Chapitre VIII

Le cheveu coincé dans la serrure de la valise avait disparu. C’était la seule preuve tangible du passage du S.B. Bien que Malko n’eût rien à cacher, cette fouille lui créa une sensation de malaise. Autre élément de la toile d’araignée dans laquelle il s’était jeté. Tout à son enthousiasme, il avait sous-estimé l’efficacité des services polonais.

Soudain, il éprouva une angoisse atroce en se demandant s’il allait pouvoir sortir de Pologne. En un éclair, il réalisa que le S.B. allait se servir de lui pour identifier des opposants et ensuite le liquiderait tranquillement. Il était tombé dans le piège. Il rêva soudain à son château, à Alexandra, à la vie de Vienne, aux soirées, à la liberté. Il était fou de s’être embarqué dans cette galère.

L’hôtel était parfaitement silencieux, pourtant, il ne pouvait pas s’endormir. Les trois coups de trois heures sonnèrent quelque part.

Enfin, à force de réfléchir, il eut une idée. Il l’examina sous toutes ses coutures, sombrant peu à peu dans le sommeil, et conclut que c’était peut-être la seule chance de mettre le S.B. en échec. Il entendit encore les quatre coups de quatre heures, puis bascula dans le sommeil.


* * *

La neige tombait avec une sorte de puissance méthodique, noyant Varsovie sous un rideau blanc. Malko traversa le hall du Victoria, grouillant d’hommes d’affaires de tous poils, et s’arrêta sous l’auvent.

Au réveil, son idée lui avait paru moins bonne. Il n’avait plus qu’à appliquer la procédure de secours. Une visite au chef de station de la C.I.A. de Varsovie. Son enquête était terminée avant de commencer. Ce n’était même pas la peine de tenter de voir Roman Ziolek, pour se faire raconter des contes de fées.

Dans les cas comme les siens, il existait des filières d’évasion qui fonctionnaient bien quand elles n’étaient pas « pénétrées ». Hélas, on s’en apercevait toujours trop tard quand c’était le cas…

Pas de taxi. Il n’allait quand même pas aller à pied à l’ambassade. Il piétinait depuis cinq minutes dans la neige du trottoir lorsqu’une superbe Mercedes grise déboucha de la gauche et vint s’arrêter devant le Victoria. Malko se précipita, les éternels dollars à la main.

Le chauffeur, assez âgé, avec des cheveux blancs ondulés et un nez busqué, avait une bonne tête. Moitié en polonais, moitié en allemand, ils négocièrent à deux dollars l’heure. L’ambassade U.S, se trouvait dans Ujazdowskie, beaucoup plus au sud, au cœur de l’ancien quartier résidentiel où pullulaient encore les vieux hôtels particuliers. Malko retrouva avec plaisir les sièges confortables d’une bonne voiture, tandis qu’ils descendaient Nowy Swiat, l’artère principale de Varsovie, bordée de tristes immeubles noirs…

— C’est à vous la voiture ? demanda Malko au chauffeur.

L’autre secoua la tête en riant :

— Non, c’est celle de mon patron. Mais il est en réunion toute la journée au comité central du Parti… Là, tenez !

Il montrait à Malko un monumental gâteau de granit gris, au coin sud-est des Aleje Jerozolimskie[30] et de Nowy Swiat, gardé par des miliciens en kaki : le siège du parti ouvrier unifié polonais. Le cerveau du pays… Le chauffeur se retourna, hilare.

— Vivement le prochain congrès, qu’on ait des bananes. C’est le seul moment où ils se débrouillent pour en importer.

Tout à sa joie, il faillit emboutir un des innombrables trolleybus rouges qui sillonnaient les rues de Varsovie. Charmant pays.

— Vous n’êtes quand même pas trop malheureux ? demanda Malko.

Le chauffeur eut un geste fataliste.

— Bof… Du moment qu’on ne fait pas de politique. Moi, je suis trop vieux pour m’intéresser à ces trucs-là. Avec cette voiture, je gagne assez de dollars pour me payer des vacances à l’étranger tous les deux ans, et de la viande au marché noir. Alors…

La circulation était plus fluide, et l’environnement avait changé. Au lieu des immeubles gris et tristes, il y avait à gauche l’immensité enneigée du parc Lazienkowski et à droite de vieux petits palais transformés en ambassades, mais charmants. Cette partie-là n’avait pas été détruite totalement en 1944. Le taxi stoppa en face d’un building moderne de quatre étages en pierre grise, le seul des Aleje Ujazdowskie.

— C’est l’ambassade, annonça le chauffeur. Vous êtes diplomate ?

— Presque, dit Malko.

Au moment où il ouvrait la portière, l’autre lui proposa :

— Si vous me donnez 20 dollars, vous pouvez me garder jusqu’à six heures. Ça vous facilitera la vie. Il n’y a pas beaucoup de taxis, à Varsovie…

Malko n’hésita pas : le vieux Polonais lui était sympathique.

— Parfait, dit-il, à tout à l’heure.


* * *

La cage de verre était suspendue au milieu du sous-sol comme la nacelle d’un dirigeable prêt à s’envoler. Des câbles d’acier fixés aux huit coins du cube, arrimés au plafond et au plancher, la maintenaient à un mètre du sol environ. L’installation ne devait pas être vieille, car il y avait encore des gravats partout. L’armature de la cage était en acier anodisé, ceinturé de boîtes noires qui devaient contenir la protection électronique. La porte donnant sur la pièce du sous-sol où se trouvait l’ensemble portait un écriteau : Keep away. High-tension.

C’était la salle de réunion de l’ambassade, là où se discutaient tous les problèmes confidentiels.

— Après vous, dit aimablement Cyrus Miller, chef de station de la C.I.A. à Varsovie.

Un géant rougeaud, avec quelques cheveux sur le crâne et un costume clair chiffonné.

Malko le précéda sur l’escalier de bois permettant d’accéder à la cage. L’intérieur était succinct : une table basse et quatre sièges. Un plateau avec une cafetière et des tasses étaient posés sur la table. Cyrus Miller referma la porte derrière lui et appuya sur un bouton.

Aussitôt, un sifflement aigu vrilla les oreilles de Malko, diminuant rapidement pour se transformer en bourdonnement. Les défenses électroniques étaient en place. S’il y avait des micros dans les murs, ils ne recueilleraient que des sifflements à faire sauter les magnétophones. Cyrus Miller posa ses dossiers devant lui et se versa une tasse de café. Puis, il alluma une Rothmans et fixa Malko :

— Je suppose qu’il s’est passé quelque chose de grave pour que vous soyez ici. Ce n’était pas dans nos conventions…

Durant le récit de Malko, il ne dit presque rien, prenant seulement des notes d’une écriture fine. Posant une question, approuvant de la tête. Un médecin écoutant un malade. Puis, il posa son stylo, écrivit de nouveau quelques mots sur une feuille de papier et appuya sur une sonnerie. Une minute plus tard, un homme jeune aux cheveux d’un noir de jais surgit dans la pièce et entra dans la cage. Cyrus lui tendit son papier.

— Bon, allez donc voir en haut ce que nous avons là-dessus.

Le jeune homme referma la porte et disparut. Cyrus Miller frotta pensivement ses mains rougeaudes l’une contre l’autre.

— Apparemment, le S.B. vous a bien pris en main. Le type du taxi devait appartenir au Directorat n°1, le bureau technique opérationnel. Mais ils sous-traitent pour le Directorat n°2 – le service du contre-renseignement – ou le n°4 – le service des organismes religieux et du clergé. C’est plutôt ceux-là qui s’occupent des dissidents de l’intérieur.

— De toute façon, vous représentez à leurs yeux un objectif de choix, même si l’histoire Roman Ziolek ne tient pas. Leur hantise, c’est le soulèvement de la population, côté ouvrier. Jusqu’ici, ils ont toujours réussi à séparer les intellectuels des ouvriers. Si Ziolek n’est pas manipulé, une réaction en chaîne risquerait de se produire. Il reçoit, paraît-il, beaucoup de lettres d’ouvriers…

— Vous avez une opinion sur lui ? demanda Malko.

L’Américain tira pensivement sur sa cigarette.

— Honnêtement, non. Bien entendu, nous avons suivi le développement du Mouvement pour la défense des droits des citoyens, nous connaissons certains des membres. Mais, jusqu’ici, absolument rien ne vient corroborer votre hypothèse… Sauf, évidemment, ce qui s’est passé à Vienne.

— C’est important, remarqua Malko.

— Certes, admit l’Américain, mais on n’a rien de concret à se mettre sous la dent. Je crois quand même que le mieux serait de vous faire disparaître d’ici avant qu’il ne vous arrive des problèmes sérieux ; ils ont été bien imprudents de vous faire venir… Les Polonais ne sont pas des idiots. Et n’oubliez pas le pool de coordination de tous les services des pays de l’Est. Les Russes, les Roumains, les Tchèques, les Allemands de l’Est, les Hongrois savent que vous êtes là à Varsovie. Certains aimeraient peut-être vous poser des questions. Ou régler de vieilles ardoises… Comme le S.B. n’a rien à refuser aux Soviétiques…

Un ange passa, une étoile rouge sur les ailes. Brusquement, Malko n’avait plus envie de quitter sa cage de verre ronronnante.

— Je croyais que Gierek était relativement moins proche des Soviétiques, remarqua-t-il. Qu’il avait libéralisé le régime après Gomulka.

Cyrus Miller eut un sourire indulgent.

— N’étant pas un spécialiste de la Pologne, vous pouvez le croire. Mais Edward Gierek est, avant tout, un agent du K.G.B. Il a été formé à Moscou, du temps du Kominform, et a monté des réseaux de pénétration en France et en Belgique ainsi qu’au Luxembourg. Nous avons une fiche très complète sur lui.

Édifiant.

— Vous n’avez vraiment aucune piste pour l’affaire Ziolek ? interrogea Malko.

Cyrus Miller n’hésita pas.

— Non. J’ai checké le close-up de Ziolek contre tous les ordinateurs. Rien. Pas la moindre faille. Si c’est un sous-marin, c’est du beau travail.

— Les gens de l’Est ont l’habitude du beau travail, remarqua Malko.

L’Américain semblait de plus en plus réticent.

— C’est difficile de partir à l’aventure, remarqua-t-il. Pour les opposants, Roman Ziolek est devenu un héros.

Visiblement, le chef de station n’avait qu’une idée : le faire sortir de Pologne… Non sans raison. Bercé par le bourdonnement, Malko réfléchissait, se repassant mentalement les éléments du problème. Une voix intérieure lui disait que, même si le vieil antiquaire avait menti sur tous les autres points, il disait la vérité en parlant de Roman Ziolek. Mais comment le prouver ?

Déjà, Cyrus Miller avait regardé trois fois sa montre. Malko décida d’essayer l’idée qu’il avait eue la nuit précédente.

— Avez-vous la liste de tous les Polonais ayant participé à des mouvements d’opposition au cours des dernières années ? demanda-t-il.

Le chef de station de la C.I.A. sembla un peu surpris par la question, mais acquiesça :

— Oui, enfin tous ceux que nous connaissons.

— Je suppose qu’on retrouve toujours les mêmes ? Cyrus Miller bougea son corps massif, mal à l’aise sur sa chaise trop étroite.

— Un noyau. Oui. Mais il y a ceux qui sont en prison, morts ou qui ont fui à l’Ouest… Certains en ont tellement pris sur la gueule, aussi, qu’ils se sont couchés…

— Très bien, fit Malko. Vous les avez sur ordinateur, ici, à Varsovie ?

— Non, à Langley. Pourquoi ?

Il sembla à Malko que le bourdonnement électronique avait diminué d’intensité. Il finissait par éprouver une sensation de claustrophobie dans cette cage étroite. Ses yeux dorés dans ceux de l’Américain, il demanda :

— Je voudrais savoir le ou les noms de ceux qui ont toujours participé aux manifestations antirégime et qu’on ne retrouve pas dans le mouvement de Roman Ziolek. Ceux qui n’ont pas de raison valable pour ne pas y être. Comme la mort ou la prison.

Cyrus Miller secoua la tête et lissa ses rares cheveux.

— My goodness ! fit-il d’une voix calme, vous pensez à un type qui saurait ou qui soupçonnerait quelque chose ?

Right, dit Malko.

L’Américain se leva si brusquement que la cage en trembla.

— Terrific ! Si ça marche. (Il consulta sa montre.) Écoutez, il est quatre heures du matin à Langley. Il y a juste une permanence. Ça peut prendre une heure d’interroger le « Magic Dragon ».

— Je reviens dans une heure, dit Malko. En attendant, je vais faire un tour.


* * *

Un vent glacial entraînait les flocons de neige balayant l’allée Jerozolimskie, large avenue à deux voies perpendiculaires à Nowy Swiat, une des artères les plus commerçantes de Varsovie. Malko ressortit d’un magasin soviétique, le « Natascha », sans rien avoir trouvé à acheter. Même pas des jouets ! C’était l’indigence totale. Un homme, une casquette poilue enfoncée jusqu’aux yeux, engoncé dans un vieux manteau de cuir, s’approcha de lui et murmura :

Dollars… Hundred and fifty zlotys…

Six fois le cours officiel. Malko ne répondit pas. Ce pouvait être un provocateur. Il traversa, manquant de se faire écraser par un tram rouge, et tenta le magasin de Chine populaire, le « Chinewa ».

C’était pire que le soviétique ! On aurait dit l’étalage des lots d’une kermesse de patronage.

Les immeubles étaient tous d’un gris sinistre. Ce n’était pas la peine d’avoir reconstruit Varsovie. Pas une seule vitrine agréable. Des gens faisaient la queue devant une boucherie, avec des visages résignés. On aurait cru une image de guerre. Il entra dans une « winiarnia[31] » où les clients buvaient debout, agglutinés autour de petits guéridons. Pour 10 zlotys, il obtint une tasse d’un liquide marron qui n’avait de café que le nom. Ses vêtements tranchaient sur ceux des autres consommateurs. Une grosse femme, enveloppée dans une vieille fourrure, posa sa tasse, s’approcha de lui et demanda à voix basse s’il avait des dollars.

Sûrement pas une provocatrice. Mais l’attrait du dollar était tel qu’il transformait tous les Polonais en trafiquants.

Il secoua la tête avec un sourire désolé. Comment savoir dans la foule qui étaient les agents du S.B. ? L’heure avait passé, il était temps de retourner à l’ambassade. Son chauffeur de taxi l’attendait en lisant une bande dessinée. Ils firent le tour par Marszalkowska, approchant du monstrueux Palais de la Culture, puis redescendant par l’allée Armia Ludowej. Les maisons étaient plus espacées, avec de petits jardins gelés. De l’autre côté, le parc.

Lazienkowski descendait en pente douée presque jusqu’à la Vistule… À droite, s’allongeaient des alignements sans fin de H.L.M. grisâtres. Encore plus sinistres sous la neige. Il se demanda soudain ce qu’était devenue Anne-Liese, sa conquête de l’Opéra.

Cette fois, le marine de garde à l’ambassade le fit entrer rapidement et le mena directement au sous-sol. Cyrus Miller le rejoignit quelques instants plus tard dans la « cage », un dossier à la main. La porte se ferma. Sifflement, bourdonnement. Le chef de station de la C.I.A. le regardait avec une expression ambiguë.

— Ils ont mis le paquet, dit-il. Malko ne comprenait plus.

— Avec qui ?

Le visage rougeaud de Cyrus Miller s’éclaira d’une lueur ironique.

— Votre conquête de l’Opéra. (Il sortit une fiche de son dossier.) Voilà : Anne-Liese Malsen. Polonaise d’origine allemande. Agente du S.B. depuis six ans au moins. Officier traitant dépendant du Directorat n°2. À été « prêtée » au Z2 de 1976 à juillet 1977, pour une mission en Allemagne. Résidente à Bonn, sous la couverture de critique d’art, a entamé une liaison avec un haut fonctionnaire allemand du ministère de la Défense. Celui-ci lui a communiqué des documents de l’O.T.A.N. codifiés « cosmic » pendant onze mois. A quitté sa femme et ses trois enfants. Lors de son arrestation, s’apprêtait à divorcer pour épouser Anne-Liese. Celle-ci a quitté l’Allemagne, échappant à la police, sans qu’on sache comment.

— Et lui ? demanda Malko.

— Il s’est suicidé.

Silence, rompu par le bourdonnement des déflecteurs électroniques. Cyrus Miller se gratta la gorge.

— Ils ont pris ce qu’ils avaient de mieux. Cela prouve qu’ils ne veulent pas vous mettre hors circuit tout de suite. Ils vous montent un turbin… Mais attention, cette femme est dangereuse. Le type dont je vous parle n’était pas un enfant de chœur. Elle en a fait une lavette à vaisselle…

— J’essaierai de ne pas me transformer en lavette, dit Malko. Et le reste ?

— Le reste…

Cyrus Miller ménageait ses effets. Il tira une nouvelle feuille de son dossier. Malko vit que trois noms y étaient inscrits.

— Je crois que vous avez eu une idée intéressante, Mr. Linge. Nous avons trouvé trois noms. Je rectifie : deux, parce que le troisième donné par l’ordinateur n’est plus valable. Le sujet est mort la semaine dernière… (Il tira son stylo et barra le premier nom.) C’est une certaine Maryla Nowicka, gynécologue. Pas de photo, malheureusement. Depuis 1970, elle a participé à tous les rassemblements de dissidents. A été arrêtée plusieurs fois et a subi d’innombrables vexations de la part du S.B. Cette fois, aucune trace d’elle dans le mouvement de Roman Ziolek. Ou elle en a marre, ou il y a autre chose.

— Et l’autre ?

— C’est un homme, un avocat de Cracovie, dit l’Américain.

Malko n’hésita pas.

— Je vais commencer par la première, dit-il. Vous avez son adresse ?

Cyrus Miller lui tendit le papier.

— Apprenez-la par cœur, c’est de la dynamite. Malko lut l’adresse : 6 Ulica Dojna, appartement 64.

— C’est au sud, dans les nouveaux grands ensembles, près de la route de Wilanow, précisa l’Américain. Vous voulez y aller ?

Malko était en train de mémoriser le nom et l’adresse. Il rendit le papier à l’Américain. Ses yeux dorés brillaient d’un éclat presque joyeux.

— Bien sûr, dit-il. Même si c’est la dernière chose que je fais à Varsovie.

Cyrus Miller le fixa avec une drôle d’expression.

— Vous savez ce que vous risquez ? dit-il doucement. Un de nos agents est allé à un rendez-vous similaire à Prague. On a retrouvé son cadavre dans le Danube.

— Ici, la Vistule est gelée, remarqua Malko ironiquement. Je veux savoir. Mais je vais prendre toutes les précautions pour y arriver seul.

— Ce ne sera pas facile, ronchonna l’Américain. Ils doivent être sur vous comme des morpions. Et je ne peux pas vous aider. Nos opérations de pénétration tiennent à un fil. La moindre imprudence et tout est par terre.

— Je sais, reconnut Malko. Pouvez-vous avoir des nouvelles de Wanda Michnik ?

— J’essaierai, dit l’Américain. De toute façon, votre filière d’évasion sera prête dans quarante-huit heures, au plus tard. Si vous ne m’avez pas contacté, c’est moi qui le ferai. Vous recevrez une carte d’invitation à un récital de piano. Vous saurez alors qu’il faut venir ici. Le reste sera relativement facile.

Tout était dans le « relativement ».


* * *

Malko traversa en courant Ujazdowskie pour rejoindre son taxi. Un peu plus loin, il repéra une Lada grise. Un suiveur. Il prit place dans le véhicule. Le chauffeur lui sourit.

— Vous voulez qu’on aille acheter du caviar ? Ou des bijoux ? Vous préférez une fille ?

— Cela fait beaucoup de choses, remarqua Malko. Mais je veux quelque chose de beaucoup plus difficile.

— Quoi ?

— Un « Samizdat[32] ».

Le Polonais éclata de rire.

— Ça, c’est facile, il y en a plein !

— Oui, dit Malko, mais j’en veux un particulier, et je ne veux pas qu’on puisse me suivre…

Le chauffeur hocha la tête pensivement :

— Je vois.

Malko s’aventurait en terrain miné. Il pouvait être victime d’un « montage ». Mais ce Polonais lui inspirait relativement confiance. Il fallait prévoir le cas où il était surveillé à la fois par des piétons et plusieurs véhicules, radio bien entendu. Le chauffage était mis et Malko s’engourdissait tout doucement.

— Vous avez un plan de Varsovie ?

L’autre lui en tendit un Malko chercha la rue Doina et la trouva facilement. Elle donnait dans Polna, une grande artère presque parallèle à la route de Wilanow, filant vers le sud. Malko rendit le plan sans rien dire.

— Il y a bien un truc, si vous ne voulez pas qu’on vous suive, suggéra le chauffeur.

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