13

— Ah, je me sens beaucoup mieux avec cette nouvelle coupe, dit ma grand-mère, prenant place sur le siège passager de la Buick. J’ai même demandé à Clara de me faire un rinçage. On voit la différence ?

Ses cheveux étaient passés du gris métallisé à l’orange abricot.

— C’est un peu blond vénitien, lui dis-je.

— Oui, c’est ça ! J’ai toujours rêvé d’être une blonde vénitienne.

L’agence de Vinnie était juste en bas de la rue. Je me garai le long du trottoir et entrai, traînant ma grand-mère à ma suite.

— C’est la première fois que je viens, dit-elle. Ça valait le déplacement !

— Vinnie est au tel’, dit Connie. Il en a pour une minute.

Lula vint voir ma grand-mère de plus près.

— Alors, comme ça, c’est vous la grand-mère de Stéphanie, dit-elle. J’ai beaucoup entendu parler de vous.

Le regard de ma grand-mère s’illumina.

— Ah oui ? fit-elle. Et qu’est-ce qu’on vous a raconté de beau ?

— Eh bien, pour commencer, qu’on vous avait cognée au pic à glace.

Ma grand-mère lui mit sa main bandée sous le nez.

— C’était cette main-là et elle a été transpercée de part en part.

Lula et Connie zieutèrent la main en question.

— Et ce n’est pas tout, ajouta ma grand-mère. L’autre soir, Stéphanie a reçu un sexe d’homme au courrier. J’étais là quand elle a ouvert le paquet. J’ai tout vu. Il était fixé sur du polyester par une épingle à chapeau.

— San déc’ ! fit Lula.

— C’est comme je vous le dis. Tranché comme un cou de poulet et épinglé comme un papillon. Ça m’a rappelé mon pauvre mari.

Lula dut se pencher en avant pour pouvoir chuchoter à l’oreille de ma grand-mère :

— Vous voulez parler de la dimension ? Votre homme en avait une aussi grosse ?

— Il en avait plutôt une aussi morte !

Vinnie passa la tête par l’entrebâillement de la porte de son bureau et se renfrogna en voyant ma grand-mère.

— Oh, non ! soupira-t-il.

— Je suis passée la chercher chez son coiffeur, lui dis-je. On doit aller faire des courses, alors comme on était dans le quartier, j’ai pensé en profiter pour venir voir ce que tu voulais.

Le mètre soixante-quatorze de Vinnie se tassa quelque peu. Ses cheveux bruns et clairsemés étaient plaqués en arrière par du gel et avaient le même lustre que ses chaussures noires à bout pointu.

— Ce que je veux, c’est savoir où tu en es avec Mancuso, dit-il. Tu étais censée aller le cueillir chez lui, et en attendant, moi, je perds un maximum de fric.

— Ça se termine, lui dis-je. Parfois, il faut du temps.

— Le temps, c’est de l’argent, fit Vinnie. Le mien, en l’occurrence.

Connie leva les yeux au ciel.

— Répétez-nous ça, fit Lula.

Nous savions toutes que l’agence de Vinnie était financée par une compagnie d’assurances.

Vinnie se balança sur ses talons, bras ballants. Homme des villes. Mollasson. Radin.

— Cette affaire n’est pas dans tes cordes, me dit-il. Je la refile à Mo Barnes.

— Je ne connais ce Mo Barnes ni d’Eve ni d’Adam, intervint ma grand-mère, mais je suis sûre et certaine qu’il n’arrive pas à la cheville de ma petite-fille. On ne fait pas mieux comme chasseuse de primes, et tu serais le dernier des idiots de lui retirer cette affaire. Surtout que, maintenant, je travaille avec elle. On est sur le point de découvrir le pot aux roses.

— Sans vouloir vous vexer, ta petite-fille et toi, je dirais plutôt que vous êtes dans les choux, et que vous ne risquez pas d’arrêter Mancuso.

Ma grand-mère releva le menton d’un air de défi.

— Oh, oh, fit Lula.

— Le malheur s’abat sur ceux qui spolient la famille, dit-elle.

— Quel genre de malheur ? fit Vinnie. Je vais perdre mes cheveux ? Mes dents vont pourrir dans mes gencives ?

— Peut-être, dit ma grand-mère, peut-être que je vais mettre sur toi le mauvais œil. Ou alors, je vais me contenter d’aller raconter à ta grand-mère comment tu causes aux vieilles dames.

Vinnie se mit à tourner comme un lion en cage. Il savait qu’il ne valait mieux pas déplaire à sa mamie Bella. Elle était encore plus effrayante que mamie Mazur. Plus d’une fois, elle avait tiré l’oreille d’un homme jusqu’à ce qu’il mette genou à terre et demande pardon. Vinnie poussa un soupir résigné, serra les dents, plissa les yeux, marmonna quelques paroles incompréhensibles et battit en retraite dans son bureau dont il claqua la porte.

— Eh bien, conclut ma grand-mère, je vois que le sang Plum a parlé dans ses veines.

On revint de notre tournée des magasins en fin d’après-midi. Ma mère nous ouvrit et changea de tête.

— Je n’y suis pour rien pour les cheveux, lui dis-je. C’est elle qui a voulu.

— A chacun sa croix, ta grand-mère est la mienne, dit ma mère.

Elle avisa les chaussures que portait ma grand-mère et se signa.

Mamie Mazur portait des Doc Martens. Et aussi un gilet de ski matelassé, un jean dont le bas était relevé et maintenu par des pinces à vélo et une chemise en flanelle identique à la mienne.

— Je vais faire un petit somme avant le dîner, dit ma grand-mère. Ces courses m’ont rétamée !

— Si tu veux venir m’aider à la cuisine, je ne dirai pas non, me dit ma mère.

Aïe. Ma mère ne voulait jamais qu’on l’aide à la cuisine. Quand elle avait besoin d’un coup de main, c’est que quelque chose la tracassait et qu’elle avait l’intention de forcer une pauvre âme à rendre les armes. Ou qu’elle voulait aller à la pêche aux renseignements. Prends du pudding au chocolat, me dirait-elle. Et, au fait, Mrs. Herrel m’a dit qu’elle t’avait vue entrer dans le garage des Morelli avec Joe. Et fais voir… comment se fait-il que ta petite culotte soit devant derrière ?

Je la suivis à contrecœur jusque dans sa tanière où des pommes de terre cuisaient à l’eau. La vapeur avait complètement embué la fenêtre au-dessus de l’évier. Ma mère ouvrit le four pour vérifier la cuisson du gigot d’agneau et une odeur de viande rôtie fondit sur moi. Mon regard s’embua autant que le carreau de la fenêtre et l’eau me vint à la bouche.

Ma mère passa du four au réfrigérateur.

— Je vais faire des carottes avec le gigot. Tu n’as qu’à les éplucher, me dit-elle, me tendant le sachet de légumes et un économe. Au fait, pourquoi quelqu’un t’a-t-il envoyé un pénis ?

Je faillis m’écorcher le doigt.

— Beeeen…

— L’adresse d’expédition était à New York, mais l’enveloppe avait été affranchie en ville.

— Je ne peux rien te dire sur ce pénis, maman. Tant que la police n’a pas bouclé son enquête…

— Richie, le fils de Thelma Biglo, a dit à sa mère que c’était le pénis de Joe Loosey. Et que Kenny Mancuso le lui aurait coupé pendant qu’on préparait sa dépouille chez Stiva.

— Où Richie Biglo est-il aller pêcher ça ?

— Il est barman à la pizza Pino. Il est au courant de tout.

— Je n’ai pas envie de parler de ça.

Ma mère me prit l’économe des mains.

— Non mais regarde comment tu m’épluches ces carottes ! Que veux-tu que j’en fasse ? Tu laisses plein de peau.

— Tu ne devrais pas les peler, tu sais. C’est la peau qui contient toutes les vitamines.

— Va dire ça à ton père. Il refuse d’en manger si elles ne sont pas parfaitement épluchées. Tu sais comme il est difficile.

Mon père mangerait de la merde de chat si elle était salée, frite ou panée, mais il fallait un vote du Congrès pour le forcer à ingurgiter un légume.

— Il me semble que Kenny Mancuso en a après toi, me dit ma mère. Ce n’est pas une chose à faire que d’envoyer un sexe d’homme à une femme. C’est un manque de respect élémentaire.

J’allais et venais dans la cuisine en quête d’une activité quelconque. En vain.

— Et je sais très bien ce qui se passe avec ta grand-mère, ajouta-t-elle. Mancuso essaie de t’atteindre à travers elle. C’est pour ça qu’il l’a agressée l’autre jour ; pour ça que tu es venue t’installer ici… pour être près d’elle au cas où il recommencerait.

— Il est fou.

— Évidemment qu’il est fou. Tout le monde te le dira. Chez les Mancuso, tous les hommes sont frappa-dingues. Son oncle Roco s’est pendu. Il était pédophile, figure-toi. Mrs. Ligatti l’avait surpris avec sa petite Tina. Et le lendemain, on le retrouvait au bout d’une corde. Une bonne chose, parce que si Al Ligatti lui était tombé dessus…

Ma mère secoua la tête.

— Je préfère ne pas y songer, acheva-t-elle.

Elle coupa le gaz sous les pommes de terre et se tourna vers moi.

— Comment tu t’en sors comme chasseuse de primes ? me demanda-t-elle.

— J’apprends le métier.

— Tu crois que tu es assez douée pour arrêter Kenny ?

— Oui.

Enfin, faut voir.

— Je veux que tu le coinces, ce petit salopard, dit-elle, baissant d’un ton. Je ne veux plus qu’il traîne dans le quartier. Il est inadmissible que cet agresseur de vieilles dames soit en liberté.

— Je vais faire le maximum.

— C’est bien.

Elle prit un pot de canneberges dans le garde-manger.

— Bon, maintenant que les choses sont claires, tu peux mettre la table, me dit-elle.

Morelli surgit à six heures moins une.

J’allai lui ouvrir et me campai dans l’entrebâillement de la porte, lui barrant le passage.

— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je.

Morelli se pressa contre moi, me forçant à reculer.

— Je faisais ma ronde dans le quartier, j’ai vu de la lumière et j’ai senti une bonne odeur de gigot d’agneau.

— C’est qui ? cria ma mère.

— Morelli ! Le grand méchant loup passait en voiture et a été attiré par l’odeur de l’agneau. Et il repart IL-LI-CO !

— Elle est d’une impolitesse ! s’excusa ma mère à Morelli. Je ne sais pas ce qui lui prend. Je ne l’ai pas élevée comme ça. Rajoute un couvert, Stéphanie.

Je partis de la maison à sept heures et demie en compagnie de Morelli. Il me suivit dans une camionnette beige et alla se garer dans le parking de chez Stiva et moi dans l’allée.

Je verrouillai les portières de la Buick et le rejoignis.

— Tu as du nouveau ? lui demandai-je.

— J’ai potassé les facturiers du garage. Macko a fait faire la vidange de sa camionnette en fin de mois dernier. Bucky l’a amenée vers sept heures du matin et est venu la rechercher le lendemain.

— Laisse-moi deviner. Cubby Delio ne travaillait pas ce jour-là. Moogey et Sandeman, oui.

— Exact. C’est Sandeman qui s’est occupé de la camionnette. C’est lui qui a signé la facture.

— Tu l’as interrogé ?

— Non. Il avait déjà fini sa journée quand je suis passé au garage. Je suis allé chez lui et j’ai fait quelques bars, mais je ne l’ai pas trouvé. Je referai la tournée plus tard.

— Tu as vu quelque chose d’intéressant dans son studio ?

— La porte était fermée à clef.

— Tu n’as pas regardé par la fenêtre ?

— Je me suis dit que j’allais te laisser ce plaisir. Je sais à quel point tu aimes faire ce genre d’exercice.

En d’autres termes, Morelli ne voulait pas risquer de se faire surprendre sur un escalier de secours.

— Tu seras là quand je fermerai avec Spiro ? lui demandai-je.

— Le passage d’un troupeau de mustangs ne me délogerait pas.

Je traversai le parking et entrai dans le salon funéraire par la porte latérale. Apparemment, la nouvelle de la mutilation commise par Kenny Mancuso sur le cadavre de Joe Loosey s’était répandue comme une traînée de poudre, car la foule, rassemblée autour de sa dépouille mortelle dans le salon des VIP, rivalisait avec le record d’audience détenu jusqu’alors par Silvestor Bergen qui était mort à mi-parcours de son mandat de grand mamamouchi de l’Association des Anciens Combattants des Guerres en Outre-Mer.

Spiro était entouré de sa cour à l’autre bout du hall d’entrée, jouant à la perfection son rôle de croque-mort star. Les gens l’écoutaient intensément raconter Dieu savait quoi.

Quelques personnes regardèrent dans ma direction puis se mirent à chuchoter derrière leurs programmes des festivités funèbres.

Spiro salua son public d’une courbette et, d’un geste, m’invita à le suivre dans la cuisine. Au passage, il prit le grand plat à biscuits en argent, ignorant Roche qui avait repris son poste à table.

— Vous avez vu cette bandes de tocards ? fit Spiro, vidant un gros sac de biscuits de supermarché dans le plat. Ils vont me mettre sur la paille. Je devrais faire payer un droit d’entrée pour qui veut voir le moignon de Loosey !

— Des nouvelles de Kenny ?

— Aucune. Je pense qu’il a brûlé toutes ses cartouches. Ce qui arrange bien mes affaires. Je n’ai plus besoin de vos services.

— Pourquoi ce revirement soudain ?

— Les choses se sont tassées.

— Comme ça ?

— Eh oui, comme ça.

Il sortit de la cuisine d’un pas allègre et flanqua le plateau de biscuits sur la table.

— Comme allez-vous ? demanda-t-il à Roche. J’ai vu que votre « frère » recevait des visites des gens en surnombre chez Loosey. Je suppose que certains vont le voir pour vérifier où en sont ses petites affaires, si vous voyez ce que je veux dire. Vous avez remarqué que je n’ai exposé que la partie supérieure du corps de façon que personne ne s’avise d’aller toucher plus bas.

Roche faillit s’étouffer.

— Merci, dit-il. Vous pensez à tout.

Je retournai auprès de Morelli pour lui faire part des dernières nouvelles. Il était invisible dans l’obscurité de l’habitacle de la camionnette.

— C’est inattendu, dit-il.

— Je pense que Kenny a les armes. Je pense qu’on a donné à Spiro une piste à suivre, qu’il a fait passer le message à Kenny et que Kenny a récupéré la marchandise. Et donc que maintenant, Spiro peut dormir sur ses deux oreilles.

— Possible.

— Je vais faire une petite visite à Sandeman, dis-je, sortant mes clefs de voiture. Au cas où il serait déjà rentré chez lui.

Je me garai non loin de l’immeuble de Sandeman, mais de l’autre côté de la rue. Morelli s’arrêta juste derrière moi. On resta quelques instants sur le trottoir à regarder l’immeuble qui se dressait devant nous, noir sur fond de ciel bleu nuit. Une lumière crue se déversait d’une fenêtre sans store du rez-de-chaussée. À l’étage, deux rectangles orangés attestaient d’une trace de vie dans les pièces côté rue.

— Il a quoi comme voiture ? me demanda Morelli.

— Une camionnette Ford et une moto.

Ni l’une ni l’autre n’étaient en vue. On fit le tour de l’immeuble en empruntant l’allée et on tomba sur la Harley. Aucune lumière côté cour. Le noir complet chez Sandeman, à l’étage. Personne n’était assis dans la véranda. La porte de derrière n’était pas fermée à clef. À l’intérieur, le couloir était faiblement éclairé par une ampoule nue qui pendait du plafond du hall d’entrée. Des échos d’un poste de télévision nous parvinrent des étages. Morelli s’attarda un moment dans l’entrée, à l’écoute, puis il monta au premier étage, puis au second. Là, régnaient le silence et l’obscurité. Morelli colla son oreille contre la porte de chez Sandeman. Il fit non de la tête. Aucun bruit chez lui.

Il alla à la fenêtre du palier qu’il ouvrit et regarda au-dehors.

— Entrer chez lui par effraction irait contre mes principes, dit-il. Alors que, pour moi, ce serait purement et simplement illégal.

Morelli jaugea la grosse torche électrique que j’avais en main.

— Évidemment, une chasseuse de primes est habilitée à entrer chez le hors-la-loi qu’elle poursuit.

— Seulement si elle a la certitude que l’individu en question est chez lui.

Morelli me regarda d’un air interrogateur. Je m’approchai et lorgnai l’escalier de secours.

— Ça m’a l’air très branlant, dis-je.

— Oui, j’ai remarqué. Il ne supporterait pas mon poids.

Et, me relevant le menton d’un doigt, il ajouta :

— Mais je parie qu’il portera sans problème un petit bout de chou comme toi.

On peut dire de moi que je suis beaucoup de choses, mais pas un petit bout de chou. Je pris une profonde inspiration et enjambai la fenêtre. L’escalier gémit sous mes pieds et des éclats de métal rouillé allèrent s’écraser par terre. Je poussai un juron à mi-voix et avançai à tout petits pas vers la fenêtre de chez Sandeman.

Je plaquai mes mains sur la vitre pour mieux voir à l’intérieur. Plus noir, tu meurs. Je tentai d’ouvrir la fenêtre. Elle n’était pas bloquée. Je poussai le châssis inférieur, il se releva… mais se coinça à mi-hauteur.

— Tu peux entrer ? me chuchota Morelli.

— Non. La fenêtre est coincée.

Je m’accroupis pour regarder par l’ouverture, promenant le faisceau de ma torche électrique tous azimuts. À première vue, pas de changement depuis ma dernière visite. Toujours le même foutoir, la même crasse, la même odeur nauséabonde de vêtements pas lavés et de cendriers archipleins. Aucune trace de lutte, ni de fuite, ni d’enrichissement.

Je décidai de faire une deuxième tentative avec la fenêtre. Je pris fermement appui sur mes pieds et poussai de toutes mes forces sur le cadre de bois. Des boulons se détachèrent du mur aux briques effritées et la galerie en lamelles de l’escalier de secours se pencha à un angle de quarante-cinq degrés. Les marches se démantelèrent, la rampe se descella, les fers d’angle cédèrent sous la pression et je dégringolai, pieds les premiers, dans le vide. Ma main rencontra une barre transversale, et par réflexe, s’y accrocha… dix secondes… au bout desquelles tout le deuxième étage de l’escalier de secours s’effondra sur le palier du premier. Il y eut un moment de silence qui me laissa le temps de murmurer : et merde !

Au-dessus de moi, je vis la tête de Morelli penchée à la fenêtre.

— Ne-bou-ge-pas !

Et BADABOUM ! Le premier étage de l’escalier de secours se descella de la façade et s’effondra par terre, m’entraînant dans sa chute. Je tombai à plat dos avec un woufff sonore qui me bloqua la respiration.

Je restai étendue, immobile, et le visage de Morelli réapparut bientôt au-dessus de moi, à quelques centimètres du mien cette fois.

— Nom de Dieu, Stéphanie, murmura-t-il. Dis-moi quelque chose.

Je regardai droit devant moi, incapable de parler, toujours incapable de respirer.

Morelli me prit le pouls à la carotide. Puis je sentis qu’il m’attrapait par les chevilles et me soulevait les jambes.

— Tu peux remuer les orteils ? me demanda-t-il.

Pas quand sa main remontait ainsi sur l’intérieur de ma cuisse. J’avais la sensation que ma peau était à vif sous sa paume, et que mes doigts de pied étaient recroquevillés par une crampe. Je m’entendis haleter.

— Si tes doigts montent plus haut, je t’attaque pour harcèlement sexuel, dis-je, dans un souffle.

Morelli se redressa et s’épongea le front.

— Tu m’as fichu une de ces trouilles, me dit-il.

— Qu’est-ce qui se passe, là ? cria-t-on d’une fenêtre. J’appelle les flics si vous continuez vos conneries. On a un décret antibruit dans le quartier !

Je me redressai sur un coude.

— Fichons le camp, dis-je.

Morelli m’aida à me relever avec douceur.

— Tu es sûre que tu vas bien ? me demanda-t-il.

— Je crois que je n’ai rien de cassé.

Je plissai les narines.

— Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? dis-je. Oh, non ne me dis pas que je me suis souillée !

Morelli me fit tourner devant lui.

— Hou là ! s’exclama-t-il. À vue d’œil, un des locataires doit avoir un gros toutou, un très gros toutou, et j’ai bien l’impression que tu es tombée en plein dans le mille !

J’ôtai mon blouson et le tins à bout de bras.

— Ça va, là ?

— Oui, à part les éclaboussures que tu as sur ton jean.

— Pas ailleurs ?

— Non, à part dans tes cheveux.

Cette nouvelle me propulsa dans un état hystérique.

— Retire-moi ça ! Retire-moi ça ! RETIRE-MOI ÇAAAAAA !

Morelli me plaqua une main sur la bouche.

— Chut.

— Re-ti-re-moi-ça.

— Comment veux-tu que je fasse ? Il faut que tu te laves les cheveux.

Il me tira vers la rue.

— Tu peux marcher ?

Je titubai à sa suite.

— Bon, ça va, fit Morelli. Continue comme ça. Tu seras à la camionnette en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et après, je t’emmène à la douche. Une ou deux heures de récurage, et tu brilleras comme un sou neuf.

— Un dessous neuf ?

Mes oreilles bourdonnaient et ma voix me semblait venir de très loin… comme si j’avais la tête dans un bocal. Un dessous neuf ?

On arriva à la camionnette et Morelli ouvrit les portes arrière.

— Tu ne vois pas d’inconvénient à voyager à l’arrière ? me demanda-t-il.

Je le dévisageai, la tête vide. Morelli me braqua la torche électrique dans les yeux.

— Tu es sûre que ça va ?

— Quelle race, le chien, à ton avis ? lui demandai-je.

— Gros.

— Quelle race ? !

— Un rottweiller. Mâle. Vieux et suralimenté. Dents pourries. A mangé beaucoup de thon ces derniers temps.

Je fondis en larmes.

— Ah non, implora Morelli, ne chiale pas. Je n’aime pas quand tu pleures.

— J’ai de la merde de rottweiller dans les cheveux, sanglotai-je.

Du pouce, Morelli sécha mes larmes sur ma joue.

— Te bile pas, trésor. Ce n’est pas si terrible que ça. Je blaguais pour le thon.

Il me hissa dans la camionnette.

— Accroche-toi, me lança-t-il. Tu vas être chez toi en moins de deux.

Il me ramena à mon appartement.

— J’ai pensé que tu ne voudrais pas que ta mère te voie dans cet état, me dit-il.

Il chercha la clef de chez moi dans mon sac et ouvrit la porte.

Il faisait frais dans l’appartement qui avait un vague air abandonné. Et silencieux. Pas de Rex sprintant dans sa roue. Pas de lampe allumée pour me souhaiter la bienvenue.

La cuisine me fit signe à ma gauche.

— Il me faut une bière, dis-je à Morelli.

Je n’étais plus pressée de passer sous la douche. Mon odorat s’était émoussé. Je m’étais résignée à avoir les cheveux cacateux.

J’allai mollement dans ma cuisine et tirai sur la porte du réfrigérateur. Elle s’ouvrit sans problème. La petite loupiote s’alluma comme de coutume, et je regardai, hébétée, le pied qui se trouvait sur une clayette… un gros panard crasseux qui trônait entre un bloc de margarine et un bocal de canneberges rempli aux trois quarts.

— Y a un pied dans mon frigo ! criai-je à Morelli.

J’entendis un concert de cloches, vis un feu d’artifice, sentis des fourmis dans mes lèvres et m’écroulai par terre.

Je me débattis pour sortir des limbes de l’inconscience et ouvris les yeux.

— Maman ?

— Pas tout à fait, me dit Morelli.

— Que s’est-il passé ?

— Tu es tombée dans les pommes.

Je me relevai en flageolant sur mes jambes.

— Et si tu passais sous ta douche pendant que je m’occupe du reste ? fit Morelli. Tiens, prends ta bière.

Je considérai la canette qu’il me tendait.

— Elle ne sort pas de mon frigo ? lui demandai-je.

— Mais non. Elle vient d’ailleurs.

— Bien. Sinon, je n’aurais pas pu la boire.

— Je sais, dit Morelli, me poussant vers la salle de bains. Bon maintenant, va boire ça sous ta douche.

Quand j’en ressortis, je retournai à la cuisine où je tombai sur deux policiers en uniforme, un type du laboratoire de police et deux autres en civil.

— J’ai ma petite idée sur le propriétaire de ce pied, dis-je à Morelli, en train d’écrire sur un clipboard.

— J’ai la même que toi, me dit-il.

Il me tendit le clipboard.

— Signe ici.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une déposition préliminaire.

— Comment Kenny s’y est-il pris pour mettre ce pied dans mon frigo ?

— En cassant le carreau de ta chambre. Tu devrais faire installer une alarme.

L’un des flics en uniforme partit en emportant une grosse glacière en polystyrène. Je ravalai une vague de dégoût.

— C’est le pied ? demandai-je.

Morelli me répondit par un signe de tête affirmatif.

— J’ai nettoyé ton frigo vite fait, me dit-il. Tu le récureras à fond quand tu auras le temps.

— Merci de ton aide.

— On a fouillé ton appartement. On n’a rien trouvé d’autre.

Le deuxième flic partit à son tour, suivi par ses collègues en civil.

— Alors ? fis-je à Morelli. Prochaine étape ? Ça n’a pas servi à grand-chose d’aller chez Sandeman.

— Maintenant, on va surveiller Spiro.

— Ce n’est pas ce que fait Roche ?

— Roche reste au salon funéraire. Nous, on va lui coller aux fesses.

On scotcha un gros sac-poubelle en plastique sur le carreau cassé, on éteignit la lumière et on sortit en verrouillant la porte. Il y avait un attroupement dans le couloir.

— Alors ? fit Mr. Wolesky. Qu’est-ce qui se passe ? Personne ne nous dit rien.

— On a cassé une de mes fenêtres, lui dis-je. Je pensais que ça pouvait être plus grave, alors j’ai appelé la police.

— Vous vous êtes fait cambrioler ?

— Non, on ne m’a rien pris.

Pour autant que je sache.

Mrs. Boyd ne semblait pas prête à me croire sur parole.

— Et la glacière que portait le flic ? fit-elle. Qu’est-ce qu’elle contenait ?

— Des bières, lui répondit Morelli. On va à une soirée chez des amis à moi.

On plongea dans l’escalier et on regagna la fourgonnette au petit trot. Morelli ouvrit la portière côté chauffeur, et une odeur de chien malade déferla sur nous, nous forçant à battre en retraite.

— Tu aurais dû laisser les vitres baissées, dis-je à Morelli.

— On va attendre un peu. Ça devrait se tasser.

Au bout de quelques minutes, on s’approcha du bout des pieds.

— Ça sent toujours aussi mauvais, dis-je.

— Bon, je n’ai pas le temps de laver la caisse. On n’aura qu’à rouler vitres baissées, le vent devrait chasser l’odeur.

Cinq minutes plus tard, ça puait toujours autant.

— Je craque, finit par dire Morelli. Je ne supporte plus cette odeur. Je vais changer de véhicule.

— Tu veux passer chez toi pour prendre la camionnette ?

Il tourna à gauche dans Skinner Street.

— ’peux pas. Je l’ai prêtée au gars à qui j’ai emprunté cette caisse.

— Et la voiture de police banalisée ?

— En réparation. On va prendre ta Buick.

Tout soudain, je la voyais d’un œil plus indulgent.

Morelli se gara juste derrière ma Grande Bleue.

J’ouvris la portière de la fourgonnette et avais déjà le pied par terre avant qu’elle soit arrêtée. Je sortis dans l’air vivifiant, respirant à pleins poumons, agitant les bras et secouant la tête pour me débarrasser de toute puanteur résiduelle.

On monta dans la Buick d’un même allant et on resta assis un long moment sans bouger, appréciant l’air pur qui y régnait. Je mis le contact.

— Il est onze heures, dis-je à Morelli. Tu veux qu’on aille directement chez Spiro ou qu’on passe d’abord au salon funéraire ?

— Deuxième proposition. J’ai téléphoné à Roche pendant que tu prenais ta douche, et Spiro était encore à son bureau.

À notre arrivée chez Stiva, le parking était désert. Il y avait plusieurs voitures garées dans la rue. A première vue, toutes étaient inoccupées.

— Où est Roche ? demandai-je.

— Dans l’appartement de l’autre côté de la rue. Au-dessus de l’épicerie fine.

— Il peut pas voir la porte de derrière de là.

— Non, mais l’éclairage extérieur est réglé sur un capteur de mouvements. La lumière s’allume dès que quelqu’un s’approche de la porte.

— Spiro peut couper ce système, je suppose ?

Morelli s’avachit sur son siège.

— Il n’y a pas d’endroit d’où on ait une bonne vue sur la porte de derrière, dit-il. Même si Roche était dans le parking, il ne la verrait pas.

La Lincoln de Spiro se trouvait dans l’allée. De la lumière brûlait dans son bureau. Je me garai en douceur le long du trottoir et coupai le contact.

— Il travaille bien tard, dis-je. Il est déjà parti à cette heure d’habitude.

— Tu as ton téléphone portable ?

Je le lui donnai et il composa un numéro.

Quelqu’un décrocha à l’autre bout de la ligne, et Morelli demanda s’il y avait du nouveau. Après avoir eu sa réponse, il raccrocha et me rendit l’appareil.

— Spiro est toujours là, me dit-il. Et Roche n’a vu personne entrer depuis la fermeture des portes à dix heures.

Nous étions garés dans une rue adjacente bordée de modestes maisons attenantes, hors d’atteinte du halo des réverbères. Aucune lumière aux fenêtres. Le Bourg était une communauté de couche-tôt/lève-tôt.

On resta assis dans un silence reposant pendant une petite demi-heure à observer le salon funéraire. Le vieux tandem de justiciers qui faisait son travail.

Minuit passa. Rien à signaler à part des fourmis dans mes jambes.

— Il y a quelque chose qui ne colle pas, dis-je. Spiro ne reste jamais aussi tard. Il aime l’argent gagné facilement. Il n’est pas du genre à se tuer à la tâche.

— Il attend peut-être quelqu’un ?

— Je vais jeter un coup d’œil, dis-je, m’apprêtant à ouvrir ma portière.

— Non !

— Je veux m’assurer que le capteur est branché.

— Tu vas tout faire foirer. Tu vas faire fuir Kenny s’il est dans les parages.

— Peut-être que Spiro a coupé le système et que Kenny est déjà à l’intérieur ?

— Non.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

— Mon flair.

Je fis craquer mes articulations.

— Il te manque une qualité de base pour être une bonne chasseuse de primes, me dit Morelli.

— A savoir ?

— La patience. Regarde, tu es nouée de partout.

Il appuya avec son pouce à la base de ma nuque et remonta lentement jusqu’à la racine de mes cheveux. Mes yeux devinrent plus lourds et ma respiration plus régulière.

— Ça va mieux ? fit-il.

— Mm, mm.

Il me massa lentement les épaules.

— Il faut que tu te relaxes, me dit-il.

— Si je me relaxe plus que ça, je vais fondre.

Ses mains s’immobilisèrent.

— J’aime bien quand tu fonds, dit-il.

Je tournai la tête vers lui et nos regards se croisèrent.

— Non, lui dis-je.

— Pourquoi pas ?

— Parce que j’ai déjà vu ce film et que je déteste la fin.

— Peut-être qu’elle sera différente cette fois.

— Ou peut-être pas.

Il fit glisser son pouce le long de mon cou et quand il parla, ce fut d’une voix basse et aussi râpeuse que la langue d’un chat.

— Et le milieu du film ? demanda-t-il. Tu avais aimé ?

Il s’était envolé en fumée.

— J’en ai vu de plus prenants.

Morelli se fendit d’un grand sourire.

— Menteuse !

— De toute façon, on est venus ici pour surveiller Spiro et Kenny, pas pour autre chose.

— Ne t’en fais pas. Roche les a à l’œil. S’il voit quoi que ce soit, il me bipe.

Était-ce de cela dont j’avais envie ? Faire l’amour avec Joe Morelli dans une Buick ? Non ! Quoique…

— Je vais attraper froid, protestai-je d’une petite voix. Le moment est mal choisi.

Morelli se moqua de moi en minaudant.

Je poussai un soupir et levai les yeux au ciel.

— C’est tellement ado ! m’écriai-je. Je ne m’attendais pas à ce que tu aies cette attitude.

— Je sais, fit Morelli. Ce que tu attends de moi, c’est de l’action.

Il m’embrassa de nouveau et je me dis, bof, après tout, s’il veut choper la crève, ça le regarde. Et puis, c’était curieux, mais, le froid, je ne le sentais plus. Peut-être qu’il faisait meilleur que je ne pensais…

Morelli m’enleva ma chemise et fit glisser les bretelles de mon soutien-gorge.

Un frisson me parcourut et je me racontai que c’était à cause du froid… et non à cause du pressentiment d’une catastrophe imminente.

— Tu es absolument sûr que Roche va te biper s’il voit Kenny ?

— Mais oui, marmonna Morelli, qui faisait glisser sa bouche jusqu’à mes seins. Ne t’inquiète de rien…

Que je ne m’inquiète de rien ? Il avait sa main dans ma culotte et il me disait de ne m’inquiéter de rien !

Mes yeux se révulsèrent de nouveau. Mais quel était le problème ? J’étais adulte. J’avais des besoins. Qu’y avait-il de plus normal à ce que je les satisfasse une fois de temps en temps ? Ce n’était pas tous les jours que j’avais l’occasion de connaître un orgasme de qualité. Et ce n’était pas comme si je me faisais des idées. Je n’étais pas une petite gourgandine de seize ans qui s’attend à ce qu’on lui propose le mariage. Tout ce que je voulais, c’était un putain d’orgasme. Et je le méritais bien. Mon dernier orgasme mondain remontait à l’élection de Reagan, c’est dire.

Je vérifiai l’état des vitres. Toutes embuées. Parfait. Bon, me dis-je, vas-y. Je me déchaussai du bout du pied, puis tombai tous mes vêtements sauf mon string noir.

— À toi maintenant, dis-je à Morelli. Je veux te voir.

Il lui fallut moins de dix secondes pour se déshabiller, dont cinq consacrées aux revolvers et menottes.

Je restai bouche bée et vérifiai discrètement que je ne salivais pas. Morelli était encore plus superbe que dans mon souvenir. Et, dans mon souvenir, il était à tomber par terre.

Il glissa un doigt sous mon string et, d’un geste fluide, le retira. Il voulut se mettre sur moi, mais se cogna contre le volant.

— Ça fait un bail que je n’ai pas fait ça dans une bagnole, dit-il.

On enjamba les sièges avant et on s’écroula tous les deux sur la banquette arrière, Morelli en chemise en jean déboutonnée et en chaussettes de sport blanches, et moi en proie à un regain d’incertitude.

— Et si Spiro coupe l’éclairage et que Kenny entre par la porte de derrière ? fis-je.

— Roche le saurait, dit Morelli, m’embrassant sur l’épaule.

— Comment pourrait-il le savoir ?

Morelli poussa un soupir excédé.

— Parce qu’il a truffé le salon funéraire de micros.

Je le repoussai.

— Quoi ? Et tu ne me l’avais pas dit ? Depuis quand ?

— Bon, tu ne vas pas en faire un fromage !

— Tu me caches autre chose ?

— Non. Je te jure que non.

Je ne le crus pas une seule seconde. Il arborait sa tête de flic. Je repensai tout à coup au dîner, chez mes parents, où il avait surgi à l’improviste.

— L’autre soir, lui dis-je, comment savais-tu que ma mère avait fait un gigot d’agneau ?

— À l’odeur quand tu m’as ouvert.

— Tu me prends pour une conne ?

J’attrapai mon sac posé sur le siège avant et en vidai le contenu entre nous. Brosse à cheveux, laque, rouge à lèvres, bombe lacrymo, Kleenex, boîtier paralysant, chewing-gums, lunettes de soleil… émetteur en plastique noir.

Je sautai sur le mouchard.

— Salaud ! fis-je à Morelli. Tu m’espionnais !

— C’était pour ton bien. Je me faisais du souci pour toi.

— C’est inadmissible ! Comment as-tu osé me faire ça ? C’est une atteinte à la vie privée !

Et aussi un mensonge. Il avait surtout la trouille que je sois sur une piste et que je ne le mette pas au courant. Je baissai la vitre et jetai le bitonio sur le trottoir.

— T’es pas folle ? fit Morelli. Ça vaut quatre cents dollars ce truc.

Il descendit le récupérer. Je refermai la portière et la verrouillai. Qu’il aille au diable ! J’aurais dû réfléchir à deux fois avant d’accepter de faire équipe avec lui. Je repassai par-dessus les sièges et m’installai au volant.

Morelli tenta d’ouvrir la portière côté passager. En vain. Elles étaient toutes verrouillées et elles allaient le rester. Sa bite pouvait bleuir de froid, et je m’en fichais ! Ça lui servirait de leçon. Je fis tourner le moteur et démarrai, laissant Morelli au beau milieu de la rue, en chemise, chaussettes, la quéquette en berne.

À l’intersection suivante, je réfléchis. Ce n’étais peut-être pas une très bonne idée d’abandonner un flic nu comme un ver en pleine rue, en pleine nuit ? Et s’il se faisait agresser par une bande de voyous ? Probable qu’il ne pourrait même pas courir vu son état. Très bien, me dis-je. Je vais le tirer de là. Je fis demi-tour et revint dans la petite rue. Je trouvai Morelli à l’endroit où je l’avais laissé, mains sur les hanches, l’air écœuré.

Je ralentis à sa hauteur, baissai la vitre et lui lançai son revolver.

— Tiens, lui-dis-je. Ça peut toujours servir. Sur ce, j’appuyai sur le champignon et repartis pleins gaz.

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