Chapitre XII

Le capitaine Stanislas Pracek contempla pensivement Maryla Nowicka en soufflant dans son fume-cigarette vide. Elle avait été arrêtée la veille au soir et, volontairement, on l’avait empêchée de dormir toute la nuit, en la maintenant debout dans une cellule violemment éclairée du centre d’interrogatoire. Un ancien petit palais, non loin de l’immeuble du Parti, avec un jardin en friche et des grilles rouillées. Les cellules avaient été installées dans les anciens sous-sols, les salles d’interrogatoire au rez-de-chaussée et les bureaux au premier. Seuls les officiers du S.B. avaient accès à ce centre, qui n’avait pas d’existence officielle. Sur le budget du Directorat n°1 dont il dépendait, il figurait comme « centre de documentation ».

— Vous êtes décidée à nous aider ? demanda l’officier du S.B. d’une voix posée.

Le visage couvert de sueur, les yeux fermés, Maryla Nowicka ne répondit pas. Mais elle laissa légèrement fléchir ses mollets et ses talons touchèrent le sol pendant une fraction de seconde. Aussitôt, le milicien en uniforme, très jeune, qui la gardait, lui cingla les reins de sa longue matraque en bois.

— Tiens-toi droite, salope !

Le capitaine Pracek émit un petit bruit chuintant et réprobateur en soufflant dans son fume-cigarette.

— On ne parle pas ainsi à une suspecte, fit-il d’un ton sentencieux.

Penaud, le milicien, qui avait voulu faire du zèle, baissa la tête. Depuis quatre heures, il veillait à ce que la gynécologue se tienne sans arrêt sur la pointe des pieds. La « Stoika », torture favorite du S.B. Parfait pour briser la volonté et la résistance physique et, en plus, ne laissant aucune trace. Mais ce n’était que le hors-d’œuvre avant le véritable interrogatoire. Maryla le savait. Elle n’ignorait pas non plus que le S.B. n’avait recours aux violences physiques que dans les cas graves. Sentant la volonté de conciliation de l’officier, elle tourna la tête vers lui.

— Je voudrais vous aider, dit-elle, mais je n’ai rien de plus à vous dire que ce que j’ai déjà déclaré. J’exige qu’on me libère. C’est indigne, ce que vous me faites.

Le capitaine Pracek ne répondit pas. Il avait des ordres écrits du Directorat n°4 pour faire parler Maryla Nowicka. Pour lui faire dire quel renseignement elle avait donné à l’agent étranger. Par tous les moyens. Le général commandant le S.B. avait lui-même téléphoné à Pracek. C’était le grand jeu.

— Si vous vous obstinez à ne pas répondre, dit le capitaine, vous serez jugée et sévèrement condamnée pour vos contacts avec un espion. On peut vous garder vingt ans ou plus en prison… De toute façon, l’espion a été arrêté et a déjà avoué. Vous feriez mieux de faire la même chose. On en tiendra compte…

Maryla Nowicka tremblait de tous ses membres pour essayer de rester sur la pointe des pieds. Ne pas donner à l’officier du S.B. le spectacle d’une nouvelle défaite. Mais c’était impossible. Tout à coup elle s’effondra sur elle même, sanglotant d’épuisement et d’humiliation. Le capitaine Pracek arrêta le milicien qui allait la frapper.

— Amène-la dans la salle n°3, dit-il.

Le milicien posa sa matraque et se pencha sur la gynécologue pour la forcer à se relever. Il y parvint difficilement : Maryla Nowicka ne tenait plus sur ses jambes. Elle avait les yeux vitreux. Le milicien dut passer un bras autour de ses épaules pour la traîner hors de la pièce. Furieux de cet effort supplémentaire, il lui jeta :

— Tu vas me regretter là-bas.

La salle n°3 était celle des interrogatoires « forcés ».


* * *

Le milicien laissa la gynécologue s’effondrer dans le fauteuil et profita de son absence de résistance pour lui lier le torse, le cou, les poignets et les chevilles avec les courroies de cuir fixées au fauteuil.

La pièce ne comportait que ce siège de dentiste, avec tous ses accessoires, une table de bois maculée de taches brunes et un banc. Les murs étaient tapissés de liège et la porte donnant sur le couloir rembourrée de cuir. De grosses planches clouées en travers des fenêtres empêchaient le bruit de s’en aller par là.

La seule lumière venait du grand scialytique disposé au-dessus du fauteuil de dentiste. Une lumière blafarde et sinistre, avec des reflets bleuâtres.

Le milicien acheva de fixer une sorte de carcan métallique prolongeant le dos du fauteuil qui immobilisait complètement la tête de la gynécologue. Enfin, il lui glissa entre les dents un bloc de caoutchouc, un peu comme les protège-dents de boxeurs. Mais il comportait à chacune de ses extrémités un fil d’acier dont les deux bouts se réunissaient derrière la nuque, empêchant le sujet de se débarrasser de l’appareil et maintenant la bouche ouverte.

Maryla Nowicka ouvrit les yeux et son regard croisa celui du milicien. Ce qu’y lut ce dernier lui fit détourner la tête, gêné. Il n’était pas encore endurci. En sortant de la pièce, il se heurta à deux hommes. Le capitaine Pracek et un homme en blouse blanche effacé et frêle, avec un visage allongé et des yeux sans couleur.

— Tu gardes la porte, dit le capitaine Pracek. Personne n’entre.

Il n’avait plus son fume-cigarette. S’approchant du fauteuil, il se pencha sur Maryla Nowicka qui n’ignorait plus ce qui l’attendait. Maintenant, elle avait récupéré un peu.

— Alors ? interrogea-t-il. Que t’a-t-il demandé ?

— Si je connaissais des gens qui veuillent travailler avec lui, répondit Maryla Nowicka qui avait réfléchi.

Lui jeter quelques miettes, au moins.

— Bien, fit le capitaine Pracek. Donc tu avoues avoir travaillé comme espionne.

— Oui, souffla Maryla Nowicka.

L’officier se pencha un peu plus, parlant toujours d’une voix posée.

— Et tu lui as donné des noms ?

— Non. Je n’en connaissais pas.

— Ah ! C’est bien.

Le capitaine Pracek hochait la tête avec un sourire satisfait. Son sourire s’effaça d’un coup. Il se pencha presque à toucher la gynécologue et hurla :

— Salope ! Menteuse ! Tu as fini de te foutre de moi. On sait ce qu’il cherche ! Tu l’as envoyé voir quelqu’un ? Oui ? Oui ? Oui ?

Il criait tout contre son oreille. Maryla Nowicka ferma les yeux et Pracek se calma d’un coup. Il se retourna vers l’homme en blouse blanche qui attendait en silence.

Witold Borowski était dentiste de profession. Sa famille se trouvait dans la partie annexée par l’Union soviétique et le S.B. lui faisait miroiter un transfert. À condition de rendre certains services… Le capitaine Pracek l’attira à l’écart.

— Tu me garantis que cela ne laisse pas de traces…

Le dentiste approuva :

— Au bout de quelques heures, on ne verra plus rien. Les acides buccaux décolorent la cavité.

— Très bien, vas-y, un petit trou pour commencer.

Le dentiste s’approcha du fauteuil et prit une fraise ronde en tungstène. C’était un vieil appareil dont le moteur tournait entre 20 000 et 75 000 tours/minute. Plus c’était lent, plus la douleur était violente. Il glissa l’extrémité de la fraise entre les mâchoires maintenues écartées par le bloc de caoutchouc et posa la fraise sur une molaire de la mâchoire inférieure.

— Vas-y, ordonna Pracek.

Witold Borowski appuya sur la pédale, cherchant à tout prix à éviter le regard de Maryla Nowicka. Sa main tremblait. Creuser une dent vivante causait une douleur horrible, insoutenable, inhumaine. Maryla Nowicka vida ses poumons de tout l’air qu’ils contenaient, enfonça ses ongles dans ses paumes. Borowski bredouilla :

— Pardon, pardon, madame…

La fin du mot fut noyée dans le hurlement de la gynécologue. Elle avait espéré se retenir, mais c’était impossible. La fraise venait d’attaquer les filets nerveux qui remontaient au niveau de l’émail. Tendue en arc, retenue par les cercles d’acier qui lui sciaient la gorge et le front, elle hurlait comme une bête.

Le dentiste leva le pied de la pédale, le front couvert de sueur :

— Continue !

L’ordre claqua comme un coup de fouet. Docilement, il remit la fraise en place, appuya. En quelques secondes le millimètre et demi d’émail fut perforé et la fraise mordit dans la pulpe richement irriguée de terminaisons nerveuses.

Les hurlements de Maryla Nowicka devinrent si stridents que le capitaine Pracek recula instinctivement comme si les cris avaient pu le blesser… Les dents serrées sur le manche de la fraise, les yeux révulsés, la gynécologue hurlait, tétanisée. La courroie immobilisant son bras gauche céda d’un coup. Sa main balaya son bourreau, la fraise, tout l’appareil. Elle continuait à souffrir et à crier, avec l’impression que la fraise lui creusait le cerveau.

Le capitaine Pracek tira le dentiste en arrière.

— Attends !

Il prit une courroie de secours sous le fauteuil, rabattit le bras gauche de la gynécologue et le rattacha, au bras du fauteuil. Maryla Nowicka s’était tue. Il se pencha sur ses yeux fermés, sur ses mâchoires serrées.

— Alors, dit-il, tu es prête à répondre maintenant ? Maryla Nowicka ne desserra même pas les mâchoires.

Elle savait qu’elle devait tenir, tenir. Pour que Malko ait le temps de mener son enquête. Le capitaine Pracek secoua la tête, plein de commisération affectée :

— Idiote, on va te creuser toutes les dents. Tu vas devenir dingue. Ensuite, on trouvera autre chose. Mais on ne te lâchera pas tant que tu n’auras pas dit ce que tu sais.

Il recula et fit signe au dentiste de recommencer.


* * *

Les mots frappèrent Malko comme des coups. Il revoyait la gynécologue s’éloigner dans le froid. Les autres n’avaient pas perdu de temps. Cyrus Miller le poussa dans l’ascenseur et remarqua :

— Cela change pas mal de choses.

Malko savait ce qu’il voulait dire. Si Maryla Nowicka parlait, les Polonais se mettraient eux aussi à la recherche de la mystérieuse fiancée de Roman Ziolek. Et ils risquaient de la trouver avant Malko. Ils pouvaient aussi penser qu’il l’avait déjà trouvée et vouloir le mettre hors d’état de nuire. Ou le faire parler. Il calculait tout cela dans sa tête. Son sort reposait entre les mains de la gynécologue.

— Pour moi, cela ne change rien, s’entendit-il dire. Cyrus Miller hocha la tête.

— Vous avez des pulsions suicidaires… Malko s’extirpa un sourire triste.

— Non. Mais c’est une question d’heures ou de jours, maintenant. Si je ne trouve pas cette femme, les Polonais vont le faire et l’éliminer. Nous avons déjà eu trop de mal à arriver jusque-là. Il n’y aura pas un second témoin-miracle pour confondre Ziolek…

— Bravo, fit Miller, mais il va vous falloir le diable pour réussir avec le S.B. sur le dos.

— Tant que je n’aurai rien trouvé, je ne risque rien, assura Malko. Je suis leur « foret ». Mais dès que je planterai mes dents dans ma proie, ils tenteront de me récupérer. Seulement, Mr. Miller, les forets ont aussi des dents et sont très vifs…

L’ascenseur s’arrêta au rez-de-chaussée et les deux hommes sortirent de la cabine.

— J’ai connu des gens comme vous, fit le chef de station de la C.I.A. Ils sont tous morts dans des circonstances désagréables. Je ne vous le souhaite pas, mais… Une dernière fois, voulez-vous décrocher, oui ou non ?

— Non, dit Malko. Pas encore. J’ai avancé et je continue.

— Alors, allez au diable, fit Cyrus Miller avec humeur.

— J’y vais, fit Malko.

Il sortit de l’ambassade, à la fois ragaillardi et tendu. Au fond la C.I.A. jouait toujours un jeu aussi ambigu. On le pressait de décrocher, mais on le laissait continuer jusqu’à l’extrême limite. Par miracle, un taxi vide remontait Sobieskego. Heureux présage. Malko donna l’adresse du Victoria. Il avait trouvé un moyen amusant de contrer le S.B.

Il l’espérait du moins.

Arrivé à l’hôtel, il ne monta même pas dans sa chambre et fila vers les cabines téléphoniques derrière le desk. Il composa le numéro que lui avait donné Anne-Liese. On répondit à la seconde sonnerie. La voix calme de la jeune Polonaise se réchauffa dès que Malko s’annonça.

— C’est gentil de me téléphoner, dit-elle.

— Je m’ennuie, dit Malko. J’ai besoin d’un peu de frustration…

Elle rit.

— Vous êtes masochiste. Très bien, je peux vous donner autre chose, vous savez. Venez me voir.

— Il fait un peu moins froid, dit Malko, j’ai envie de prendre un peu l’air. Ce matin, j’ai visité plusieurs églises, ce n’est pas très gai.

Le rire, de nouveau.

— Voulez-vous que je vous emmène acheter du caviar ? proposa Anne-Liese. Et que nous le mangions ensemble ensuite ? Chez moi ?

Malko laissa s’écouler quelques secondes.

— C’est une bonne idée, dit-il enfin. Quand ?

— Dans une heure, à votre hôtel, dit Anne-Liese.

— Au bar, dit Malko.


* * *

Anne-Liese pénétra dans le bar vert, altière comme une frégate entrant au port. Suivie par les regards atrocement lubriques des rares consommateurs, qui s’éteignirent lorsqu’elle vint s’asseoir à côté de Malko.

— Alors, dit-elle, vous vous êtes promené sans moi ?

— Oui, avoua Malko, j’ai eu envie de voir Stare Miasto. C’est extraordinaire, n’est-ce pas, et tellement beau. Mais quel froid !

Le garçon apporta une vodka pour Anne-Liese. Lui avait à peine touché à sa Beck’s. L’extraordinaire poitrine était, cette fois, moulée par un haut fermé jusqu’au cou par des dizaines de boutons, très strict, ce qui faisait encore plus ressortir la masse impressionnante des seins…

Malko attendait, ne voulant pas dire le moindre mot qui puisse mettre la Polonaise en éveil. Il bâilla.

— Je me demande finalement si je ne vais pas faire la sieste…

Anne-Liese prit l’air choqué.

— Vous ne voulez pas de caviar !

— Il n’y en a pas à l’hôtel ?

— Non, il n’est pas bon. Venez, vous verrez, c’est un endroit amusant.

— Bien, dit Malko, dans ce cas, prenons un taxi et allons-y.

Anne-Liese était déjà debout. Ses seins pointaient à l’horizontale, comme deux obus de 155. Malko la précéda, assez content de lui. Son opération de « retournement » avait commencé. À l’insu de la principale intéressée… Mais le barillet de la roulette russe tournait aussi.

— Haaaaah !

Le cri de Maryla Nowicka franchit la porte fermée de la salle n°3 et se répandit dans tout le centre d’interrogatoire comme une odeur d’éther.

Les deux miliciens de garde échangèrent un sourire contraint et faussement rigolard. Dans le bureau voisin, une secrétaire plongea le nez dans sa machine à écrire. Rarement un interrogatoire s’était autant prolongé. Chaque séance durait une demi-heure environ. Le temps de percer une ou deux dents. Guère plus, parce que la douleur faisait s’évanouir la gynécologue.

La porte s’ouvrit sur le capitaine Pracek qui fit signe aux miliciens de venir chercher la prisonnière. Le dentiste était en train de défaire ses courroies de cuir. Maryla Nowicka gisait sur le fauteuil, la tête en arrière, livide, les traits tirés, une veine battant follement sur son cou.

Le dentiste était en train de démonter sa fraise d’un air honteux. Les miliciens prirent la gynécologue sous les aisselles et la traînèrent hors de la pièce. Elle était incapable de marcher.

— Ramenez-la en bas, dit Pracek, sèchement.

Il était furieux. Confusément, il sentait qu’il venait de perdre la première manche de son combat douteux. Certes, Maryla Nowicka était brisée physiquement. Mais Pracek se rendait compte qu’elle n’était atteinte qu’extérieurement. Il avait surpris, lorsque le dentiste avait arrêté son supplice, un regard dans ses yeux gris, qui trahissait l’existence d’une énergie intérieure encore intacte, encore rebelle.

Le signe d’une victoire muette.

Il n’avait pas brisé sa résistance mentale, il n’avait pas anéanti son goût du sacrifice. Il n’avait pas fait culbuter son échelle de valeurs, il n’avait pas atteint ses remparts intimes en trouvant la fissure subtile qui anéantirait son système de défense. En un mot, il avait échoué. Or, il ne fallait pas qu’il échoue. Il réalisa après coup qu’il avait manqué un élément déterminant à son supplice.

Il fallait que le prochain interrogatoire le comporte. Sinon, ce serait de nouveau l’échec. Maryla Nowicka était un adversaire de taille. Ce qui lui donna une idée. Dès que le milicien remonta, il lui ordonna :

— Va chercher la prisonnière. On va aller à Beniaminov. Au terrain d’exercice.

La Milicja possédait un terrain de manœuvres dans les bois de Beniaminov, non loin de Varsovie, où s’entraînaient les troupes de choc, les goleniów.


* * *

Les deux miliciens arrachèrent Maryla du divan où elle s’était tassée. Un vieux débris, bizarre dans ce décor moderne. Nul ne savait comment il avait échoué là. La gynécologue leur jeta un regard éteint, hébété. Ses caries artificielles la maintenaient dans un état de douleur permanente. Pas une seconde de repos. Elle tenta de se débattre.

— Non, non, je vous en prie, supplia-t-elle. Un des miliciens ricana :

— Ne t’en fais pas, ma belle. On ne s’occupe plus de tes dents. On va te promener.

Elle se tut. La seule idée de la fraise déclenchait des vomissements chez elle. Docilement, elle se laissa emmener jusqu’au car de la Milicja qui stationnait derrière l’immeuble.

On lui avait remis des menottes, les mains attachées derrière le dos. Il faisait froid, près de -10°, et la neige crissait sous leurs pas. Elle se demandait où on l’emmenait.

Ils roulèrent près d’une heure. Maryla Nowicka ignorait où ils se trouvaient. Aux cahots du fourgon, elle comprit qu’ils avaient quitté la route. Le fourgon finit par stopper et on ouvrit la porte. Un milicien fit descendre la gynécologue. Ils se trouvaient en plein bois, près d’un petit lac. Le capitaine Pracek entraîna Maryla Nowicka vers un ponton de bois où étaient accrochés plusieurs bateaux, avançant de quelques mètres au-dessus de l’eau gelée. Il attacha une corde à la chaîne des menottes, maintenant l’autre extrémité à son poignet. Vêtue de sa seule robe, Maryla Nowicka tremblait de tous ses membres. Pracek la tira par les cheveux.

— Une dernière fois, tu veux parler ?

— Je ne sais rien.

D’une bourrade, l’officier la fit basculer hors du ponton. La glace se brisa sous son poids et elle disparut dans le lac gelé. Aussitôt, Pracek, aidé d’un milicien, tira sur la corde jusqu’à ce que la tête fasse surface au milieu de la glace brisée.

— Tu vas rester là-dedans jusqu’à ce que tu parles, cria-t-il.

Maryla ressentait une impression bizarre. D’abord le froid l’avait mordue comme une brûlure. Au bout de quelques secondes, elle éprouva un engourdissement brutal qui la coupait de toutes sensations. Elle se demanda combien de temps elle pourrait tenir dans cette eau à quelques degrés. Les bras tirés vers le haut par la corde, elle essaya de penser à quelque chose d’agréable.

Pourvu que tout cela ne soit pas inutile.

Sur le ponton, le capitaine Pracek tapa du pied sur les vieilles planches pour se réchauffer. Personne ne pouvait supporter à la fois une douleur intolérable et la certitude de mourir.

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