CHAPITRE IX OH ! MA CICATRICE !

Un coup fourré pareil, rappelez-vous que je le raconterai pas dans Constellation (le monde vu sur 18 centimètres de long par 13 et demi de large) parce qu’alors je me ferais mettre en boîte comme une morue à dessaler !

Moi, le cogneur, le fracasseur de mandibules, l’assommeur de gros crânes, le dérouilleur de truands, l’as des as, l’homme qui a de la dynamite dans les pognes, me laisser repasser par un tordu à la petite semaine, alors non ! J’en suis plus.

Ma rage est telle lorsque je reviens du cirage que je tremblote sur mes cannes comme trois kilos de gelée de groseille qui seraient montés sur la plate-forme d’un tramway de province.

Je bous… Je frémis, je grelotte, je claque des chailles… Ma pogne est enflée comme le burlingue de Jacques Duclos… J’ai une ratiche qui joue la valse dans l’ombre et le raisin bat à mes tempes… Un brin de fièvre m’enflamme les pommettes.

Oh ! cette décoction ! Oh ! ma douleur !

Je me relève en titubant avec, par-dessus tous ces maux, la déprimante impression que je vais m’écrouler comme un robot déboulonné.

Je constate alors que les doublures de mes profondes pendent comme des peaux de lapin retournées. Le mec au chapeau rond m’a consciencieusement fouillé. Si vous voyiez mon bath costar ! Il est littéralement haché, cisaillé. Avec ça sur le râble, j’ai l’air de partir pour un bal masqué, déguisé en mendiant. Pas un centimètre carré qui n’ait été (appréciez ce subjonctif impec, les gars !) examiné. Mon portefeuille gît sur le plancher, éventré, disloqué… Mes fafs sont étalés à travers la pièce. Le mec est allé jusqu’à décoller la photo qui orne (je dis orne car ma gueule embellit tout ce qu’elle gratifie de sa présence) ma carte d’identité. Ce détail me précipite dans un abîme de réflexions. Je me dis que ce ne sont peut-être pas les diams que recherchait l’homme au galure rond. De toute évidence il ne pensait pas les découvrir sous une photo d’identité ?

Alors ?

Alors je pense au petit cliché qui se trouvait dans la montrouse de Van Boren et je me dis (ou plutôt mon petit doigt me dit) que ce minuscule morceau de papelard glacé représente une valeur insoupçonnable pour qui n’est pas dans le coup ! C’est mon renifleur qui sent ça. Et quand il sent quelque chose, vous pouvez parier la main de votre petite sœur contre une boîte de suppositoires d’occasion qu’il ne se goure pas.

En ce cas une nouvelle question surgit, à laquelle je ne puis répondre, du moins pour l’instant : existe-t-il vraiment un lien entre la mystérieuse photographie et les diamants ?

That is the question ! comme aurait dit Winston Churchill, qui parlait couramment l’anglais.

En attendant j’en suis pour ma dent branlante et mon complet mutilé. Des fringues que j’avais douillées cinquante et quelques tickets chez Albo, de l’italien à rayures, si vous voyez ce que je veux dire. Et neuves pardessus le marché ! Non ; je vous promets, y a qu’à moi que ça arrive, des coups pareils.

Le Vieux avait raison : j’aurais dû rentrer chez moi. On n’a jamais intérêt à se fourrer dans les combines des autres. C’est mauvais pour la santé. Conclusion : en rappliquant à Paname, je vais m’offrir une flopée de séances chez mon dentiste. Et moi, la roulette, je n’aime la pratiquer qu’à Monte-Carlo…

Pour me colmater cette voie d’eau dans l’optimisme, je dis deux mots à la bouteille de whisky de ce brave Ribens…

En voilà un qui ne doit pas se douter à cette heure que son appartement est devenu la succursale de la salle Oquinarenne.

L’alcool me ravigote. C’est instantané. Je veux bien qu’il tue l’homme, mais j’aime autant mourir de ça que de la bombe H. Au moins ça fait du bien par où ça passe.

Je consulte ma breloque. Elle ne marque plus the clock (comme dirait la reine d’Angleterre qui parle également l’anglais) car cette ordure de gnace aux chasses bicolores lui a mis les tripes (c’est-à-dire les rouages) au soleil.

De plus en plus, j’ai la preuve probante qu’il cherchait la minuscule photo… Il l’a cherchée parce que j’ai fait la choserie de lui dire que je savais où elle se trouvait et de la négocier. De là à conclure que je l’avais sur moi…

Ça m’apprendra à jouer les gros bras… J’ai voulu le bluffer et total, c’est la frite à San-Antonio qui a dégusté.

Je rampe jusqu’à une glace. Pas beau à reluquer, le frangin ! Mes gnons commencent à virer au violet. Il y a même des reflets dorés comme sur les ailes des mouches à chose. Je ressemble à un quartier de bidoche oublié en plein Sahara.

Soudain je m’arrête, vexé. Le gars a dû lire sur mes fafs que j’étais un poulaga, et pourtant il m’a fouillé. Il m’a cru capable de planquer quelque chose de précieux !

Il est vrai qu’on venait de traiter un marché : comme je le laissais se tailler il m’a cru marron. Flic marron ! Moi, San-Antonio ! Le roi de l’honnêteté ! Le saint Joseph des scrupules ! Ah ! vraiment j’en ai mal aux seins !

Je mets le maximum d’ordre dans ma tenue et je me prends par la main afin de m’emmener gambader. Un peu d’air frais me fera du bien. L’horloge de ville la plus proche égrène (Vilmorin) six coups… J’ai peut-être tort de calter avant d’avoir eu l’explication qui s’impose avec Ribens. Mais tant pis, je le repiquerai très prochainement… Faut que je me rebecte avant de poursuivre cette enquête.

Je vais avoir besoin de récupérer pour retrouver au virage mon adversaire. Car je veux avoir ma revanche. Et je vous fous mon billet que lorsque cet instant sera venu, vous pourrez prévenir les téléspectateurs qu’il va y avoir du gros plan sur leurs écrans. Il m’aura pas deux fois, le Carpentier à l’imper ! Quand je pense qu’il n’a même pas posé son bitos pour me dérouiller. Quelle classe ! Je vois encore son direct du gauche m’arriver sur la portion ! Et je le sens…

Il a une manière de se rappeler au bon souvenir de ses contemporains, ce mec-là !

Le soleil commence à devenir pâlichon lorsque je débouche hors de l’immeuble. Je respire profondément l’air tendre de ce début de crépuscule… Ouf ! Cette rouste m’a brisé les nerfs comme si j’avais pris un bain trop chaud. Je marche avec difficulté et tous les passants se détranchent pour me zieuter, kif-kif si j’étais une supervedette de l’écran…

Mme Boitalolo n’a pas plus de succès quand elle va prendre le five o’clock chez son amie Zabeth…

Comme je ne suis pas mégalomane, je me propulse rapide dans un bahut en bramant le nom de mon hôtel à tous les échos.

Le portier baye d’hébétude en me voyant rappliquer ainsi nippé.

Il bredouille sans s’en rendre compte une chanson à la mode.

— Mais qu’est… mais qu’est-ce… ?

Je fais un louable effort pour lui sourire…

— Vous affolez pas, je lui dis. On s’est amusé à la Banque de France avec un copain et c’est moi qui faisais l’encaisseur…

L’autre tordu de la réception est plus siphonné encore que le piétineur d’asphalte.

— Vous avez eu un accident ? demande-t-il.

— Oui, je suis tombé sur un os.

Je chope la clé et je grimpe à ma piaule. En un tournemain je suis à poil sous la douche et je me sens revivre sous le jet glacé.

Il y a des moments où le plus obstiné videur de litrons trouve que la flotte est une belle invention. H2O ! C’était simple mais fallait y penser…

Ah ! ils peuvent s’annoncer, les savants… J’en connais un qui leur fait la pige. Créer l’eau à un moment où la pénicilline et la cocotte-minute n’étaient pas inventées ! Vous me direz pas que c’est pas du boulot de classe ?

Après un bon quart de plombe de douche intense, je me sens mieux. Je m’étends sur mon lit, à poil toujours, tant pis pour les voyeurs qui se déplacent toujours avec une percerette dans la poche de leur futal ! Et aussi sec je m’endors.

Ce qui me réveille ce sont deux zigs dans la chambre précédemment occupée par Van Boren. Un homme et une femme qui se prouvent leur sympathie en termes excessifs ! La chanson du sommier ! Vous parlez d’un bath refrain…

La môme pousse des cris d’orfèvre et je me dis dans ma Ford intérieure qu’après toutes ces émotions, je m’en passerais bien une aussi à la casserole…

Je vais déboucher le trohu qui, le matin même, m’a permis de plonger mon regard sur l’une des plus mystérieuses affaires de ma carrière, et je vois les sparring-partners en action. Du très bon travail. L’homme peut aspirer à passer pro d’ici peu. Si le Racing avait des hommes comme ça, il ne ferait jamais de descente en seconde division, je vous le dis !

Il en connaît un bout, le Casanova ! Un très beau bout même. Comme quoi on peut être Belge et appliquer la méthode française. Il lui fait le coup du parapluie retourné (que bien peu connaissent…). Il continue par Monte-là-dessus et il va passer à Papa, Maman, la Bonne et Moi lorsque je m’arrache à ce spectacle d’un intérêt cuisant.

Les histoires des autres, ce ne sont pas mes oignons, si j’ose ainsi librement m’exprimer… Je téléphone pour demander l’heure et une voix embourbée dans du sommeil me dit qu’il est onze heures dix… Je viens de m’offrir une belle partie de ronflette. Je me sens en forme. Je gagne le lavabo pour brosser mes chailles et baigner encore mon pauvre portrait de famille. Ma bouille n’a pas changé de volume depuis l’après-midi. Elle comporte toujours deux ou trois protubérances aux couleurs peu appétissantes. Enfin, tant pis… D’ici quelques jours, il n’y paraîtra plus.

Comme je n’ai absolument plus sommeil, je m’habille de frais et je sors… Y a deux gars dans le couloir qui écoutent les amoureux du 26 ; deux petits vieux, bien entendu, à qui ces ébats rappellent une folle jeunesse à jamais disparue.

La môme atteint un paroxysme et appelle un certain Riri qui, je l’espère, n’est autre que son partenaire. Enfin, je l’espère pour lui car rien n’est plus exécrable que d’entendre une polka brailler un autre prénom que le vôtre dans ces moments-là ! Ça jette un froid.

Il n’y a plus beaucoup de trèpe in the streets (comme dirait notre ministre des Affaires étrangères qui ne parle sûrement pas l’anglais). Les Liégeois sont au dodo pour la plupart, sauf quelques-uns qui jouent aux brêmes dans des cafés en se gavant de bière.

J’entre dans une brasserie afin de tortorer un steak. J’ai une faim de cannibale. La tranche d’animal mort consommée, je me sens bien, vraiment bien… C’est à peine si la figure me cuit un peu.

Je sors en même temps que les spectateurs des cinémas d’alentour. Ça met un peu d’animation, mais c’est passager… Comme je n’ai nulle envie de retourner au plume, du reste mes voisins de chambre doivent remettre le couvert à chaque instant, je déambule dans les rues désertes.

C’est la nuit qu’on apprécie ou qu’on déteste vraiment une ville étrangère. Je découvre avec un rien d’étonnement que je me suis pris pour Liège d’une sérieuse amitié… C’est une bath ville, harmonieuse et aérée.

Mon pas régulier crée un rythme sédatif dont mes idées bénéficient. Et soudain j’ai la notion aiguë du temps inexorable qui s’écoule dans le sablier de l’univers (vous affolez pas, cette image est tombée depuis longtemps dans le domaine public). Je me dis que je dois mettre les adjas le lendemain après-midi pour Paname et que je suis là à dormir au lieu d’essayer quelque chose. Est-ce que par hasard je toucherais à la décrépitude mentale ?

Pas de ça, Lisette !

Il ne sera pas dit que le San-Antonio bien-aimé joue les nonchalants qui passent, après s’être fait administrer une infusion de coups de poing !

Bon, qu’est-ce que je fais ?

Tiens, je vais rendre une nouvelle visite à Ribens… C’est une chouette idée, ça, on a toujours intérêt à piquer les gens au débotté quand on veut leur apprendre le papou en vingt leçons sur disques souples !

Загрузка...