Chapitre XIV

— Le numéro de la Zastava conduite par Boza correspond à celui d’un camion, annonça Mladen Lazorov. Il fallait s’en douter.

Encore une piste qui s’évanouissait. Et cela avait pris deux heures pour découvrir cela ! En plus, il régnait une chaleur inhumaine dans le petit bureau sous les combles du ministère de la Défense. Malko avait largement eu le temps de raconter ce qu’il avait vu la veille au soir du départ de Sonia et de sa rencontre avec le mystérieux Boza. Là non plus, il n’y avait rien à faire : le bus emprunté par la jeune femme était arrivé depuis longtemps.

Le téléphone sonna et Mladen Lazorov répondit immédiatement. Malko vit son visage se rembrunir tandis qu’il prenait des notes rapidement sur un bout de papier.

— Je crois qu’on a retrouvé Sonia, annonça le policier croate. La Milicja a relevé ce matin le cadavre d’une jeune femme qui correspond au signalement que vous m’avez donné, à l’entrée du village serbe de Borovo, en Slavonie. Elle avait été horriblement mutilée, torturée et finalement égorgée. On va me monter les photos prises sur place, elles viennent d’arriver. Cette personne avait sur elle des papiers au nom de Sonia Bolcek, domiciliée à Novi Zagreb, 6 Prilaz Poljanama.

— C’est bien elle ! fit Malko consterné.

On frappa à la porte et une sentinelle déposa une enveloppe sur le bureau. Mladen Lazorov l’ouvrit et regarda les documents qu’il tendit à Malko. Celui-ci faillit vomir.

Le spectacle était insoutenable. Le visage surtout avec les poches de sang séché à la place des yeux, le nez écrasé, la bouche ouverte en deux et l’abominable entaille dans le cou délicat, avec la chair rougeâtre à l’intérieur. À côté, la blessure du flanc faisait presque propre.

— Ils lui ont fait tout cela alors qu’elle était encore vivante, précisa Mladen Lazorov d’une voix blanche. C’est l’habitude des Tchekniks.

Les autres photos avec le drapeau étaient encore plus ignobles. Il reposa le tout.

— On sait ce qui est arrivé ?

— Pas exactement. On suppose qu’elle a été attaquée par une des bandes de Tchekniks qui rôdent dans le coin. Elle a peut-être pris des risques pour sa livraison d’armes.

Malko se dit que c’était vraisemblablement un épisode de cette atroce guerre civile qui n’osait pas encore dire son nom… Mladen Lazorov était au téléphone, il raccrocha presque aussitôt.

— J’ai localisé son appartement, annonça-t-il. Nous allons là-bas, un milicien nous y rejoint avec un serrurier.


* * *

La porte s’ouvrit au premier essai du serrurier. Malko et Mladen Lazorov pénétrèrent les premiers dans le minuscule appartement et en eurent vite fait le tour. Dans une chambre, ils découvrirent des bagages abandonnés dont une valise portant un macaron des Aerolineas Argentinas.

— Voilà où se planquait Said Mustala, conclut Mladen Lazorov.

Ils eurent beau tout retourner à l’aide du milicien, ils ne trouvèrent aucun document permettant de faire avancer l’enquête, ni aucun signe du mystérieux Boza. Ils allaient se retirer lorsque le téléphone sonna. Malko était le plus proche de l’appareil. Instinctivement, il décrocha. Aussitôt, une voix d’homme anxieuse demanda :

— Sonia ! C’est moi.

En un clin d’œil, Malko identifia le très léger zézaiement de Miroslav Benkovac.

— Sonia ! répéta le jeune Croate, d’une voix nouée par l’angoisse. C’est toi ?

— Ce n’est pas Sonia, répondit Malko en allemand. C’est Kurt. Sonia est morte.

Il crut que son interlocuteur avait raccroché, n’entendant aucune réponse, mais plusieurs secondes plus tard, Miroslav Benkovac demanda d’une voix blanche et cassée :

— Comment le savez-vous ? Que faites-vous là ? Vous bluffez !

— Hélas, je ne bluffe pas. Je suis avec un membre des Services de renseignements croates. Nous avons eu la confirmation de l’assassinat de Sonia tout à l’heure. Elle a été massacrée à l’entrée du village de Borovo.

Il y eut comme un sanglot à l’autre bout du fil.

— Je sais, gémit Benkovac. Elle apportait des armes à des amis et ces salauds de Tchekniks lui ont tendu une embuscade. Je ne voulais pas qu’elle y aille, c’était trop dangereux. Boza aussi ^a essayé de la dissuader, mais elle n’a même pas voulu le voir.

Le pouls de Malko monta d’un coup à 120.

Pourquoi Boza mentait-il à Miroslav Benkovac ? C’est lui qui avait remis les armes à Sonia. Il savait très bien où elle se rendait.

— Écouter, fit Malko, il faut absolument que je vous parle. Où êtes-vous ?

— Ça ne vous regarde pas, cracha Miroslav, je n’ai pas de temps à perdre avec vous. Je vais retrouver ces salauds et les punir. Leur faire ce qu’ils ont fait à Sonia.

Nous avons assez enduré de ces sauvages. Ils ne connaissent que la force.

La haine l’empêchait de raccrocher, il se grisait de ses propres paroles. De nouveau Malko l’interrompit.

— Miroslav, supplia-t-il, ne raccrochez pas, j’ai quelque chose d’important à vous dire.

— Quoi ?

Il sanglotait, prononçait des mots sans suite.

— Boza, avança Malko avec précaution, vous êtes certain qu’il est de votre côté ?

— Quoi ! Qu’est-ce que vous essayez de faire, espèce de salaud !

Il hurlait tellement que Malko dut éloigner le récepteur de son oreille.

— Boza a failli être fusillé ! continua-t-il. Il a commis des tas d’attentats à Belgrade. Il a été condamné à mort, mais il a réussi à s’évader. C’est un authentique résistant.

Le parfait profil de l’activiste « retourné », se dit Malko. Il profita d’une pause pour lancer :

— Miroslav, il faut que je vous rencontre. Dites-moi où vous êtes, je viendrai seul. J’ai des choses importantes à vous dire.

— Moi, je n’ai rien à vous dire, glapit Miroslav Benkovac.

Et crac, il avait raccroché.

Malko était glacé, il venait de mettre le doigt sur le ressort secret de la manip. C’était abominable, mais efficace. Il ne lui manquait que le nom de celui qui tirait les ficelles. Boza n’était qu’un exécutant, qu’un manipulateur de second ordre. Il dansait sur une musique qu’il n’avait pas écrite…

Sonia Bolcek avait été sacrifiée de sang-froid, entraînée dans un guet-apens abominable par ceux en qui elle avait le plus confiance.

C’était Boza qu’il fallait retrouver coûte que coûte, le lien entre les manipulateurs et les gens comme Miroslav Benkovac, utopiques, fanatiques, mais de bonne foi.

— Je crois qu’il ne faut pas finasser avec ce chauffeur de taxi, dit-il à Mladen Lazorov. Il est le seul à pouvoir nous conduire rapidement à Boza. Êtes-vous d’accord pour prendre certains risques… administratifs ?

Le visage du policier s’éclaira d’un sourire décidé.

— Absolument. D’ici ce soir, nous avons le temps de penser à quelque chose.


* * *

Boza Dolac jeta un regard inquisiteur à Miroslav Benkovac dont l’émotion était visible. Il avait les yeux rouges, les traits tirés et jouait nerveusement avec sa barbe, sans avoir touché à la ljuta[30] qu’il avait commandée pour lui.

Autour d’eux, la terrasse du Graski Podrum, le plus grand café de l’ex-place de la République, était pratiquement déserte : à cause des événements, il n’y avait presque pas de touristes. Dès le matin, Boza Dolac avait téléphoné à Miroslav Benkovac, lui annonçant la mort de Sonia Bolcek, apprise, avait-il prétendu, par des amis. D’abord, Miroslav n’avait pas voulu le croire, puis avait dû se rendre à la réalité. Et il s’était effondré.

— Tu vois que j’avais raison, lança d’une voix doucereuse Boza Dolac, quand je te disais qu’il fallait frapper les Serbes sans attendre. Nous aurions peut-être tué ceux qui l’ont massacrée…

Miroslav Benkovac leva la tête, une lueur folle dans ses prunelles sombres.

— On va la venger, gronda-t-il d’une voix tremblante de haine. Mais je ne peux même pas aller chez elle prendre quelques affaires en souvenir.

— Pourquoi ? demanda Boza, surpris.

— La police s’y trouve.

— Comment le sais-tu ?

Il avait du mal à dissimuler l’affolement dans sa voix.

— J’ai appelé, répliqua Miroslav, je suis tombé sur Kurt. Il était avec des flics. Il a essayé de me faire dire où je me trouvais et m’a posé des questions sur toi.

Boza Dolac eut l’impression qu’une coulée glaciale descendait le long de sa colonne vertébrale. Depuis ce jour lointain, la veille de son exécution, où le major Tuzla qui n’était encore que lieutenant avait pénétré dans sa cellule, pour lui demander s’il avait envie de vivre, il avait toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

— Qu’est-ce qu’il voulait ? croassa-t-il.

— Des conneries, laissa tomber Miroslav Benkovac d’une voix lasse.

Boza Dolac se hâta de changer de sujet, rassuré par le ton sincère de Miroslav. Il se pencha à travers la table et se mit à parler à voix basse.

— Il ne faut pas perdre de temps pour venger Sonia, commença-t-il.


* * *

Mladen Lazorov raccrocha son téléphone pour la vingtième fois. La chaleur avait encore augmenté dans son petit bureau du ministère de la Défense où lui et Malko étaient retournés. Essayant de retrouver la trace de Boza.

— J’ai appelé partout ! dit-il. Personne ne le connaît, pourtant, nous avons quelques informateurs dans les milieux Oustachis. Ce Boza peut habiter n’importe où, même chez un agent du KOS, si vous avez raison. Des dizaines sont encore à Zagreb. Ce soir, il va falloir secouer ce chauffeur de taxi.

— Comment faire ? demanda Malko.

— J’ai réfléchi, fit le policier. On va l’appeler par radio. Ensuite, le prendre de front.

— Nous n’avons pas de preuves.

— Si, vous allez prétendre le reconnaître. Ensuite, vous me laisserez faire…

Malko eut soudain une idée.

— Si nous allions à Borovo ? proposa-t-il.

— Pour quoi faire ? demanda Mladen Lazorov, étonné.

— Je ne sais pas exactement, avoua Malko, fouiller le coin, parler avec vos collègues… on pourra peut-être recueillir des indices – sur place.

— Si vous voulez, avec la BMW, mais on a au moins deux heures de route et il est déjà plus de dix heures. Et cela risque d’être un voyage inutile.

— Faire ça ou tourner en rond dans Zagreb… remarqua Malko.

Swesda était partie explorer les boutiques chics de la rue Ilica après avoir repéré dans un magazine de décoration la photo pleine page d’un superbe bar en cuir blanc capitonné, rehaussé de miroirs, le tout dans un style gréco-romain, ultime création de Claude Dalle.

— Ils n’ont pas ça ici, avait-elle remarqué, il faudrait trouver un importateur maintenant qu’ils ne sont plus communistes.

Malko et le policier croate étaient sur l’autoroute de Belgrade fonçant à près de 200 à l’heure. Direction Borovo. La Croatie se présentait un peu comme une molaire dont la base aurait été adossée à la Slovénie, la pointe sud constituant la Dalmatie et la pointe nord, la Slavonie, délimitée par le Danube. Borovo se trouvait là, à une trentaine de kilomètres au nord de l’axe Zagreb-Belgrade.


* * *

Marko ouvrit avidement l’enveloppe marron que venait de passer sous la table Boza Dolac. Ce dernier avait parcouru ventre à terre les 250 kilomètres séparant Zagreb de Nustar, petit village situé entre Vinkovci et Vukovar, au bord du Danube. Afin de rétribuer dignement l’équipe qui s’était occupée de Sonia. C’est le major Tuzla qui lui avait remis l’argent dans une enveloppe cachetée.

— Il y a dix mille marks, commenta Boza Dolac, cinq mille pour toi, deux mille cinq cents pour chacun des deux autres.

Ceux-ci attendaient dehors dans leur Jugo.

Marko regarda les billets sous la table et leva soudain vers Boza Dolac un visage convulsé de fureur, les yeux injectés de sang.

— Tu te fous de moi ! Qu’est-ce que c’est que cette saloperie ?

Il brandissait une poignée de billets sous le nez de Boza, sans se soucier des autres clients de l’établissement. Boza Dolac sentit le sang se retirer de son visage. Ce que l’autre lui montrait, c’étaient bien des marks. Seulement, des marks est-allemands, retirés de la circulation depuis la réunification, et qui valaient tout juste leur poids de papier…

Voilà pourquoi le major Tuzla lui avait conseillé de ne pas s’attarder avec ses hommes de main.

Toujours la pingrerie des administratifs du KOS… Tuzla avait dû penser que ces ploucs du fin fond de la Slavonie ne feraient pas la différence. Apparemment, ils la faisaient…

Marko attrapa Boza au collet, le secouant comme un prunier. Les yeux de ce dernier semblaient avoir disparu au fond de leurs orbites…

— C’est sûrement une erreur, bredouilla-t-il. On m’a remis l’enveloppe fermée. J’ai des magnétoscopes dans ma voiture, je peux vous en donner. Je vous réglerai le reste plus tard.

Marko secoua la tête.

— Non ! tu vas retourner à Zagreb chercher le reste. Tu laisses ta voiture, on t’attend ici.

Boza Dolac ne discuta pas. Marko était capable de le poignarder en plein café. Il fit mine de se résigner et se leva.

— Bon, allons-y !

Il avait garé sa voiture dans une cour, pas loin. Marko sortit avec lui et fit signe à ses deux copains de le rejoindre. Les quatre hommes s’éloignèrent dans la rue principale de Nustar, Boza Dolac en tête. Celui-ci, arrivé à la Zastava, se dirigea vers le coffre, observé par les trois hommes. Il ouvrit et se pencha à l’intérieur. Même Marko, qui pourtant se méfiait, n’eut pas le temps de réagir. À la vitesse de l’éclair, Boza Dolac se redressa, un riot-gun Beretta à huit coups coincé contre la hanche.

Marko tirait un pistolet caché dans sa ceinture lorsqu’il reçut la première décharge qui le projeta contre le mur, un trou comme une assiette dans la poitrine. Déjà, Boza tournait son arme contre son voisin. Lui prit tout dans la tête : une bouillie. Le troisième avait déjà pris ses jambes à son cou. Les chevrotines de Boza le rattrapèrent au moment où il franchissait le porche, lui déchiquetant le dos. Il tomba en avant, pas tout à fait mort, et commença à ramper pour gagner la rue… Boza Dolac sauta dans sa Zastava, jetant son riot-gun à côté de lui. Les détonations allaient sûrement alerter la Milice.

D’un coup de volant brutal, il modifia sa trajectoire de façon à ce que sa roue avant gauche passe sur le survivant du massacre… Ce dernier poussa un hurlement atroce quand ses deux jambes se brisèrent. Boza Dolac tournait déjà à droite, fonçant en direction de Vinkovci et de Zagreb.


* * *

Un Milicien avec son petit disque rouge fit signe à Mladen Lazorov de stopper à l’entrée du village de Nustar. Malko aperçut un attroupement un peu plus loin, avec deux voitures de la Milicja dont les gyrophares tournaient. Des gens gesticulaient, luttant avec des policiers en béret et tenue grise qui les repoussaient mollement. Mladen Lazorov exhiba sa carte et demanda ce qui se passait. Malko vit son expression changer.

— Il vient d’y avoir un incident grave, expliqua-t-il. Un inconnu a tiré sur trois Serbes et s’est enfui. Deux sont morts et le troisième est grièvement atteint, en train d’agoniser. Mais les habitants veulent le lyncher.

— Pourquoi ?

— Ils pensent qu’il s’agit du commando qui a assassiné la jeune Croate, hier.

Himmel ! fit Malko, allons voir.

Laissant la BMW, ils continuèrent à pied, parvinrent à l’endroit où les badauds étaient rassemblés et se retrouvèrent à côté du blessé. On l’avait assis et de toute évidence, il était en train de mourir ; ses yeux étaient déjà vitreux… Une femme s’avança et cracha dans sa direction. Le milicien fit semblant de ne rien voir ; le blessé essayait de parler, mais personne ne l’écoutait.

Malko poussa Mladen Lazorov en avant.

— Essayez de savoir ce qu’il dit.

Le policier lança quelques mots au milicien, puis aux badauds qui entouraient le blessé, hurlant leur haine. Ils se calmèrent un peu et il put s’accroupir près du blessé. Une voix cria dans la foule :

— Laissez-le, c’est un Serbe… Qu’il crève.

Un mouvement de foule : deux hommes arrivaient, un jerrican d’essence à la main. Passant outre la molle résistance du milicien, ils en aspergèrent le blessé qui se mit à râler. L’essence sur ses blessures à vif le crucifiait…

De justesse, Mladen Lazorov empêcha un homme d’enflammer une torche d’étoupe. Indifférents, les miliciens regardaient de l’autre côté…

— Laissez-moi lui parler ! cria le policier.

Il s’approcha de l’oreille du blessé et murmura :

— Je vais essayer de te sauver, mais il faut que tu me dises la vérité.

— Oui, supplia le Serbe dans un râle. Ne les laissez pas me tuer.

Ses yeux sortaient des orbites, il était presque pitoyable. De sa main valide, il s’accrocha au policier comme un enfant à sa mère.

— C’est vrai, demanda Lazorov, tu as participé à cette abomination la nuit dernière ?

— Oui, avoua l’autre dans un souffle.

— Pourquoi ?

— On nous a payés.

— Qui ?

— Un certain Boza, un type de Zagreb. C’est lui qui a tiré sur nous. Il nous a recrutés à la gare, nous venions d’arriver d’Allemagne, où on avait travaillé avec mes deux copains. On voulait s’engager dans les Tchekniks. Il nous a dit qu’il y avait mieux à faire et nous a promis 2 500 marks…

— 2 500 marks pour torturer et tuer une jeune fille…

Le blessé adressa un geste suppliant à la foule qui grondait autour et s’impatientait. Comme pour se dédouaner, il lança d’une voix geignarde :

— Moi, j’ai seulement obéi aux ordres. C’est Marko qui a tout organisé, pour quelqu’un à Zagreb. Il devait téléphoner pour dire que c’était fait ensuite.

— Téléphoner à qui ?

— Je ne sais pas. C’est Marko qui avait le numéro dans sa poche.

— Où est Marko ?

— Dans la cour, là-bas, je crois qu’il est mort. Ce salaud de Boza nous avait payés avec des marks est-allemands qui ne valaient rien. On lui a réclamé et il nous a tués.

Il poussa brusquement un hurlement.

— Attention, protégez-moi, je vous en supplie.

L’homme venait de rallumer sa torche. Malko perçut un grondement sourd dans le lointain. Une femme cria :

— Les chars arrivent ! Les chars arrivent !

Toute la région de Vukovar était le théâtre d’incidents violents inter-ethniques depuis quelques semaines. Des chars de l’armée fédérale yougoslave patrouillaient la zone, sous prétexte de calmer le jeu, mais en réalité prenant fait et cause pour les Serbes.

Mladen eut tout juste le temps de s’écarter. L’homme à la torche venait de la jeter sur le blessé… Celui-ci s’embrasa avec un « plouf » sinistre, et, immédiatement une flamme noire et jaune monta vers le ciel. Le cri du blessé s’acheva dans une sorte de ronflement. Les badauds s’égaillaient dans toutes les directions, imités par les miliciens. Mladen prit Malko par le bras.

— Vite, si les militaires nous trouvent là, ils vont nous tuer.

Ils traversèrent la rue en courant, se réfugiant dans la cour où gisaient les deux autres cadavres. Mladen se mit à les fouiller rapidement. Dans une des poches du deuxième, il trouva un papier avec un numéro de téléphone qu’il tendit à Malko.

Le grondement des chars se faisait plus sourd. Lorsqu’ils sortirent, le long canon d’un T. 55 pointait son museau au bout de la rue. Ils purent néanmoins regagner leur voiture. Malko déplia le papier et le regarda pensivement. Il tenait peut-être enfin le vrai responsable de la manip.

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