I

- On va appeler le bureau des ambulances, ils doivent le savoir à l'heure qu'il est.

- Merci, Alfred.

- Je ne m'inquiéterais pas pour Marise à ta place. Si ç'avait été grave, ils auraient téléphoné... elle doit être aux premiers soins, tout simplement... c'est pour ça.

- Je ne m'inquiète pas.

- C'est une bonne fille, non ?

- Des jours je l'aime et sans elle, je serais nul, rien, fini. D'autres jours, je la décapiterais avec une lame de rasoir.

- C'est à moi que tu dis ça ?

- Si je le dis à un policier, c'est que je ne le ferai pas.

- Qu'est-ce que c'est que tu écris comme ça, tout le temps ? On dirait que t'as oublié de faire ton testament, t'es comme une petite vieille qui tricote, seulement tu tricotes des mots, tu marmottes, tu tremblotes.

- Je ne me rendais pas compte. Tu sais, Alfred, quand on écrit quelque chose qui nous est arrivé, c'est comme si on le vivait une fois encore avec toutes les émotions, presque...

- Qu'est-ce que tu écris, François ?

- Ce qui me passe par les oreilles, par les yeux, par les souvenirs. C'est Marise et puis Jacques, mon frère, qui m'ont suggéré de commencer un livre, il y a trois mardis.

- Ça t'occupe.

- Oui, c'est ça ; mais c'est drôle : plus je travaille, plus je me retire, moins je suis capable de parler, c'est comme si je vivais dans les cahiers, que je ne pouvais plus vivre pour vrai, comme toi dans ton uniforme. Si Marise est blessée pour vrai, dans mes cahiers elle est encore vivante.

- C'est ça, oui.

- C'est ça.

Alfred est retourné au bureau. C'est un ami d'enfance, mais il a été plus sérieux que moi. Sa douzième année faite, il est entré à l'école de la police, il a un métier, c'est un serviteur instruit, il est l'ordre, la sûreté, il est quelque chose. Moi, je ne suis rien, je ne suis que le roi de mon terrain, d'une clôture de broche à l'autre. Le roi du château tout à côté, c'est Martyr, qui doit trouver que je mets du temps à revenir. Alfred ressemble à un hippopotame.

- Alors ?

- Elle est au Montreal General Jewish Hospital, ils n'ont pas pu la laisser ailleurs, les hôpitaux sont bondés. Elle n'est pas mariée ? je veux dire, c'est pas légal ?

- On est accoté depuis deux ans.

- Mais c'est pas légal ? Tu peux y aller, ils t'attendent. Je mets son nom de fille sur mon rapport.

- Doucet ; je vais y aller en autobus.

- Tu sais où descendre ?

- Oui. Je peux te laisser mon tablier ?

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