CHAPITRE XIX CETTE FOIS…

Pavillon haut, les mecs ! Flamberge au vent ! Rapière en pogne, le cœur radieux ! Ça va, je risque de me péter définitivement avec le Vieux en loupant une fois de plus mon rapide, mais au moins ça ne sera pas pour rien. Je suis dans un état satisfaisant. Mes affres, mes errements, mes mollesses venaient de ce que je n’avais pas pris de décision. Maintenant c’est chose faite ! Je me moque du facteur temps, et du facteur des recommandés également ! Ce qui compte, c’est la réussite ! La réussite totale ! Et j’y parviendrai si les petits cochons ne me bouffent pas en route…

Je débarque du mille et unième taxi et je regarde la façade du 27.

C’est une devanture peinte en blanc sur laquelle sont dessinés les deux chiffres format monstrueux. Le bouclard est au repos. Ce genre de taule n’ouvre qu’en fin d’après-midi. Je vois le genre : une salle de pacotille avec trois musicos sinistres et une « grande vedette de la radio et du disque » complètement inconnue qui essaie de donner une impression de déjà entendu en venant glapir les succès des autres !

Aucune lumière, aucun bruit ne filtre de cet établissement discret.

Je pénètre dans l’allée proche à la recherche de la sortie de service. Cette sortie, je la trouve et, grâce à mon petit instrument, j’en fais une entrée…

Je me trouve dans un couloir gris et triste qui conduit à un autre couloir beaucoup plus large, presque à un hall. D’un côté de ce T il y a la salle du « 27 ». Elle correspond scrupuleusement à ce que j’attendais. De l’autre se trouvent les dépendances : loges d’artiste, toilettes, bureau, cuisine…

Je fonce un peu partout. Reniflant, tripotant, regardant… Si jamais le proprio s’annonce dans les azimuts, ça fera un méchant cri dans le pays, je vous l’annonce ! Ce que je maquille présentement s’appelle de l’effraction. Et l’effraction, même lorsqu’elle n’est pas accompagnée de vol qualifié, vous donne droit à une alimentation à base de haricots !

Je m’en fous…

Y a vraiment nobody ! Pas un greffier, pas une âme, pas même une femme de ménage pour donner le coup de balai hygiénique et matinal… Rien ! Le désert.

Je farfouille dans le bureau : voyez factures !

C’est toujours le même matériel commercial. Ces papiers acquittés, ces traites me hérissent. J’y pige que pouic car je ne suis pas doué pour les affures.

Tout ça est établi au nom de Franz Schinzer… Ce qui, à moins que je ne m’enfonce le doigt dans l’œil jusqu’au fignedé, m’a tout l’air d’être un blaze allemand. Or le larbin des Tropiques, tout à l’heure, m’a dit que son « questionneur » avait l’accent d’outre-Rhin.

Je m’apprête à partir lorsque je perçois un très faible bruit. Je tends l’oreille. Plus rien… Sans doute me suis-je gouré, ou bien ce bruit venait de l’extérieur. Oui, de la cour… C’était le bruit métallique que produit un heurt sur une bassine. Je vais tout de même à la cuisine pour si des fois un mitron s’y était oublié. Mais non…

J’hésite. Le bruit ne se reproduit plus… J’attends encore un instant, tendu comme une corde de violon. Est-ce l’autosuggestion ? Toujours est-il qu’il me semble percevoir de nouveau le léger heurt… Mais plus faible que précédemment !

Ça paraît venir du sous-sol… En fouinassant, je trouve l’escalier de la cave. J’actionne l’électricité et je descends un escalier à pic qui conduit à un local vaste et voûté sentant la vinasse.

Il paraît désert. Je dis « paraît » car ça n’est qu’une illusion passagère. En m’approchant de l’amoncellement de tonneaux qui l’encombre, je vois une main dont les ongles faits raclent la poussière. J’écarte quelques tonneaux et je dégage la môme Dubeuck.

Plutôt ce qu’il en reste. Elle a une plaie terrible sur le derrière du crâne. Son sang forme un tapis épais sous elle… Elle est pâle et remue faiblement les paupières.

Elle respire encore, mais d’un souffle oppressé, court, pénible. Je me penche sur elle. Son regard défaillant me considère fixement et un peu d’animation lui donne de la vie.

— Mon pauvre lapin, je murmure, qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Elle bouge les lèvres, un son déchirant s’en échappe. C’est comme un cri :

— Maaaaame !

J’essaie de piger, elle voudrait me faire comprendre… Elle le veut tellement que je pige.

— Madame ?

Battement de cils…

— Ta patronne ?

Re-battement de cils.

— C’est elle qui t’a arrangée comme ça ?

Mutisme… Puis, une fois encore, ses lèvres tentent l’impossible pour extérioriser les sentiments qui palpitent dans ce cerveau en agonie.

Je prête l’oreille, éperdument, réprimant jusqu’aux battements de mon cœur pour percevoir ces ultimes confidences…

— … autre…

— L’autre ?

Son visage brisé dit « oui ».

J’ai un trait de lumière.

— L’Allemand ? Le patron de cette boîte, comment, déjà… Franz Machinchouette ?

« Oui », font les cils harassés de la pauvrette.

Je réfléchis.

— Il est de connivence avec ta patronne ?

« Oui », approuvent toujours les cils…

Je poursuis, sur ma lancée, ne m’interrompant que pour quêter l’approbation muette :

— C’est lui qui t’a téléphoné ce matin ? Il voulait que tu ailles à l’appartement pour réceptionner le paquet ? Il t’a dit de te dépêcher ?

« Oui »…

— Il t’attendait en bas, dans une voiture ? Tu lui as remis le colis, il t’a amenée ici… Ta patronne t’y attendait ? Il t’a assommée ?

« Oui »…

Je pige pas mal de choses…

— Il fréquentait ta patronne et Ribens depuis quelque temps ?

« Oui »…

— C’était Ribens, pour qui tu avais eu des faiblesses, qui t’avait fait entrer chez la Van Boren ?

« Oui »…

— Tous les trois s’entendaient bien ?

Elle ne répond rien… C’est l’inconvénient avec les macchabées. Vous leur parlez et ils regardent ailleurs, fixement, avec l’air de vous emm… jusqu’au Jugement dernier !

C’est tordu pour Germaine… Elle ne se fera plus renverser par les hommes. Renversée, elle l’est de façon totale et définitive.

Je lui ferme les stores car rien n’est plus déprimant qu’un regard de mort. C’est l’au-delà, donc l’ennemi des vivants, qui vous examine.

Je me relève… Il ne me reste plus qu’à tuber à Robierre. Maintenant j’ai assez d’éléments à lui fournir pour qu’il arrive à bon port…

On y voit plus clair : Huguette et son jeune matou s’étaient mis en cheville avec Franz Schinzer et l’homme au chapeau rond pour exploiter le cocu Van Boren… C’est eux qui l’ont tué. Et puis…

J’arrête de gamberger à partir de la première marche. Au haut de l’escalier se tient un gros type chauve au regard mauvais qui me menace de son pétard. Je vais pour porter la main à mon boum-boum, mais il m’arrête d’un mot péremptoire :

— Nein !

Je ne comprends pas l’allemand, mais je pige ce dont il retourne. J’interromps mon mouvement. Il a le doigt sur la détente et, si je me base sur les allongés qui précèdent, il doit avoir une facilité remarquable pour expédier ses contemporains dans un monde qu’on assure meilleur.

Il descend. Derrière lui vient Huguette. Une Huguette un peu pâlotte, au regard moins bête qu’à l’ordinaire…

Je recule dans la cave…

— C’est lui, dit Huguette.

Le Franz a un mauvais sourire.

— Drop gurieux, me dit-il en s’avançant, le pétard pointé — et son Euréka est d’un calibre important.

Il est massif comme la tour Saint-Jacques. C’est un vrai rouleau compresseur.

J’essaie de parler, mais les mots sont cotonneux dans mon clappoir.

— C’est mon métier que de l’être, je fais.

Il a un geste imperceptible qui avance un peu plus sa seringue.

— Voilà pour galmer les gurieux ! Za vait tu pruit, mais abrès on a le zilence !

La situation est tellement tendue que si elle fermait un œil elle serait obligée d’ouvrir autre chose.

Huguette n’y tient plus !

— Tirez ! glapit-elle. Mais tirez donc, qu’on en finisse…

— Foilà ! approuve le chauve.

Il colle son pétard contre sa hanche comme le font les experts ès flingages.

Bonsoir, les amis, vous planterez un saule au cimetière ; signé Musset !

Pour le néant, en voiture, s’il vous plaît !

Je ferme les yeux pour mieux savourer !

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