Chapitre IV

Malko fixait l’énorme gourmette virevoltant au gré des gesticulations de Ned, essayant de paraître détendu.

Maintenant, il connaissait par le détail tous les malheurs des 212 agents du « Directorat des Opérations » licenciés par l’amiral Turner, le nouveau patron de la C.I.A. Il était temps de changer de sujet.

— Vous avez fait la Pologne ? demanda-t-il.

Ned réfléchit quelques secondes, le nez plongé dans son cognac. Malko avait demandé en allemand au garçon de laisser la bouteille de Gaston de Lagrange sur la table.

— Oui, l’année dernière.

— Rien d’amusant ? L’Américain fit la moue.

— Oh, les trucs habituels. Les Polonais sont des excités du micro, comme les Soviétiques. Le comble, c’est qu’ils utilisent de temps en temps du matériel de chez nous ! Il y avait un micro dans la chambre de l’ambassadeur. On n’a jamais su comment ils avaient pu le poser. De toute façon, maintenant, la station a le nouvel équipement. Une security room où on s’enferme pour les discussions sérieuses. Avec une barrière électronique qui arrête tout. Des ultrasons. Mais cela a coûté plus de 100 000 dollars, on ne peut pas faire cela partout… (Il sourit en regardant Malko.) Vous vous intéressez à l’électronique, maintenant ?

— Ça dépend, dit Malko, je voudrais vérifier quelque chose. Dites-moi, il vous faut combien de temps pour sonder une pièce ? Pas trop grande, six mètres sur cinq, à peu près…

Ned acheva de vider son cognac. C’était le troisième et il commençait à se sentir euphorique. Il éclata d’un rire épais et heureux, guigna la bouteille de Gaston de Lagrange et s’en resservit. Pensant que, vraiment, Malko savait vivre.

— Vous avez l’impression qu’on a « buggé » votre château ? Si je commence là-bas, j’en ai pour un an… Je fais venir ma femme.

Malko sourit en secouant la tête.

— Non, ce n’est pas mon château. C’est ici à Vienne. Vous pourriez checker une pièce en quelques heures ?

— En deux, trois heures, précisa Ned, mais il me faut un ordre de mission du chef de station… C’est la règle.

— Je vois, dit Malko. Qu’est-ce que vous risquez si vous agissez sans ordre ?

Ned eut un geste éloquent.

— Viré…

— Je croyais que vous étiez viré à la fin de l’année ? remarqua Malko d’une voix douce. C’est dans trois semaines, non ?

Ned posa son verre de cognac et le regarda fixement.

— Dites-moi, qu’est-ce que vous êtes en train de me proposer ? Vous déconnez ou quoi ?

C’était le moment de l’estocade.

— Ned, dit Malko, je ne plaisante pas. J’ai envie de vérifier une hypothèse sur un coup bizarre. Jamais Hank Bower ne prendra sur lui d’autoriser une visite dans un local privé. Vous le connaissez. Je pourrai probablement avoir le feu vert de notre Directorate, mais vous serez reparti et ils ne vous feront pas revenir pour ça… Ned le regardait d’un drôle d’air.

— C’est un truc « clean » au moins ?

Les yeux dorés de Malko le foudroyèrent.

— Ned !

— Oh, vous savez, se défendit l’Américain, on voit des drôles de trucs aujourd’hui. Quand on pense que notre ancien ministre de la Justice est en cabane…

— C’est « super-clean » affirma Malko. Et ça peut déboucher sur une énorme opération.

— Ouais, c’est quand même emmerdant…

— Écoutez, Ned, dit Malko pour emporter son adhésion, si vous me rendez ce petit service, je vous en rends un autre. Une soirée avec une fille superbe qui parle assez bien anglais pour comprendre ce que vous attendez d’elle…

L’œil du furet s’alluma.

— Vrai ?

— Juré.

La Gräfin von Wisberg possédait une femme de chambre à la limite de la nymphomanie. Au moins que cela serve…

— Et puis, merde, fit Ned. Ça apprendra à l’Amiral à nous virer. Mais il faut que ce soit vous… Où c’est, votre truc ?


* * *

La Rolls Royce bordeaux couverte de neige stoppa devant la pension Arenberg, sur le Stubenring, non loin du Danube. La C.I.A. ne gâtait pas son petit personnel. Ned attendait derrière la porte vitrée et se précipita, trainant une lourde valise métallique que Krisantem aida à placer dans le coffre.

La tempête de neige redoublait. Avec la nuit, on n’y voyait pas à trois mètres. Excellent pour ce que Malko voulait faire.

L’Américain se laissa tomber sur la banquette arrière et s’ébroua :

— C’est la première fois que je monte dans une Rolls, fit-il.

— Espérons que ce n’est pas la dernière, fit Malko. Vous avez tout ce qu’il vous faut ?

— Matériel léger, corrigea Ned, mais ça suffira… C’est loin ?

Une heure plus tôt, Elko Krisantem était passé discrètement faire sauter les scellés. Inutile de traumatiser bêtement Ned. La police autrichienne ne reviendrait pas avant quelques jours dans la boutique de Julius Zydowski. Emma, la bonne de Thala von Wisberg, attendait, arrosée de parfum, son fiancé américain, tandis que sa maîtresse s’apprêtait à faire passer une excellente soirée à Malko.

— Nous sommes à cinq minutes, assura Malko pendant que la Rolls faisait demi-tour sur le Ring.

— Vous savez ouvrir une porte ? Pas de verrou de sûreté, juste une serrure ?

Ned agita sa gourmette.

— Pas de problèmes.

Ils roulèrent en silence jusqu’à Grabenstrasse. Encore sous l’effet du Gaston de Lagrange, Ned n’arrêtait pas de siffloter.

La Rolls stoppa devant le passage sur lequel donnait la porte de derrière de la boutique de Julius Zydowski. Ned et Malko descendirent. À cette heure-là, toutes les boutiques étaient fermées.

L’Américain récupéra sa valise et s’enfonça dans le blizzard, précédé de Malko. Ils s’arrêtèrent, essoufflés et gelés, devant la porte noire.

— C’est là, dit Malko.

En face, il y avait un mur aveugle.

Ned se pencha sur la porte, sortit un outil de sa poche, l’essaya, jura, en essaya un autre, puis un troisième. Enfin, il y eut un « clic » léger et la porte s’entrebâilla. L’Américain se redressa avec une expression satisfaite.

— Et voilà !

Il prit sa valise et pénétra à l’intérieur.

À part les marques à la craie, là où on avait déposé le cadavre de Julius Zydowski, rien n’avait changé depuis la dernière visite de Malko. Il faisait presque aussi froid que dehors. Il régnait une odeur de poussière et de moisi. Ned aperçut l’inscription sur le mur, tracée avec le sang de l’antiquaire.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je ne sais pas, mentit Malko.

Il alla fermer la porte donnant sur la boutique.

— Vérifiez cette pièce, demanda-t-il. Les w.-c. aussi. Si vous pouvez sonder la boutique dans le noir, allez-y, mais n’allumez pas. Trop dangereux. Combien de temps vous faut-il ?

Ned balaya la pièce d’un regard rapide.

— Deux heures.

Malko consulta sa montre. Huit heures.

— Très bien, je vous attendrai avec la Rolls, là où nous nous sommes arrêtés. Bonne chance.

L’Américain était déjà en train d’ouvrir sa grande valise métallique.

Malko referma la porte sur lui et s’éloigna rapidement. La Gräfin devait commencer à s’impatienter… Elle n’avait pas prêté sa soubrette sans compensation.


* * *

Cassé en accent circonflexe, le portier du Drei Husaren empocha le billet de 50 schillings et referma doucement la porte de la Rolls sur Thala von Wisberg. La Gräfin étouffa un léger hoquet. Le tokay, dont elle avait vidé une bouteille à elle toute seule, Malko se contentant de Dom Pérignon. Elle croisa les jambes, découvrant un peu plus de ses bas gris fumée. Son corps mince était mis en valeur par une des dernières créations de Saint-Laurent, une robe hérissée de fentes dans tous les coins. Le cauchemar de la femme pudique. Mais la Gräfin von Wisberg n’était pas un monstre de pudeur…

— On gèle, dit-elle.

Malko l’attira contre lui, tandis que Krisantem démarrait. Il jeta un coup d’œil à sa Seiko-Quartz. Discrètement. Dix heures moins dix. Le service était d’une exaspérante lenteur au Drei Husaren et les musiciens s’étaient agglutinés autour de leur table, comme des mouches sur un pot de miel, le ralentissant encore.

— Je t’ai préparé une surprise, dit Thala.

— C’est gentil, dit Malko.

Machinalement, sa main épousa le genou gainé de nylon gris. Thala von Wisberg, renversée en arrière sur la banquette, les yeux mi-clos, avait perdu son air hautain. La Rolls montait lentement Mariahilferstrasse. Soudain, la Gräfin repoussa l’accoudoir central qui la séparait de Malko et se tourna vers lui. Son regard était flou, trouble.

— Caresse-moi.

Elle avait parlé si doucement qu’il crut avoir mal entendu. Mais lorsque sa main quitta le genou, Thala glissa un peu en avant sur la banquette, les yeux clos, en une invite muette. Heureusement que la conduite sur verglas requérait toute l’attention de Krisantem. La Gräfin von Wisberg était d’une rare impudeur. Tout à coup, elle saisit le poignet de Malko.

— Attends. Je ne veux pas ici…

Il y eut un léger ressaut. La Rolls venait de franchir la grille de la propriété. Malko regarda sa montre. Dix heures moins une.

À dix heures pile, la Rolls stoppa devant le perron. Thala sembla avoir du mal à s’arracher de la chaleur de la grosse limousine. Malko l’escorta jusqu’à la porte. Elle l’ouvrit et l’entraîna dans le hall sombre. Puis, sans même enlever son manteau, elle se jeta contre Malko. Il reçut le choc de sa bouche parfumée et de son corps nerveux. Ils titubaient entre les chaises comme des ivrognes. Thala von Wisberg avait noué ses deux bras autour de Malko et sa bouche parcourait son visage et son cou. Frénétiquement. Il finit par l’accoter à la console sur laquelle on posait le courrier. Son désir était communicatif. Oubliant où il se trouvait, il prit les deux bords de la fente centrale de la robe et d’un geste sec l’agrandit considérablement.

Thala gémit, se mit à murmurer des mots crus sans perdre son accent aristocratique. Puis elle attira Malko d’un geste sans équivoque. Tandis qu’il la pénétrait brutalement, elle exprima avec des mots étouffés la soumission la plus absolue. Il se mit à la besogner sauvagement, à grands coups de reins faisant trembler la console. Il y eut un bruit de tissu déchiré. La robe s’ouvrait encore un peu plus. Emporté par sa fougue, Malko hissa Thala von Wisberg sur le meuble. Nouveau bruit clair : le verre venait de se briser sous le poids de la jeune femme. Les deux mains nouées derrière les reins de sa partenaire, Malko explosa. Thala gémit, eut une secousse de tout son corps qui envoya par terre la moitié du verre de la commode et elle retomba contre Malko comme un pantin désarticulé.

Celui-ci laissa les battements de son cœur se calmer puis recula doucement. Thala von Wisberg le retint par la main qu’elle porta à ses lèvres. Puis brusquement, elle le mordit. Jusqu’au sang. Il recula. Elle rit. Trop haut.

— Tu me traites comme une bonne !

Il y avait plus d’extase que de colère dans sa voix. Elle alluma. Malko se rajustait. Elle lui reprit la main et l’entraîna.

— Viens, dit-elle, j’ai fait descendre une glace du grenier, cet après-midi. C’est ma surprise.

Malko se dégagea et vérifia l’heure. Dix heures cinq. La passion semble toujours allonger le temps.

— Thala, dit-il, il faut que je me sauve.

Il était déjà en train de descendre les marches du perron lorsqu’elle retrouva sa voix. Comme une furie, elle surgit derrière lui. Malko se retourna au moment de monter dans sa Rolls. Thala, du perron, égrenait un chapelet d’injures à faire rougir un hussard de la Mort. La robe ouverte jusqu’au nombril, décoiffée, un bas en loques. Superbe et défaite.

— Infect saligaud ! hurla-t-elle au moment où la Rolls démarrait.

Ivre de rage, elle arracha son escarpin gauche et le jeta sur la voiture qui s’éloignait.

— Krisantem, n’écoutez pas ce que dit cette dame, conseilla Malko.

Le Turc ne répondit pas. Il n’avait même pas arrêté le moteur de la Rolls. Malko essaya de se détendre tandis que la grosse voiture descendait les lacets de la colline de Breitensee. Une idée l’obsédait. Ned avait-il trouvé quelque chose ? Sinon, il s’était brouillé avec la Gräfin pour rien.


* * *

— Bon sang, j’ai cru que vous m’aviez oublié ! explosa Ned.

L’Américain tapait la semelle au coin de Grabenstrasse et du passage menant à l’arrière-boutique. Rouge de froid. Malko aperçut la grosse valise derrière lui, posée dans l’ombre. Son cœur se serra. Ned n’avait rien trouvé. Il était dix heures dix-sept.

— Pourquoi n’êtes-vous pas resté à l’intérieur ? demanda-t-il.

Ned exhala une buée glacée et ricana :

— J’ai fait un peu de bruit… J’ai préféré ne pas être là si les voisins appelaient la police. Mais on peut y retourner.

— Vous avez trouvé quelque chose ?

Ned avait déjà tourné le dos et filait à grands pas dans le passage. Ils arrivèrent ensemble à la porte de l’arrière-boutique de Julius Zydowski. Ned s’effaça pour laisser entrer Malko qui alluma après avoir refermé.

Il resta interdit. L’arrière-boutique semblait avoir été traversée par une tornade. Ned avait arraché le papier par endroits, décroché les photos du mur, strié le plafond de profondes saignées dans le plâtre qui ressemblaient à des blessures. Des baguettes électriques pendaient arrachées, deux lames du parquet avaient été soulevées. Les meubles étaient rassemblés au milieu de la pièce en tas.

— Alors ?

Ned plongea la main dans la poche de son pardessus et en sortit deux petits objets noirs.

— J’ai trouvé ça noyé dans les murs. Deux radio-microphones, reliés au circuit électrique. Il doit y avoir un poste d’écoute fixe ou mobile dans le coin, dans un rayon de 500 mètres, d’où on ne perdait pas une syllabe de ce qui se disait ici. Matériel tchèque. Vous les gardez ?

Malko avait envie d’embrasser la trogne rougie de Ned.

— Je les garde, dit-il.

Maintenant au moins, il avait une explication possible à la mort de Julius Zydowski.

— Vous allez les montrer à Hank ? Malko inclina la tête.

— Oui, Ned. Et vous pouvez dire que vous avez rendu un sacré service à la « Company ».

L’Américain secoua la tête.

— Je vais quand même me faire engueuler… Enfin. Et la petite ?

— Elle vous attend au restaurant Pataky, dit Malko. Krisantem va vous y déposer. Tout ce que vous pourrez y boire ou y manger est réglé d’avance. Il y a également un magnum de J & B dans votre chambre pour vous rappeler le pays. J’espère que vous passerez une bonne soirée.

— Sûr, dit Ned. Ça vaut mieux parce que demain matin, ça va gueuler…

Ils sortirent de l’arrière-boutique après avoir éteint et fermèrent la porte. Le froid était de plus en plus vif. Malko serrait dans sa poche les deux micros. La Gräfin von Wisberg allait recevoir, la plus belle gerbe de fleurs de sa vie.


* * *

— Bravo, Mr. Linge, laissa tomber Hank Bower avec une certaine froideur. Vos deux micros étaient réglés sur une fréquence utilisée par le S.B.

Malko réussit à garder l’air modeste. Cela faisait oublier les éclats de voix qui avaient filtré du bureau lors de l’entrevue entre Ned et Hank Bower… Le malheureux « furet » allait être précédé à Langley par une note de service sanglante.

— Cela signifie, dit Malko, que le S.B. a pu surprendre la conversation que j’ai eue avec lui et agir en conséquence. Les Polonais ont sûrement eu vent du trafic de Julius. En le surveillant, ils risquaient de découvrir des choses intéressantes. Ils ont dû apprendre l’histoire Ziolek par hasard et ils ont réagi aussitôt.

Le chef de station mâchonna son cigare. La chaleur était de plus en plus inhumaine dans le bureau.

— Possible, mais jusqu’ici nous n’avons toujours rien sur Ziolek.

Il prit sur son bureau une feuille dactylographiée et la parcourut des yeux.

— Pas une faille dans la biographie ! Mobilisé en 1939. Fait prisonnier par les Allemands, s’évade, se cache dans la région de Cracovie jusqu’en 1941. Prend contact avec la Résistance de Londres et ensuite ne quitte plus Varsovie. La liste de ses exploits vous fatiguerait. Un authentique héros de la Résistance. Depuis les premiers jours de 1942, il avait comme adjointe et, vraisemblablement, comme maîtresse une certaine Dabrowska, fille de pharmaciens fusillés par les Allemands.

— Qu’est-elle devenue ?

Hank Bower eut un geste lapidaire.

— Morte. Elle faisait partie du dernier groupe resté dans Varsovie après la fin de l’insurrection. Ils furent anéantis.

— On ne peut rien savoir de plus sur cette histoire ? L’Américain eut un geste d’impuissance.

— Tout ça s’est passé il y a trente-trois ans. Varsovie a été détruite, la plupart des témoins de cette époque sont morts et les archives sont parties en fumée. Encore une chance que Gehlen ait conservé quelque chose… Vous voyez, on n’archive jamais trop.

Il se tut. Malko sentait que même les micros ne l’avaient pas convaincu. Il fallait quelque chose de plus. Il pensa soudain au rapport de police. À un paragraphe qui prenait maintenant toute sa valeur.

— Vous avez les photos de tous les gens des services polonais en résidence à Vienne ? Enfin, les « officiels », demanda Malko.

Hank Bower leva la tête, surpris.

— Oui, je pense. Pourquoi ?

— Je peux les voir ?

— Allez aux Archives, dit l’Américain, je les préviens. Que voulez-vous en faire ?

— Je ne sais pas encore, dit Malko.

Chaque station de la C.I.A. conservait précieusement les photos de toutes les barbouzes de la partie adverse identifiées, travaillant dans la même ville sous couverture officielle : diplomates, journalistes, attachés commerciaux… On recoupait avec le fichier central de la C.I.A. ensuite, pour repérer les plus dangereux.

Malko prit l’ascenseur jusqu’au quatrième.


* * *

Le libraire pointa avec hésitation son doigt sur une des six photos tenues par Malko.

— Je crois bien que c’est celui-là. Je l’ai remarqué parce qu’il entrait chez Herr Zydowski après l’heure de fermeture. Ses oreilles dépassaient de son chapeau comme des anses, Herr Inspektor. L’autre, je ne suis pas sûr. Peut-être celui-là. Au fond, j’en suis presque sûr, mais je ne voudrais pas…

Le timbre de la porte retentit. Un client. Malko rentra ses photos.

— Danke vielmal, mein Herr. Je vais continuer mes vérifications.

Il sortit de la librairie et partit à pied, serrant les photos dans sa poche. Les assassins de Julius Zydowski avaient été imprudents. Imprudents parce que pressés…


* * *

— Mr. Bower va vous recevoir tout de suite, annonça la secrétaire. Il est en communication téléphonique avec Washington.

Malko eut envie de lui conseiller de ne pas raccrocher. Quelques instants plus tard, le voyant vert s’alluma et Malko pénétra dans le bureau. Le chef de station de la C.I.A., cigare vissé à la bouche, lui jeta un regard interrogateur et froid.

— Alors… Du nouveau ?

— Oui, dit Malko, j’ai découvert le nom des assassins de Julius.

L’Américain ôta son cigare de ses dents.

— You’re pulling my leg[22].

Sans répondre, Malko sortit deux photos de sa poche, des contretypes de celles des archives de la C.I.A., et les posa sur le bureau.

— Un témoin a vu ces deux hommes pénétrer dans la boutique de Julius quelques minutes avant le meurtre. Vous voulez savoir leur nom ?

— Oui.

Malko retourna les photos et lut les légendes qu’il y avait mises.

— Capitaine Stanislas Pracek, du S.B. Directorat n°1. En poste à Vienne à l’ambassade de Pologne sous la couverture de troisième secrétaire. Lieutenant Kotlasz, membre du service « Action » du Z 2[23]. Attaché commercial adjoint à Vienne.

— Les deux sont repartis pour Varsovie hier matin, sur un avion de la LOT, laissant leurs familles derrière eux. À l’ambassade polonaise, on déclare ne pas connaître la date de leur retour…

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