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La nuit est aussi pâle que les lampadaires. C'est un voyage lugubre, du poste de police à l'hôpital, dans un autobus aux trois quarts vide, tout juste bon pour faire un snack-bar.
Marise m'attend sûrement dans une grande chambre verte, les yeux ouverts, les mains à plat sur des draps amidonnés. Au bras, on lui aura glissé un cercle de plastique avec son nom et un numéro. Ou bien, ils ne peuvent pas savoir, ils ont peut-être écrit : Marise Galarneau.
Marise, je suis emmêlé dans mes sentiments, comme dans un jeu de lumières, je me tâte partout comme si je ne trouvais plus mes clefs. Pourquoi cet accident ? Comment cet accident ? Un jeu ?
J'aurais dû prévenir Aldéric pour qu'il s'occupe du restaurant. C'est long, parfois, sortir d'un hôpital, même quand on est en santé. Aldéric a toujours été pratique, sans lui, nous ne serions peut-être pas en vie, une tête de pioche. Léo est pareil. Qu'il empaille un hibou ou un caribou, faut pas chercher à lui donner de conseils : il suit son inspiration. J'aurais dû laisser Marise lire mon premier cahier.
J'ai mal au cœur, c'est à cause de ce maudit autobus à pétrole aussi. Quand on est assis derrière, dans un des bancs du fond, c'est le coup du malaxeur... Léo, c'est moi que tu devrais empailler. Je vais me faire hara-kiri, tu auras moins de travail. Je veux que tu me places assis sur une chaise de cuisine, dans ta vitrine. Quand Martyr mourra, tu l'empailleras aussi, c'est mon meilleur ami. Tu lui mettras du trèfle dans les oreilles, il adore le trèfle et le chèvrefeuille. Non. Attends. Je vais aller en Espagne plutôt. Je suis jeune encore, je me ferai torero, on dit que El Cordobès veut abandonner, je vais le remplacer dans l'arène, je ferai crier les foules et plier les genoux à la bête, et si, par mégarde, un jour, une corne mal limée me perfore l'intestin, tu sais ce qui te reste à faire...