Chapitre IV

Malko revit le colonel de Vries lui révéler son « petit secret » et la façon dont il allait « motiver » ce voyou de Herbert Van Mook. Décidément, le chef du Service Action néerlandais connaissait bien l’âme humaine.

Penché en avant, Herbert Van Mook révélait son vrai visage : ses yeux semblaient s’être enfoncés encore dans leur orbite, mais leur expression fixe, hallucinée, mettait mal à l’aise. À cause de la musique, Malko était presque obligé de crier :

— Ce n’est pas une histoire, dit-il. L’aide que je réclame est difficile et dangereuse, donc il est normal de la rétribuer. Vous êtes le seul à Paramaribo à pouvoir jouer ce rôle. Cela se paie.

— Cet or, vous l’avez amené avec vous ?

— Là n’est pas la question. Comme vous le disiez tout à l’heure, Julius Harb doit être exécuté dans huit jours. Vous savez ce que vous avez à faire et ce que cela peut vous rapporter. Le reste, ce sont des détails techniques, à régler par la suite. Ce que je veux, c’est votre réponse.

Le Hollandais demeura muet quelques secondes, puis se pencha de nouveau, les yeux brillants, après avoir regardé autour de lui.

— Cet or, c’est pas bidon ? D’où le sortez-vous ?

— Ni vous ni moi ne sommes d’humeur à plaisanter, dit Malko. Si je vous promets cinquante kilos d’or, c’est que je suis en mesure de vous les donner. À vous de savoir si vous désirez les gagner.

Du bar où le barman barbu servait sans arrêt, Rachel les observait, les jambes croisées haut sur son tabouret. Peu à peu, le Parbo Inn se remplissait. Rien que des Blancs. Malko se leva sans se presser. Travailler Van Mook était comparable au dressage d’un fauve. Si l’autre sentait la moindre faille, il le dévorait. Le Hollandais se leva en même temps.

— Attendez ! Si c’est sérieux, je suis d’accord.

Malko plongea ses yeux dorés dans les siens.

— C’est sérieux. Nous avons un deal ?

Herbert Van Mook prit sa main tendue avec une imperceptible hésitation.

— Nous avons un deal, fit-il.

Ses gros doigts écrasèrent la chevalière de Malko et il se rassit, hurla pour couvrir le bruit de la musique :

— Ayub ! Encore deux bières.

Le Pakistanais se rua aussitôt vers la table, suivi de Rachel. D’un claquement de doigts, le Hollandais fit signe à la jeune créole de regagner le bar. Malko sentait qu’il avait les nerfs à fleur de peau.

— Maintenant que nous sommes associés, dit-il, dites-moi où vous allez prendre ce foutu or.

Malko but un peu de sa bière et lui adressa un sourire rempli d’innocence.

— À la banque.

Le Hollandais lui jeta un regard méfiant.

— Quelle banque ? On ne peut plus acheter d’or depuis deux mois.

— À la Banque Centrale.

Le Hollandais secoua la tête avec une lueur dangereuse dans son regard bleu.

— Pas de conneries ! L’or de la Banque Centrale se trouve dans une salle blindée. Personne ici n’a le matériel pour l’ouvrir.

Il avait dû se pencher sur le problème. Malko se dit qu’il était inutile de faire monter la tension.

— Vous n’ignorez pas, dit-il, que le directeur de la Banque Centrale s’est enfui de Paramaribo, il y a quelques semaines ?

— Et alors ?

— Alors, dit Malko, je viens ici avec deux objectifs. D’une part, libérer Julius Harb et, d’autre part, récupérer les deux tonnes d’or qui constituent le stock du Surinam. Afin de les mettre à la disposition d’un gouvernement surinamien en exil.

Herbert Van Mook se gratta pensivement la poitrine le regard brusquement voilé. Puis il jura, à voix basse, presque respectueusement, pourrait-on dire :

— Mijn God !

Il but une longue gorgée de bière avant de demander, d’une voix moins tendue :

— Vous avez la clef de la chambre forte ?

— Bien sûr, et la combinaison aussi. Par contre, il faut parvenir à cette chambre forte. La banque doit disposer d’autres protections. Il est indispensable de les neutraliser. Est-ce que cela vous semble possible ?

Herbert Van Mook mit quelques secondes à répondre.

— C’est sûrement faisable. Je vais y réfléchir. Il n’y a pas de gardes armés à la banque la nuit. Seulement, il faudra trimbaler les deux tonnes d’or. Ça se présente comment ?

— En barres de douze kilos et demi. Chacune mesure trente centimètres sur dix. Il y en a cent soixante. On ne peut guère en porter plus de trois à la fois. Cela fait plus de cinquante voyages.

— Si nous sommes cinq, cela n’en fait plus que dix, fit remarquer Van Mook. Il faudra opérer de nuit, pendant le couvre-feu et planquer le camion dans la cour. Vous avez pensé à tout ça ?

— Oui, dit Malko, j’ai un plan théorique. Première partie de l’opération. On récupère Harb pendant le transfert de Memre Boekoe à Fort Zeelandia et on prend les deux tonnes d’or. Ensuite, il faut gagner Pokigron, sans se faire intercepter par les Surinamiens.

— Pourquoi Pokigron ?

— Il y a une piste d’atterrissage. Un avion viendra nous chercher pour nous sortir du Surinam.

Herbert Van Mook laissa échapper un sifflement discret et admiratif.

— Dites donc, vous avez de sacrés appuis… Les clefs de la chambre forte et un avion, en plus.

— Il faut des armes, des hommes en plus de nous deux, toute une logistique.

Les yeux de Van Mook brillaient d’un éclat fou.

— On va trouver tout ça, affirma-t-il.

Malko eut un sourire froid.

— Je ne peux pas me contenter de mots. Maintenant que je vous ai fait confiance, je veux des preuves que vous êtes sérieux.

— OK, OK, fit vivement le géant. Écoutez, on va dîner ensemble. Seulement, il faut que je retourne à ma ferme, nourrir mes petites bêtes. On sera mieux pour parler là-bas. Vous avez une voiture ?

— Oui.

— OK, vous me suivez. C’est à une demi-heure d’ici, sur la route de l’aéroport. Vous allez voir, j’ai quand même une petite surprise pour vous…


* * *

Une rangée de rats blancs tétaient avidement des biberons inclinés dans une longue cage. Herbert Van Mook cligna de l’œil en passant devant eux.

— C’est la bouffe des serpents…

Malko le suivit dans un hangar violemment éclairé. Dans des enclos grillagés, il y avait une véritable ménagerie : un couple de perroquets d’un blanc de neige, d’autres aras de toutes les couleurs, des perruches, des faons, des tapirs, toutes sortes d’oiseaux au plumage flamboyant. Le reste de l’espace était occupé par des aquariums sans eau où se prélassaient des lézards, des serpents, des araignées et même d’étranges grenouilles. Le Hollandais s’arrêta devant de minuscules grenouilles bleues et jaunes.

— Celles-là, expliqua-t-il, il faut aller les chercher au fond de la forêt. J’en expédie des dizaines toutes les semaines. Il ne faut surtout pas les toucher : leur peau est recouverte d’une pellicule urticante… Mais elles sont moins dangereuses que ceux-là !

Malko aperçut, dans une boîte de verre, trois petits serpents violet sombre, d’une vingtaine de centimètres, gros comme le doigt, lovés les uns sur les autres.

— Ce sont les pires, reprit le Hollandais. Quatre heures et vous êtes mort.

Un peu plus loin, il y avait d’énormes mygales, des tarentules velues et mortelles, des serpents verts comme des bananes, des lézards aux couleurs bizarres, d’autres grenouilles de toutes les couleurs. Van Mook distribuait de l’eau à tous ses monstres comme une bonne mère poule… Malko ressentit une bizarre impression de malaise. La ferme se trouvait au bout d’un chemin effroyable, à moins d’un kilomètre de la route, invisible.

La jeune Rachel avait disparu dans la cuisine dès leur arrivée. Personne d’autre ne semblait résider à la ferme.

Ils ressortirent de l’enclos aux serpents et regagnèrent la ferme. Le couvert était mis pour trois.

Rachel fourgonnait toujours dans la cuisine. Van Mook déplaça un vieux fauteuil en acajou presque noir et roula une natte usée jusqu’à la corde, dévoilant une trappe.

Il la souleva, découvrant une grande cavité d’où il sortit plusieurs paquets enveloppés de toile verte qu’il posa sur la table basse. Ensuite, il déroula la première avec précaution. L’acier noir d’un riotgun à répétition Beretta apparut, flambant neuf. Le Hollandais adressa un regard de triomphe à Malko.

— Vous voyez que vous avez frappé à la bonne porte… Ce machin, c’est pas très sélectif, mais ça dégage. Il y a pas grand-chose qui reste debout dans un rayon de vingt mètres.

— D’où avez-vous sorti ça ? demanda Malko.

Van Mook eut un sourire malin.

— Des types qui me paient les serpents en nature, aux USA. J’aime bien avoir quelques armes chez moi.

Il déplia une autre toile, qui contenait deux mitraillettes Uzi.

— Ça, fit le Hollandais, ce sont des déserteurs qui m’ont fourgué leurs trucs avant de filer en Guyane française. J’ai dix chargeurs.

Ensuite, trois M 16 apparurent, encore dans leurs enveloppes de papier huilé. Fusils d’assaut redoutables. Il ne manquait plus qu’un mortier. Il y avait déjà de quoi équiper six hommes. Rachel apparut sur le seuil de la cuisine.

— C’est servi, annonça-t-elle avant de redisparaître.

Malko jeta un coup d’œil à Herbert Van Mook. La créole semblait ne pas avoir remarqué les armes étalées sur la table. Le Hollandais ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.

— Rachel n’est pas conne, dit-il. Je lui enlèverai la peau à la machette si elle me faisait des emmerdements. De toute façon, elle ne voit personne. Ses parents sont en Guyane : elle s’est tirée de Kourou et je l’ai recueillie.

Elle est un peu bizarre, mais vachement intelligente. Vous verrez…

On s’imaginait mal Herbert Van Mook en père adoptif. La sensualité à fleur de peau de la jeune créole avait dû être pour beaucoup dans son désir d’adoption. Rachel émergea de la cuisine avec une cocotte qu’elle posa sur la table.

— Du bruine bonen, annonça Van Mook, ça tient au corps…

Effectivement, le cassoulet de poulet à base de haricots rouges et de piment tenait au corps.

Malko avait l’impression qu’on construisait un petit mur de brique au milieu de son estomac.

Le ventilateur brassait mollement un air chaud et humide et il sentait la sueur dégouliner le long de son dos. Rachel, assise en face de lui, l’observait sans discontinuer, lui lançant parfois un regard fuyant et intéressé de petite gamine vicieuse. Van Mook noyait le piment du bruine bonen dans des flots de bière. Malko dut en vider deux d’un coup pour ne pas exploser. Il était quand même satisfait, les armes étaient là, bien réelles.


* * *

Ils avaient tous gagné le patio où il faisait un peu moins chaud. Van Mook et Malko s’étaient installés sur un canapé bas courant tout le long du mur de pierre. Rachel, après avoir débarrassé, se balançait dans un vieux rocking-chair. Le ciel, couvert le jour, scintillait d’étoiles dès la nuit tombée. Affalé à côté de Malko, le Hollandais achevait la digestion des haricots rouges avec un peu de J & B. Ils n’avaient plus reparlé affaires et Malko se sentait plutôt somnolent. Il fit à peine attention quand Van Mook se leva et disparut en marmonnant quelque chose.

Le grincement du rocking-chair s’arrêta aussitôt.

Malko leva la tête. Rachel l’observait avec un drôle de sourire, un pied posé sur la table, l’autre sur le rebord du fauteuil, dévoilant ses cuisses jusqu’à l’ombre de son ventre sans la moindre pudeur. Le regard trouble de ses curieux yeux écartés ressemblait à un appel.

— Quand vous repartirez, dit-elle soudain, vous ne voulez pas m’emmener ? J’ai envie de voyager. J’en ai assez de la forêt.

Elle recommença à se balancer doucement, le regardant par en dessous, avec une expression ambiguë. Malko était gêné de cette provocation muette. Rachel posa une main sur son genou rond et remonta doucement, repoussant la jupe en denim, comme pour expliciter sa proposition.

— Votre ami ne vous garde pas de force quand même ? fit Malko sur le ton de la plaisanterie, pour décrisper l’atmosphère.

Les lèvres épaisses de Rachel se gonflèrent en une moue sensuelle.

— Non, mais j’en ai assez, je veux aller ailleurs. Lui ne m’emmènera pas. Ou il me fera faire la pute et je ne veux pas.

Elle se leva tout à coup, s’approcha de lui à le toucher avec un regard intense et pervers. Les pointes de ses seins perçaient le T-shirt. Elle murmura de la même voix égale :

— Je ne vous plais pas ?

Elle avança un peu la jambe gauche de façon à la glisser entre celles de Malko, le visage baissé vers lui. Ils entendirent soudain des pas à l’extérieur. Aussitôt, Rachel bondit jusqu’au rocking-chair et avait recommencé à se balancer lorsque Herbert Van Mook pénétra dans la pièce.

Malko était plutôt satisfait de cette interruption. Il n’avait pas la moindre envie de se mettre des complications sur le dos.

Van Mook était un homme assez dangereux sans l’asticoter en plus avec une histoire de fesses…

D’abord, Malko eut l’impression que le Hollandais s’était enveloppé le bras avec une sorte de corde noirâtre. Puis, de la main gauche, il prit la « corde « et la déploya. C’était un serpent ! Marron, sombre, avec des taches noires, long de plus d’un mètre.

Le Hollandais s’approcha de Rachel et jeta le reptile sur ses genoux avec un gros rire.

— Tiens, je t’ai amené ton fiancé.


* * *

Malko s’attendait à ce que la jeune créole pousse un hurlement d’horreur et jette le reptile au loin. Elle ne broncha pas. Au contraire : le prenant délicatement derrière la tête elle le souleva pour le lover autour de son cou, approchant la tête triangulaire de son visage, comme pour un abominable baiser !

Herbert Van Mook était revenu près de Malko, empoignant la bouteille de J & B pour la boire au goulot.

— C’est un anaconda, précisa-t-il ensuite, un bébé. Les gros font jusqu’à dix mètres… Pas venimeux et très affectueux. Vous allez voir, si elle a envie…

Rachel continuait à se balancer dans le rocking-chair. Le reptile avait glissé le long de son corps pour s’enrouler sur les cuisses de la créole, laissant reposer sa tête dans le creux de son coude. Elle lui caressait le dessus de la tête, le regard dans le vague, un curieux sourire aux lèvres. Seul le grincement du vieux fauteuil troublait le silence. La tête du serpent se dressa lentement. Elle oscilla un peu puis retomba près de l’aine de la créole, et commença à avancer très lentement sur sa cuisse. Malko sentait qu’il allait se passer quelque chose de monstrueux. Rachel alluma une cigarette, observant le reptile, comme si les deux hommes n’existaient pas.

Van Mook, régulièrement, attaquait sa bouteille de whisky. La tête de l’anaconda atteignait la peau nue après la jupe. Malko en eut la chair de poule. Le serpent continua sa progression jusqu’au genou, puis sa tête bascula vers l’extérieur, suivant le galbe de la jambe. Encore quelques reptations et il fut complètement enroulé autour de la cuisse. Il s’arrêta un peu, puis commença à remonter doucement, suivant l’intérieur de l’autre jambe. Rachel ne semblait pas être incommodée par le contact des écailles froides sur sa peau nue. Au contraire : son visage arborait une expression presque extatique. Ses doigts caressaient machinalement les anneaux qui se déroulaient sur ses cuisses bronzées.

La tête de l’anaconda progressait lentement, se relevant de temps à autre, s’arrêtant, s’allongeant peu à peu. Lorsque Malko vit la tête du reptile disparaître sous la jupe en denim, il eut du mal à réprimer une nausée. Herbert Van Mook lui prit le bras.

— Vous allez voir ! souffla-t-il.

Le scotch et l’excitation lui donnaient des yeux de fou. Malko imaginait la tête du serpent, rampant vers le ventre que rien ne protégeait. Rachel avait fermé les yeux et ne se balançait plus. L’anaconda était presque immobile. D’après la longueur enfouie sous la jupe fendue, Malko calcula qu’il avait atteint le sexe de la jeune créole. D’ailleurs, celle-ci eut un brusque sursaut, ses mains enserrant les bras du fauteuil, le visage crispé dans une expression ambiguë, à mi-chemin entre le plaisir et le dégoût.

Avec une lenteur exaspérante, Rachel se rejeta encore plus en arrière, écartant les pieds appuyés à la table, offrant aux deux hommes le spectacle de ses jambes ouvertes : Malko eut une vision inoubliable. La tête plate de l’anaconda était collée au ventre de la jeune créole et semblait picorer la fourrure frisée, le reste de son corps enroulé autour de la cuisse, comme un bracelet monstrueux.

Les mains de Rachel quittèrent les bras du fauteuil et vinrent se nouer derrière la tête du petit anaconda ; elle se mit à guider ses mouvements, le faisant aller et venir contre son ventre. À un moment, elle l’écarta et Malko put voir la langue du serpent darder à toute vitesse à la recherche d’un but invisible, puis le museau froid et octogonal replongea dans la pénombre de la jupe. C’était hallucinant. Tout à coup, sans que rien ne puisse le faire prévoir, Rachel se tendit comme sous l’effet d’un électrochoc, émit un cri étouffé et repoussa la tête du serpent à deux mains.

Ensuite, elle demeura immobile quelques instants, puis son corps se tassa dans le rocking-chair et elle rouvrit les yeux. Lentement, elle tira le serpent vers le haut, le souleva de toute sa hauteur, puis, s’amusa à l’enrouler de nouveau autour d’une de ses cuisses, de façon à ce que toute la longueur du reptile frotte contre son ventre. Elle fit cela plusieurs fois, regardant alternativement Malko et le Hollandais, perdue dans son fantasme. La voix de Van Mook rompit le silence :

— T’es vraiment cinglée !

Il se tourna vers Malko, les yeux injectés de sang.

— Un jour, je l’ai trouvée dans son lit, à poil avec l’anaconda ! Elle avait appris toute seule à s’en servir. Après, elle ne voulait plus dormir sans lui. Je suis sûr qu’elle se le tapait toute la nuit.

Rachel, sans un mot, arracha le serpent de sa cuisse et, à toute volée, le lança sur le canapé où il atterrit avec un sifflement de rage. Malko fit un bond de côté ; Herbert Van Mook, rapide comme l’éclair, avait déjà saisi le reptile sous la tête.

— Je vous ai dit qu’elle était cinglée, répéta-t-il.

Rachel pouffa comme une écolière qui vient de faire une blague. Effectivement, elle n’était pas nette…

Tranquillement, le Hollandais se leva, le serpent enroulé autour de son bras.

— Faut que j’aille nourrir ma petite famille, dit-il, ensuite, nous parlerons…

Il disparut. Aussitôt, Rachel se leva et rejoignit Malko sur le divan.

— Vous avez aimé ? Cela vous a excité ?

Ses yeux avaient une expression incroyablement perverse. Après ce qu’il avait vu, il pouvait s’attendre à tout…

— Pas vraiment, fit-il.

Rachel le fixa longuement, comme si elle méditait sa réponse.

— Non ?

Sans que son regard se détache de lui, ses mains se posèrent sur Malko, commençant à le masser. Comme il esquissait un geste pour l’écarter, elle dit :

— Si vous ne me laissez pas faire, je hurle et je dis à Herbert que vous avez voulu me sauter. Il me croira. Il me croit toujours.

Brutalement, la présence de cette adolescente perverse fit basculer Malko. Il se sentit soudain devenir d’une dureté de fer sous les doigts habiles. Une lueur de triomphe passa dans les yeux écartés de la créole. Elle se pencha sur lui et le prit dans sa bouche, puis le lécha doucement, habilement, jusqu’à ce qu’il tressaille, au bord du plaisir. Elle le laissa, haleta, puis brusquement, se releva, son étrange expression enfantine et amusée dans les yeux, se tortilla pour remonter sa jupe sur ses hanches et se jeta sur lui, se faisant pénétrer avec force.

— Tu me veux maintenant ! murmura-t-elle avec triomphe.

Elle remua un peu le visage enfoui dans la poitrine de Malko, puis fut brutalement secouée de plaisir et jouit avec violence. Ils crièrent tous les deux, et les ongles de Rachel s’enfoncèrent dans la poitrine de Malko. Elle s’affaissa un peu contre lui, comme pour se faire pénétrer encore plus puis se releva, encore moite de plaisir, et sans un mot, regagna son rocking-chair.

Lorsque Herbert Van Mook réapparut quelques minutes plus tard, Rachel fumait une cigarette. La perversité à l’état pur. Malko avait du mal à retrouver sa sérénité. Le Hollandais était-il au courant ? Tout cela faisait-il partie d’un jeu destiné à conditionner Malko ? Ou la créole s’amusait-elle seulement avec un nouvel objet sexuel ? Herbert Van Mook vida une nouvelle rasade de J & B et jeta à Rachel :

— Va te coucher. On a à discuter.

La créole se leva docilement, embrassa son amant sur la bouche et tendit une main molle à Malko. Comme si rien ne s’était passé. Lorsqu’elle eut disparu, Van Mook secoua la tête.

— C’est une sacrée affaire. Le feu au cul. Elle baiserait un crocodile.

Un ange passa, qui avait une tête d’anaconda.

— Bon, fit le Hollandais, j’ai réfléchi. Si vous êtes sûr de votre information, on devrait pouvoir s’en tirer à cinq ou six pour l’attaque de la diligence. Ce genre de transfert est plutôt discret. Ils seront une dizaine au maximum. Vous avez un moyen d’avoir des précisions ?

— Je pense.

— OK. Vous êtes tout à fait sûr qu’ils ne vont pas le trucider à Memre Boekoe ?

— Si c’était le cas, dit Malko, toute l’opération tomberait à l’eau. Mais, encore une fois, j’ai confiance dans nos sources.

— Parfait. Faisons comme si…

Il but de nouveau une rasade de whisky, guettant Malko du coin de l’œil.

— Vous êtes un drôle de type ! lâcha-t-il. Avec les tuyaux que vous avez, on pourrait se payer la banque les doigts dans le nez et se retrouver au Brésil avant le lever du soleil avec deux mille kilos d’or. Et laisser tomber la seconde partie du programme…

En choisissant un homme comme Malko pour cette mission, le colonel de Vries savait ce qu’il faisait. Très peu de chefs de mission pouvaient prendre la responsabilité de cinquante millions de dollars… sans en avoir les mains moites.

— Ce n’est pas ce que je prévois, fit Malko avec froideur.

Le Hollandais n’insista pas et laissa seulement tomber :

— J’espère que Cristina ne bavardera pas… Quand elle a quelques scotches dans le nez, elle a tendance à oublier la discrétion. (Il rit). Elle a dû vous dire des horreurs sur moi. Je l’ai sautée quelques fois et je crois qu’elle aurait bien voulu que ça arrive plus souvent…

— Elle peut avoir de bonnes informations ? demanda Malko soucieux de vérifier ses sources sans répondre à sa question.

— Très possible. Elle a baisé avec tellement de types à Paramaribo qu’elle connaît vraiment tout le monde, y compris cette ordure de Bouterse.

— Où allez-vous trouver des hommes pour l’attaque du transfert ? demanda Malko, pour couper court.

— J’ai quelques idées. Comme je vous le disais, on ne va pas se payer une bataille en rase campagne. Nous, c’est plutôt hit and run. Faut pas oublier que tout doit se passer entre minuit et quatre heures du matin. Pour déménager l’or, ça va prendre du temps, même si on a du cœur au ventre.

Il avait du mal à cacher que c’était son principal intérêt.

— Avez-vous pensé à la façon de quitter Paramaribo et de gagner Pokigron ?

Herbert Van Mook inclina la tête.

— Oui. Par la route ça risque d’être délicat. Il n’y en a qu’une vers Pokigron, celle de l’aéroport. Ils vont la boucler immédiatement. Donc, il ne reste que le fleuve. Si je trouve un bateau assez rapide, nous pouvons remonter jusqu’à Carolina en quarante minutes.

— Qu’est-ce que c’est Carolina ?

— Le second bac qui permet de franchir le Surinam, au sud de Paramaribo. Il y a peu de monde, c’est une piste simple. Un camion pourrait nous attendre là-bas. On transborde et on gagne Pokigron par de petites pistes, en contournant l’aéroport.

Malko contemplait le ciel étoilé, tournant les données du problème dans sa tête :

— Si pour une raison quelconque, nous ne pouvions pas atteindre Pokigron, dit-il, y a-t-il une solution de secours ?

Herbert Van Mook n’eut pas à réfléchir longtemps.

— J’en vois pas, fit-il d’un air dégoûté. Vers l’est le bac menant à la route de Guyane française par Albina va être surveillé tout de suite. Vers l’ouest, c’est le même problème avec le bac de Nickerie. Évidemment, on pourrait se cacher chez les planteurs de riz javanais. Mais après ?

— Et la mer ?

— Vous avez un bateau ? Ici, il n’y a rien pour affronter l’Atlantique. Le premier port est à mille kilomètres. En plus, ils ont des patrouilleurs.

— Et on ne peut pas gagner le Venezuela, en traversant la Guyane par la forêt ?

Le Hollandais eut une moue dubitative.

— Il faudrait une véritable expédition. Les pistes sont effroyables. On doit emporter de l’essence et des vivres pour plusieurs semaines. Sans être sûr de pouvoir passer. Il y a de la fièvre jaune, de la malaria, sans compter quelques Indiens parfois méchants. Le seul truc serait de gagner la Guyane française en franchissant le Maroni, à partir de Carolina. Ils ne nous couperont pas en morceaux.

— Pas question, dit Malko, cette opération doit rester complètement fermée.

— OK, accepta Van Mook, alors on s’en tient au plan initial. Retrouvons-nous demain au Parbo Inn, vers la même heure. J’aurai avancé.

— C’est sûr, le Parbo Inn ?

— Oui. Un des rares endroits où il n’y a pas de mouchards. Ayub ne peut pas les voir. Le premier rasta qui se pointe, on lui casse la tête… Mais faites attention, ils traînent partout en ville. Ils ont la phobie des mercenaires.

— Une question. Vous avez l’intention de quitter le Surinam avec nous ?

— Je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. Et j’emmène Rachel aussi.

— Et votre ferme ?

Il haussa les épaules.

— Je commence à en avoir marre de mes petites bêtes. Je finirais par me faire amocher. Avec un peu d’or, le Brésil m’accueillera à bras ouverts…

Cela faisait deux personnes de plus à exfiltrer. Van Mook regarda soudain sa montre et sursauta :

— Hey ! Il est onze heures et demie. C’est pas la peine de vous faire agrafer avec cette connerie de couvre-feu…

Ils se retrouvèrent dans le cloaque devant la ferme. Il avait plu. Le hangar aux serpents était silencieux. Le Hollandais serra longuement la main de Malko.

— Je suppose que vous connaissez mon pedigree, si on vous a parlé de moi en Hollande, fit-il. Ne vous gourez pas, je suis un mec correct. Nous avons un deal et je le tiendrai… Au bout du chemin, vous tournez à gauche et c’est tout droit. Si vous voyez des militaires, allumez l’intérieur de la voiture et ralentissez. Salut.

Le ciel pullulait d’étoiles. Tout en cahotant dans les ornières du sentier, Malko se dit que depuis leur conversation Herbert Van Mook n’avait plus qu’une idée en tête : récupérer les deux tonnes d’or de la Banque Centrale, de liquider, lui, Malko, et filer avec le fantastique magot. Cela risquait de compliquer le problème initial, mais il n’avait pas le choix. Le sablier continuait à couler. À l’aube suivante, il ne resterait plus que sept jours pour sauver Julius Harb.

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