XXIII

— Kerian, ma Lionne..., souffla Gilthas, une main posée sur la joue de sa bien-aimée.

L’elfe avait de nouveau rêvé du loup... Elle prit la main du roi pour la porter à ses lèvres et l’attira dans ses bras. Blottie contre lui, elle sentit son odeur familière, un mélange d’épices exotiques de la lointaine Tarsis... Cela lui rappela l’époque où, servante enjouée et malicieuse, elle espionnait son maître pour le compte de son amant...

Aujourd’hui, si elle portait les vêtements et les parfums qui lui avaient appartenu, elle n’était plus la Kerian d’hier.

— Qu’a répondu Thorbardin à ta mère, Gil ?

Le roi s’assit. Une brise fraîche entrant par la fenêtre ouverte, il remonta le drap sur sa bien-aimée.

— Les nains établiront une voie pour nous, en cas de besoin. Dès que Stanach sera de retour chez lui, il s’adressera au Conseil des Chefs en notre faveur. Il doute qu’un seul d’entre eux nous refuse encore son soutien.

— Béryl ne patientera plus très longtemps – sa cupidité et sa soif de pouvoir sont sans bornes...

Kerian se glissa de nouveau sous les couvertures.

Gilthas écarta la chevelure soyeuse de sa maîtresse pour poser un baiser sur sa nuque.

— Tu repartiras bientôt...

Kerian avait déjà prévu son retour dans la forêt. Au cours de leur dernière bataille contre le Chevalier du Crâne, les Ombres de la Nuit avaient subi de lourdes pertes. Un autre seigneur viendrait veiller sur le royaume de Béryl... Il arriverait sans doute avec la certitude qu’Eamutt Thagol avait écrasé la rébellion et laissé la population si soumise qu’elle serait prête à tout accepter sans broncher...

La Lionne eut un sourire carnassier.

Le nouveau seigneur aurait de rudes déconvenues...

— Tu partiras bientôt, soupira Gilthas. Mais avant, je referai ce qu’aucun roi de Krynn n’a jamais tenté aussi souvent que moi...

Kerian leva les yeux. Dans le silence qui suivit, elle repensa à toutes ses nuits sans rêves, aux jours interminables sans lui... Une existence vouée à la solitude...

Mais comment lui donner la réponse qu’il espérait tant?

— Kerian, tu as risqué ta vie pour moi. Ma Lionne, je te le redemande : sois ma femme et la reine dont mon peuple a tant besoin. Nous pourrions nous marier en secret et ne rien changer à nos habitudes... Kerian, tu te donnes à moi, tu combats en mon nom... Pourquoi refuses-tu de m’épouser ?

— Comment pourrais-je l’accepter ? Qu’en diraient tes sujets ? Combien de tes ennemis politiques s’en serviraient contre toi ? Gil, tu veux l’impossible !

Au fond des yeux de son amant, Kerian vit luire une royale impatience... Il la prit par les épaules pour l’embrasser, puis l’écarta.

— Je sais ce que je te demande : m’épouser. Avoir foi en l’avenir. Devenir ma reine !

Avoir foi en l’avenir... Existait-il un acte plus difficile ? Et pourtant, n’était-ce pas la démarche de Kerian depuis tant d’années ?

— Dans deux jours, je raccompagnerai Stanach à la frontière. Pour la suite du voyage, ta mère lui a fourni une escorte... Il préfère traverser les Terres de Pierre à pied plutôt qu’avoir recours à la magie de l’émeraude...

« Retrouve-moi sous le Chêne de Gilean, à la tombée de la nuit.

Elle n’ajouta rien de plus.

Le roi la reprit dans ses bras.


Le lendemain soir, alors que le ciel s’empourprait, quatre personnes se retrouvèrent sous les chênes : le roi du Qualinesti, sa bien-aimée, la reine-mère et un nain éloigné de sa patrie.

Cela aurait dû être un mariage splendide, avec des fêtes étalées sur trois mois au moins. Il aurait dû y avoir des bals et des fontaines de vin...

La noblesse au grand complet aurait présenté tous ses vœux de bonheur au couple royal...

Il n’y aurait rien de tout cela.

Dans le bosquet de chênes, le roi et Kerian se présentèrent en tenue de chasse – le costume de leurs hors-la-loi...

— Qui épousez-vous, Sire ? lança le nain, offusqué. La Lionne a droit au plus beau des mariages et à tous les honneurs !

Gilthas sourit.

— Nous nous marions, et c’est tout ce qui compte, mon ami ! Il nous faut seulement un témoin. (Un témoin, les étoiles pour invités et les lucioles en guise de chandelles...) Seras-tu ce témoin ?

Stanach s’inclina avec grâce.

— Certainement, Votre Majesté.

La reine-mère avança. L’ourlet de sa jupe couleur rouille balaya les feuilles mortes. Laurana resplendissait dans cette tenue si simple.

Elle prit la main de Kerian et se tourna vers son fils.

— Kerianseray, ma Lionne, te donnes-tu à moi ? demanda Gilthas.

— Je t’appartiens, mon roi.

— Kerianseray, ma Lionne, lieras-tu ton destin au mien, prendras-tu mon royaume comme tu me prends pour époux ?

La gorge serrée par une douce tristesse, Kerian répondit par l’affirmative.

— Je suis ta femme, mon roi. Ensemble, nous créerons une telle lumière qu’elle ne s’effacera jamais devant l’obscurité.

Gilthas ôta de son doigt l’anneau enchâssé d’une topaze.

— Nous sommes unis, cœur à cœur, main à main, destin à destin. Nous ne sommes plus qu’un, mon épouse. (Solennellement, il répéta le vœu :) Ensemble, nous créerons une telle lumière qu’elle ne s’effacera jamais devant l’obscurité.

Ils étaient un, désormais, avec un nain et la reine-mère pour témoins – unis légalement comme ils l’avaient été de cœur et d’esprit...

Ils se mariaient, et bientôt, ils se sépareraient, l’un pour retourner dans sa capitale, l’autre pour regagner la forêt.

Des forces obscures menaçaient leur royaume.

Pourtant, ils se réjouissaient.

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