux Chinois les plus sûrs de son service.

Depuis que Mina l’avait retrouvé dans le hall du Hilton, ils n’avaient pas échangé dix paroles. Maintenant, les yeux dans le vide, elle jouait avec ses baguettes. Ou elle n’avait rien de nouveau, où elle attendait que lui la questionnât. Pour donner plus d’importance à ses révélations… Avec les Asiatiques, on ne sait jamais.

— À quoi pensez-vous ? demanda Malko.

— Aux millions qu’on a dépensés pour décorer ce restaurant, dit-elle. Pour la face. Par moments, je hais mon peuple. Savez-vous qu’il y a quelque temps, des bandits ont kidnappé la femme d’un milliardaire de Hong-Kong ? Ils voulaient un million de dollars de rançon. Cet homme adorait sa femme et il aurait pu payer sans même s’en apercevoir… Mais la presse s’était emparée de l’histoire. Il ne pouvait plus payer sans perdre la face. Alors, il a refusé. Ils lui ont renvoyé sa femme par petits morceaux ; en commençant par les doigts, les seins et les oreilles…» Cela a duré un mois.

» Depuis, il a dépensé trois fois la somme qu’on lui réclamait pour châtier dans des supplices incroyables les ravisseurs.

— Comment connaissez-vous cette histoire ?

— Chaque fois qu’il recevait un morceau de sa femme, il venait me voir, répliqua-t-elle simplement. Ensuite, il me battait terriblement pour me punir d’être belle. Il adorait sa femme. Il m’avait apporté tous ses vêtements pour que je les mette quand il me faisait l’amour. Après il les a brûlés.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas épousé ? Elle haussa les épaules :

— Dans ce pays on n’épouse pas les putains. Soudain, elle soupira.

— Oh ! comme je voudrais partir ! Malko sauta sur l’occasion.

— Vous n’avez rien appris ? Elle secoua la tête.

— Rien encore.

— Le temps presse. Ce que je veux savoir vaut très cher aujourd’hui. Peut-être rien dans une semaine.

Mina eut un geste d’impuissance. Malko avait failli lui parler de son bain dans la baie de Kowloon puis s’était ravisé. À quoi bon ? Il fit une dernière tentative :

— Qui vous avait dit d’aller réclamer le corps de Cheng Chang ?

— Je ne peux pas vous le dire.

De nouveau, elle était fermée comme une huître. Elle savait certainement quelque chose, mais quoi ? Et pourtant, elle avait vraiment envie de quitter Hong-Kong. C’était la seule chose sûre. Un peu agacé par le mutisme de sa compagne, Malko regarda autour de lui. Il avait l’impression déprimante de perdre son temps. Comme souvent en Asie où les concepts du Blanc n’ont plus qu’une valeur très relative.

Le restaurant se vidait. La vie nocturne et clandestine d’Aberdeen avait commencé. Une humanité inquiétante grouillait dans l’obscurité autour du Sea-Palace. Les putains dans les sampans, les petits tripots flottants où l’on jouait au fan-tan, et d’autres choses encore plus inquiétantes. De jeunes blousons noirs chinois rôdaient dans l’ombre, espérant surprendre un touriste isolé. On mettrait cela sur le compte des communistes…

Une partie de la noce s’était installée au fond de la salle, s’empiffrant avec de grands rires, ponctués de petits verres d’alcool de riz. Les visages luisaient de sueur et de graisse. On est très pauvre ou très riche en Chine et le voisinage de la misère n’a jamais gêné personne. À trente mètres du Sea-Palace était ancrée une jonque où un gang de matrones mutilaient des enfants pour en faire des mendiants. Elles brisaient les membres de certains d’eux, en brûlaient d’autres et laissaient tremper les plaies dans l’eau innommable du port afin qu’elles s’infectent assez spectaculairement…

Pour dix dollars, les initiés pouvaient visiter la fabrique de monstres après un bon repas au Sea-Palace.

Malko réclama l’addition. Les petits mendiants s’enhardissaient et commençaient à envahir la salle. L’un d’eux vint jusqu’à la table et tira Malko par la main. Celui-ci se dégagea gentiment. Mais le petit Chinois restait debout près de la table, obstiné. Il murmura une phrase en chinois. Mina traduisit :

— Il veut que vous signiez le livre d’or de l’établissement. Tous les étrangers le font. C’est là-bas, près de l’entrée. Il espère une pièce.

Malko sourit et se leva. On venait de lui rapporter sa monnaie. Le gamin le précéda jusqu’à une table où était posé un grand registre couvert de signatures et de paraphes en anglais et en chinois. Malko prit son stylo et s’apprêtait à y joindre le sien, lorsqu’il resta en arrêt.

La dernière ligne du registre comportait quatre mots en anglais qui dansaient comme des lettres de feu devant les yeux de Malko : 34 Temple Street. Cheng.

Le gamin lâcha la main de Malko et disparut en courant. Malko gribouilla n’importe quoi au-dessous du message. Soudain, la voix de Mina demanda derrière lui, moqueuse :

— Qu’avez-vous écrit ?

Il réprima un sursaut et se déplaça de façon à cacher la page. Son regard croisa celui de la jeune femme. Impénétrable. Impossible de savoir si elle avait lu ou non. Le mieux était de faire comme si de rien n’était. Mais, maintenant, il brûlait de la quitter. Il regarda autour de lui. On le surveillait. Pourquoi cette adresse ?

— Oh ! j’ai juste signé ! fit-il en la prenant par le bras. Elle se laissa faire docilement, comme toujours. Pour revenir ils prirent la jonque de l’établissement. Malko avait du mal à garder son calme.

Quelques boutiques étaient encore ouvertes, avec des lampes à acétylène. Ils montèrent dans le premier taxi de la file. Encore une chose qui n’était pas chère à Hongkong. Mais tout y était bon marché, y compris la vie humaine.

À chaque virage de la route sinueuse longeant la côte, le corps de Mina s’appuyait contre le sien. Dans la pénombre, impossible de discerner son expression. S’il lui proposait de rentrer avec lui au Hilton, elle accepterait. Elle n’en était pas à un homme près. Mais c’était plutôt le contraire qu’il cherchait pour l’instant…

— Je crois que l’alcool de riz m’a fait mal à la tête, fit-il d’un ton aussi dégagé qu’il le put… Je ferais mieux d’aller me coucher.

— Bien sûr, dit-elle d’une voix égale. Mais avant je voudrais vous montrer le Marché de la nuit. Vous en avez entendu parler ?

— Non, mais je suis un peu fatigué…

— C’est notre route, expliqua Mina. Cela ne nous fera pas perdre de temps et c’est très joli.

Sans attendre la réponse de Malko elle dit quelques mots au chauffeur. Au virage suivant, la baie de Hongkong apparut dans toute sa splendeur, piquetée de milliers de lumières. La voiture entrait dans West Point, une banlieue populaire qui prolongeait à l’ouest Victoria City. C’est là que se faisait presque tout le trafic local des jonques.

Quittant Connaught Road, le taxi tourna à gauche sur le quai et stoppa un peu plus loin, devant les bâtiments du ferry pour Macao. Mina descendit, exposant généreusement trente centimètres de cuisses fuselées.

— Venez, fit-elle, c’est ici.

Malko la suivit, découvrant un spectacle étonnant. La place bordée par la mer était occupée par des dizaines de petites échoppes. Presque toutes étaient des restaurants vendant des poissons, des huîtres, des escargots… On dégustait sur place, assis sur des petits bancs. Chaque commerçant possédait sa lampe à acétylène. Une foule jacassante et compacte circulait sans cesse entre les échoppes.

Mina stoppa devant un Chinois accroupi, pérorant au milieu d’un groupe respectueux.

— C’est un diseur de bonne aventure, expliqua-t-elle. Tous les marins des jonques viennent manger ici. Ce n’est pas cher et c’est bon. Ils y trouvent même des filles. Regardez…

Une femme sans âge discutait avec deux marins. Elle était énorme, mafflue, bouffie, avec un énorme nez épaté, presque plus de cheveux. Vision de cauchemar.

— Deux Hong-Kong dollars seulement, fit Mina. Elles n’ont même pas de chambre, elles font ça sous les arcades de Des Vœux Road, là-bas.

Malko regarda dans la direction indiquée et réprima un frisson. Ce n’était pas de la sensation pour touriste, ça. Il allait répliquer quand, brusquement, il ne vit plus Mina derrière lui.

Il la chercha des yeux, mais la lueur des lampes à acétylène ne permettait pas de voir loin. Il crut qu’elle regardait le diseur de bonne aventure. Au fond, c’était une excellente occasion de lui fausser compagnie, pensa-t-il, quand il la revit derrière lui au Sea-Palace, près du livre d’or.

C’est elle qui était en train de lui fausser compagnie !

Comme un fou, il fonça dans la foule amorphe, vers le taxi. Il était le seul Blanc. Mina avait disparu, avalée par la foule. Il bousculait les gens sans même s’excuser. Il fallait qu’il la rattrape. Toutes les échoppes se ressemblaient. Il renversa un plateau d’escargots, perdit de précieuses secondes à donner un billet de vingt dollars et à s’excuser, puis repartit, suivi par des regards haineux.

Soudain, il se souvint de la station de taxi, près de l’embarcadère du ferry.

Il infléchit sa course. Mina, elle aussi, devait se faufiler entre les marins.

Jamais il ne l’aurait rattrapée sans deux Chinois qui lui avaient barré le passage, avec une idée bien précise. Malko la vit de dos, cherchant à se dégager. Il accéléra encore au moment où elle se retournait. Elle luttait furieusement, mais l’un des marins en casquette Mao ne voulait pas la lâcher.

Malko rejoignit le groupe.

Mina se tourna d’un bloc vers lui. Elle était méconnaissable, même plus jolie, les lèvres retroussées dans un rictus fou.

Au moment où il la saisissait par le bras, elle se mit à parler à toute vitesse aux deux Chinois. Leur attitude changea immédiatement. L’un d’eux apostropha Malko en chinois, l’air mauvais. L’autre cria quelque chose vers un groupe qui dégustait des escargots, à quelques mètres de là.

Plusieurs se levèrent lentement. Mina continuait à crier, à ameuter la foule. Sans avertissement, le Chinois en casquette empoigna Malko par les revers de sa veste.

Maintenant, il y avait une vingtaine d’hommes silencieux, autour du petit groupe. On n’entendait que le bruissement des lampes à acétylène. Malko sentit une boule dans sa gorge. Il n’y a rien de plus dangereux que la foule. Ceux-là avaient mille fois le temps de l’écharper avant que la police n’intervienne.

S’il perdait son sang-froid il était mort. Il regarda sévèrement le Chinois qui l’avait empoigné et se dégagea sans brutalité, mais d’un geste sec.

Deux autres lui saisirent les bras par-derrière et voulurent l’immobiliser. Il parvint encore à s’en débarrasser. Mais le cercle s’était encore rétréci. Il sentait l’odeur de poisson et de crasse de ceux qui l’entouraient. Mina eut un sourire méchant et dit en anglais :

— Je leur ai dit que vous étiez un Américain et que vous aviez voulu me violer dans le taxi, que je voulais seulement rentrer chez moi. Vous feriez mieux de me laisser. Ils ont très envie de vous tuer…

— Vous êtes folle, fit Malko, hors de lui. Pourquoi faites-vous cela ?

Un des Chinois les plus grands, sans crier gare, frappa Malko en plein visage. Le coup, pas trop violent l’atteignit sur la bouche et il sentit le goût fade du sang. Il voulut riposter et vit luire dans la pénombre la lame d’un couteau, devant lui.

Il allait se faire massacrer.

— Je vous ai promis un passeport, dit Malko, s’efforçant au calme.

— Je ne vous crois pas. Je n’ai pas confiance en vous, fit Mina. Je peux avoir mieux.

Elle eut un sourire ensorceleur pour le premier Chinois qui l’avait interpellée et lui tint un grand discours. L’autre hocha vigoureusement la tête avec un regard menaçant pour Malko.

— Je leur ai dit que je partais, qu’ils vous retiennent un bon moment afin que vous ne me dénonciez pas à la police.

Elle s’éloigna avec un rire moqueur, faisant balancer ses hanches. Malko voulut rompre le cercle. Un coup l’atteignit au bas-ventre et il se plia en deux de douleur. Les yeux bridés le regardaient haineusement. Il n’aurait pas fallu les prier beaucoup pour qu’ils le jettent dans le port. Deux types avaient des couteaux à la main, tenus horizontalement, à bout de bras, comme des tueurs.

Il voulut parlementer en anglais, mais personne ne pouvait ou ne voulait comprendre. Mina monta dans un taxi et la voiture démarra.

Un type lui cracha à la figure, les autres éclatèrent de rire. Sans mot dire, il s’essuya avec son mouchoir et sourit. Un peu décontenancés ses adversaires s’écartèrent imperceptiblement. Mais, quand il voulut se dégager, le cercle se reforma. Pendant un temps qui lui sembla infiniment lent, les Chinois restèrent autour de lui. Puis, un par un, ils s’éloignèrent. Ceux qui avaient interrompu leur repas repartirent vers leurs escargots. Malko se retrouva seul.

Juste pour voir s’approcher à pas lents deux policiers chinois en uniforme, balançant leurs longues matraques à bout de bras, le long Smith et Wesson au côté, impeccables avec leurs shorts et leurs bas de laine blanche. Ils regardèrent Malko avec surprise. Le Marché de la nuit n’était pas un coin pour les Blancs à cette heure-là.

Malko courut jusqu’à la station de taxi. Les flics étaient arrivés trop tard, comme toujours… Il restait deux Toyota.

Le premier chauffeur parlait un peu anglais. Il eut l’air de savoir où se trouvait Temple Street.

— Kowloon, fit-il.

Et il éclata d’un grand rire.

Ce n’est qu’après une conversation de dix minutes en pidgin que Malko comprit la raison de sa gaieté : Temple Street était la rue des bordels bon marché de Kowloon. Le chauffeur proposait à Malko des endroits beaucoup plus sélects à des prix très raisonnables. Il ne se découragea qu’en arrivant au ferry. Hélas ! il quittait le quai et ils durent attendre vingt minutes. Il n’y avait pas un seul walla-walla en vue.

Malko rongeait son frein, Mina avait de l’avance. Si Cheng pensait que Malko le trahissait, il redisparaîtrait définitivement. Sans compter qu’il ignorait s’il n’avait pas été suivi. Le manège de Mina, dans ce cas, avait dû fâcheusement attirer l’attention. Il n’avait même pas le temps d’appeler Dick Ryan à la rescousse.

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