AVANT-PROPOS au livre de James Agge et Walter Evans, Le Travail, traduit par Michelle Vian

Lorsque Simone de Beauvoir a prié la traductrice de s’occuper de ce texte, elle se doutait certainement que le Menteur viendrait jeter un coup d’œil sur le résultat. Ceci l’amène à de saines réflexions dont il est juste qu’il fasse part au lecteur :


1) Il semble que les Américains n’aient guère l’habitude de travailler et, sur ce point, nous ne pouvons que leur recommander un séjour dans un camp de concentration type Buchenwald ou Chypre, soit un stage dans les mines de diamants du petit père De Beers, soit une excursion aux plantations de jute de l’Hindoustan, sans oublier quinze jours de vacances dans un kholkose standard ou même un bref passage à décrasser les chaudières de n’importe quelle centrale thermique.


2) On comprend maintenant que ces pauvres Blancs dont Mr Agee nous décrit longuement la vie pénible dans un gros livre de 471 pages s’ennuient au point de se pendre un Nègre ou deux pour se changer les idées. C’est bien là leur seule distraction, et il est évident que l’on a bien tort de chercher à les en priver. Regrettons seulement que le Nègre ne puisse pas en faire autant car il fait le même travail et doit, par conséquent jouir des mêmes avantages. Il y a là une inégalité qui choque de la part d’une démocratie digne de ce nom.


3) On peut enfin se demander quel était le but de Mr Agee en écrivant ces lignes. Ou bien il faut que ça cesse, et alors il n’y aura plus de coton, ou bien il faut que ça continue, et alors, mieux vaut ne pas parler de ces choses-là, ou bien on mécanise la culture, et il n’y a plus de pauvres Blancs, donc, plus de littérature américaine.

Le problème est d’envergure et je propose d’ores et déjà quelques solutions constructives, selon une formule qui m’est chère.

a) Pendre régulièrement Mr Agee devant un public de Nègres et le dépendre juste avant l’instant fatal pour qu’il puisse resservir ; s’il y reste, ce ne sera pas une grande perte pour la littérature. On aura soin de cinématographier ses derniers instants pour étudier de près la mort héroïque d’un Américain moyen, et pour décourager les jeunes gens d’écrire.

b) Ne plus rien traduire de l’américain, et supprimer du même coup Les Temps modernes.

c) Parler d’autre chose. C’est ce que je fais. Qu’est-ce que vous pensez de Micheline Presle ?

Загрузка...