Chapitre XVIII

— Tu veux danser ?

Les musiciens en costume folklorique venaient d’entourer la table et tentaient d’entraîner Malko sur la petite piste, au milieu du restaurant. Il résista farouchement.

— Non !

Il n’aurait plus manqué que cela !

Le restaurant Ulubiona, déguisé en auberge rustique polonaise – y compris le personnel – était bourré. Le dimanche, il n’y avait pas beaucoup de distractions à Varsovie… Dégoûtés, les musiciens attaquèrent une autre table. Anne-Liese eut un de ses rires contrôlés :

— Tu es très timide !

Ses cheveux blonds tressés harmonieusement, les deux grands traits noirs sous les yeux, Anne-Liese devait faire phantasmer à mort tous les clients avec un de ses éternels hauts extraordinairement ajusté sur son imposante poitrine. Il comptait un peu moins de boutons, mais, le tissu étant plus léger, Malko distinguait nettement le contour des pointes à travers. Ils achevaient de déjeuner.

— Pas toujours, dit Malko.

Les yeux fixés sur les deux seins qui avançaient au-dessus de la table.

Anne-Liese eut un sourire entendu.

— À propos, tu as été chercher du caviar, hier ?

— Oui, dit Malko.

Le sourire s’accentua :

— Alors tu as vu une très jolie femme, non ?

Malko eut l’impression qu’on lui versait un baquet d’huile bouillante dans l’estomac. Anne-Liese le fixait avec ses grands yeux bleus innocents.

— Quelle jolie femme ?

La Polonaise se pencha par-dessus la table et posa sa main sur la sienne.

— Une de mes amies qui achète souvent du caviar à cet endroit m’a dit qu’il était tenu par une femme très belle, une brune. Elle y était hier et elle t’a vu. Il paraît que vous flirtiez…

— Je n’ai pas vu ton amie…

Malko essayait de sourire. Intérieurement en déroute. Pour que le S.B. attaque aussi franchement, il fallait que leurs soupçons soient sérieux… Halina était peut-être déjà arrêtée. Et tout son plan à l’eau. Seulement la dernière chose qu’il pouvait se permettre c’était d’aller vérifier.

— Tu es jalouse ? demanda-t-il.

— Tu as disparu, tu m’as abandonnée, fit Anne-Liese, faussement indignée.

— Ce n’était pas pour cette femme, dit Malko. Je ne la connais pas et si je lui souriais c’était pour payer moins cher le caviar que je vais manger avec toi.

— Ah, c’est très bien, dit Anne-Liese. Si nous nous en allions, il y a trop de bruit ici…

Son soulagement sonnait aussi faux que sa jalousie. Malko s’empressa d’entasser des zlotys sur l’addition et se leva. Les musiciens, déchaînés, avaient entraîné deux touristes suédoises dans ce qui ressemblait fortement à la danse de la pluie des Indiens Navajos. Pour la plus grande joie de l’assistance.

Pendant qu’Anne-Liese était au vestiaire, il appela un radio-taxi. Hasard ou « aide », une voiture était disponible immédiatement. Anne-Liese vint s’accrocher à son bras.

— Viens faire la sieste ! Nous pourrons dîner chez moi ensuite. Je n’aime pas sortir le dimanche.

— Et le caviar ! remarqua Malko. Il est à l’hôtel. Anne-Liese haussa les épaules.

— J’en ai aussi. On mangera le tien demain. Des amis m’en ont donné cinq kilos de russe.

Le taxi surgit. L’inévitable Polski. Les passagers d’un car de tourisme les regardèrent s’y engouffrer, envieux.


* * *

Anne-Liese ne devait posséder qu’une paire de chaussures. Le S.B. payait mal. Elle portait encore ses escarpins rouges, avec une jupe de lainage assortie. Après avoir mis un disque de Mozart, elle revint sur le lit bas à côté de Malko, s’étira, faisant saillir encore plus ses seins incroyables.

Malko s’amusa à suivre du bout d’un doigt la courbe orgueilleuse. L’ambiance avait beau être exactement la même que la fois précédente, il ne se sentait pas tranquille. Il lui semblait que des yeux les observaient, invisibles derrière la grande glace, en face du lit.

— Ils sont très ronds, n’est-ce pas ? dit d’un ton sérieux Anne-Liese. À quoi penses-tu ?

En une fraction de seconde, Malko avait trouvé une façon de s’en sortir. Brutalement, il emprisonna un des seins d’Anne-Liese entre ses doigts.

— À toi, dit-il.

Elle lui saisit le poignet.

— Attends ! Tu me fais mal, ne sois pas pressé. Nous avons tout le temps.

Comme Malko continuait à pétrir sa poitrine, Anne-Liese ajouta, d’une voix plus basse et plus vraie :

— Si tu es doux, je te laisserai me lécher tout à l’heure. Jusqu’à ce que je m’évanouisse de plaisir… Comme l’autre jour.

— Je te veux maintenant, dit Malko. Je n’ai pas besoin de te lécher.

Il glissa une main sous la jupe rouge et elle se contracta aussitôt, comme s’il l’avait pincée. Ils luttèrent un moment, Malko tentant vainement de la trousser comme une bonne. Échevelée, les joues rouges, Anne-Liese se défendait efficacement. À la fin, elle se redressa et alla s’asseoir au bord du lit.

— Tu as bu ! dit-elle. Calme-toi, je n’aime pas qu’on me brusque.

— J’ai envie de toi, dit Malko, allongeant la main vers elle. Déshabille-toi.

— Non. Pas comme ça. Je t’ai dit ce que je voulais d’abord.

Comme elle l’avait déjà fait plusieurs fois, ses prunelles s’agrandirent brusquement, lançant un éclair bleu.

— Très bien, dit Malko.

En un clin d’œil, il se leva, enfila sa veste. Anne-Liese s’était dressée à son tour. La surprise dans ses yeux était sincère.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle.

— Je m’en vais, dit Malko. J’en ai assez de tes caprices. Avant qu’Anne-Liese ait pu le retenir, il avait poussé le verrou et ouvert la porte. Il la claqua et plongea dans l’escalier. Riant intérieurement. Même si leur duo avait été observé de bout en bout par le S.B. les barbouzes polonaises n’y verraient que la frustration d’un homme un peu éméché… Il se retrouva dans la rue et s’éloigna.

Surtout, ne pas revenir tout de suite à l’hôtel. Il y avait quand même des cinémas à Varsovie.


* * *

Malko décrocha à la première sonnerie. Certain de ce qu’il allait entendre. Il y eut un léger « blanc », puis une voix timide dit :

— Malko !

— Oui !

Nouveau blanc, suivi d’un gros soupir. Anne-Liese donnait dans le repentir.

— Tu es fou. Pourquoi es-tu parti comme ça ?

— Oh, je te prie de m’excuser. Ce doit être le vin blanc. C’est vrai, j’ai été idiot.

Malko réussit à mettre un peu de regret dans sa voix.

— Reviens.

— Pas ce soir, dit-il, je suis couché. Je crois que j’ai de nouveau pris froid. J’ai été dans un cinéma pas chauffé.

Un film russe. Passionnant. Les amours contrariées dans un kolkhoze d’un tracteur et d’une moissonneuse-batteuse.

— Oh, c’est dommage, dit Anne-Liese de sa voix bien contrôlée. Je te vois demain ?

— Bien sûr, dit Malko. Nous pouvons déjeuner ensemble, si tu veux.

— Alors, bonne nuit, dit Anne-Liese. Je te promets, je serai moins capricieuse demain.


* * *

— Il faut que vous reteniez ces plans par cœur, on ne peut pas vous les confier, cela serait trop dangereux si on les trouvait sur vous. Les instructions, aussi. Mais ce n’est pas très compliqué.

Malko se pencha avec attention sur les documents que lui tendait Cyrus Miller. Le ronronnement des déflecteurs électroniques formait une barrière infranchissable autour d’eux. Malko resta plusieurs minutes silencieux, mémorisant tous les éléments indispensables. Heureusement, sa fabuleuse mémoire n’avait aucun mal à retenir ce dont il avait besoin. Il tendit les papiers à l’Américain.

— Voilà. Vous n’avez pas eu trop de difficultés ? Cyrus Miller sourit en ramenant en arrière une mèche invisible. Puis, il tira une longue bouffée de sa Rothmans.

— Je préfère ne pas vous en parler. C’est remonté jusqu’au Spécial Coopération Committee. C’est pire que de déclarer la guerre aux Japonais…

Toutes les actions importantes de la C.I.A. devaient désormais être approuvées par ce comité siégeant à la Maison-Blanche.

— Enfin, c’est une bonne nouvelle, dit Malko. Bien que votre fourchette de temps soit plutôt étroite.

— Désolé, reconnut Cyrus Miller. Nous sommes en Pologne, vous savez.

— Vous avez ce que je vous avais demandé ?

— Oui.

Le chef de station de la C.I.A. plongea la main dans sa poche et en ressortit un pistolet automatique. Un Tokarev 9 mm qu’il tendit à Malko en le tenant par le canon. Un chargeur supplémentaire était lié à la crosse par un élastique.

— Je suppose que vous n’avez pas l’intention de déclencher un combat de rue, dit Miller. Ça vous suffira. En tout cas, il est intraçable. Cadeau de la T.D.[43].

Malko empocha l’arme. Le compte à rebours était commencé. Ses yeux dorés se posèrent sur l’Américain.

— Eh bien, Cyrus, merci pour tout. Espérons que cela marchera.

Cyrus Miller hocha la tête.

— Let’s cross our fingers… À propos, j’ai des renseignements supplémentaires sur votre amie Anne-Liese. Avant l’Allemagne, elle s’est spécialisée en Angleterre dans la récupération des « défecteurs ». Trois d’entre eux ont disparu totalement après avoir été vus en sa compagnie. Sans qu’on puisse jamais rien trouver. Des hommes qui étaient sur leurs gardes. Ou plutôt, deux hommes et une femme…

Malko éprouva un petit pincement au creux de l’estomac. Cyrus Miller l’observait du coin de l’œil.

— J’ai gardé le meilleur pour la fin, dit-il. Nous avons eu des informations, par l’intermédiaire d’une de nos filières de pénétration. Le S.B. vous prépare un coup de Jarnac…

— Ça, ce n’est pas une information, dit Malko, c’est une évidence.

— Attendez, précisa l’Américain. Ils veulent vous enlever. Discrètement. Ensuite, vous mettre au pentothal. À haute dose. Jusqu’à ce que vous crachiez ce que vous savez. Quitte à vous rendre gentiment après, pour ne pas faire trop de vagues.

— Quand ?…

— Ça… c’est le seul élément qui me manque. Le plus important. Malko se leva.

— Cyrus, je dois vous quitter.

L’Américain stoppa la barrière électronique et ouvrit la porte. En silence, ils se dirigèrent vers l’ascenseur. Malko regrettait la « cage ». On y était si tranquille. Cyrus Miller l’accompagna dans le hall et lui serra de nouveau la main.

— À bientôt.

— À bientôt, dit Malko.

Il pouvait très bien y avoir des micros dans le hall.


* * *

Le cercueil encore ouvert était posé sur des tréteaux, au milieu d’une petite crypte latérale de l’église Notre-Dame-des-Grâces. Six gros cierges brûlaient autour. Deux hommes se tenaient agenouillés, à la tête du cercueil, priant. L’un était Jerzy, l’autre inconnu de Malko. En voyant ce dernier, Jerzy se releva et alla à sa rencontre.

Malko vit briller l’émotion dans ses yeux.

— Vous êtes venu ! dit-il. On va fermer le cercueil dans quelques minutes.

Malko s’approcha. Le visage lisse de Maryla Nowicka reposait sur un coussin de soie blanche, les yeux fermés, un peu enflé, les cheveux tirés en arrière. Les maquilleurs avaient dû avoir un sacré travail pour la rendre présentable. Elle avait les mains croisées sur un chapelet et on l’avait habillée d’une robe grise ras du cou.

À voix basse, Jerzy commença à réciter une prière. Les accents chuintants du polonais en étaient presque harmonieux. Il termina par un grand signe de croix. Malko regardait le visage de la morte. Quelle tristesse qu’on ne puisse communiquer ! Si Maryla avait su ce qu’il préparait, elle serait peut-être partie pour l’éternité avec moins de regrets…

Les croque-morts arrivaient. Malko les regarda visser les grosses vis de cuivre après avoir fermé le couvercle.

Adieu, Maryla. Broyée par des forces qui la dépassaient. Il serra silencieusement la main de Jerzy. Celui-ci lui dit tout à coup :

— Vous savez, nous avons réfléchi. Je crois que vous avez raison.

Rien ne pouvait faire plus plaisir à Malko.

— Alors, à tout à l’heure, dit-il.

Il sortit de l’église et regarda sa montre. Une heure avant d’aller retrouver Anne-Liese. Le pistolet automatique pesait dans la poche de son manteau. Il était certain que le S.B. ne tenterait rien avant sa visite chez la Polonaise.

Là, allait se jouer la première manche. Il avait un avantage. Grâce à ses observations et aux informations de Cyrus Miller, il croyait maintenant savoir à quoi il pouvait s’attendre. Le tout était de forcer le scorpion à se piquer avec son propre dard.


* * *

À la lueur joyeuse dans les yeux bleus soulignés de leur habituel trait noir, Malko devina immédiatement que c’était l’hallali. Contrairement à son habitude, Anne-Liese l’embrassa goulûment sur le pas de la porte, s’appuyant contre lui de tout son corps massif, avec tous les signes de la passion la plus exacerbée. La danse du scalp avait commencé. Quand il lui effleura la poitrine sacrée d’un geste impie, elle se contenta de sourire.

— Attends.

Elle avait remis la jupe fendue en velours noir de la première fois. Avec le haut infernal. Et les chaussures rouges. Une odeur d’encens flottait dans l’appartement. Malko posa la bouteille de vodka achetée un dollar au Victoria et se laissa guider jusqu’au lit. Anne-Liese avait posé dessus un plateau d’argent avec une boîte de caviar, des toasts et des verres.

— J’espère que tu ne t’en iras pas, aujourd’hui, dit-elle espièglement.

Ses yeux brillaient de joie. Malko comprit d’un coup pourquoi elle travaillait pour le S.B. Ses relations avec ses « victimes » devaient lui procurer une jouissance inouïe. Surtout lorsqu’il s’agissait d’une proie difficile, comme Malko… Elle s’assit sur le lit et replia ses jambes. Par la fente de la jupe à brandebourgs, Malko aperçut une bande de chair blanche. Anne-Liese avait troqué ses collants pour des bas.

Malko passa les doigts dessus. Pas très fins, un peu trop courts, mais des bas. Le S.B. ne reculait devant aucun sacrifice. Il remonta, suivant la hanche, jusqu’à la lourde courbe d’un sein.

Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, Anne-Liese n’avait pas protégé la peau satinée de sa poitrine par un soutien-gorge. Sous la soie du haut boutonné, il sentait la tiédeur molle du sein. Il s’amusa à effleurer le tissu, agaçant la pointe qui sembla tout à coup prête à percer le tissu comme un petit animal indépendant. Anne-Liese ferma les yeux, appuyée sur les coudes. La tête en arrière. Image même de l’extase. Malko en profita pour balayer d’un regard précis la chambre. Mais le S.B. était trop habile pour laisser traîner des micros. De toute façon, le danger venait d’ailleurs.

— Tu veux du caviar ?

Anne-Liese avait rouvert les yeux et l’observait. Il stoppa sa caresse.

— Si tu veux.

De toute façon, il avait le temps. Plus de deux heures à tuer. Pendant qu’elle amassait une montagne de caviar russe sur un toast, il continua à lui caresser les jambes, remontant plus haut que le bas, sur la cuisse blanche et musclée. C’était comme s’il avait caressé une pierre. Anne-Liese ne renversa pas un grain de caviar…


* * *

À genoux sur le lit, le dernier brandebourg de la jupe de velours noir défait, Anne-Liese ondulait comme un cobra au rythme de la Vie en rose nouvelle version. Importée au marché noir en Pologne. La voix rauque de la chanteuse était parfaite pour ce qu’ils faisaient.

Malko n’avait gardé que sa montre. Le plateau de caviar était posé par terre, la bouteille de vodka fortement entamée. Pour la dixième fois, Anne-Liese s’inclina en avant avec souplesse jusqu’à ce que les pointes de ses seins effleurent le sexe découvert de Malko, à travers la soie. Puis elle se balança doucement, le menant au bord de l’orgasme et se redressa avec son étrange éclair bleu dans les yeux.

Elle s’amusait prodigieusement.

— Caresse-toi, dit-elle.

Il pouvait bien lui offrir cette petite joie. Elle le regardait avec une telle intensité qu’il se demandait si elle n’était pas en train de jouir.

— Arrête-toi.

Il s’arrêta. Les vocalises de la Noire devenaient de plus en plus aiguës. Les doigts légers d’Anne-Liese emprisonnèrent le sexe de Malko dans une caresse aérienne… Comme pour maintenir le point d’ébullition. Elle se servait de ses doigts avec une habileté d’horloger. Graduant ses caresses au dixième de millimètre. Sans cesser de le caresser, elle se pencha à toucher son visage, l’embrassa violemment et brièvement, puis lui dit sur le ton de la confidence :

— Maintenant, nous allons faire l’amour. Déshabille-moi. Commence par là.

Elle lui posa la main sur la jupe. Il ne restait qu’une fermeture Éclair et un brandebourg. Malko défit le brandebourg. Anne-Liese, avec un léger rire, lui échappa et sauta hors du lit. Pendant quelques secondes, elle tournoya au rythme de la musique. La longue jupe, maintenant fendue jusqu’au ventre, s’ouvrit, découvrant les jarretières à l’ancienne mode qui enserraient les bas à mi-cuisse et un slip de dentelle noire opaque. On aurait dit une gravure érotique du XVIIe. D’un coup de hanche, Anne-Liese se débarrassa de la jupe qui tomba par terre. Ne gardant que la dentelle, le haut infernal et les chaussures rouges. D’un saut, elle remonta sur le lit et se laissa tomber, très droite, avec une souplesse incroyable, jusqu’à ce que ses fesses reposent sur ses talons.

— J’ai fait de la danse, dit-elle.

« La Danse de la Mort », pensa Malko. En ce moment, Anne-Liese s’amusait, jouissant pleinement de la situation. Ses seins imposants montaient et descendaient au rythme de son ondulation.

Elle se pencha de nouveau, comme pour ranimer la flamme de Malko qui n’en avait vraiment pas besoin. Sa bouche l’engloutit une seconde, chaude et douce, et le quitta aussitôt. Lui aussi appréciait cette danse de la mort qui allait mal se terminer pour l’un des deux. Anne-Liese n’était pas une proie déshonorante au tableau de chasse d’un gentleman. C’était au moins aussi dangereux que la chasse au grand fauve…

Les yeux jetèrent un éclair bleu. Les deux grands traits noirs donnaient une expression diabolique au visage en apparence si sage.

Malko s’avança et s’attaqua au premier bouton du haut infernal. Juste au creux du cou. Puis au second et ainsi de suite. Ses mouvements n’étaient pas facilités par l’ondulation incessante du buste.

— N’arrête pas de me caresser, souffla Anne-Liese.

Ses seins se soulevaient à un rythme de plus en plus rapide. Malko pouvait presque entendre son cœur battre. Millimètre par millimètre, il libérait la chair blanche. Tout en agaçant les seins là où ils étaient le plus sensibles.

Pris par le jeu, il allait de plus en plus vite, libérant des courbes rondes et blanches, puis de larges aréoles brunes, au centre desquelles pointaient des pointes brunes et cylindriques. Il termina enfin de défaire le haut infernal. Dévoilant entièrement des seins superbes, très lourds, blancs, ronds comme d’énormes pommes.

D’un geste gracieux, Anne-Liese fit glisser le haut sur le lit. Puis ses mains remontèrent le long de ses flancs et elle se prit les seins à pleines mains, par-dessous, les offrant à Malko comme sur une coupe. Ils étaient tellement importants qu’ils pointaient orgueilleusement de dix centimètres au-delà des mains mises en coupe.

Le regard d’Anne-Liese s’abaissa sur eux. Ravi.

— Je les aime beaucoup, dit-elle. Tu as remarqué comme ils étaient ronds ? J’ai horreur des seins en poire.

Malko avança la main, mais elle recula vivement d’une ondulation de toute sa colonne vertébrale.

— Non, je ne veux pas que tu les touches. Ils sont trop fragiles. Lèche-les.

Elle attendit, dans la même position, puis un éclair passa dans ses yeux bleus. D’une voix douce, elle ajouta :

— Après, tu me feras l’amour. Viens, lèche-moi.

Malko, au lieu d’obéir, avança les deux mains d’un geste rapide et emprisonna les deux poignets d’Anne-Liese. Dans le même mouvement, il les rabattit derrière son dos et la renversa en arrière, la maintenant dans cette position en appuyant sur ses épaules. Les mains coincées sous elle la rendaient impuissante. Malko avança un peu et s’installa à califourchon sur les hanches de la Polonaise.

Les yeux bleus jetèrent un éclair furibond.

— Lâche-moi ! Lâche-moi, tout de suite !

Il n’y avait plus ni douceur ni sensualité dans sa voix. Les deux seins, aplatis par la position, ressemblaient à deux énormes œufs sur le plat.

Immobilisant Anne-Liese par un bras passé sur sa gorge, Malko libéra sa main gauche. Du bout de son index, il se mit à frotter une des larges aréoles brunes. Cette fois, Anne-Liese hurla, faisant des bonds furieux sous lui.

— Arrête ! Tu me fais mal. Je ne veux pas que tu me touches.

Le doigt de Malko s’enfonçait comme dans du beurre. Lorsqu’il l’eut frotté pendant plusieurs secondes, il le porta vivement vers le visage d’Anne-Liese et le frotta contre ses lèvres, atteignant l’intérieur humecté de salive.

D’un effort de tout son être, elle rejeta la tête en arrière, essayant d’échapper à son contact, hurlant comme une possédée. Mais Malko tenait bon. Il recommença le même manège, frottant son doigt contre l’autre aréole. Puis il attendit, maintenant Anne-Liese sous lui. Les prunelles de la Polonaise s’étaient démesurément agrandies. Elle dit quelques mots qu’il ne comprit pas, les traits durcis. Puis, la lueur bleue dans les yeux s’effaça comme une lampe qui s’éteint. Ses yeux se révulsèrent. Tout à coup, elle fut toute molle contre lui.

Malko attendit encore quelques secondes, posa une main contre un des énormes seins mous et sentit le cœur battre.

Il se releva d’un bond, regarda l’heure à sa montre : quatre heures moins dix. Il était dans les temps. Anne-Liese était allongée, inerte sur le lit. Il ignorait combien de temps le puissant soporifique qui imprégnait la peau de ses seins faisait de l’effet. À toute vitesse, il s’habilla.

Maintenant, le compte à rebours était vraiment commencé. Les micros du S.B. avaient enregistré toute la scène. Ils allaient réagir. Heureusement, ils ignoraient tout des plans de Malko. Avant de partir, il se pencha sur le corps inerte et tira légèrement sur le slip de dentelle noire.

C’était bien ce qu’il avait pensé depuis un certain temps. Anne-Liese était un homme. Un travesti au sexe atrophié. Voilà pourquoi il avait autant de succès avec les femmes que les hommes et qui expliquait ce narcissisme pour son extraordinaire poitrine obtenue sûrement à coups de piqûres… Partagé entre le dégoût et l’angoisse, il vérifia le chargeur du Tokarev, le glissa dans sa ceinture et ouvrit la porte.

Personne sur le palier. Ils avaient dû pourtant prévoir quelque chose pour le transporter. À moins que la suite de l’opération n’ait pas été prévue dans l’appartement d’Anne-Liese.

Il descendit jusqu’au rez-de-chaussée et inspecta la rue. Il l’identifia rapidement. Un homme en train de lire son journal dans une Polski grise. Il prit le Tokarev, le passa dans la poche de son manteau et s’avança vers la voiture. En le voyant venir vers lui, l’agent du S.B. leva la tête, surpris. Malko ne lui laissa pas le temps de réagir. Ouvrant la portière, il se laissa tomber à côté de lui. Le Polonais pâlit devant le Tokarev braqué sur lui. Il ne s’attendait visiblement pas à ça. Il resta strictement immobile, les mains sur le volant, et demanda seulement :

— Qui êtes-vous ? Je ne comprends pas…

D’un coup d’œil, Malko vérifia qu’il n’y avait pas de radio dans la voiture. Personne ne savait à la « centrale » ce qui se passait en ce moment… Plus tard, cela n’aurait pas d’importance.

— Descendez, dit Malko.

Il le poussa avec le canon du pistolet dans la rue déserte. Le policier se laissa faire. Médusé. Malko avait pris les clefs : il ouvrit le coffre.

— Montez là-dedans. L’autre secoua la tête.

— Vous êtes fou !

— Montez.

À la voix de Malko, le Polonais comprit qu’il ne fallait pas discuter. Il enjamba le rebord du coffre et se laissa tomber dedans. Lorsqu’il fut bien tassé, Malko le fouilla rapidement, mais il n’avait pas d’arme. Il prit ses papiers, dont un laissez-passer barré de rouge et de blanc. Cela pouvait servir. Il claqua la porte du coffre et prit place au volant, mit le moteur en route et demeura immobile quelques instants, passant tout en revue.

La première partie de son plan venait de se réaliser. Les rues de Varsovie étaient peu animées. Malko ne mit pas cinq minutes à arriver place Zamkovy. Plusieurs fois il vérifia que personne ne le suivait… Il gara sa voiture en face de la cathédrale et continua à pied, vers le Rynek. Pourvu que Halina soit au rendez-vous ! Sinon, tout son plan s’écroulait.


* * *

Elle était là. Debout au comptoir, en train de manger une pâtisserie. Avec un manteau de vison vieillot et de hautes bottes noires. Le petit bar était plein. Halina dévisagea Malko d’un air calme. Comme si leur rendez-vous n’allait pas faire basculer sa vie. Il s’installa sur le tabouret à côté d’elle, regarda machinalement autour de lui. Halina eut un faible sourire.

— On ne m’a pas suivie. J’ai fait attention.

Malko laissa un billet de cent zlotys et glissa de son tabouret. Il avait hâte d’agir. Halina le suivit docilement. Sur les pavés gelés du Rynek, elle demanda :

— Où allons-nous ?

— Voir quelqu’un, dit Malko.

Jerzy devait les attendre. Ils montèrent l’escalier en silence. Malko frappa trois fois. Le jeune homme entrouvrit la porte. Avec lui, il y avait Wanda et deux autres jeunes Polonais qui serrèrent la main à Malko sans un mot. Un petit radiateur électrique brûlait, apportant un peu de chaleur.

Halina dévisagea calmement les trois.

Jerzy fixa Halina avec une expression presque douloureuse. Comme il ne se décidait pas à parler, Wanda demanda presque avec brutalité :

— C’est vrai ? Vous allez venir avec nous ?

— Oui.

Ce n’était pas possible. Il n’y avait pas une trace d’émotion dans sa voix. Comme si elle avait déjà été morte. Malko chercha son regard, le trouva. Serein, calme, détaché. Pourquoi Halina trahissait-elle maintenant l’homme qu’elle avait protégé pendant plus de trente ans… Incompréhensible.

— Ça me suffit, dit soudain Jerzy d’une voix étranglée. Ils vont partir détruire le fichier immédiatement et nous allons là-bas tous les quatre. J’ai une voiture.

— Moi aussi, dit Malko. Et je tiens à la garder. Elle est plus puissante que la vôtre.

Il avait brûlé ses vaisseaux. Il poussa Halina hors de la pièce et ils se retrouvèrent sur le Rynek.

Ils marchèrent en silence jusqu’à la place Zamkovy. La voiture n’avait pas bougé. Le prisonnier du coffre ne pipait pas. Malko consulta sa montre. Quarante minutes depuis qu’il avait quitté l’appartement.

— Combien faut-il de temps pour aller à Zelazowa ?

— Une heure environ, dit Jerzy.

Vingt minutes plus tard, ils roulaient au milieu de la campagne gelée et sinistre. On se serait cru au XIXe siècle. La route était toute droite, presque pas de circulation. Halina était assise à côté de lui.

Dans le rétroviseur, il vit que Wanda et Jerzy se tenaient la main. La jeune femme avait les traits tirés, les yeux hagards. Il se tourna vers Halina :

— Pourquoi avez-vous accepté de parler ? Elle mit plusieurs secondes avant de répondre :

— Peut-être parce que cette fois cela sera utile. Et puis… (Elle eut un geste fataliste.) Il y a des choses qui deviennent trop lourdes à porter un jour.

Le silence retomba. Troublé par un bruit léger. Wanda pleurait. Malko se retourna :

— Si tout se passe bien, dit-il, nous serons tous en sécurité dans quelques heures. Sinon…

La jeune femme secoua la tête.

— Ce n’est pas cela. Je n’ai peur ni de la mort ni de la prison. Si nous nous sauvons, tant mieux, sinon, tant pis. Mais nous y avons tellement cru, à Roman. Maintenant, je sais qu’il n’y aura pas de printemps, à Varsovie…

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